Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Coralie, deuxième maîtresse de Zozo.

Coralie avoit sept ans ; elle étoit filled’un riche seigneur ; elle unissoit les dons de l’esprit et ducœur, à une figure charmante. Un cœur excellent, une grandesensibilité, une grande douceur de caractère, la faisoientparticulièrement remarquer. Extrêmement caressante, on ne pouvoitse défendre de l’aimer ; mais son plus bel éloge, c’estd’avoir porté si loin son amour pour sa mère, qu’il l’a conduite autombeau.

Le père de Coralie, méchant et d’une trèsmauvaise conduite, enferma sa femme dans une tour de son château.Après avoir fait murer les fenêtres de son appartement, il ordonnaqu’on le tendît de noir et qu’on y suspendît une lampe. Lamalheureuse dame, abandonnée sans consolation, dans cette espèce detombeau, n’avoit pour nourriture que du pain, qu’elle arrosoit deses larmes. Pour comble de malheur, son méchant mari lui ôta safille, son unique société, et le seul être qui l’attachât encore àla vie !

Coralie, qui aimoit sa mère avec passion, osadire à son père :

« Tu n’es plus mon papa !… Puisquetu tourmentes maman, et que tu me l’ôtes, je ne veux plus être tafille !… »

Surpris et irrité de la déclaration franche etnaïve de sa fille, ce père violent la maltraita sans pitié, et peus’en fallut qu’il ne la tuât ; mais la petite souffrit aveccourage ses mauvais traitemens, et lui dit sans s’effrayer :« Si tu me sépares de ma chère maman, j’aime mieux mourir toutà l’heure ! »

Tant de fermeté de la part d’une enfant desept ans, étonna M. de ***. Il cessa de maltraiter safille, et chercha à la gagner par la douceur ; mais Coralie necéda ni aux caresses, ni aux menaces ; elle demandoit sa mèreavec l’accent du désespoir, et ses larmes ne cessoient point decouler ; elle fut deux jours sans vouloir prendre aucunenourriture.

Cet époux barbare aimoit sa fille ; ilcraignit de la perdre, et la rendit à sa mère. La vue de cetteenfant chérie ranima l’infortunée dame ; elle pressa Coraliesur son cœur, et mêla ses larmes à celles de sa chère fille !…Le père de Coralie l’avoit blessée à la tête en plusieursendroits ; les baisers de sa mère suffirent pour guérir sesblessures ; mais son cœur se soulevoit au seul nom de celuiqui les faisoit tant souffrir ! C’étoit en vain que sa mèrelui disoit qu’une fille ne peut pas, qu’elle ne doit pas haïr sonpère, quels que soient ses torts ; la vue de sa mère dans leslarmes et dans la douleur l’affectoit trop fortement pour que laraison se fit entendre chez elle. Les méchans ne sont jamaisheureux, M. de *** tourmentoit sa femmeinjustement ; mais il étoit lui-même fort à plaindre, parcequ’il savoit qu’elle le haïssoit. L’éloignement de sa fille pourlui faisoit aussi son supplice. Pour lui paroître moins odieux, illui envoya sa belle poupée et tous ses joujoux ; mais Coralie,occupée de sa mère, ne les regarda pas. Comme cette infortunée,elle ne vivoit que de pain et d’eau ; elle avoit à peine dequoi se vêtir, et pour se reposer que les genoux et les brasflétris de sa malheureuse mère !

Sitôt que Coralie fut sûre de rester avec samère, elle oublia les horreurs de sa prison ; elle ne pensaplus qu’elle étoit privée des choses les plus nécessaires à la vie.Jour et nuit auprès de celle qu’elle chérissoit, elle vit renaîtresa gaieté naturelle, s’appliqua à ce qui pouvoit plaire à sonunique amie, et la consola de son mieux. Coralie sautoit à chaqueinstant au col de sa mère, et la serrant avec de vives étreintesdans ses bras, elle s’écrioit avec l’accent de la joie et duravissement : « Maman !… nous voici doncensemble ! je suis donc avec toi ! »

Oh ! qu’il est consolant pour une bonnemère d’avoir une enfant qui réponde à sa tendresse ! Près desa chère Coralie, madame de *** sentoit moins les horreurs de sanouvelle situation ; et les naïves caresses de sa fillerépandoient au fond de son cœur un baume vivifiant qui la rappeloità la vie. Résolue de prolonger sa pénible existence pour sauvercelle de sa fille bien aimée, elle imagina ce qu’elle put pour ladistraire.

Le désœuvrement et l’ennui sont des mauxinsupportables. Madame de *** y remédia, en occupant sa filletantôt à lire, et tantôt à coudre. Lorsque Coralie vint s’enfermeravec sa mère, elle n’avoit encore presque rien appris ; maisson amie chérie devint son institutrice, et ces leçons données etreçues par l’amitié profitèrent à l’enfant au-delà de touteespérance.

« Ma bonne amie, dit un jour madame de*** à sa fille, à présent tu sais assez bien lire, mais jedésirerois que tu apprisses à écrire ; dès que tu le sauras,tu écriras une lettre bien touchante à ton papa : peut-être lefléchirons-nous ainsi, et il nous fera sortir de cetombeau. »

Il n’en falloit pas davantage pour engagerCoralie à écrire. L’espoir d’abréger les souffrances de sa mère luidonna une activité surprenante : cette enfant sensibles’appliqua de tout son cœur ; elle passoit même plusieursheures de la nuit à former des caractères ; et, du moment oùelle put tracer des mots, elle écrivit sous la dictée de sa mèreune lettre à son papa, simple, soumise, et infiniment touchante.Cette lettre, envoyée sur-le-champ, resta sans réponse ; il enfut de même de plusieurs autres.

Cette tentative, sur laquelle madame de ***fondoit son espoir, ayant été infructueuse, elle se laissaabattre ; une noire mélancolie s’empara de son âme, et sadouleur passa rapidement dans le cœur de sa fille infortunée.

Il y avoit près de deux ans que Coralie étoitenfermée avec sa mère, lorsqu’elle écrivit à son papa.

Jusqu’à cette époque, cette chère enfant avoitconservé sa gaieté et sa force : le bonheur d’être sa mère, etla légèreté ordinaire à cet âge avoient soutenu sa santé, malgré ledéfaut d’air et la mauvaise nourriture ; mais quand la pauvrepetite eut aperçu l’état de langueur de sa mère ; quand ellela vit sans cesse dans les larmes, et n’ayant plus un moment derepos, une tristesse profonde s’empara d’elle à son tour : sonappétit disparut ; elle maigrit à vue d’œil ; elle n’eutplus de sommeil, plus d’intérêt pour rien, si ce n’est pour cettetendre amie à qui elle devoit le jour, et dont elle partageoit lesort si courageusement.

Une nuit, Coralie, plus accablée qu’àl’ordinaire, eut un songe qui enflamma son sang ; elle crutvoir entrer des bourreaux dans la tour, qui venoient ôter la vie àsa mère. Elle se réveilla en sursaut, et s’écria : Ne faitespas mourir maman !… Des larmes amères inondoient ses joues, etune fièvre brûlante s’étoit emparée d’elle. Quand elle fut bienréveillée, cette sensible enfant porta ses mains sur le corps etsur la figure de sa mère ; ne la sentant pas remuer, elle jetades cris perçans, et s’écria avec l’accent dudésespoir : « Maman ! ma chère maman ! est-ceque tu es morte ? »

Sa mère la prit dans ses bras, et la couvritde baisers. Sois tranquille, chère enfant, lui dit-elle, etcalme-toi ; je me porte bien.

Hélas ! dit l’enfant, ils étoientlà ; je les ai vus ; ils vouloient te faire mourir !Oh, maman ! le vilain rêve ; et elle le lui raconta.Madame de *** mit tout en œuvre pour rassurer sa chèreenfant ; elle lui fit sentir qu’un rêve n’étoit point faitpour alarmer ; mais la tendre Coralie craignoit pour sa mère,et son cœur étoit oppressé ; elle poussoit des soupirs, etserroit fortement sa mère contre sa poitrine, comme pour lagarantir du danger qui la menaçoit. – Écoute, maman, que je tedise. – Parle, chère enfant. – Je voudrois mourir, moi. – Eh !pourquoi ? tu voudrois donc me quitter ? – Maman, c’estque je ne puis te voir souffrir comme cela : bien vrai, nousserions plus heureuses d’être mortes toutes deux. – Tu as bienraison, dit madame de *** fondant en larmes !… – Maman,donne-moi ta main… je sens que mon cœur s’en va… baise-moi encore,et… mourons ensemble… À ces paroles, la pauvre petite rendit eneffet le dernier soupir, sur le sein de sa mère évanouie…

Madame de *** chercha à réchauffer le corpsglacé de sa chère enfant ; elle l’appela mille fois avec lecri du désespoir. Mais, hélas ! sa jeune compagne étoit perduepour elle !…

Après l’avoir baignée de ses larmes, etcouverte de ses derniers baisers, cette malheureuse mère déchira unpan de sa robe, et elle ensevelit le corps de sa chère enfant.Ainsi finit à l’âge de neuf ans, la plus intéressante petite filleque le ciel eût jamais formée.

Pendant tout ce récit, Mimi n’avoit putravailler, et ses larmes avoient coulé plus d’une fois. La mort deCoralie lui fit pousser des sanglots, et sa mère fut presque fâchéede lui avoir raconté cette histoire, un peu forte pour sonâge ; cependant comment résister au désir d’apprendre à safille qu’il existe des enfans qui ont pour leurs pères et mères unetendresse passionnée ?… Mimi, ayant essuyé ses yeux, demanda àsa maman, si la mère de Coralie vivoit encore ? – Non, mafille : cette tendre mère mourut de douleur d’avoir perdu sonenfant chérie,… Crois, ma petite, que la tendresse d’une mèresurpasse encore celle de ses enfans, quelque grande qu’ellesoit !… Mais laissons là un sujet si triste, et passons à latroisième maîtresse de Zozo. M. de *** ne voulant rienvoir de ce qui avoit appartenu à sa fille, qu’il regrettaitsincèrement, envoya sa garde-robe et ses joujoux, à une de sesnièces, qui ne demeuroit point dans la même ville.

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