Clitandre

Scène VII

 

Clitandre

Va, tigre ! va, cruel, barbare,impitoyable !

Ce noir cachot n’a rien tant que toid’effroyable.

Va, porte aux criminels tes regards, dontl’horreur

Peut seule aux innocents imprimer laterreur :

Ton visage déjà commençait monsupplice ;

Et mon injuste sort, dont tu te faiscomplice,

Ne t’envoyait ici que pour m’épouvanter,

Ne t’envoyait ici que pour me tourmenter.

Cependant, malheureux, à qui me dois-jeprendre

D’une accusation que je ne puiscomprendre ?

A-t-on rien vu jamais, a-t-on rien vu detel ?

Mes gens assassinés me rendentcriminel ;

L’auteur du coup s’en vante, et l’on m’encalomnie ;

On le comble d’honneur, et moid’ignominie ;

L’échafaud qu’on m’apprête au sortir deprison,

C’est par où de ce meurtre on me fait laraison.

Mais leur déguisement d’autre côtém’étonne :

Jamais un bon dessein ne déguisapersonne ;

Leur masque les condamne, et mon seingcontrefait,

M’imputant un cartel, me charge d’unforfait.

Mon jugement s’aveugle, et, ce que jedéplore,

Je me sens bien trahi, mais par qui ? jel’ignore ;

Et mon esprit troublé, dans ce confusrapport,

Ne voit rien de certain que ma honteusemort.

Traître, qui que tu sois, rival, oudomestique,

Le ciel te garde encore un destin plustragique.

N’importe, vif ou mort, les gouffres desenfers

Auront pour ton supplice encor de piresfers.

Là, mille affreux bourreaux t’attendent dansles flammes ;

Moins les corps sont punis, plus ils gênentles âmes,

Et par des cruautés qu’on ne peutconcevoir,

Ils vengent l’innocence au-delà del’espoir.

Et vous, que désormais je n’ose plusattendre,

Prince, qui m’honoriez d’une amitié sitendre,

Et dont l’éloignement fait mon plus grandmalheur,

Bien qu’un crime imputé noircisse mavaleur,

Que le prétexte faux d’une action si noire

Ne laisse plus de moi qu’une sale mémoire,

Permettez que mon nom, qu’un bourreau vaternir,

Dure sans infamie en votre souvenir.

Ne vous repentez point de vos faveurspassées,

Comme chez un perfide indignementplacées :

J’ose, j’ose espérer qu’un jour la vérité

Paraîtra toute nue à la postérité,

Et je tiens d’un tel heur l’attente sicertaine,

Qu’elle adoucit déjà la rigueur de mapeine ;

Mon âme s’en chatouille, et ce plaisirsecret

La prépare à sortir avec moins de regret.

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