Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Histoire de Céleste.

Céleste étoit fille d’un grand seigneur, quivoulut lui-même veiller à son éducation.

Céleste avoit une figure charmante, maisc’étoit le moindre de ses avantages ; excellent naturel,docilité, amour de l’étude, générosité, sensibilité exquise,discrétion, piété filiale, patience héroïque dans la douleur,élévation d’âme : cette étonnante petite fille réunissoittout ; elle avoit toutes les perfections.

Le père et la mère de Céleste passoient unegrande partie de l’année à la campagne, parce que la santéchancelante de madame d’Avriller l’exigeoit ; c’est pourquoison mari, homme très instruit, se faisoit un plaisir de seconder leprécepteur de ses enfans, en leur donnant lui-même d’excellentesleçons.

Céleste avoit deux frères, beaucoup plusjeunes qu’elle, et dont elle s’occupoit comme la mère la plustendre. Assise tranquillement avec sa poupée, elle les surveilloit,ou se mêloit à leurs jeux avec une complaisance charmante.

Douée des plus heureuses dispositions, Célestene pouvoit manquer d’être parfaitement instruite, ayant son pèrepour instituteur. Elle apprit la musique et le dessin pour luiservir de délassement, mais sans avoir le projet de perfectionnerces talens, parce que, malgré sa jeunesse, toutes les heures de lajournée étaient prises, et qu’elle avoit peu de temps à leurdonner.

Céleste avoit le bonheur d’avoir uneexcellente gouvernante, sage, laborieuse, adroite, qui lui apprit àfaire plusieurs ouvrages de son sexe. Bientôt cette jeune personnebroda mille jolies choses pour ses parens et pour elle-même ;et quoiqu’elle eût une femme de chambre, elle se coiffoitet s’habilloit seule, en disant qu’on avoit reçu de la nature desmains pour s’habiller comme des pieds pour marcher. Bien loind’être à charge aux domestiques, Céleste donnoit tous ses soins àses jeunes frères, et leur servoit de gouvernante ; ellemanqua même d’être la victime de son dévouement pour eux.

Céleste avoit coutume d’aller tous les joursavec ses frères et sa gouvernante, dans une campagne voisine deleur château. Les enfans jouoient sur l’herbe, cueilloient desfleurs, dont Céleste formoit des guirlandes, et la gouvernantetenant un livre, l’oublioit le plus souvent pour admirer l’innocentbadinage de ces aimables enfans.

Pendant une absence que fitM. d’Avriller, Céleste proposa à sa gouvernante d’aller sepromener dans un grand bois, à une demi-lieue du château, pour ygoûter avec ses frères. Le jour pris pour cette partie de plaisir,le temps étant superbe, la petite société se mit en marche avec lagaieté de cœurs satisfaits, qui volent à de nouvellesjouissances.

Rendue au lieu désiré, la petite familles’assit en rond sous un chêne touffu, et fit un repas champêtre quilui parut délicieux.

Pendant que ces aimables enfans se livroientsans contrainte à toute la folie de leur âge, le ciel s’obscurcitet le tonnerre se fit entendre ; aussitôt les jeux cessèrent,et tous s’empressèrent de chercher un abri.

À peine furent-ils hors de la forêt, qu’ils’éleva une tempête effroyable : un vent impétueux déracinales arbres ; l’air étoit obscurci de feuilles et depoussière ; les enfans ne voyoient pas devant eux. Poussée ensens contraire par la force du vent, la petite famille s’armoit decourage, mais il l’abandonna tout à fait quand elle entendit auloin voler en éclats les cabanes des paysans, et qu’elle vit lafoudre tomber à ses pieds.

Les enfans épouvantés sentirent leurs genouxse dérober sous eux ; la frayeur les saisit tellement, qu’ilsleur fut impossible d’avancer. Cependant il falloit se hâter ;la pluie, qui ne tomboit pas encore, menaçoit de les percerjusqu’aux os. La gouvernante prit l’aîné des garçons dans ses bras,et Céleste le cadet ; ainsi chargées, elles s’empressèrent deregagner le château.

Mais bientôt une pluie semblable à un délugeinonda les champs, et en fit une espèce de lac. Céleste et sagouvernante, ayant leurs vêtemens trempés, marchoient dans l’eau,sans savoir où porter leurs pas ; car les chemins, lesplaines, les prairies ressembloient à une vaste mer, dont on nevoyoit pas l’issue.

Pour comble de malheur, avant d’arriver auchâteau, il falloit passer un ravin, qui alors se trouvoit grossiconsidérablement par la pluie d’orage. Céleste et sa gouvernantesentirent la nécessité de le passer avant qu’il augmentât :elles y entrèrent avec courage, luttant contre les flots, etoubliant le danger qu’elles couroient pour ne s’occuper que desenfans qui, extrêmement effrayés, se débattoient et jetoient leshauts cris.

Près d’être engloutie vingt fois dans cegouffre, Céleste ne perdit point la tête ; elle sortit duravin, exténuée de fatigue et toute trempée, et regagna la maisonavec ses frères ; mais dans quel état, grand Dieu !… Dèsqu’elle se fut reposée, elle eut une fièvre brûlante, avec desaccès de transports. Elle s’écrioit alors : « Ne soyezpas en peine, mon papa, maman ! j’ai sauvé mes petits frères…ne soyez pas en peine, je me porte bien aussi. » Mais cettechère enfant étoit attaquée d’une fluxion de poitrine qui fitcraindre pour ses jours.

Quelle douleur pour son père et sa mère !cette fille chérie, qui devoit être l’ornement et la consolation deleur vieillesse, alloit peut-être leur être ravie au moment où ilsconnoissoient tout son mérite ! Malgré ces penséesdéchirantes, M. et madame d’Avriller eurent le courage demodérer leur affliction, pour que Céleste ne se doutât pas dudanger où elle étoit.

À force de soins, la chère enfant serétablit ; elle fut plus que jamais la gouvernante de sesfrères, sur lesquels elle croyoit avoir acquis des droits, depuisl’aventure de la forêt. Céleste leur apprit à lire : jusqu’àl’âge de huit ans, ils n’eurent point d’autre instituteur. Ilfalloit voir la patience de cette jeune personne, sa douceur, sacomplaisance pour ses élèves ; c’étoit un coup d’œilravissant !

Ces deux petits avoient un bon cœur ; ilss’attachèrent à Céleste, et leur docilité la paya amplement despeines qu’elle se donnoit pour leur éducation. Il auroit falluqu’ils fussent bien ingrats pour ne pas aimer une si bonne sœurqui, toujours prête à les excuser lorsqu’ils étoient pris en faute,leur évitoit le long du jour toutes sortes de petits chagrins parsa prévoyante tendresse !

Une bonne conduite trouve tôt ou tard sarécompense. Céleste eut, dans ses deux frères, des amis solides,qui ne l’abandonnèrent jamais. Heureuse par les auteurs de sesjours qui la chérissoient, et par l’affection sincère de ceux quilui devoient tout, cette jeune personne n’eut rien à désirer. Outrecela, elle jouit de l’estime des honnêtes gens, chose précieusepour ceux qui ont un peu d’âme.

C’est déjà fini, maman ? dit Mimi àmadame Belmont.

– Oui, ma fille. Comment trouves-tuCéleste ? – Ah ! c’est une demoiselle bien aimable ;je voudrois qu’elle fût de mon âge, j’en ferois ma petite amie. –Mais tu n’aurois pas ta belle poupée.

– J’en aurois une autre. – Pas aussibelle ; car je regrette beaucoup l’argent employé à ces sortesde choses. – Eh bien ! maman, je m’amuserois de même avec unepoupée ordinaire, et j’aurais une amie qui m’apprendroit à êtrebonne comme elle ; vous seriez toujours contente de moi. –Viens m’embrasser, ma chère enfant ! ta réponse me prouve quemes peines ne sont pas perdues, et que ton cœur estexcellent : tu es une aimable petite fille !

Lorsque Céleste, tomba malade, il y avoitlongtemps qu’elle ne jouoit plus à la poupée. Ses frères prenoientune grande partie de sa journée, le reste étoit pour l’étude. Sicette bonne sœur avoit un moment de loisir, elle le donnoit encoreà ses chers élèves, en se mêlant à leurs jeux, et en semettant à leur portée pour leur plaire davantage.

Céleste donna sa poupée à la fille du receveurde la ville où elle demeurait, comme une preuve de son amitié pourelle, et une récompense des belles actions que l’on citoit d’ellechaque jour.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer