La maison biscornue d’ Agatha Christie

La pensée que j’allais la revoir m’empêchait de tenir en place. J’arrivai au restaurant vingt bonnes minutes en avance. Elle fut en retard d’autant.

Son apparition me donna un choc, assez différent de celui que j’attendais. Elle était en noir. La chose, pourtant toute naturelle, me surprit. Je n’imaginais pas Sophia en deuil, même pour un très proche parent !

Nous bûmes des cocktails avant de nous mettre à table et, tout de suite, nous parlâmes, l’un et l’autre, avec volubilité. Nous nous donnions des nouvelles des gens que nous avions connus au Caire, nous échangions des propos à peu près dépourvus d’intérêt, mais qui du moins nous permettaient de reprendre contact sans trop de gêne. Je lui dis toute la part que je prenais à sa douleur. Elle me répondit que la mort de son grand-père avait été « très inattendue » et se remit à parler du Caire. Je commençais à me sentir mal à l’aise. Notre conversation manquait de naturel, de sincérité. En devais-je conclure que Sophia avait rencontré un homme qu’elle me préférait et découvert qu’elle s’était trompée quant aux sentiments qu’elle pouvait éprouver envers moi ?

Je me posai ces questions jusqu’au moment où, brusquement, le café servi, une sorte de mise au point s’effectua, sans aucun effort de ma part. Le garçon s’était éloigné et je me retrouvais, comme autrefois, assis à une petite table, dans un restaurant, aux côtés de Sophia. Les mois de séparation étaient comme effacés.

— Sophia ! murmurai-je.

— Charles !

Le ton fut exactement celui que j’espérais. Je poussai un soupir de soulagement.

— Enfin ! m’écriai-je. C’est passé ! Mais qu’est-ce qu’il nous est donc arrivé ?

— Ce doit être ma faute. J’ai été idiote.

— Mais ça va mieux ?

— Ça va mieux.

Nous échangeâmes un sourire.

— Chérie !

J’ajoutai très vite et très bas :

— Quand nous marions-nous ?

Son sourire disparut.

— Je ne sais pas, Charles. Je ne suis même pas sûre de pouvoir jamais vous épouser…

— Sophia ! Mais pourquoi ? Vous trouvez que j’ai changé ? Vous avez besoin de vous réhabituer à moi ? Vous en aimez un autre ?

Elle secoua la tête.

— Non.

J’attendais. Elle dit, dans un souffle :

— C’est à cause de la mort de mon grand-père.

Je me récriai.

— Qu’est-ce à dire ? Ça ne change rien ! Vous ne supposez pas qu’une question d’argent…

— Ce n’est pas ça !

Elle eut un pauvre sourire.

— Je sais très bien, poursuivit-elle, que vous m’épouseriez sans un sou. Grand-père, d’ailleurs, n’a jamais perdu d’argent et il en laisse beaucoup…

— Alors ?

— Alors, il y a qu’il est mort… mais qu’il n’est pas mort comme tout le monde. Je crois qu’on l’a tué !

Je la regardai avec stupeur.

— Quelle idée ! Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

— Je ne suis pas seule à le penser. Le médecin ne voulait pas signer le certificat de décès et il y aura une autopsie. Il est évident que cette mort est suspecte.

Je n’avais point l’intention d’en discuter. Sophia était suffisamment intelligente pour que je pusse lui faire crédit.

— Ces soupçons, dis-je pourtant, ne reposent peut-être sur rien. Mais, en admettant même qu’ils soient justifiés, je ne vois pas pourquoi cela changerait quoi que ce fût en ce qui nous concerne !

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