Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Fortunée, quatrième maîtresse deZozo.

Jusque-là, Zozo s’étoit toujours trouvée avecdes enfans extrêmement raisonnables ; elle n’avoit point étédéshabillée ; son trousseau, renfermé dans sa petite commode,étoit toujours dans le meilleur état ; son lit bien blanc etbien propre. Mais Fortunée devoit lui faire subir plus d’unemétamorphose. Enchantée d’abord en voyant la belle poupée, lapetite la tourna en tous sens ; ensuite elle lui ôta sonchapeau, sa robe, puis elle la coucha ; puis elle examina cequi étoit dans la commode, développa tout, coupa, hacha ; toutcela fut l’affaire d’un quart d’heure. À voir comme Fortunée yalloit, il est à croire qu’au bout de huit jours, Zozo auroit étébrisée si elle fût restée entre ses mains. Mais il faut que je tefasse connoître cette petite fille.

Fortunée étoit volontaire, gourmande,babillarde, menteuse, importune, haute et colère à l’excès. Elletrépignoit des pieds quand on lui refusoit quelque chose, battoitsa bonne, et répondoit à sa mère avec impertinence.Malheureusement la maman de Fortunée la gâtoit ; elle excusoitles vilains défauts de sa fille, et les traitoit d’enfantillage. Safaiblesse fut cause que la petite devint de plus en plus méchante,opiniâtre, et fit enfin un mauvais sujet.

Cette mère, sans jugement, s’attacha à fairebriller sa fille ; elle lui donna de très bons maîtres pour lamusique et pour la danse, avant de lui faire apprendre à lire. Àsix ans, Fortunée dansoit de manière à étonner ; elle touchoitagréablement du piano, mais elle connoissoit à peine seslettres.

Encouragée par les éloges qu’elle recevoitsans cesse, l’enfant devint très habile musicienne. Elle parut à lacour, et s’y fit admirer. Mais ses succès même lui firent dutort : cette petite se crut un prodige. Enivrée des louangesqu’on lui prodiguoit, son orgueil la rendit insupportable !…Aussi ignorante sur les choses vraiment utiles, que savante àformer des pas, et à exécuter un morceau de musique, Fortunéen’avoit aucune idée des premières connoissances qui font la base del’éducation ; elle ne savoit pas non plus travailler.

Sa mère, qui aimoit à la faire paraître dansle grand monde, négligea son commerce, et dépensa beaucoup d’argentpour se mettre, elle et sa fille, avec la dernière élégance.Insensiblement, elle dissipa sa fortune et se ruinaentièrement.

Quand Fortunée n’eut plus le moyen de paroîtrepour faire étalage de ses talens, on l’oublia tout à fait. Elle futforcée de rester auprès de sa mère, qui, obligée de travailler pourvivre, regretta amèrement de n’avoir pas donné à sa fille, au lieude danse et de musique, un talent qui pût la faire subsister.

Incapable d’aider sa mère en travaillant,Fortunée lui donnoit encore beaucoup de chagrin par ses mauvaisesqualités. Son orgueil se révoltoit de ce qu’elle étoit obligée dese livrer aux détails du ménage, car tu penses bien qu’on avoitrenvoyé les domestiques. Cette belle demoiselle s’ennuyoit de neplus aller au bal, dans les assemblées, de n’être plus fêtée commedans le temps qu’elle étoit riche ; elle montroit beaucoupd’humeur, répondoit mal à sa mère, et lui reprochoit durement lemalheur qui les accabloit.

La douleur d’avoir une fille si dénaturée, etle chagrin de ne pas avoir formé son cœur, au lieu de lui donnerdes talens agréables, conduisirent cette mère au tombeau. Fortunée,qui ne savoit rien faire, tomba dans une misère affreuse, et, pourcomble de maux, personne ne la plaignit. Voilà ce qui arrive,lorsqu’on néglige d’acquérir dans l’enfance des talens utiles, etd’orner son âme de vertus.

Quant à Zozo, d’abord Fortunée en fut dansl’enthousiasme, comme je te l’ai dit ; mais bientôt elle lalaissa pour les concerts dont elle faisoit l’ornement, et où savanité étoit satisfaite. Lorsque sa mère vendit ses meubles et sesmarchandises pour payer ses dettes, une dame fort riche acheta labelle poupée pour sa fille. Elle chargea une marchande de modes del’habiller de neuf, et Zozo, plus belle que jamais, passa dans lesmains de sa nouvelle maîtresse.

Lorsque madame Belmont eut fini, Mimi fît unepetite grimace, qui témoignait qu’elle trouvoit cette histoiremoins jolie que les autres. – Je crois, lui dit sa maman, que mapetite musicienne n’a pas le bonheur de te plaire ? – Non,maman ; je n’aime pas du tout cette Fortunée, si vaine, et quicependant ne sait ni lire, ni travailler ; j’en sais plusqu’elle, moi, puisque je lis dans tous les livres et même dansl’écriture, et sans être orgueilleuse encore !… Si vousn’aviez pas d’argent, je pourrois faire comme Blanche, la petitemarchande ; j’ourlerois des mouchoirs, et je gagnerois quelquechose. – Oui, dit madame Belmont, tu ferois deux ourlets par jour,tout au plus, ce qui feroit un sou : nous irions loin aveccet argent !… Profite, ma chère enfant, du tristesort de la petite dont je viens de te conter l’histoire ;applique-toi, emploie ton temps, et remercie le bon Dieu de t’avoirdonné un père et une mère qui te donnent une éducation solide, etqui travaillent à corriger tes défauts. Écoute à présent l’histoirede Céleste, cinquième maîtresse de Zozo.

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