Conversation d’une petite fille avec sa poupée

La petite Marchande.

Madame Derbelet resta veuve de bonne heure,avec une petite fille de six ans. Cette dame loua uneboutique ; elle se mit à vendre du fil, du ruban, et toutessortes de choses analogues. Blanche, c’est ainsi qu’on nommoit sapetite fille, lui tenoit lieu de fille de boutique. Cela t’étonne,Mimi, dit madame Belmont en s’interrompant, et tu as raison. À sixans, c’est bien jeune ; mais Blanche n’étoit pas un enfantordinaire. Cette petite savoit très-bien lire ; elleconnoissoit toutes les étiquettes de la boutique. Quand sa mamanétoit occupée, Blanche servoit ceux qui venoient acheter du fil,des épingles, du ruban, etc., avec une grâce charmante ; elleétoit surtout complaisante et polie à faire plaisir. Sa vivacité,ses grâces, sa gentillesse la faisoient aimer de tout lemonde : on venoit exprès de bien loin pour voir la petitemarchande ; et, en peu de temps, la boutique fut achalandée,c’est-à-dire qu’il y vint un grand nombre de personnes pour acheterdes marchandises, et Blanche en eut tout l’honneur. Ce n’est pasque sa maman ne s’entendît pas au commerce, au contraire, elleétoit douce, aimable, gracieuse : c’étoit elle enfin qui avoitélevé Blanche ; mais on s’intéressoit davantage à la petitefille à cause de sa jeunesse : d’ailleurs il est si rare devoir un enfant se livrer volontairement à des occupationssérieuses !… aussi chacun parloit de la petitemarchande ; on l’élevoit au ciel.

Ne crois pas, Mimi, que Blanche fit parade deses petits talens ; bien au contraire, elle étoit extrêmementmodeste, et elle paroissoit même ignorer l’admiration qu’elleinspiroit. Quand sa maman tenoit le comptoir, Blanche prenoit sapetite chaise, et s’asseyoit sur le pas de la porte avec sonouvrage, sans lever les yeux pour voir les passans. Elle ourloitdes mouchoirs, des serviettes, des cravates, et faisoit des petiteschemises pour les enfans, non pas pour s’apprendre à travailler,mais pour vendre, car sa maman tenoit aussi du linge tout fait. Lapetite marchande étoit payée par sa maman comme une ouvrière :un ourlet, deux liards ; une chemise d’enfant, six sous ;une aune de feston, quatre sous ; ainsi du reste. Blanchemettoit cet argent dans une tirelire, et l’en retiroit deux foisl’année, au commencement de l’été et au commencement de l’hiver,pour s’acheter les choses dont elle avoit besoin.

Malgré ses occupations, Blanche trouvoitencore du temps pour étudier. Sa mère la faisoit lire deux fois lejour, et un maître venoit lui apprendre à écrire et à compter. Enpeu de temps, et par son application, la petite marchande en sutassez pour faire des factures, c’est-à-dire pour écrire le nom etle prix des marchandises que l’on vendoit.

En grandissant, Blanche devint de plus en plusla consolation de sa mère, qui l’aimoit à la folie ! Bientôtla petite marchande eut occasion de faire connoître à quel pointelle étoit raisonnable. Sa maman étant tombée malade trèssérieusement, Blanche tint la boutique comme une grande personne.Elle eut la discrétion de ne point dire que sa mère gardoit le lit,de sorte qu’on la croyoit toujours près d’elle. La bonne se mêloitdu ménage ; elle soignoit la malade, et Blanche, sans sortirdu comptoir, recevoit les acheteurs. Enfin la maman serétablit ; elle trouva la boutique aussi florissante qu’ellel’avoit laissée. Cette bonne mère reconnut avec plaisir qu’elledevoit à sa fille la conservation de ses pratiques.

Blanche devoit éprouver des chagrins, personnen’en est exempt. Elle eut le malheur de perdre sa mère à onze ans,et elle en fut inconsolable !… mais elle avoit assez de raisonpour modérer sa douleur, dans la crainte d’éloigner ceux quivenoient à sa boutique. Blanche reparut en grand deuil, triste,mais toujours douce, polie, affable comme du vivant de sa mère. Unede ses tantes vint demeurer avec elle, mais seulement pour tenir lamaison. Blanche, devenue encore plus raisonnable par la pertequ’elle avoit faite, fut en état de garder la boutique pour soncompte. Son nom resta sur l’enseigne, et elle s’en trouva bien, carla réputation de la petite marchande étoit faite. En peu de temps,Blanche fît sa fortune ; elle la dut à son joli caractère et àsa bonne conduite.

Mimi fut bien satisfaite de l’histoire quemadame Belmont venoit de lui raconter ; la soirée s’étoitpassée trop vite à son gré, et l’heure à laquelle elle avoithabitude de se coucher étant sonnée, sa maman la fit mettre au lit.Le lendemain, madame Belmont étant indisposée, garda sachambre ; Mimi, qui aimoit tendrement sa mère, ne voulut pasla laisser seule pour aller se promener. Il falloit bien passer sontemps à quelque chose : Mimi s’entoura de chiffons, gronda sapoupée, prit et laissa vingt fois ses joujoux dans l’espace de deuxheures. Ne sachant plus que faire, elle s’empara du chat, et luimit une des cornettes de Zozo. Minet étoit si drôle avec cettecoiffure, que sa petite maîtresse rit aux larmes en le regardant.Comme le jeu plaisoit à Mimi, elle voulut finir la toilette deminet, et l’habilla en dame. La petite parvint avec peine à luimettre un collier et un fichu ; mais lorsqu’elle en vint à larobe, Minet voulut s’enfuir !… Cependant Mimi avoit résolud’en venir à son honneur. Elle prit une des pattes du chat et lafourra dans une manche avec beaucoup de peine ; mais quand cevint à l’autre, Minet miaula, jura à faire trembler, parce que Mimilui faisoit du mal. La petite lui donna de bons soufflets !elle étoit contrariée de ne pas le trouver assez complaisant pourse prêter à ses fantaisies… Voyant qu’il lui étoit impossible delui faire mettre la robe de Zozo, elle la lui attacha sous le col.Minet, impatienté d’être tourmenté ainsi, profita d’un moment où ilétoit libre pour se sauver sous le lit ; mais la petite,l’ayant attrapé par la queue, le tira de toutes ses forces. Lechat, déjà en colère, se retourna avec vivacité, et lui égratignala figure, les bras et les mains, puis il s’échappa malgré elle.Mimi se mit à pleurer, autant d’humeur que du mal que Minet luiavoit fait.

Madame Belmont, qui connoissoit sa fille, sedouta de l’aventure en voyant courir Minet en robe traînante, etcoiffé si joliment ! – Pourquoi pleures-tu, Mimi, luidemanda-t-elle ? – C’est que Minet m’a égratignée !… –Cela m’étonne ; il est si doux ! tu lui as donc fait dumal ? – Non, maman. – Tu mens, Mimi ! – Je l’ai seulementtiré par la queue ; mais c’est que je voulois leretenir !… Au même instant, Minet parut affublé du bonnet etde la robe de Zozo. Madame Belmont ne put s’empêcher de sourire.Elle appela le chat, le débarrassa de ses chiffons, et, se trouvantmieux, elle se mit sur son séant, fit venir Mimi auprès d’elle, etlui raconta l’histoire suivante :

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