Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Louisa, huitième maîtresse de Zozo.

Madame de P… reçut Zozo avec plaisir. Ellepria son amie de n’en point parler à Louisa, sa fille, à qui lapoupée étoit destinée. Je veux, dit-elle, que ce beau présentcorrige ma fille d’un grand défaut, et lui serve en même-temps derécompense.

Madame de P… ayant ainsi prévenu son amie,plaça Zozo dans une grande corbeille de jonc, couverte de taffetascouleur de rose, noué avec de la faveur. Elle mit cette corbeilledans sa chambre à coucher, sur une commode, et la ferma aux deuxbouts, avec une bande de papier cacheté.

Lorsque Louisa vit cette grande corbeille,elle fit mille questions, sur ce qu’elle contenoit. Tous lesdomestiques, qui avoient le mot, s’accordoient à lui répondrequ’ils n’en savoient rien. Louisa étoit fort embarrassée ; carelle n’osoit point faire de questions à, sa mère, parce qu’elle luiavoit dit plusieurs fois que rien n’étoit plus impoli.

La pauvre enfant étoit à la torture, d’autantplus que la curiosité étoit son défaut dominant. Madame de P… luidit un jour : Écoute, Louisa, tu ouvriras toi-même lacorbeille mystérieuse dans trois mois, si, d’ici à ce temps, tu tecorriges de ton excessive curiosité. Pendant trois mois, jetiendrai une note exacte des fautes qu’elle te feracommettre ; à cette époque je te montrerai mon livre, et tuseras jugée d’après cette lecture. – Trois mois, maman, c’est bienlong ! – Ma fille, il n’en faut pas moins pour t’habituer àveiller sur toi-même ; d’ailleurs l’arrêt est prononcé :dans trois mois, à pareil jour, tu ouvriras la corbeille, ou bienelle disparaîtra pour toujours de devant tes yeux. – Sans que jesache ce qui est dedans ? – Sans que tu saches ce qui estdedans ! Tu le sauras dans la suite, mais ce sera pour tedonner des regrets de ne pas avoir su vaincre ton funestepenchant.

Trois mois d’épreuves étoient en effet bienlongs pour une petite fille aussi curieuse que Louisa, qui n’avoitjamais su se contraindre. Dans tous les temps on l’avoit vue donnerdes preuves de la plus mauvaise éducation, en cherchant àsatisfaire sa curiosité. C’étoit un tiroir qu’elle ouvroit, pourregarder ce qu’il y avoit dedans, même chez les étrangers ; unsac qu’elle vidoit, un paquet qu’elle développoit. Un paniercouvert, quel qu’il fût, lui donnoit le désir de savoir ce qu’ilcontenoit. Aucune boîte, aucun coffre n’échappoit à ses recherches.Jusqu’alors les représentations, les remontrances de madame P…n’avoient pu la corriger de ce défaut, qui devenoit chaque jourplus choquant par les inconséquences qu’il lui faisoit commettre.Quelquefois même il avoit des suites fâcheuses ; car Louisa nebornoit pas sa curiosité à voir, elle vouloit aussi entendre, etdécouvroit les secrets qu’on auroit voulu lui cacher. Elle écoutoitaux portes pour savoir les affaires des personnes avec qui ellevivoit ; on s’en défioit comme d’un voleur ! Louisa seglissoit aussi partout pour satisfaire sa passion favorite. Quandon la prenoit sur le fait, elle en étoit quitte pour prierinstamment qu’on ne le dît point à madame de P…, puis ellerecommençoit au même instant.

Louisa étoit non seulement curieuse, mais elleétoit bavarde. Cependant madame de P…, qui haïssoit la médisance,lui fermoit la bouche lorsqu’elle vouloit lui conter ce qu’avoitfait un tel ou ce qu’une telle avoit dit ; mais la petite sedédommageoit de cette contrainte en causant avec les domestiques, àqui elle répétoit, à sa manière, tout ce qu’elle avoitentendu : de là provenoient des haines, des querellesinterminables ; la paix étoit bannie de cette maison. Quand onvenoit aux éclaircissemens, on citoit toujours Louisa comme leprincipal auteur de tout ce tapage.

Madame de P… avoit exigé de ses gens qu’ilsrenvoyassent honteusement sa fille, chaque fois qu’ils latrouveroient soit dans l’antichambre, soit dans quelque autre piècede la maison où elle ne devoit pas être. De son côté, madame deP…ne négligeoit rien pour lui faire sentir le ridicule de saconduite ; elle lui défendoit expressément de causer avec lesdomestiques, et la punissoit quand il étoit prouvé que ses rapportsavoient fait de la peine à quelqu’un. Cette surveillance gênoitextrêmement Louisa, et lui évitoit bien des sottises ; maiselle ne changeoit point son caractère, parce que cette petite nefaisoit aucun effort pour se corriger.

Madame de P… en fit la réflexion. C’est ce quila porta à profiter de l’occasion qui se présentoit, pour essayerde détruire le vilain défaut de sa fille ; et certes elle nepouvoit s’y prendre trop tôt : ce penchant des âmes vulgairesa causé plus de maux qu’on ne pense !…

Les trois mois d’épreuves commencèrent donc.Louisa se promit bien de ne commettre aucune faute qui l’empêchâtde voir ce qu’il y avoit dans la corbeille. Malgré le désirqu’avoit cette enfant de ne rien faire qui la privât de lasatisfaction qu’elle attendoit, elle s’oublioit cependantquelquefois ; mais sa gouvernante qui l’aimoit, l’avertissoittoujours au moment même, en lui rappelant la corbeille.Si, par exemple, Louisa touchoit à quelque chose qui nelui appartenoit pas, et cherchoit à voir dans un ridicule, ouailleurs, ce qu’il y avoit, sa gouvernante lui disoit :Mademoiselle, souvenez-vous de la corbeille ! Et Louisaretiroit sa main aussi vite que si elle se fût brûlée ; demanière que cette petite dut à sa bonne gouvernante de n’avoir passuccombé vingt fois à la tentation ; car l’habitude est uneseconde nature. Pendant deux mois, Louisa se comporta si bien, quemadame de P… n’écrivit rien qui méritât une censure sévère.Enchantée d’avoir réussi dans son projet, et s’apercevant par cetessai que sa fille n’étoit pas incorrigible, cette dame se proposade la récompenser de ses efforts, en abrégeant le temps de sonépreuve ; car c’étoit une véritable pénitence pour une enfantde ce caractère. Prenant donc Louisa par la main, sa mère la menadans sa chambre : Voilà deux mois de passés, ma fille, lui ditcette dame, depuis que cette corbeille que tu vois est ici. Tu astenu nos conventions autant que ton âge pouvoit te lepermettre ; cela me fait espérer que, par la suite, tuéviteras les fautes où tu es tombée jusqu’ici. Je consens donc àabréger en ta faveur le temps que j’avois fixé ; tu peuxouvrir la corbeille, mais à une condition, c’est que, si tu esencore curieuse, rapporteuse et médisante, comme auparavant, jereprendrai ce qui est dedans, pour le donner à une autre petitefille plus sage que toi.

Louisa promit à sa maman tout ce qu’ellevoulut ; elle sauta à son, col, et la remercia mille fois deson extrême bonté. Elle courut à la corbeille, dont elle fîtbientôt voler les cachets ; mais que devint-elle à la vue dela belle poupée !… elle recula de surprise !… elle ne sepossédoit pas de joie !… – Ah, maman ! qu’elle estbelle ! s’écria-t-elle dans son ravissement ; comme elleest bien mise ! et puis, grande ! mais, c’est que noussommes de la même taille !… Louisa étoit la plus heureusepersonne du monde ! – Tu vois, ma bonne amie, lui dit samaman, que tu es récompensée de tes efforts au-delà de tesespérances : travaille toujours à te perfectionner, et je tepromets des surprises plus flatteuses encore : une mère est siheureuse quand sa fille se porte au bien !

Louisa devint extrêmement raisonnable ;elle donna toutes sortes de satisfaction à sa maman. Le temps étantvenu de lui donner des maîtres, cette jeune personne renonçad’elle-même à sa poupée pour s’appliquer davantage. Madame de P…que je voyois alors me donna Zozo pour toi, ma fille ; mais tuétois si petite, que tu ne pouvois jouer encore avec des poupées.Je la serrai donc jusqu’à ce que tu eusses assez de raison pourt’en amuser sans la gâter.

Tu sais à présent, ma chère amie, l’histoirede Zozo. Quelque jour on joindra la tienne à celle des jeunesdemoiselles à qui ta poupée a appartenu ; vois dans quelleclasse tu désires être rangée ; si c’est parmi ses bonnes ouses mauvaises maîtresses ! Ta conduite à venir endécidera : elle fera aussi le bonheur ou le malheur de tamère.

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