Conversation d’une petite fille avec sa poupée

La petite Fille grossière.

Monsieur Machaon, médecin, avoit une petitefille nommée Pontie, extrêmement belle ; mais elle étoitgrossière et dédaigneuse ! Son papa et sa maman, bons et polisavec tout le monde, cherchoient à la corriger de ces vilainsdéfauts qui la faisaient haïr ; mais ils n’y gagnaient rien. Àl’âge de six ans, la petite Pontie ne faisoit jamais la révérencesans qu’on le lui dît ; elle regardoit à peine ceux à qui elleparloit. Quand ces personnes étoient mal vêtues, c’étoit bienpis ! Pontie les examinoit un moment d’un petit airdédaigneux, et s’enfuyoit à toutes jambes, sans leur répondre. Si,à la promenade, une petite fille venoit obligeamment la prendre parla main pour la mener jouer avec elle, Pontie jetoit aussitôt lesyeux sur sa robe, retiroit sa main bien vite quand elle voyoitl’enfant mal habillé.

M. et madame Machaon lui avoient pourtantdit cent fois, que les beaux habits ne font pas le mérite ;qu’une petite fille mal mise peut être bon sujet, bien douce, bienobéissante, bien savante ! Mais, Pontie, naturellementgrossière, se mettoit tout à fait à son aise, quand la toilette nelui en imposoit pas un peu.

Pontie éprouva souvent des mortifications.Quand on lui avoit parlé, elle entendoit dire derrière elle :Cette jolie petite fille appartient certainement à une femme de lahalle ; on le voit bien, malgré sa robe de mérinos, garnie depoil, et son élégant chapeau ; car elle est trop malhonnêtepour être la fille d’une personne bien élevée : on lui auraprêté les beaux habits qu’elle porte. En entendant cela, Pontiedevenoit rouge comme du feu, et couroit vite trouver sa maman, maiselle n’avoit garde de lui dire le sujet de son chagrin !

Un jour, cette petite fille étant auLuxembourg, se trouva engagée par hasard dans une partie qui luiplut fort. Voici comment.

Une pension tout entière s’étant mise à jouerà Colin-Maillard, la maîtresse, assise sur l’herbe, s’amusa àregarder ses élèves, qui rioient du meilleur cœur du monde. Pontie,debout, à deux pas d’elle, montroit assez, par son air, le désird’être reçue parmi cette belle jeunesse, mais elle n’osoit pass’avancer. Tenez, venez, mon petit cœur, lui dit lamaîtresse ; vous êtes trop gentille pour rester là toute seuleà vous ennuyer. Une petite fille polie auroit remercié cette damepar une belle révérence ; mais, point du tout. La grossièrePontie suivit une grande demoiselle qui vint la prendre par lamain, et s’éloigna sans répondre et sans regarder seulement la damequi avoit été si obligeante à son égard. Cette petite fille estbien mal élevée, dit la maîtresse à une de ses pensionnaires ;c’est dommage ; car elle est gentille !

Le jeu ayant duré une demi-heure, les enfansvoulurent se reposer. La maîtresse de pension appela Pontie, et luiadressa ainsi la parole : – Mon cœur, quel âgeavez-vous ? – Six ans. – Votre maman est-elle ici ? – Oui– Venez-vous souvent au Luxembourg ? – Oui. – Demeurez-vousloin d’ici ? – Non. – Vous êtes sans doute bien savante ?– Je lis le latin et le français. – Savez-vous quelque chose demémoire ? – Des vers que mon papa m’a appris, les dieux de laFable, et les rois de France. Je sais aussi compter jusqu’à cent. –C’est beaucoup ! Apprenez-vous le dessin, la musique ? –J’apprends la musique. Elles en étoient là de leur conversation,quand madame Machaon voulant s’en aller, s’avança pour emmener safille. Cette dame fit ses remercîmens à la maîtresse de pension, etaprès l’avoir saluée poliment, elle la quitta.

Mimi, dit madame Belmont en s’arrêtant,comment trouves-tu que cette petite fille se soit conduite danscette circonstance ? – Très-mal, ma petite maman !mademoiselle Pontie dit non, oui, tout court ; jamaismadame ! Cela n’est pas bien du tout !… tu asraison, ma bonne amie. Écoute la suite de mon histoire.

Lorsque Pontie fut en allée, la maîtresse depension se mit à parler d’elle : Il est impossible, dit-elle àses élèves, que la petite fille qui a joué avec vous, appartienne àla dame qu’elle appelle sa mère, et qui l’est venue chercher.Avez-vous remarqué à quel point cette petite fille estgrossière ? Cependant, celle qu’elle nomme sa mère, est poliecomme une dame du grand monde ! C’est sûrement une pauvreenfant qu’elle aura prise par charité !… C’est ainsi quechacun jugeoit Pontie et son aimable maman !… Si cette petitefille eût été laide et mal mise, on y auroit fait moinsd’attention ; mais rien n’est si choquant qu’une personne miseélégamment avec des manières poissardes.

Pontie recevoit de temps en temps de fortesleçons de la part des étrangers. On lui fit plus d’une fois demauvais complimens, dont elle ne se vanta pas. On la comparoit avecd’autres enfans vêtus communément, mais polis, agréables, et, sansbalancer, on leur donnoit la préférence sur elle. Ces enfans,disoit-on, font honneur à leurs parens, et vous, ma belledemoiselle, vous ne paraissez pas faite pour vos habits… On ne peutrien dire de plus humiliant ! Cependant Pontie ne changeoitpas !…

Cette petite étoit non seulement grossière,mais, comme je l’ai déjà dit, elle étoit aussi très vaine !Mademoiselle s’imaginoit qu’elle valoit mieux qu’une autre, parceque son père et sa mère avoient un joli appartement, unebonne pour les servir, et des habits selon la saison.Pontie n’avoit jamais vu des gens plus riches que son père et samère ; elle se croyoit en droit de mépriser ceux qu’elleprenoit pour ses inférieurs.

Or, il arriva que son papa et sa maman lamenèrent un jour aux Tuileries. M. et madame Machaon prirentdes chaises, et la petite courut çà et là autour d’eux. Elle futarrêtée par une dame qui se reposoit sur un banc voisin. Cettedame, fort âgée, ne voyoit presque plus ! elle étoit vêtuebien pauvrement ; aussi Pontie la toisa des pieds à la têtelorsqu’elle lui prit la main pour lui parler. – Où sont vos parens,mon petit cœur ? – Là, sur des chaises. – Vous ne mereconnoissez pas ? – Non. – Ah ! il est vrai ! vousétiez si petite la dernière fois que je vous ai vue ! commevous êtes grandie, embellie !… À ce compliment flatteur, lapetite fille retira sa main brusquement, et s’enfuit vers sa mère,à laquelle elle dit qu’une pauvresse, et elle la luimontra du doigt, venoit de lui parler, et qu’elle lui avoit pris lamain ! J’ai eu peur ! ajouta Pontie, cette femme m’auroitpeut-être pris mes boucles d’oreilles ! – Ma fille, lui dit samaman, les pauvresses n’entrent pas dans ce jardin. Endisant cela, madame Machaon regarda du côté que lui indiquoit safille, et elle vit une dame assez mal mise ; mais qui avoitl’air très respectable. Madame Machaon crut se rappeler sestraits ; cependant elle ne la reconnut pas d’abord. Elle fit àsa fille une forte réprimande sur son éloignement pour lespersonnes mal mises, et lui apprit que souvent les haillons de lamisère couvrent des personnes du premier mérite, tandis que l’or etla soie qui plaisent aux yeux, habillent quelquefois de fortmalhonnêtes gens. Ensuite, elle se leva pour s’en aller, et passaexprès du côté de la dame mal vêtue. M. Machaon ne l’eut pasplutôt vue, qu’il s’écria : C’est madame la duchesse deL. !… et s’avançant vers elle avec respect, il lasalua profondément, lui demanda de ses nouvelles, et lui présentasa femme et sa fille. La duchesse lui fit mille questions sur safortune et sur sa famille. Elle embrassa Pontie, qui cette fois neretira point sa main.

Quand l’enfant eut quitté la duchesse, samaman lui fit remarquer combien les apparences sonttrompeuses !… Vous le voyez, ma fille, lui dit-elle, madame laduchesse de L., femme du plus grand mérite, qui a eu unéquipage, des gens pour la servir, un bel hôtel, de beaux habits,une grande fortune enfin, est à présent dans la misère, par unesuite de malheurs ! Faut-il donc la mépriser pour cela ?– Je ne savois pas que c’étoit une duchesse, dit la petite. – Letitre n’y fait rien, reprit la maman ; il suffit que lapersonne soit estimable. Ah ! ma chère enfant, gardez-vous dedédaigner le pauvre ; car Dieu ne vous béniroit pas !…Soyez aussi polie avec tout le monde, car vous n’êtes pas en étatde distinguer à qui vous avez affaire. D’ailleurs, si, par hasard,vous vous adressiez à quelqu’un qui ne le méritât pas, vous n’enpasseriez pas moins pour une petite fille aimable et bienélevée.

Pontie promit à sa maman d’être plus polie àl’avenir, et véritablement la rencontre de la duchesse lui avoitfait une forte impression !

Quelque temps après, cette dame gagna unprocès considérable ; elle reparut dans le monde avec un trainmagnifique et de beaux habits. M. Machaon retourna chez ellecomme autrefois ; il y mena sa femme et sa fille que laduchesse combla de présens. Pontie devint polie, et tout à faitaimable ; et la duchesse de L. en fit safavorite.

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