Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Histoire de la petite Filledésobéissante.

Il y avoit une fois une petite fille quis’appeloit Lili ; elle étoit bien gentille, mais elledésobéissoit toujours à sa maman ! Ce vilain défaut luiattiroit bien des chagrins ! Si sa maman cousoit, Lili prenoitses ciseaux, malgré sa défense, et se coupoit les doigts ; oubien, elle ouvroit son étui, et renversoit ses aiguilles. Tantôtc’étoit la pelote, dont elle tiroit les épingles en s’amusant,tantôt le fil qui lui servoit à jouer. Une autre fois Lilirenversoit le tabac de sa maman, en touchant à sa boîte oudéchiroit un livre qu’il falloit payer ; ses robes étoienttachées d’encre, parce qu’elle vouloit écrire, quoique sa maman lelui eût défendu. Plusieurs fois Lili s’étoit brûlée en jouant avecle feu, et cela ne l’en avoit pas corrigée.

Cette petite avoit renversé sur elle de lasauce, du bouillon, du lait, en grimpant pour regarder dans un platou dans une soupière ; elle s’étoit jetée par terre cinq à sixfois, d’où on l’avoit relevée avec une grosse bosse au front, et,cependant, Lili recommençoit toujours à toucher à tout. On ladistinguoit de ses frères et sœurs, en lui donnant le vilain nom dedésobéissante. Qui a fait cela, demandoit-on ? –C’est la désobéissante ; qui a dit cela ? c’est ladésobéissante. À cinq ans, Lili étoit encore la même. La seuledifférence qu’il y eût, c’est qu’elle commençoit à sentir que cenom-là n’étoit pas beau du tout ! Quand on l’appeloit ainsi,Lili montroit de l’humeur ; elle boudoit ses petites amies. Samaman les laissoit faire, parce que Lili n’avoit pas changé decaractère.

Un jour la maman de Lili dit à sabonne, nommée Victoire, de mener promener sa fille. Letemps étoit superbe, et les jours fort longs. Victoire alla dansles champs avec la petite Lili. Quand elles furent auprès d’unebelle pièce de blé, Lili demanda à sa bonne la permissionde cueillir des bluets : Je le veux bien, réponditVictoire ; mais vous êtes si désobéissante, vous entrerez dansle blé, vous vous perdrez, et puis, que diroi-je à votremaman ? – Oh ! non, ma bonne, je t’assure !j’iroi tout au bord, je te verroi toujours, et tu me verras aussi,je te le promets ! Songez, mademoiselle Lili, que les bléssont remplis de petites bêtes qui vous feront du mal ! etpuis, si le garde vous voit, vous serez mise en prison !dame ! c’est votre affaire ! – Oh ! tu verras, mabonne, je n’irai pas plus loin que cela ; et Lilimontroit un espace de huit à dix pas.

Ayant obtenu ce qu’elle désirait tant, lapetite Lili se mit à courir pour choisir de beaux bluets, et sabonne s’assit sur l’herbe avec son tricot. Lili vitd’abord une grande quantité de fleurs qui toutes luiplaisoient ; elle en cueillit, puis les jeta pour d’autresplus belles, et toujours en choisissant, Lili s’éloigna, et perditsa bonne de vue. Victoire, occupée à son tricot, ne s’aperçut pasd’abord que l’enfant n’étoit plus auprès d’elle, et quand ellevoulut l’appeler, Lili ne pouvoit plus l’entendre.

La petite fille se perdit si bien dans cesblés plus hauts qu’elle, qu’il lui fut impossible de retrouver sonchemin. Elle appela Victoire de toutes ses forces ; maisVictoire ne l’entendit point ! alors Lili se mit àpleurer ! il étoit bien temps ! Si elle eût étéobéissante, elle ne se seroit pas exposée à avoir du chagrin ;mais suivons-la, nous allons lui voir bien d’autres sujetsd’alarmes.

Cependant Victoire tourna tout autour de lapièce de blé pour trouver Lili ; elle l’appela de toutes sesforces, mais cette pièce étoit si grande, que sa voix se perdoitdans les airs. N’ayant trouvé personne qui pût lui donner desnouvelles de Lili, la pauvre bonne, bien affligée, retourna à lamaison pour dire à sa maîtresse que sa petite fille étoitperdue ! Quand la maman sut comment la chose s’étoit passée,elle dit à la bonne :Je ne m’étonne pas que Lili sesoit perdue comme vous le dites, elle est si désobéissante !…on va la mettre en prison, j’en suis sûre ; mais elle n’auraque ce qu’elle mérite !…

Pendant que Victoire rendoit compte à lamaman, Lili se tourmentoit pour sortir de la pièce de blé. Ellealloit à droite, elle alloit à gauche, et ne voyoit point commentelle pourroit en sortir ; elle avoit jeté les belles fleursdont sa robe étoit remplie, et pleuroit à chaudeslarmes !…

En marchant au hasard, Lili rencontra un nidd’oiseaux, et le heurta avec son pied, ce qui lui fit d’autant plusde peur que, dans le moment même, le père et la mère s’envolèrent,et lui touchèrent le nez avec leurs ailes ; Lili fit un cri siperçant, qu’elle fit lever une douzaine d’alouettes qui couvoientleurs œufs tout auprès. Un peu plus loin, la petite mit le pied surun gros crapeau, ce qui l’effraya si fort, qu’elle fut sur le pointde se trouver mal.

Indépendamment de ces frayeurs passagères,Lili étoit tourmentée d’une manière cruelle : les cousins luipiquoient les bras, la figure et la poitrine ; car, pour êtreplus leste, Lili avoit ôté son chapeau, son schall et sesgants ; les araignées grimpoient à ses jambes, et luifaisoient des ampoules grosses comme le petit doigt. La pauvrepetite étoit martyrisée, et pour comble de malheur, la nuitapprochoit ! Mais, que devint-elle en apercevant une grossecouleuvre qui leva sa tête en sifflant, parce que Lili venoit demarcher sur le bout de sa queue ! À cette vue, la malheureuseenfant se croyant morte, perdit tout à fait connoissance, et tombapar terre. La couleuvre ne lui fit cependant aucun mal ;d’ailleurs, ce reptile est sans venin.

Cet accident arriva à Lili au bord de la piècede blé, dont la petite se croyoit encore bien loin ! Le garde,qui par hasard se trouvoit là, ayant entendu du bruit, et nesachant ce que ce pouvoit être, imagina qu’un animal sorti du boisvoisin s’étoit caché dans cet endroit ; il dirigea son fusilde ce côté, et déjà couchoit en joue la malheureuse enfant, quandheureusement il aperçut les pieds et les jupons de la petite Lili.Il jeta son fusil à terre, et s’approcha d’elle.

L’ayant fait revenir, le garde lui demanda sonnom ? « Je m’appelle Lili, monsieur, répondit lapetite tout effrayée ! – Et votre papa, comment lenomme-t-on ? – M. de Rosambur. Or, ceM. de Rosambur habitoit la ville, et il étoit connu detout le monde. » Le garde fit encore plusieurs questions àLili, auxquelles elle répondit de son mieux.

Pendant que Lili et le garde causoientensemble, ils furent aperçus par Victoire, qui revenoit chercher lapetite. La bonne avoit sa leçon faite ; elle fit unsigne au garde, et se cacha de Lili. Celui-ci dit à Lili del’attendre un moment ; il alla trouver Victoire, qui lui dictala conduite qu’il avoit à suivre avec la désobéissante Lili.

Le garde étant de retour auprès de la petitefille, lui dit :

« Mademoiselle, vous allez aller coucheren prison ! Vous y resterez deux jours, parce que vous avezété trouvée dans le blé, et votre papa paiera le dégât que vous yavez fait. Si vous êtes prise une seconde fois, vous aurez huitjours de prison au pain et à l’eau, c’est la règle. » Lilivoulut demander grâce ; déjà elle joignoit ses deux petitesmains, et mettoit un genou en terre : « Évitez-vous cettepeine, mademoiselle, lui dit le garde, toutes vos prières seroientinutiles : je suis les ordres de mes supérieurs. Nous autres,nous ne sommes pas désobéissans !… Venez, venez, lui dit-il,avec une voix de tonnerre qui fit trembler la pauvre Lili de tousses membres ; vous n’en mourrez pas !… » Lili voulutrésister ; mais le garde la prit sous son bras, et l’emportacomme une mouche ! La nuit étoit alors tout à fait noire.

Le garde marcha longtemps ; ensuite ils’arrêta au détour d’une rue fort étroite, et posa la petite àterre : « J’ai pitié de vous, lui dit-il, car vous êtesbien jeune ! Je vais vous bander les yeux, pour que vous nevoyiez point les voleurs qui sont dans les salles où nous allonspasser. Ces gens-là ont des figures si affreuses, qu’ils vousferoient mourir de peur !… » Le garde paraissant un peuradouci, Lili se laissa bander les yeux, en poussant degros soupirs ! Cet homme la prit encore dans ses bras, etmarcha plus d’une demi-heure ; enfin, il arriva à une grille,qui s’ouvrit avec un grand fracas. Le portier, muni d’un trousseaude clefs qui faisoient beaucoup de bruit, les conduisit à une portequ’il referma derrière eux en tirant d’énormes verrous ; ilfit de même à une seconde, puis à une troisième porte. Arrivé à laquatrième, le garde se baissa bien bas pour y entrer :« Grâce à Dieu, dit-il, nous y voilà. Pauvre petite, que jevous plains !… Vous avez été désobéissante, mais aussi vousêtes punie bien sévèrement !… » Alors, il lui ôta sonbandeau. Lili pleuroit si fort, qu’elle put à peine voir les objetsqui l’environnoient. « Cette chambre n’est pas belle, lui ditle garde ; mais vous y trouverez au moins les chosesnécessaires, parce que c’est la première fois que vous êtes prisedans les blés ; la seconde fois, si cela vous arrive, vousserez moins bien, je vous en avertis. Ma femme va venir,ajouta-t-il ; elle vous donnera à souper, et vous couchera.Vous ne ferez pas bonne chère ; car nous ne sommes pasriches ! » Après avoir achevé ces mots, le garde sortit,et sa femme entra presque aussitôt ; mais, quelle femme !c’étoit un colosse, et, laide, laide à faire trembler ! Elleavoit de la barbe comme un homme, et des yeux rouges qui faisoientpeur !… Lili n’osoit pas la regarder !… Cette femme luidonna un peu de pain et de fromage, puis ensuite un verre d’eaurougie. Après que Lili eut soupé, la femme du garde la coucha sansproférer une seule parole.

Lili pleura beaucoup sans doute, mais enfinelle s’endormit. Le lendemain, la vilaine femme vint lalever ; elle lui fit prendre un peu de lait chaud, mais enmarmottant quelque chose entre ses dents, comme si elle lui eûtdonné à contrecœur !

Lili resta seule jusqu’au dîner, s’ennuyant àmourir ; alors elle regretta le petit livre qui lui servoit àapprendre à lire ; car, disoit-elle, ce livre est ennuyeux,mais il vaut encore mieux que rien !

Lili s’assit donc bien tristement sur son litjusqu’à trois heures, que la femme du garde lui apporta de la soupeet du bouilli. Cette fois-ci, elle lui adressa la parole :« Vous amusez-vous bien, mademoiselle ? – Non, madame. –Si vous saviez lire, travailler, je vous donnerois des livres, del’ouvrage ; mais, vous ne savez rien ! – Je commence àlire couramment, et maman me fait faire des ourlets et des surjets.– Nous allons voir ça. » Là-dessus, cette femme sortit.Bientôt après elle rentra, tenant un petit livre, et deux mouchoirsà ourler, du fil, un dé, une aiguille. « Tenez, mademoiselle,voilà tout ce que je puis faire pour vous ; » puis ellelaissa encore Lili jusqu’à huit heures du soir. Quand elle revint,les deux mouchoirs étoient faits, et cousus très-proprement.« Ah ! ah ! dit la femme en les regardant, il n’esttel que de tenir les petites filles un peu ferme ! C’estbien ! je suis contente !… et, pour vous le prouver, vousne coucherez pas ici ce soir… » À l’instant, on entenditouvrir une porte que Lili n’avoit pas aperçue ; et, à sagrande surprise, elle vit entrer son papa et sa maman !… Quipourroit dépeindre ses transports à cette vue tantdésirée !…

Lili, fondant en larmes, courut se précipiterdans leurs bras ! – Serez-vous encore désobéissante, ma fille,lui dit sa maman ? – Oh ! jamais, jamais, maman !mais vous aviez donc abandonné votre Lili !… – Non, mafille ; je vous aimois encore malgré vos défauts, parce quej’espérois vous voir un jour plus raisonnable. Pour vous prouverjusqu’où va ma tendresse pour vous, je vous dirai que nous avonsdonné de l’argent, pour vous empêcher d’aller en prison, et quevous avez été amenée chez nous. Lili regarda sa mère avec la plusgrande surprise. – Vous avez peine à me croire, ma bonne amie,ajouta madame de Rosambur ; venez avec moi. Aussitôt cettedame ouvrit la porte par où elle étoit entrée, et Lili reconnutparfaitement sa maison. On lui avoit mis un bandeau pour l’yamener, afin qu’elle ne s’aperçût pas qu’elle rentroit chez samère. Les grosses portes par où elle avoit passé n’étoient qu’unjeu, pour lui faire croire qu’elle étoit en prison. La chambre oùon l’avoit mise, étant une pièce inutile, Lili ne la connoissoitpoint. C’est ainsi que madame de Rosambur chercha à corriger safille, tout en veillant sur elle, en mère tendre etraisonnable.

Lili embrassa mille fois son papa et sa maman,pour les remercier de leur extrême bonté ; elle promit de neplus jamais leur désobéir, et on assure qu’elle a tenu parole.

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