La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 21Le bataillon des hommes de fer

Pendantquelques instants, Olivier Coronal resta cloué sur place, sanspouvoir faire un mouvement. Il avait vaincu. Mais par quelmoyen ? Ce nom d’Aurora le poursuivait donc partout !

L’inventeur venait de surmonter un obstaclequ’il avait cru infranchissable ; et c’était à son amour pourla jeune fille qu’il le devait. Son exaltation était tombée tout àcoup. Il semblait oublier le lieu où il se trouvait, et la tâchequi l’attendait.

– Ne pourrai-je donc arracher ce souvenirde mon cœur ? balbutia-t-il. Moi, aimer la fille de WilliamBoltyn, de l’homme qui a conçu ce complot dirigé contre l’Europe,contre l’humanité.

Brusquement, il saisit sa lanterne sourdequ’il avait posée par terre à côté de lui, et s’élança en avant.Lorsqu’il eut gravi un autre escalier, soulevé une autre trappe, ilse retrouva à l’air libre.

Derrière lui, la porte qui avait faillientraver sa marche restait ouverte. Olivier pensait bien repasserpar là quelques heures plus tard. Autour de lui, un silence de mortplanait. Tassés dans l’ombre épaisse, les bâtiments se profilaient,gigantesques, effrayants, sur le ciel noir, où ne luisait aucuneétoile.

Sans hésiter, le jeune inventeur se dirigeavers le laboratoire, au-dessus duquel brillait toujours le fanalélectrique. La porte d’entrée lui offrit peu de résistance.Entièrement maître de lui, Olivier se trouva enfin dans cette pièceoù, depuis tant de jours, il espérait pénétrer.

Il dévissa des parois de sa petite lampeélectrique. Une lumière brillante l’environna aussitôt. Il se mit àexaminer le lieu où il se trouvait. De longues tables, chargéesd’une profusion d’appareils, garnissaient le laboratoire. Ilreconnut tout de suite des phonographes, des microphones, au milieud’une quantité de bobines d’induction, d’accumulateurs et d’autresinstruments très compliqués dont la nature lui échappait. Sur unpetit bureau, une pile de plans et de dossiers attira sonattention. Il ne les eut pas plutôt feuilletés qu’il poussa un cride surprise :

– Des hommes de fer ! Hattisonaurait construit des hommes de fer !

Pendant plusieurs heures, le monde extérieurn’exista plus pour Olivier Coronal. Une fièvre d’étude lepossédait. L’un après l’autre, les plans passaient devant ses yeux.Il les examinait en détail, et, sur un carnet, prenait hâtivementdes notes. Lorsque enfin il quitta le petit bureau, son visageétait bouleversé, sa démarche chancelante.

– Le voilà donc, le secret d’Hattison,s’écria-t-il… Des automates remplaceront les soldats dans la guerreprochaine. Et quels automates !… Jamais on n’a rêvé de tellesmerveilles de précision. Jamais on n’a imité d’aussi près lanature.

De long en large, Olivier arpentait lelaboratoire. Son étonnement, sa stupeur en présence de ce qu’ilvenait de découvrir, dépassaient tout ce qu’il avait prévu,imaginé, pendant ces nuits d’insomnie où, à la fenêtre de sachambre, les yeux fixés sur la troisième enceinte, il se demandaitce que pouvait bien cacher l’ingénieur Hattison.

Plus de doute maintenant. Tous les plans,toutes les notes explicatives étaient là, d’abord obscurs,hésitants, puis définitifs. À première vue, le jeune homme lesavait déchiffrés.

Ces automates n’existent pas seulement enthéorie, s’écria-t-il après un nouvel examen des dossiers. Il y ena cinquante de construits. Il faut que je les trouve, que je merende un compte exact de leur structure.

Le laboratoire ne lui offrait plus d’intérêt.Il roula soigneusement les dossiers, et les glissa dans une despoches de son vêtement, en dessous de son costume de gutta-percha.Puis, sa lampe électrique à la main, il sortit et referma laporte.

– Ah ! murmura-t-il, avec un air detriomphe. Vous avez compté sans moi, Hattison !

Il n’eut pas besoin de se servir de sontrousseau de clefs pour pénétrer dans l’autre bâtiment de latroisième enceinte, qui n’était qu’un hangar immense, dont aucuneporte n’interdisait l’accès. Des établis, garnis d’étaux etd’instruments de serrurerie, frappèrent tout d’abord ses yeux.

Plus loin, sur des tables, il retrouva lesappareils compliqués dont, tout à l’heure, en pénétrant dans lelaboratoire, il n’avait pu s’expliquer ni la nature exacte ni ladestination. C’était l’organisme intérieur des hommes de fer.

Il y avait là des phonographes d’un nouveaumodèle, construits de telle façon qu’ils enregistraient seulementles bruits très aigus.

Épars sur les tables du laboratoire, desrouages, des articulations d’acier, représentaient la plusstupéfiante invention connue.

Le génie utilisateur et pratique d’un Hattisonavait retrouvé la solution du problème, avait dit son dernier moten cette matière jusqu’alors vainement explorée : l’imitationde la nature, la fabrication d’automates humains.

Le jeune Français marchait comme dans un rêve.La clarté de sa lampe n’était pas suffisante pour qu’il pûtdistinguer nettement les choses environnantes. Le fond du hangarrestait obscur. Des ombres fantastiques s’y dressaient.

Une lampe à arc était suspendue au plafond.Dès qu’il eut trouvé le bouton de porcelaine qui la commandait,Olivier Coronal le tourna.

Le jeune homme était courageux. Plusieursfois, il avait affronté la mort sans trembler. Pourtant, une peurhorrible glaça son sang, lorsque la lumière inonda le hangar d’unbout à l’autre.

Noirs, sinistres, impassibles, les hommes defer venaient de surgir, dans un flot de clarté. Leur bataillon sehérissait de baïonnettes. Bardés d’acier, arc-boutés sur leursjarrets rigides, le torse bombé, on eût dit des preux du Moyen Âgeressuscités et prêts à s’avancer. Un casque tenait lieu de tête àces fantômes de métal. Un de leurs bras pendait. Les yeux grandsouverts, distendus et comme hébétés, Olivier Coronal lescontemplait.

Sa frayeur nerveuse ne dura que quelquessecondes. Mais un bouleversement profond lui en resta.

Ces spectres d’acier, capables de se tenirdroits, de marcher, d’obéir d’eux-mêmes, révoltaient toutes lesidées philosophiques de l’inventeur.

Hattison lui paraissait plus monstrueuxencore, d’avoir ainsi matérialisé la forme humaine, d’en avoir faitun engin de destruction plus terrible encore que les autres. Legrotesque se mêlait à l’horrible, dans cette parodie mathématiquede l’être humain.

– Quel délire le possède donc ?s’écria-t-il. Qu’a-t-il pu rêver, cet Hattison maudit ?

Dans son imagination surexcitée, OlivierCoronal entrevit les inconscientes cohortes de métal, dociles etinébranlables, se ruant de toute leur force aveugle à l’assaut duvieux monde.

La nuit avançait. Le jeune homme consulta samontre.

Elle marquait deux heures après minuit. Ilsecoua sa douloureuse rêverie, fit appel à toute sa volonté. Ilfallait qu’à tout prix, en s’enfuyant, il emportât, avec tous lesdétails de leur fonctionnement, le secret des hommes de fer.

Plusieurs fois, il relut avidement lesdossiers. C’était tellement extraordinaire et simple que, parmoments, il se figurait encore être le jouet d’une hallucinationscientifique. Mais, lorsque ses regards se fixaient de nouveau surle bataillon tragique, il était bien obligé de se convaincre de laréalité.

Non loin de là, un automate, à moitiéconstruit, était étendu sur un établi. Une partie seulement del’armure extérieure était posée.

C’était lugubre cette apparence humaine gisantlà, comme un cadavre sur une table d’autopsie.

Toute une anatomie d’acier apparut aux yeuxd’Olivier Coronal : bielles motrices, coussinets, leviersfaisant office de muscles, accumulateurs, fils électriques,appareils enregistreurs, remplaçant l’intelligence et lavolonté.

– Jamais on n’a vu un aussi bel exemplede simplification mécanique ! C’est admirable, s’écria lejeune homme après un moment d’examen.

Des piles électriques et des leviers moteurs,un phonographe pour recevoir les ordres, un régulateur permettantd’accélérer ou de diminuer la vitesse de la marche, l’organismeinterne des automates ne comprenait pas autre chose.

Les hommes de fer ne pouvaient exécuter quequelques mouvements, toujours les mêmes, indépendamment de lamarche et de l’arrêt : mettre en joue et tirer, s’agenouilleret changer de direction. Ils n’étaient construits que pour remplirle seul rôle de soldats.

On les faisait manœuvrer à coups de siffletsstridents et modulés. Un phonographe, qui leur tenait lieud’oreilles, recueillait les vibrations sonores, et les transmettaità un appareil spécial influençant lui-même les moteursélectriques.

Hattison avait réalisé des merveillesd’automatisme, tout en simplifiant les rouages jusqu’à l’extrême.Un coup de sifflet servait à mettre en marche les hommes de fer,qui pouvaient effectuer, sans arrêt des trajets considérables. Lemécanisme, qui les faisait se mouvoir, agissait par accumulation,c’est-à-dire qu’un second coup de sifflet les faisaits’agenouiller, un troisième mettre en joue. Au quatrième signal ilsfaisaient feu avec un ensemble parfait.

Leurs doigts de fer pressaient alors douzefois la gâchette de leur carabine électrique à répétition – uneinvention d’Hattison aussi – dont la baïonnette, reliée aux pilesélectriques, était capable de foudroyer un homme. C’était terribleet simple pourtant, mais surtout pratique.

Une fois chargées, les piles pouvaient restertrois jours sans qu’on eût à y toucher. Dans le dos de l’automate,un bouton permettait d’ouvrir la cuirasse d’acier coulé, derecharger les piles.

Penché sur l’homme de fer, qu’il disséquait,pour ainsi dire, du regard, Olivier Coronal sentait son front semouiller d’une sueur froide. Il en savait assez maintenant.L’agencement interne, le fonctionnement des machines humaines,n’avaient plus de secrets pour lui. Il eût pu en construire desemblables.

Les heures avaient passé sans qu’il y pritgarde.

– Quatre heures ! s’écria-t-il.

Il lui fallait s’éloigner au plus vite deMercury’s Park. Dans quelques heures, la cité s’éveillerait ;les ouvriers reprendraient le travail quotidien. Il risqueraitd’être surpris, de perdre le bénéfice de sa téméraire entreprise.Il ne le fallait pas.

Olivier Coronal éteignit la lampe à arc duhangar, s’assura qu’il avait bien remis dans sa poche les précieuxdossiers ; et, sa petite lanterne sourde à la main, il sedirigea vers la trappe souterraine. Sans perdre une seule minute,il s’engagea dans l’escalier, et ramena la plaque de fonte à saplace.

Avant qu’il eût fait seulement trois pas sousla voûte, il ressentit une secousse terrible, et tomba à larenverse.

Plein d’épouvante, il se releva, tâta sesmembres. Il n’avait que des contusions légères. Une odeur de roussile prenait à la gorge. Ses cheveux étaient à moitié carbonisés.Seulement alors, il se rendit compte qu’une décharge électriquevenait de l’atteindre. Sans ses isolateurs de gutta-percha, il eûtété foudroyé.

Pourtant, quelques heures auparavant, il étaitpassé librement à cet endroit. Quelqu’un l’avait donc suivi.

– Malédiction, rugit-il en serrant lespoings.

Le regard qu’il venait de jeter en avant avaitsuffi à le convaincre qu’il était prisonnier dans la troisièmeenceinte : la porte massive, qu’il avait laissée ouverte,était maintenant refermée.

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