Conversation d’une petite fille avec sa poupée

Le petit Menteur.

Il y avoit une fois un laboureur, nomméJacques, qui étoit resté veuf avec trois enfans, Charles, âgé desix ans, Firmin, âgé de cinq ans, et Jean, âgé de quatre ans. Cestrois petits garçons n’étoient point méchans ; mais Charlesétoit gourmand, Firmin menteur, et Jean désobéissant ; ce quidonnoit beaucoup de chagrin à leur père.

Jacques avoit dans son jardin un arbre quidonnoit des poires très-grosses et très-belles : « Je nesuis pas assez riche, dit cet homme, pour mettre d’aussi beau fruitsur ma table ; il faut que je les vende. Avec cet argent,j’achèterai une veste à Charles, des bas à Firmin, et à Jean dessouliers pour les dimanches car j’espère bien avoir 12 fr. de mespoires ! »

Jacques, voulant aller travailler, recommandaà ses enfans de se bien conduire, pendant que Marguerite, leurgrand’mère, feroit le ménage ; et surtout, de ne point toucheraux poires du bel arbre ; « car, vois-tu, mon fils,dit-il à Charles, si tu en manageois, tu n’aurois pas une belleveste neuve, ni tes frères des bas et des souliers ! »Charles promit de ne point toucher aux belles poires, et son pèrele quitta.

Ces trois petits garçons se trouvant seulsdans le jardin, parce que la mère Marguerite étoit restée dans lamaison à faire le ménage, Charles le gourmand dit à sesfrères : « Voyons donc ces belles poires que notre pèreveut vendre pour m’acheter une veste, et à vous des bas et dessouliers » ; et tous les trois allèrent auprès del’arbre. Charles, en voyant les poires, en eut envie :« J’en mangerois bien une, dit-il ; elles doivent êtrebien sucrées ! et toi, Firmin ? – Oh ! non, papa l’adéfendu ! – Bah ! une seulement ; il n’y paroîtrapas du tout ! et toi, Jean ? – Papa l’a défendu ! –Que tu es bête ! mange toujours ; il n’en saurarien ! » Et voilà Charles qui grimpe sur l’arbre, etcueille trois poires, une pour Firmin, une pour Jean, et une pourlui.

Jacques, qui se doutoit que Charles legourmand feroit désobéir ses frères, n’avoit pas été auxchamps ; il s’étoit caché dans un coin du côté du belarbre ; il entendit la conversation de ses enfans, et leur vitmanger ses poires. Voulant les éprouver, il les laissa s’éloigner,et fut cette fois tout de bon à la charrue.

À l’heure du dîner, le laboureur revint à samaison :

« Je veux, dit-il à ses enfans, cueillirles poires du bel arbre, pour les aller vendre demain aumarché. » Les trois enfans se regardèrent. « Charles,continua le père, va me chercher le panier qui est dans la sallebasse. » Charles ayant apporté le panier, le laboureur monta àl’échelle, et cueillit ses belles poires. Quand il eut fini, il lescompta, et dit à ses enfans :

« Quelqu’un a mangé de mes poires ;il en manque trois. Qu’est-ce qui est venu dans le jardin ? –Personne que la mère Marguerite ; répondit Firmin. – Ce n’estpas la mère Marguerite, dit le laboureur ; elle n’avoit pointd’échelle, et l’arbre est trop haut pour qu’elle puisse cueillirles fruits. Je crois, moi, que c’est vous tous. » Aussitôt lesenfans se mirent à pleurer.

« Charles, dit Jacques à son fils aîné,parle vrai ; en as-tu mangé ? – Oui, mon papa, réponditCharles, en fondant en larmes ! – Puisque tu as été gourmand,reprit Jacques, tu n’auras point de veste ; mais comme tu asdit la vérité, tu ne seras point puni. Et toi, Firmin, as-tu aussimangé une poire ?

– Non, mon papa. – Comment ! Charles amangé tout seul trois grosses poires sans vous en donner ? –Oui, mon papa. – Qu’en dis-tu, Charles ? » Charles baissales yeux et ne répondit pas.

« Et toi, Jean ? – Papa, j’en aimangé une aussi » ; et, ce petit pleura bien fort !« Je te l’avois cependant défendu ! – Je ne serai plusjamais désobéissant, mon papa. – À la bonne heure !… Il n’y adonc que Firmin qui ait craint de me déplaire… Cependant, il fautque je sache quel est celui de vous qui a mangé deux poires :combien as-tu mangé de poires, Charles ? – Je n’en ai mangéqu’une, mon papa. – Et toi, Jean ? – Qu’une aussi, papa. – Ilm’en manque trois ! qui donc a mangé la troisième ?ah ! c’est peut-être la mère Marguerite !… Ne dites rien,je vais bien l’attraper ! Faisons l’épreuve du coq. »

Aussitôt Charles fut chercher son coq favori.Jacques le prit, s’éloigna un moment, et revint tenant le coq dansses bras. Il fit ranger sa petite famille sur une ligne, la mèreMarguerite à la tête ; et il appela chacun à son tour pourpasser la main sur le dos du coq. « Je verrai, dit-il, quelest le coupable car il ne l’aura pas plutôt touché que le coqchantera. » La mère Marguerite, Charles et Jean qui necraignoient rien, passèrent la main sur le dos du coq ; pourFirmin, il eut tant de peur de l’entendre chanter, qu’il n’y touchapas. « Voyons vos mains, demanda Jacques ? » Tousprésentèrent leurs mains. « C’est Firmin, dit-il, qui a mangéla poire ; il s’est vendu lui-même : vous voyez que samain est blanche, et que celles des autres sont noires ; parceque j’avois noirci le dos du coq : Firmin se sentant coupablen’a pas osé y toucher ! c’est ainsi qu’on prend lesmenteurs !… » Firmin, confondu, se mit à pleurer.« Je n’ai pas pitié de tes larmes, lui dit son père ; cen’est pas assez d’être gourmand et désobéissant, tu es encorementeur ! fi ! cela est affreux ! » Et aussitôtJacques dit à la mère Marguerite de donner le fouet à Firmin.

Ce même jour, comme le laboureur se reposoitaprès son travail, entouré de ses trois enfans, il fut abordé parun monsieur bien mis, qui le pria de lui donner un peu de cidrepour le rafraîchir. Jacques alla lui en chercher, et le lui donnade bonne grâce. « Je vous remercie, lui dit l’étranger :j’avois chaud ; vous m’avez rendu service, et je voudroisfaire quelque chose pour vous. À qui sont ces beaux enfans ? –C’est à moi, monsieur. – Je les trouve charmans, dit leseigneur ; car s’en étoit un. Hélas ! ils me rappellentmon fils ! il étoit de l’âge de votre aîné, lorsque le bonDieu le retira du monde. C’étoit un enfant si doux ! jamais iln’avoit désobéi ! il n’étoit ni gourmand, ni menteur ; ilne pleuroit que lorsqu’il me voyoit malade ! J’ai conservétous ses joujoux, et j’ai fait le serment de ne les donner qu’à unenfant, qui comme lui ne seroit ni gourmand, ni menteur, nidésobéissant. Je voudrais bien qu’un des vôtres méritât ces jolieschoses ; j’aime déjà ces petits à cause de vous. Sans doutevous en êtes bien content ? » Le laboureur secoua latête, et le monsieur soupira ! « Vous me faites de lapeine, dit-il à Jacques ; car je vois que vos enfans ne sontpas sages. Faisons un accommodement ; si, pendant trois mois,vos enfans ne sont ni gourmands, ni menteurs, ni désobéissans, ilsauront les joujoux de mon fils, et je leur donnerai à chacun unhabit neuf. Cet arrangement vous plaît-il ? » Lelaboureur répondit comme il le devoit à tant de bontés ; et leseigneur ajouta : « Pour donner à vos enfans le désir dese bien conduire, amenez-les à mon château, je leur ferai voir lesbelles choses que je leur destine. »

Le lendemain, Jacques ne manqua pas de menerses enfans au château du seigneur. Ils furent éblouis de la beautéet de la richesse des appartemens : l’or et l’argent ybrilloient de toutes parts ! On les fit passer dans une pièceplus belle que les autres. On y voyoit une table couverte d’ungrand voile de gaze d’or. Le seigneur leva le voile, et les enfansvirent avec surprise de beaux carrosses, des chevaux, descabriolets, des polichinels, des poupards, des ménages d’argent, etmille autres belles choses qu’ils n’avoient jamais vues de leurvie. Puis des bonbons, des confitures sèches, du sucre d’orge, ettoute sorte de friandises ; car le petit monsieur n’avoitgarde de manger tout ce qu’on lui donnoit, tant on l’accabloit debonbons, de pastilles, de diablotins, etc. etc. Il falloit voir lesyeux que faisoient Charles, Firmin, et surtout le petit Jean !Oh ! si on lui eût donné seulement un bâton de sucred’orge ! mais il n’y avoit pas moyen ! » Tout celavous appartiendra dans trois mois, leur dit le maître du château,si vous n’êtes ni gourmands, ni menteurs, ni désobéissans. »Il les fit bien régaler et les renvoya.

De retour au hameau, les trois enfanscroyoient voir encore devant leurs yeux toutes les richesses dujeune seigneur ; ils ne pouvoient penser à autre chose.Cependant leur père ne leur recommanda point d’être sages ; ilavoit promis de ne rien leur dire pendant l’espace de tempsconvenu.

Il y avoit déjà deux mois et demi de passés,et les fils de Jacques s’étoient bien conduits, quand le seigneurl’engagea à venir le voir avec ses enfans. Ceux-ci, tout joyeux, nemanquèrent pas de visiter les beaux joujoux du petit monsieur.Firmin ayant aperçu, près de lui, une boîte pleine de bonbons, selaissa tenter, et la mit dans sa poche sans que personne levît.

Les trois mois expirés, le laboureur fitmettre à ses enfans leurs plus beaux habits, et se rendit auchâteau. Le seigneur les attendoit. « Venez, mes petits amis,leur dit-il, recevoir le prix de votre sagesse ; maisauparavant, il faut que je sache ce qu’est devenue une boîte quimanque ici ; et il leur montra une note exacte de tout ce quiétoit sur la table. Firmin rougit prodigieusement, et son père leregarda d’un œil courroucé.

– Ne cherchez point, monseigneur, dit-il aumaître du château, voici le voleur ! en montrant Firmin.Celui-ci nia effrontément !… Son père fouilla dans sa poche,et y trouva la boîte ; mais elle étoit vide ! – Ah !c’est trop fort, dit le seigneur, menteur et voleur !… Je vousplains, bon Jacques, d’avoir un fils qui annonce de si mauvaisesinclinations ! ne l’amenez jamais ici ; je hais lesgourmands ; mais je crains les menteurs et les voleurs !ensuite s’adressant à Charles et à Jean : Quant à vous, mespetits enfans, qui avez fait des efforts pour vous corriger, jevous donne tout ce qui est sur cette table ; vous serezhabillés de neuf, et, désormais, je prendroi soin de votre fortune.Vous, Jacques, je vous fais mon fermier : soyez toujourshonnête homme. Jacques, Charles et Jean s’en retournèrent toutjoyeux à leur maison. Firmin, chassé du château comme un mauvaissujet, n’osa plus sortir de chez son père ; car aussitôt qu’ilparoissoit dans le village, les autres enfans le montrant au doigt,disoient : Voici Firmin, le voleur du château ! et touscouroient sur lui en criant : Au voleur ! auvoleur !… Il resta longtemps enfermé, menant une vie bientriste ! mais aussi il l’avoit mérité ! pourquoi étoit-ilmenteur et voleur ?

L’histoire de Jeannette avoit duré autant quela promenade. À son retour, Mimi causa avec sa poupée ; elleparla des enfans du laboureur : As-tu entendu, Zozo, ce qu’adit ma bonne ? ce monsieur Firmin le voleur !… oh !que c’est vilain de voler, et puis encore de mentir !… si celat’arrive jamais, tu ne seras plus ma petite fille ! Mais àpropos, pourquoi donc restois-tu toujours derrière ma bonne ?cela n’est pas bien ! il falloit te prendre par la main pourte faire avancer ; et puis tu as eu de l’humeur, aprèsl’histoire, parce que tu ne voulois pas encore revenir à la maison,et Jeannette s’est fâchée ! Si tu recommences encore, tu serasen pénitence, je t’en avertis. La paix étant faite entre Mimi etZozo, on vint chercher Mimi pour l’habiller, parce que madameBelmont allait dîner en ville, et l’emmenoit avec elle.

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