Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Histoire de Maximilien.

Celui qui veut être heureux et contribuer aubonheur des autres, doit faire tous ses efforts pour pratiquercette belle maxime : Fais aux autres ce que tu voudroisqu’on fît pour toi-même.

Je vais te raconter une histoire que j’ai luequelque part, ma chère Mimi, qui te prouvera que Dieu récompensetoujours les hommes pieux et bienfaisans, qui aiment leur prochaincomme eux-mêmes.

On voit en Alsace un ancien château fort,appelé Sternberg.Il étoit habité autrefois par un richecomte, qui avoit un fils unique, objet de sa plus tendreaffection.

Maximilien, c’étoit le nom de cet enfantchéri, étoit vif, aimable, actif, laborieux ; il mettoit sonbonheur à se livrer à l’étude, à faire du bien aux pauvres, et àcontenter son père et sa mère ; sa piété filiale le faisoitsurtout admirer ; car il ne sembloit vivre que pour aimer ceuxqui lui avoient donné le jour.

Maximilien qui, comme nous l’avons déjà dit,ne cherchoit qu’à s’instruire, aimoit surtout les livresde voyages. Lorsque le comte lui parloit des pays étrangers, desmœurs et des usages des peuples qui sont répandus sur la surface duglobe, on voyoit la joie la plus vive se peindre sur le visage decet enfant, qui témoignoit à son père le désir de voyager lorsqu’ilseroit grand.

Le comte ayant des affaires qui l’appeloient àParis, résolu d’emmener son fils, ce qui rendit cet enfant bienjoyeux. Heureux au-delà de toute expression, il attendoit avecimpatience le jour du départ. Ce moment si désiré arriva enfin.

Dès que le petit Maximilien eut perdu de vuele château de Sternberg,et qu’il fut arrivé à la premièreville, il lui fut impossible de contenir sa joie : sa rianteimagination lui peignoit des plus riches couleurs, les beaux paysqu’il alloit parcourir.

Lorsqu’ils furent éloignés d’une journée deSternberg, ils prirent un chemin de traverse, qui lesconduisit dans un bois fort épais, dans lequel ilss’égarèrent ; le jour étoit sur son déclin.

Arrivés au milieu de cette sombre forêt, ilsfurent entourés par des brigands, qui, d’un coup de pistolet,renversèrent d’abord le cocher ; les chevaux s’arrêtèrent.

Dans l’instant, six voleurs armés jusqu’auxdents se saisirent de la voiture, et massacrèrent le vieux comtequi, en brave militaire, leur vendit chèrement sa vie ; car ilen blessa deux grièvement. Ils jetèrent hors de la voiture lepauvre Maximilien qui étoit légèrement blessé, et, pour ne laisseraucune trace de leur crime, ils mirent les deux cadavres dans lecarrosse ; l’un d’eux monta sur le siège pour servir decocher, et bientôt ils disparurent.

L’infortuné Maximilien pénétré de douleur, setrainoit çà et là, et conjurait à haute voix le Seigneur de vouloirbien le délivrer du danger où il étoit.

Un pauvre charbonnier, qui demeuroit danscette forêt, entendit la voix plaintive de cet enfant. Cet hommeavoit pour maxime de se conduire envers les autres, comme ildésiroit qu’on se conduisît envers lui ; ainsi il ne délibérapas longtemps sur le parti qu’il avoit à prendre. Il courut du côtéd’où partoient les gémissemens, et trouva notre malheureux enfant,blessé et pouvant à peine se soutenir. L’honnête charbonnier mit deson mieux le premier appareil sur les blessures deMaximilien ; il le chargea ensuite sur ses épaules, et leporta à sa chaumière qui étoit à une demi-lieue, et située dans leplus épais du bois.

François, c’étoit le nom du charbonnier, avoitsix enfans, qu’il ne nourrissoit qu’en se livrant chaque jour à untravail pénible ; mais il avoit appris de bonne heure à secontenter de peu, et à remercier Dieu des moindres faveurs qu’il enrecevoit.

Ses enfans, élevés dans ses principes, étoienttoujours joyeux. Nourris d’un pain noir et d’un peu de lait, ilss’estimoient plus heureux que des rois. Jamais l’envie, l’ambition,et les autres vices qui font le malheur de l’espèce humaine,n’étoient entrés dans leurs cœurs.

Arrivé à sa cabane, François déposa sur unbanc le petit Maximilien, et dit à ses enfans : Je vous amèneun frère, mes bons amis. Cet entant est bien malheureux ! desvoleurs viennent d’assassiner son père, et lui-même seroitprobablement mort cette nuit, si le hasard n’eût guidé mes pas dansl’endroit où il étoit. Joignez-vous à moi pour remercier Dieu dubonheur que j’ai eu de l’arracher au sort qui l’attendoit. Monintention est de rendre cet enfant à ses parens si je puis lesdécouvrir, sinon de le garder et de l’élever avec vous. Dites-moi,mes amis, l’aimerez-vous comme un frère ? Tous s’empressèrentde répondre : Oui, nous l’aimerons de tout notre cœur !en même temps il lui prodiguèrent les caresses les plus touchantes,et lui dirent : Petit frère ; ne vous chagrinez pas, nousvous aimerons bien. Notre père vous aime déjà autant quenous ; il ne faut pas pleurer ! Maximilien s’efforça deretenir ses larmes pour ne pas affliger le bon François, et lesbons frères que la fortune venoit de lui donner ; mais dansson cœur, il ne put se consoler de la mort affreuse de sonrespectable père !

Pendant que les enfans du charbonnierconsoloient le petit comte, Anne, leur mère, et femme de François,arriva portant sur ses épaules une charge de bois sec. François laprit par la main, et lui raconta la triste aventure du jeuneenfant : Tu vois, femme, ajouta-t-il, qu’il n’y avoit pasmoyen d’abandonner ce petit dans un endroit si dangereux ! ilsera le septième ; mais Dieu nous bénira à cause de lui !Anne avoit un bon cœur ; elle dit à son mari qu’à sa placeelle en auroit fait tout autant, et caressa le petit comte d’un airfranc et ouvert, qui inspira de la confiance à cet enfant. Ainsiaccueilli, Maximilien se livra peu à peu à ses nouveaux amis, et savive douleur fit place insensiblement à l’affection et à lareconnoissance pour la respectable famille qui l’avoit reçu dansson sein.

Cependant le bon François ne manqua pas dequestionner Maximilien sur sa famille, et de tâcher de savoir delui le nom de ses parens, dans l’intention de le rendre à samère ; mais ce jeune enfant, qui n’avoit jamais entenduappeler son père que monsieur le comte, ne put dire le nom de safamille, ni l’endroit qu’elle habitoit ; il fallut doncrenoncer à cet espoir, et attendre tout du temps.

Maximilien se trouvoit heureux chez lecharbonnier. Dans le château de son père il n’avoit point étéaccoutumé à la délicatesse ; c’est pourquoi il s’habitua bienvite à la vie dure de ces pauvres gens. Ce bon petit comtepartageoit, autant que ses forces pouvoient le lui permettre, lestravaux de son père nourricier, et ceux de ses frèresadoptifs ; aussi il étoit chéri de tous ! Anne bénissoitl’heure et le jour où il étoit entré dans la maison !Maximilien, quoique fort jeune, étoit bien plus savant que sesfrères ! aussi les soirs, quand la journée étoit finie, illeur racontoit quelques histoires qu’il avoit retenues du tempsqu’il lisoit avec son père : c’étoient toujours de bons ethonnêtes enfans, bien pauvres, qui, par leur application autravail, étoient ensuite devenus riches.

Le charbonnier admiroit le bon sens de cetenfant, et il étoit enchanté de son esprit.

Maximilien se distinguoit jusque dans sesjeux ; il formoit ses frères en les amusant. Quelquefois illeur apprenoit des chansons instructives à la portée desenfans ; enfin, s’étant procuré quelques livres, il achevad’apprendre à lire et à écrire, et servit de maître à sesfrères.

Notre jeune comte devint bientôt l’enfantchéri de cette pauvre famille, qui se faisoit un plaisir departager avec lui un pain grossier, gagné par un travail opiniâtreet peu lucratif.

Maximilien oublia son premier état, mais iln’oublia ni son père, ni sa mère. Lorsque dans la solitude, il sereprésentoit le comte massacré par des brigands, des larmesbrûlantes inondoient ses joues ; il élevoit les yeux et lesmains vers le ciel, et prioit avec ferveur pour l’âme de ce pèrechéri ! Lorsque François le trouvoit occupé de ce pieuxdevoir, il prioit avec lui, et le consoloit de son mieux, enrelevant son courage abattu, et en lui inspirant une grandeconfiance en Dieu…

Cependant la mère de Maximilien, n’ayant pointreçu de nouvelles de son mari ni de son fils, étoitinconsolable ; elle se persuada qu’un voyage pourroit dissiperen partie ses chagrins, et peut-être lui faire retrouver ceux dontelle regrettoit tant la perte ; elle se mit donc en chemin. Lehasard voulut qu’elle entrât dans la même forêt où son mari avoitété assassiné.

La chaleur étoit excessive ce jour-là. Lacomtesse descendit de voiture pour se reposer un moment. Le premierobjet qui se présenta à elle fut un jeune et joli enfant quidormoit à l’ombre. Elle l’examina avec attendrissement, et serappelant son fils, son visage se couvrit de larmes !

Cet enfant étoit le plus jeune des fils ducharbonnier, qui, près de là, s’occupoit à faire des fagots. Henri,c’étoit le nom de l’enfant, se réveilla, et parut étonné de voirune belle dame à côté de lui. La comtesse le prit dans ses bras,lui fit mille caresses, et lui donna une pièce d’or.

Le charbonnier étant venu sur ces entrefaites,la comtesse s’adressa à lui : Je suis riche, lui dit-elle, jen’ai point d’enfant ; donnez-moi celui-ci, je le ferai éleveravec soin, et j’assurerai son bonheur, en un mot, je le regarderaicomme mon fils.

Ce que vous me proposez, Madame, réponditFrançois, mérite toute ma reconnoissance ; mais, grâce à Dieu,mes enfans ont en moi un père qui bien qu’en travaillant peut leurdonner du pain. Tant que je vivrai, je ne m’en sépareroi point, etje tâcherai d’en faire de bons et laborieux cultivateurs. Souffrezdonc, Madame, que je garde mon Henri. Mais, pour répondre à votredésir, je puis vous faire voir un aimable jeune homme, qui n’estpoint mon fils, et que j’aime comme s’il m’appartenoit. Cet enfanta perdu son père ; il a été élevé dans l’abondance, et mériteun sort plus brillant que celui que je peux lui offrir :prenez-le avec vous ; le Seigneur récompensera votregénérosité par d’abondantes bénédictions. Où est cet enfant ?demanda la comtesse ; montrez-le moi. François répondit àcette dame qu’il alloit paroitre dans le moment ; aussitôt lafemme du charbonnier amena Maximilien. La comtesse ne l’eut pasplutôt vu, que le reconnoissant pour son fils, elle fut sur lepoint de tomber en faiblesse. De son côté, Maximilien vola dans lesbras de sa mère, et passant ses deux bras autour de son col, il laserra tendrement, et mouilla son visage de ses larmes. La comtesseet son fils restèrent longtemps embrassés ; la joie, lesaisissement, de tristes souvenirs causés par l’assurance de laperte du comte, les empêchoient de s’exprimer autrement que par descaresses et des larmes. Le bon charbonnier et sa femme, présens àce spectacle, étoient émus jusqu’au fond de l’âme.

Enfin, lorsqu’elle put parler, la comtessedit : Je vous rends grâce, mon Dieu, de m’avoir fait retrouvermon enfant ! je mourrai contente, à présent que je l’aivu ! faites, Seigneur, qu’il croisse en vertu et ensagesse : rendez-le heureux et honnête homme !

Après cette courte et fervente prière, lacomtesse s’adressa au charbonnier et à sa femme ; elle lesremercia des soins qu’ils avoient donnés à son fils et leur fitpromettre de se rendre avec leur famille au château deSternberg, pour y passer leurs jours.

François donna sa chaumière à un pauvrefendeur de bois, qui jusqu’alors l’avoit haï, et lui avoit faittout le mal dont il avoit été capable. Le charbonnier suivoit cettebelle maxime : Ne vous vengez jamais qu’à force debienfaits. Un honnête homme n’a pas de plus grandesatisfaction que de faire du bien à son ennemi.

François se rendit avec sa famille, au châteaude Sternberg,non pour y vivre dans la mollesse, mais pourse rendre utile à la reconnaissante dame, qui le traitoit avec tantde bonté. La comtesse fit élever les enfans du bonhomme avec toutle soin possible, sans cependant les sortir de leur état. Elle enfit des laboureurs instruits et aisés, selon le vœu de leur père,qui n’auroit jamais consenti à les voir changer de condition ;car il avoit su résister par sagesse aux propositions brillantes dujeune Maximilien, qui vouloit faire un partage égal de sa fortuneentre ses frères, et leur donner dans le monde un étathonorable.

Le jeune comte n’oublia jamais les bienfaitsdu charbonnier ; il l’aima toute sa vie avec tendresse, etremplit à son égard tous les devoirs d’un bon fils envers sonpère.

On apprit dans la suite que les voleurs quiavoient assassiné le vieux comte avoient péri sur un échafaud.C’étoient la plupart des enfans de bonne famille, qui, dans leurpremière jeunesse, avoient été paresseux, désobéissans,menteurs ; ils n’avoient jamais eu de respect pour leursparens, ni de crainte de déplaire à Dieu. Ils commencèrent à volerpour satisfaire leur gourmandise, ensuite pour jouer avec leurscamarades ; enfin, étant devenus odieux à leurs pères et mèresqui les voyoient se perdre tous les jours, ils s’échappèrent de lamaison paternelle, et s’associèrent à des brigands.

Quand madame Belmont eut fini l’histoire deMaximilien, elle dit à Mimi qu’il étoit temps de s’allercoucher ; Mimi en eut du chagrin. « Va, ma bonne, lui ditcette dame, je te promets pour demain une histoire beaucoup pluslongue : c’est celle de Zozo. – Celle de Zozo,maman ! Zozo a une histoire ! ha ! c’est biendrôle ! – Oui, l’histoire de Zozo… Avant de venir ici, tapoupée a appartenu à plusieurs petites demoiselles. Je te conterailes raisons que l’on a eues pour la donner, et comment elle estsortie de leurs mains. Tu pourras profiter de leur exemple.

Ah ! je vois, c’est plutôt l’histoire despetites demoiselles que celle de Zozo. – Tu as trop d’esprit pouren juger autrement ; à demain donc : j’espère que tu net’ennuieras pas.

Le lendemain, Mimi ne manqua pas de prier samaman de remplir sa promesse. – L’histoire de Zozo, mapetite maman, je vous en prie ! – Je le veux bien, Mimi ;mais il faut lire au paravant ; ensuite nous prendrons chacunenotre ouvrage, et je te raconterai les aventures de Zozo. Mimi lutparfaitement bien. Elle apporta sa petite chaise et sonouvrage ; et s’étant mise à travailler, madame Belmontcommença ainsi :

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