Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Le revenant.

Il y avoit une fois une petite fille, nomméeLolotte, qui avoit peur de son ombre. Elle n’auroit pas été seule,sans lumière, la nuit, dans un lieu obscur, pour untrésor !…

Lolotte étoit âgée de dix ans. Elle couchoitdans une chambre, dont la porte donnoit dans le cabinet de sabonne. Lolotte se portoit bien ; on pouvoit sans crainte lalaisser seule lorsqu’elle étoit couchée. Depuis un an que cettepetite avoit quitté la chambre de sa mère, il ne lui étoit rienarrivé de fâcheux.

Une nuit, cependant, Lolotte fut réveillée ensursaut par un vacarme effroyable !… Il lui sembla quequelqu’un brisoit à plaisir le déjeuner de porcelaine de sa maman.La pauvre Lolotte fourra sa tête dans sonlit, et se couvrit de sacouverture : elle étoit plus morte que vive, et n’osoit pasmême respirer…

Ce bruit ayant cessé, un autre aussiextraordinaire lui succéda. Lolotte entendit distinctement tomberune chaise et un guéridon, et sauter en éclats la carafe et legobelet qui étoient dessus. Cette fois la petite crut que la maisontout entière étoit tombée sur elle… Tremblante de tous ses membres,elle eut cependant le courage de regarder autour d’elle ; maiselle vit un monstre, gros comme un éléphant, qui faisoit desgrimaces effroyables ; elle crut, même, qu’il s’approchoit deson lit, sans doute pour l’étrangler…

La crainte de la mort donna à Lolotte la forcede sauter en bas du lit pour se cacher dans la ruelle : satête étoit tout à fait perdue. Lorsqu’elle eut mis machinalementles deux pieds à terre, elle se sentit arrêtée par sa chemise… Pourle coup, Lolotte crut être au pouvoir del’esprit ;elle fit un cri perçant, et tomba sansconnoissance…

Cependant la bonne s’étoit réveilléeau bruit. Elle entra avec de la lumière, vit Lolotte évanouie,accrochée par sa chemise à un clou de sa couchette, et toute lachambre sens dessus dessous. À cette vue, la bonnerestainterdite… Elle releva l’enfant, qui avoit la pâleur de la mort sursa figure, et elle appela le papa et la maman de la petite. On fitrevenir Lolotte, et on lui demanda l’explication du dégât quis’étoit fait. Lolotte assura qu’elle avoit vu unrevenant ! qu’il l’avoit voulu prendre dans son lit,et qu’elle en étoit bien sûre…

Les gens raisonnables, qui savent très-bienqu’il n’y a point de revenans, cherchent à s’instruire dela cause d’un bruit quelconque qu’ils ne connoissent pas. Il n’enest pas ainsi des enfans, qui se plaisent à croire des chosesimpossibles, parce que le merveilleux flatte leur imagination. Lamaman de Lolotte ne se paya pas d’une réponse aussi peuvraisemblable.

Lorsque la petite eut repris ses sens, ils’établit entre elle et sa mère le dialogue suivant :« Raconte-nous donc, Lolotte, ce qui t’es arrivé. – Maman, jene le sais pas moi-même. – As-tu vu quelqu’un ? – Non, cen’étoit pas une personne. – Mais, pourquoi as-tu crié, pourquoit’es-tu trouvée mal ? – Ah ! j’ai eu sigrand’peur !… un spectre m’a précipitée du lit !… – Tu nesais ce que tu dis, Lolotte. – Maman, un esprit,j’en suissûre, est venu dans ma chambre ; il a brisé vos porcelaines,renversé la chaise, le guéridon, et fracassé le verre et la carafe.Je sais qu’effectivement il est arrivé cette nuit quelque chosed’extraordinaire ; mais tu ne me persuaderas pas, ma fille,qu’il y ait des revenans ; conte ces enfantillagesaux petites demoiselles de ta pension, et non pas à ta mère. Jevois ce que c’est, tu as fait un rêve qui t’a troublél’esprit : conviens-en.

– Oh ! je ne dormois point, maman, jevous assure ; j’étois à peine couchée, lorsque j’ai entenducasser tout à la fois les tasses et les soucoupes de votre cabaret.La frayeur que j’ai eue m’a fait enfoncer la tête dans mon lit. Ausecond bruit, bien plus fort que le premier, j’ai regardé à traversles rideaux, et j’ai vu un animal énorme pour la grosseur, quijetoit du feu par la bouche et par les narines ; ses yeuxétoient comme deux lumières qui éclairoient toute la chambre.J’osois à peine respirer ; tout à coup ces deux lumières ontdisparu ; j’ai entendu alors remuer les volets de la fenêtre,et quelque chose de pesant s’est élancé contre le mur, et estretombé lourdement. C’étoit bien un revenant ; carj’ai entendu le bruit des chaînes qu’il traînoit… – Mais pourquoin’as-tu pas appelé ? – Je n’en avois pas la force ; malangue me refusoit ses services. Pendant quelques momens tout a ététranquille ; mais bientôt, à la lueur de la lune, j’aperçus unspectre effrayant qui se tenoit près des rideaux de mafenêtre ; il me paroissoit tantôt grand, tantôt petit. Je mecachois le visage de mes mains pour ne pas le voir ; je fismême quelques efforts pour me lever, afin de me cacher dans mescouvertures ; mais je perdis tout à fait la tête quand je visl’esprit venir à moi. Il m’a saisie par le milieu ducorps, et m’a précipitée en bas de mon lit… Ô mon Dieu ! jefrissonne encore quand j’y pense !… Jamais, jamais, je necoucherai dans cette chambre, où il revient desesprits… »

On ne contraignit point Lolotte à coucher danssa chambre la nuit suivante ; car on vouloit savoir auparavantqui avoit tout culbuté dans cette pièce.

La première chose qui étoit venue à l’idée dupapa et de la maman, c’est que la petite s’étoit levée en rêvant,et s’étoit effrayée elle-même en renversant le guéridon, sur lequelétoient le gobelet et la carafe. Cette pensée, assez vraisemblableune fois adoptée, tout le reste s’expliquoit aisément ; car onavoit trouvé Lolotte accrochée par sa chemise en voulant descendrede son lit. Ce n’étoit donc rien, ou presque rien.

Le papa qui vouloit prouver à sa petite fille,que rien n’arrive dans le monde sans une cause simple et naturelle,décida que Lolotte coucheroit auprès de sa mère, et que luiprendroit le lit de sa fille la nuit suivante. Cette mesure étoitd’autant plus sage, que par-là on s’assuroit si la petite neprenoit pas l’habitude de se lever en dormant ; ce qui auroitpu arriver. D’un autre côté, le papa lui prouvoit, en couchant danscette chambre, qu’il n’y avoit rien à craindre ; car personnene s’expose volontairement à un danger certain.

Le soir étant venu, Lolotte coucha auprès desa mère, comme il avoit été résolu, et elle dormit fort bien. Quantà son père, il ne tarda pas à être réveillé par un bruit quil’étonna, et le fit mettre sur son séant : il entendit casserun carreau !… Comme il étoit dans le premier sommeil, ils’imagina que c’étoit un voleur qui vouloit ouvrir sa fenêtre pourentrer dans l’appartement. Le clair de lune lui permettoit de voirla croisée et, même toute la chambre. Ce monsieur eut beautenir ses yeux fixés sur la fenêtre, rien ne lui annonça qu’unhomme cherchât à s’introduire dans sa demeure, et, par réflexion,il rit en lui-même d’avoir pu seulement arrêter sa pensée à unechose aussi impossible, puisque son appartement étoit au troisièmeétage. À la vérité, il y avoit un toit de communication qui setrouvoit tout proche, mais un homme n’auroit pu s’y tenir, ni yarriver.

Le père de Lolotte faisoit toutes cesréflexions, lorsqu’un nouveau bruit se fit entendre. Ayant tournéles yeux de ce côté, tous ses doutes furent éclaircis ; il vitle voleur ! car c’en étoit un, ou plutôt l’éléphant,le spectre de la veille. Un couvercle étant tombé, le pèrede Lolotte aperçut un chat qui, s’étant effrayé, cherchoit às’enfuir, tenant à sa gueule un morceau de viande qu’il avoit pris.Comme il importoit au papa de désabuser sa fille, il sautalégèrement du lit, et boucha la fenêtre. On réveilla lapetite ; elle vit le chat, qui avoit encore son vol à lagueule. On lui apprit de plus que la veille, la bonne avoit trouvéla fenêtre ouverte, circonstance qui s’étoit échappée de samémoire.

Dès lors Lolotte fut guérie pour toujours dela peur desrevenans. Dans la suite, lorsqu’elle entendoitdu bruit, elle alloit voir, et touchoit la chose quil’inquiétoit ; elle s’assuroit par-là qu’elle auroit eu tortde s’en effrayer. C’est ainsi que Lolotte, de poltronne qu’elleétoit, devint hardie et courageuse la nuit sans lumière.

Oh ! dit Mimi, quand sa maman eut achevéson histoire, je serois bien comme Lolotte ; je n’ai paspeur ! – Je te prends au mot, Mimi ; va me chercher monmouchoir que j’ai laissé sur ma bergère, auprès de mon lit. Mimi yalla sur-le-champ, en riant de toutes ses forces. Elle ouvrit laporte de la chambre, et s’avançant hardiment, mais beaucoup tropvite, elle attrapa un tabouret qui se trouvoit sur son chemin, ettomba dessus, en jetant un cri ! Madame Belmont courut à elleavec une lumière, et la trouva tout en larmes ! T’es-tublessée, ma fille ? lui demanda cette tendre mère ! –Non, maman. – Pourquoi pleures-tu donc ? – C’est que j’ai eupeur ! – Eh ! de quoi ? – Je n’en sais rien. – Tu asdéjà oublié comment Lolotte s’est guérie de ses vaines frayeurs. Sid’abord tu eusses marché avec précaution, et qu’en heurtant letabouret avec ton pied, tu y eusses porté la main, tu aurois vuqu’il n’avoit rien de redoutable. Allons, je vois que tu es encoretrop enfant pour faire ton profit de la leçon que je t’aidonnée : remettons-en l’effet à un autre temps.

Piquée d’être appelée enfant, Mimichercha mille prétextes dans la soirée pour aller sans lumière,dans le salon, dans la salle à manger, et dans les cabinets. MadameBelmont n’eut pas l’air de s’en apercevoir ; elle recommandaseulement aux domestiques de ne rien laisser sur le chemin de lapetite qui pût lui faire du mal. Mimi étoit si fière de savictoire, qu’il fallut se fâcher pour l’empêcher de courir de côtéet d’autre dans les ténèbres, au risque de se casser la tête.

Toute joyeuse de s’être conduite ainsi, lapetite pria sa maman de lui conter une histoire. – Il n’est pasencore huit heures, ma chère petite maman, lui dit-elle ; jene me couche pas plutôt ; contez-moi une histoire, je vousprie. Madame Belmont devoit une récompense à sa fille pour avoirvaincu sa timidité.

– J’y consens, lui dit cette dame.Écoute :

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