Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Histoire de Marinette.

Il y avoit une petite fille, nommée Marinette,qui, toute jeune, annonçoit un mauvais cœur en faisant du mal auxanimaux. Sa maman lui disoit : Ma bonne amie, les pauvresbêtes que tu te plais à tourmenter, ont comme toi de la chair, dusang et des os. Dans le nombre, il y en a d’infinimentpetites ; mais ce n’est pas une raison pour qu’elles souffrentmoins. Un petit chien à qui on casseroit une patte, éprouveroit lesmêmes douleurs que le plus gros de son espèce. Une mouche dont onarrache les ailes se plaint à sa manière ; on ne l’entend pas,parce que sa petite voix ne peut frapper l’oreille.

Que diroit-on d’un homme qui, pour s’amuser,crèveroit un œil à un âne, couperoit la tête d’un cheval, casseroitles quatre pattes d’un chien, et feroit mille autres cruautés decette espèce par simple passe-temps ? on le fuiroit comme unmonstre redoutable à l’espèce humaine, parce qu’on ne pourroitcroire qu’il fût capable d’en agir ainsi avec les animaux, si soncœur n’étoit pas dur et impitoyable. Cela s’applique à toi,Marinette, continuoit la maman ; que penseront ceux qui tevoient sans cesse prendre des mouches pour les enfiler, leur casserles pattes, arracher leurs ailes, et leur couper la tête ?Est-ce la facilité que tu as à détacher ces parties de leur corpsqui te fait croire que ces petits animaux ne souffrent point ?Si tu penses ainsi, ma chère, tu t’abuses ; vois lesprécautions que l’on prend avec un petit enfant, pour ne pas luibriser les os. Si on le laissoit tomber, avant qu’il ait pris desforces, il se casseroit bras et jambes, et souffriroit des douleursincroyables. Tout être vivant, ma chère amie, est susceptible de lamême sensibilité, et c’est être barbare de se faire un jeu d’ôterla vie même à un insecte.

Ces excellentes leçons faisoient peu d’effetsur Marinette, qui s’amusoit d’un chat, d’un chien, d’un oiseau,comme elle eût fait d’un morceau de carton.

Un jour, madame de Lime, sa maman, céda à saprière, en prenant un joli chat, à poil long, blanc comme la neige.On cherchoit à intéresser Marinette à ces petits êtres,par la vue journalière de leurs gentillesses.

D’abord l’enfant caressa beaucoup le Minet,qu’elle nomma Bibi ;mais bientôt, devenant exigeante,elle lui fit faire l’exercice, et mille autres choses queBibi n’aimoit pas du tout. Alors mademoiselle Marinette letapoit de la bonne manière, et, si madame de Lime n’étoit pas làpour le protéger, Bibi avoit les pattes tortillées, lespoils arrachés, et force soufflets : Marinette en colère ne leménageoit pas.

Madame de Lime eut un chien. Elle se flattaque les aimables qualités de ce fidèle animal gagneroient le cœurde sa fille. Ce beau caniche fut nommé Pouf. Il devintbientôt l’ami de la maison, et s’attacha surtout à la petite,quoiqu’elle le maltraitât souvent.

Or, il arriva qu’un jour M. et madame deLime, étant à la promenade dans un jardin public où il y avoitbeaucoup de monde, se trouvèrent séparés de leur fille. Qu’on jugede l’inquiétude de ces bons parens !… Ils s’aperçurent aussique Pouf n’étoit plus avec eux. Ils cherchèrent partoutMarinette ; n’en ayant pas eu de nouvelles, ils revinrent chezeux à la nuit, bien affligés. Marinette étoit arrivée avant eux àla maison : Pouf, qu’elle tenoit enlaisse, l’y avoit conduite aussitôt qu’il avoit eu perdu sesmaîtres.

Si la petite fut bien embrassée, le chienintelligent et fidèle eut aussi sa part des caresses. Marinetteseule ne lui sut aucun gré du service qu’il lui avoit rendu. Le bonchien sembloit redoubler d’attachement pour l’enfant ; mais ilavoit beau faire, Marinette ne s’en apercevoit pas. Jamais lapetite ne le flattoit ; jamais on ne lui voyoit donner uneseule bouchée de pain à ce bon animal. Pouf venoit auprèsd’elle, en remuant la queue ; il lui donnoit la patte, luiléchoit les mains ; la méchante enfant répondoit à ces signesd’affection par un coup de pied, ou en le frappant de ce qu’elletenoit alors, ce qui quelquefois faisoit faire des cris lamentablesau pauvre chien. Cependant les duretés de cette petite fille nerebutèrent point le fidèle Pouf, qui sembloit dire :Tu es la fille de mon maître que j’aime ; je dois t’aimeraussi. Marinette grandit sans devenir plus sensible pour lesanimaux. Tous les jours, malgré la surveillance de sa maman, il yen avoit quelques-uns de sacrifiés à ses cruels plaisirs. Une foisentre autres (la seule pensée m’en révolte !) une marchande,qui ne la connoissoit pas, lui donna un petit moineau. Marinettelui attacha un ruban à la patte, et le fit voler comme un hanneton.Le malheureux oiseau tomba par terre tout étourdi ; le chatsauta dessus et le mangea !… Marinette fut plus surprisequ’affligée de cette aventure ; mais sa maman étant survenue,et ayant appris ce qui venoit de se passer, fouetta sa petite filled’importance !… Marinette l’avoit bien mérité !… Qu’enpenses-tu, Mimi ? – Oh ! c’étoit une méchante que cettedemoiselle ! qu’elle ne vienne pas prendre notre petitserin ; je l’en empêcherai bien !

Dès ce moment, il fut défendu à la méchanteMarinette de prendre des mouches ou autres insectes, de jouer avecdes hannetons, et surtout de toucher aux oiseaux, aux chats et auxchiens, sous peine d’être punie sévèrement.

Marinette avoit six ans, et son cœur nes’étoit pas encore attendri une seule fois sur le sort des petitsmalheureux qui étoient tombés entre ses mains, lorsqu’un événementqui arriva à cette époque la changea tout à coup, et la renditaussi sensible qu’elle avoit été dure jusqu’alors.

J’ai dit que Pouf, toujours bon,toujours fidèle, lui témoignoit la plus vive affection, malgré lesmauvais traitemens qu’elle lui faisoit souffrir. On eût dit, même,qu’il avoit pour elle une préférence marquée ; soit quel’enfance intéresse jusqu’aux animaux mêmes, soit qu’élevésensemble, ce chien eût pris pour elle un attachement plus tendreque pour M. et madame de Lime.

Quelques affaires étant survenues àM. de Lime, la petite famille fut obligée de faire unvoyage, à 60 lieues de sa demeure habituelle. Il étoit impossibled’emmener le fidèle Pouf. On le recommanda auxdomestiques, et malgré les signes d’une douleur bien sincère, lechien resta à la maison.

Privé de ses chers maîtres, Pouf nevoulut prendre aucune nourriture. Il se lamentoit le jour et lanuit, et se tenoit couché constamment sur une robe du matin deMarinette, qu’on avoit laissée par mégarde sur un fauteuil.

Pendant huit jours, Pouf ne but quede l’eau ; il étoit dévoré par une fièvre ardente, qui causasa mort. La famille étant revenue, ce bon chien rassembla toutesses forces, pour témoigner à ses chers maîtres combien il étoitcontent de les revoir ; ensuite il fut se coucher aux pieds deMarinette, lui fit mille caresses, et, tournant ses yeux sur ellecomme pour lui dire un dernier adieu, il expira.

Marinette pleura amèrement son cherPouf !… Cette mort singulière avoit fait une forteimpression sur son esprit. Depuis ce temps, elle fut toujours bonnepour les pauvres bêtes qui se trouvèrent dans sa dépendance, etelle se reprocha souvent la conduite qu’elle avoit tenue avec euxdans ses jeunes années.

Maman, dit Mimi à madame Belmont, lorsqu’elleeut fini, est-ce que les chiens sont aussi bons que vous le ditesdans cette histoire ? – Mille fois davantage, ma bonne amie.On a vu souvent un chien sauver la vie à son maître ou mourir pourlui prouver sa fidélité, soit du chagrin de l’avoir perdu, soitpour ne pas abandonner le dépôt confié à sa garde.

– Maman, les chats ne sont pas si attachés queles chiens ? – Ma fille, ils le sont aussi à leurmanière ; mais leur attachement est moins désintéressé, moinstouchant que celui du chien. Un chat est un animal utile ; ila beaucoup d’instinct, et il est parfois très aimable. Sansm’arrêter à chercher ceux d’entre les animaux qui méritentparticulièrement notre affection, je répéterai qu’en général, ilfaut les traiter tous avec douceur, leur donner le nécessaire,puisqu’ils sont dans notre dépendance, et ne jamais leur faire demal, à moins d’y être forcé par la nécessité. – Mais ceux que nousmangeons, il faut bien les tuer ? Hélas ! oui, il lefaut ! mais ce seroit une barbarie de les faire souffrir avantde leur donner la mort : celui qui les bat impitoyablement estbien coupable. Cela me rappelle une petite histoire que je vais teraconter. – Oh ! tant mieux, maman, tant mieux !…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer