La San-Felice – Tome I

XIX – LA CHAMBRE ÉCLAIRÉE

Il était deux heures du matin, à peu près,lorsque le roi et la reine, quittant l’ambassade d’Angleterre,rentrèrent au palais. Le roi, très-préoccupé, nous l’avons dit, dela scène qui venait de se passer, prit immédiatement le chemin deson appartement, et la reine, qui l’invitait rarement à entrer dansle sien, ne mit aucun obstacle à cette retraite précipitée, presséequ’elle paraissait être, de son côté, de rentrer chez elle.

Le roi ne s’était pas dissimulé la gravité dela situation ; or, dans les circonstances graves, il y avaitun homme qu’il consultait toujours avec une certaine confiance,parce que rarement il l’avait consulté sans en recevoir un bonconseil ; il en résultait qu’il reconnaissait à cet homme unesupériorité réelle sur toute cette tourbe de courtisans quil’environnait.

Cet homme, c’était le cardinal Fabrizio Ruffo,que nous avons montré à nos lecteurs, assistant l’archevêque deNaples, son doyen au sacré collège, lors du Te Deum quiavait été chanté, la veille, dans l’église cathédrale de Naples enl’honneur de l’arrivée de Nelson.

Ruffo était au souper donné au vainqueurd’Aboukir par sir William Hamilton ; il avait donc tout vu ettout entendu, et, en sortant, le roi n’avait eu que ces mots à luidire :

– Je vous attends cette nuit au palais.

Ruffo s’était incliné en signe qu’il était auxordres de Sa Majesté.

En effet, dix minutes à peine après que le roiétait rentré chez lui en prévenant l’huissier de service qu’ilattendait le cardinal, on lui annonçait que le cardinal était là etfaisait demander si le bon plaisir du roi était de le recevoir.

– Faites-le entrer, cria Ferdinand de manièreque le cardinal l’entendît ; je crois bien que mon bon plaisirest de le recevoir !

Le cardinal, invité ainsi à entrer, n’attenditpas l’appel de l’huissier et répondit par sa présence même à cepressant appel du roi.

– Eh bien, mon éminentissime, que dites-vousde ce qui vient de se passer ? demanda le roi en se jetantdans un fauteuil et en faisant signe au cardinal de s’asseoir.

Le cardinal, sachant que la plus granderévérence dont on puisse user envers les rois est de leur obéiraussitôt qu’ils ont ordonné, toute invitation de leur part étant unordre, prit une chaise et s’assit.

– Je dis que c’est une affaire très-grave,répliqua le cardinal ; heureusement que Sa Majesté se l’estattirée pour l’honneur de l’Angleterre et qu’il est de l’honneur del’Angleterre de la soutenir.

– Que pensez-vous, au fond, de ce bouledoguede Nelson ? Soyez franc, cardinal.

– Votre Majesté est si bonne pour moi, qu’avecelle je le suis toujours, franc !

– Dites, alors.

– Comme courage, c’est un lion ; commeinstinct militaire, c’est un génie ; mais, comme esprit, c’estheureusement un homme médiocre.

– Heureusement, dites-vous ?

– Oui, sire.

– Et pourquoi heureusement ?

– Parce qu’on le mènera où l’on voudra, avecdeux leurres.

– Lesquels ?

– L’amour et l’ambition. L’amour, c’estl’affaire de lady Hamilton ; l’ambition, c’est la vôtre. Sanaissance est vulgaire ; son éducation, nulle. Il a conquisses grades sans mettre les pieds dans une antichambre, en laissantun œil à Calvi, un bras à Ténériffe, la peau de son front àAboukir ; traitez cet homme-là en grand seigneur, vous legriserez, et, une fois qu’il sera gris, Votre Majesté en fera cequ’elle voudra. Est-on sûr de lady Hamilton ?

– La reine en est sûre, à ce qu’elle dit.

– Alors, vous n’avez pas besoin d’autre chose.Par cette femme, vous aurez tout ; elle vous donnera à la foisle mari et l’amant. Tous deux sont fous d’elle.

– J’ai peur qu’elle ne fasse la prude.

– Emma Lyonna faire la prude ? dit Ruffoavec l’expression du plus profond mépris. Votre Majesté n’y pensepas.

– Je ne dis pas prude par pruderie,pardieu !

– Et par quoi ?

– Il n’est pas beau, votre Nelson, avec sonbras de moins, son œil crevé et son front fendu. S’il en coûte celapour être un héros, j’aime autant rester ce que je suis.

– Bon ! les femmes ont de si singulièresidées, et puis lady Hamilton aime si merveilleusement lareine ! Ce qu’elle ne fera pas par amour, elle le fera paramitié.

– Enfin ! dit le roi comme un homme quis’en remet à la Providence du soin d’arranger une affairedifficile.

Puis, à Ruffo :

– Maintenant, continua-t-il, vous avez bien unconseil à me donner dans cette affaire-là ?

– Certainement ; le seul même qui soitraisonnable.

– Lequel ? demanda le roi.

– Votre Majesté a un traité d’alliance avecson neveu l’empereur d’Autriche.

– J’en ai avec tout le monde, des traitésd’alliance ; c’est bien ce qui m’embarrasse.

– Mais enfin, sire, vous devez fournir uncertain nombre d’hommes à la prochaine coalition.

– Trente mille.

– Et vous devez combiner vos mouvements avecceux de l’Autriche et de la Russie.

– C’est convenu.

– Eh bien, quelles que soient les instancesque l’on fera près de vous, sire, attendez, pour entrer encampagne, que les Autrichiens et les Russes y soient entréseux-mêmes.

– Pardieu ! c’est bien mon intention.Vous comprenez, Éminence, que je ne vais pas m’amuser à faire laguerre tout seul aux Français… Mais…

– Achevez, sire.

– Si la France n’attend pas lacoalition ? Elle m’a déclaré la guerre, si elle me lafait ?

– Je crois, par mes relations de Rome, pouvoirvous affirmer, sire, que les Français ne sont pas en mesure de vousla faire.

– Hum ! voilà qui me tranquillise unpeu.

– Maintenant, si Votre Majesté mepermettait…

– Quoi ?

– Un second conseil.

– Je le crois bien !

– Votre Majesté ne m’en avait demandéqu’un ; il est vrai que le second est la conséquence dupremier.

– Dites, dites.

– Eh bien, à la place de Votre Majesté,j’écrirais de ma main à mon neveu l’empereur, pour savoir de lui,non pas diplomatiquement, mais confidentiellement, à quelle époqueil compte se mettre en campagne, et, prévenu par lui, je régleraismes mouvements sur les siens.

– Vous avez raison, mon éminentissime, et jevais lui écrire à l’instant même.

– Avez-vous un homme sûr à lui envoyer,sire ?

– J’ai mon courrier Ferrari.

– Mais sûr, sûr, sûr ?

– Eh ! mon cher cardinal, vous voulez unhomme trois fois sûr, quand il est si difficile d’en trouver qui lesoit une fois.

– Enfin, celui-là ?

– Je le crois plus sûr que les autres.

– Il a donné à Votre Majesté des preuves de safidélité ?

– Cent.

– Où est-il ?

– Où est-il ? Parbleu ! il est iciquelque part, couché dans mes antichambres, tout botté et toutéperonné, pour être prêt à partir au premier ordre, quelque heuredu jour ou de la nuit que ce soit.

– Il faut écrire d’abord, et nous lechercherons après.

– Écrire, c’est facile à dire, Éminence ;où diable vais-je trouver à cette heure-ci de l’encre, du papier etdes plumes ?

– L’Évangile dit : Quœre etinvenies.

– Je ne sais pas le latin. Votre Éminence.

– « Cherche et tu trouveras. »

Le roi alla à son secrétaire, ouvrit tous lestiroirs les uns après les autres, et ne trouva rien de ce qu’ilcherchait.

– L’Évangile ment, dit-il.

Et il retomba tout contrit dans sonfauteuil.

– Que voulez-vous, cardinal ! ajouta-t-ilen poussant un soupir, je déteste écrire.

– Votre Majesté est cependant décidée à enprendre la peine cette nuit.

– Sans doute ; mais, vous le voyez, toutme manque ; il me faudrait réveiller tout mon monde, etencore… Vous comprenez bien, mon cher ami, quand le roi n’écritpas, personne n’a de plumes, d’encre ni de papier. Oh ! jen’aurais qu’à faire demander tout cela chez la reine, elle en a,elle. C’est une écriveuse. Mais, si l’on savait que j’ai écrit, oncroirait, ce qui est vrai, au reste, que l’État est en péril.« Le roi a écrit… À qui ? pourquoi ? » Ceserait un événement à remuer tout le palais.

– Sire, c’est donc à moi de trouver ce quevous cherchez inutilement.

– Et où cela ?

Le cardinal salua le roi, sortit, et, uneminute après, rentra avec du papier, de l’encre et des plumes.

Le roi le regarda d’un air d’admiration.

– Où diable avez-vous pris cela,Éminence ? demanda-t-il.

– Tout simplement chez vos huissiers.

– Comment ! malgré ma défense, cesdrôles-là avaient du papier, de l’encre et des plumes ?

– Il leur faut bien cela pour inscrire lesnoms de ceux qui viennent solliciter des audiences de VotreMajesté.

– Je ne leur en ai jamais vu.

– Parce qu’ils les cachaient dans une armoire.J’ai découvert l’armoire, et voilà tout ce qui est nécessaire àVotre Majesté.

– Allons, allons, vous êtes homme deressource. Maintenant, mon éminentissime, dit le roi d’un airdolent, est-il bien nécessaire que cette lettre soit écrite de mamain ?

– Cela vaudra mieux, elle en sera plusconfidentielle.

– Alors, dictez-moi.

– Oh ! sire…

– Dictez-moi, vous dis-je, ou, sans cela, jeserai deux heures à écrire une demi-page. Ah ! j’espère bienque San-Nicandro est damné, non-seulement dans le temps, maisencore dans l’éternité, pour avoir fait de moi un pareil âne.

Le cardinal trempa dans l’encre une plumefraîchement taillée et la présenta au roi.

– Écrivez donc, sire.

– Dictez, cardinal.

– Puisque Votre Majesté l’ordonne, dit Ruffoen s’inclinant.

Et il dicta.

« Très-excellent frère, cousin et neveu,allié et confédéré,

» Je dois vous instruire sans retard dece qui vient de se passer hier soir au palais de l’ambassadeurd’Angleterre. Lord Nelson, ayant relâché à Naples, au retourd’Aboukir, et sir William Hamilton lui donnant une fête, le citoyenGarat, ministre de la République, a pris cette occasion de medéclarer la guerre de la part de son gouvernement.

» Faites-moi donc, par le retour du mêmecourrier que je vous envoie, très-excellent frère, cousin et neveu,allié et confédéré, savoir quelles sont vos dispositions pour laprochaine guerre, et surtout l’époque précise à laquelle vouscomptez vous mettre en campagne, ne voulant absolument rien fairequ’en même temps que vous et d’accord avec vous.

» J’attendrai la réponse de Votre Majestépour me régler en tout point sur les instructions qu’elle medonnera.

» La présente n’étant à autre fin, je medis, en lui souhaitant toute sorte de prospérités, de VotreMajesté, le bon frère, cousin et oncle, allié etconfédéré. »

– Ouf ! fit le roi.

Et il leva la tête pour interroger lecardinal.

– Eh bien, c’est fini, sire, et Votre Majestén’a plus qu’à signer.

Le roi signa, selon son habitude :Ferdinand B.

– Et quand je pense, continua le roi, quej’aurais mis la nuit tout entière à écrire cette lettre, Merci, moncher cardinal, merci.

– Que cherche Votre Majesté ? demandaRuffo, qui voyait que le roi cherchait autour de lui avecinquiétude.

– Une enveloppe.

– Bien, dit Ruffo, nous allons en faireune.

– C’est encore une chose queSan-Nicandro ne m’a point appris à faire, des enveloppes ! Ilest vrai qu’ayant oublié de m’apprendre à écrire, il avait regardéla science des enveloppes comme chose inutile.

– Votre Majesté permet-elle ? demandaRuffo.

– Comment, si je le permets ! dit le roien se levant. Asseyez-vous là à ma place sur mon fauteuil, mon chercardinal.

Le cardinal s’assit sur le fauteuil du roi,et, avec une grande prestesse et une grande habileté, plia etdéchira le papier qui devait recouvrir la lettre royale.

Ferdinand le regardait faire avecadmiration.

– Maintenant, dit le cardinal, Votre Majestéveut-elle me dire où est son sceau ?

– Je vais vous le donner, je vais vous ledonner, ne vous dérangez pas, dit le roi.

La lettre fut cachetée, et le roi mitl’adresse.

Puis, appuyant son menton dans sa main, ildemeura pensif.

– Je n’ose interroger le roi, demande Ruffo ens’inclinant.

– Je veux, répondit le roi toujours pensif,que personne ne sache que j’ai écrit cette lettre à mon neveu, nipar qui je l’ai envoyée.

– Alors, sire, dit en riant Ruffo, VotreMajesté va me faire assassiner en sortant du palais.

– Vous, mon cher cardinal, vous n’êtes pasquelqu’un pour moi ; vous êtes un autre moi-même.

Ruffo s’inclina.

– Oh ! ne me remerciez point, allez, lecompliment n’est pas riche.

– Comment faire, alors ? Il fautcependant que vous envoyiez chercher Ferrari par quelqu’un,sire.

– Justement, je m’oriente.

– Si je savais où il est, dit Ruffo, j’iraisle chercher.

– Pardieu ! moi aussi, fit le roi.

– Vous avez dit qu’il était dans lepalais.

– Certainement qu’il y est ; seulement,le palais est grand. Attendez, attendez donc ! En vérité, jesuis encore plus bête que je ne croyais.

Il ouvrit la porte de sa chambre à coucher etsiffla.

Un grand épagneul s’élança du tapis où ilétait couché près du lit de son maître, posa ses deux pattes sur lapoitrine du roi, toute chamarrée de plaques et de cordons, et semit à lui lécher le visage, occupation à laquelle le maîtreparaissait prendre autant de plaisir que le chien.

– C’est Ferrari qui l’a élevé, dit leroi ; il va me trouver Ferrari tout de suite.

Puis, changeant de voix et parlant à son chiencomme il eût parlé à un enfant :

– Où est-il donc, ce pauvre Ferrari,Jupiter ? Nous allons le chercher. Taïaut !taïaut !

Jupiter parut parfaitement comprendre ;il fit trois ou quatre bonds par la chambre, humant l’air et jetantdes cris joyeux ; puis il alla gratter à la porte d’uncorridor secret.

– Ah ! nous en revoyons donc, mon bonchien ? dit le roi.

Et, allumant un bougeoir au candélabre, ilouvrit la porte du couloir en disant :

– Cherche, Jupiter ! cherche !

Le cardinal suivait le roi, d’abord pour nepas le laisser seul, ensuite par curiosité.

Jupiter s’élança vers l’extrémité du couloiret gratta à une seconde porte.

– Nous sommes donc sur la voie, mon bonJupiter ? continua le roi.

Et il ouvrit cette seconde porte, comme ilavait ouvert la première ; elle donnait sur une antichambrevide.

Jupiter alla droit à une porte opposée à cellepar laquelle il était entré et se dressa contre cette porte.

– Tout beau ! dit le roi, toutbeau !

Puis, se tournant vers Ruffo :

– Nous brûlons, cardinal, dit-il.

Et il ouvrit cette troisième porte.

Elle donnait sur un petit escalier. Jupiters’y élança, monta rapidement une vingtaine de marches, puis se mità gratter la porte en poussant de petits cris.

– Zitto ! zitto ! dit leroi.

Le roi ouvrit cette quatrième porte comme ilavait ouvert les trois autres ; seulement, cette fois, ilétait arrivé au terme de son voyage : le courrier, tout vêtuet tout éperonné, dormait sur un lit de camp.

– Hein ! fit le roi, tout fier del’intelligence de son chien ; et quand je pense que pas un demes ministres, même celui de la police, n’aurait fait ce que vientde faire mon chien !

Malgré l’envie qu’avait Jupiter de sauter surle lit de son père nourricier Ferrari, le roi lui fit un signe dela main, et il se tint tranquille derrière lui.

Ferdinand alla droit au dormeur, et, du boutde la main, lui toucha l’épaule.

Si légère qu’eût été la pression, celui-ci seréveilla immédiatement et se mit sur son séant, regardant autour delui avec cet œil effaré de l’homme que l’on éveille au milieu deson premier sommeil ; mais, aussitôt, reconnaissant le roi, ilse laissa glisser de son lit de camp et se tint debout et lescoudes au corps, attendant les ordres de Sa Majesté.

– Peux-tu partir ? lui demanda leroi.

– Oui, sire, répondit Ferrari.

– Peux-tu aller à Vienne sanst’arrêter ?

– Oui, sire.

– Combien de jours te faut-il pour aller àVienne ?

– Au dernier voyage, sire, j’ai mis cinq jourset six nuits ; mais je me suis aperçu que je pouvais allerplus vite et gagner douze heures.

– Et à Vienne, combien de temps te faut-ilpour te reposer ?

– Le temps qu’il faudra à la personne àlaquelle Votre Majesté écrit pour me donner une réponse.

– Alors, tu peux être ici dans douzejours ?

– Auparavant si l’on ne me fait pas attendre,et s’il ne m’arrive pas d’accident.

– Tu vas descendre à l’écurie, seller uncheval toi-même ; tu iras le plus loin possible avec le mêmecheval, au risque de le forcer ; tu le laisseras chez unmaître de poste quelconque et tu l’y reprendras à ton retour.

– Oui, sire.

– Tu ne diras à personne où tu vas.

– Non, sire.

– Tu remettras cette lettre à l’empereurlui-même et point à d’autres.

– Oui, sire.

– Et à qui que ce soit, même à la reine, tu nelaisseras prendre la réponse.

– Non, sire.

– As-tu de l’argent ?

– Oui, sire.

– Eh bien, pars, alors.

– Je pars, sire.

Et, en effet, le brave homme ne prit que letemps de glisser la lettre du roi dans une petite poche de cuirpratiquée en manière de portefeuille dans la doublure de sa veste,de mettre sous son bras un petit paquet contenant un peu de lingeet de se coiffer de sa casquette de courrier ; après quoi,sans en demander davantage, il s’apprêta à descendrel’escalier.

– Eh bien, tu ne fais pas tes adieux àJupiter ? dit le roi.

– Je n’osais, sire, répondit Ferrari.

– Voyons, embrassez-vous ; n’êtes-vouspas deux vieux amis, et tous les deux à mon service ?

L’homme et le chien se jetèrent dans les brasl’un de l’autre : tous deux n’attendaient que la permission duroi.

– Merci, sire, dit le courrier.

Et il essuya une larme en se précipitant parles degrés pour rattraper le temps perdu.

– Ou je me trompe fort, dit le cardinal, ouvous avez là un homme qui se fera tuer pour vous à la premièreoccasion, sire !

– Je le crois, dit le roi : aussi, jepense à lui faire du bien.

Ferrari avait disparu depuis longtemps que leroi et le cardinal n’étaient point encore au bas de l’escalier.

Ils rentrèrent dans l’appartement du roi parle même chemin qu’ils avaient pris pour en sortir, refermantderrière eux les portes qu’ils avaient laissées ouvertes.

Un huissier de la reine attendait dansl’antichambre, porteur d’une lettre de Sa Majesté.

– Oh ! oh ! fit le roi en regardantla pendule, à trois heures du matin ? Ce doit être quelquechose de bien important.

– Sire, la reine a vu votre chambre éclairée,et elle a pensé avec raison que Votre Majesté n’était pas encorecouchée.

Le roi ouvrit la lettre avec la répugnancequ’il mettait toujours à lire les lettres de sa femme.

– Bon ! dit-il aux premières lignes,c’est amusant : voilà ma partie de chasse à tous lesdiables !

– Je n’ose demander à Votre Majesté ce que luiannonce cette lettre.

– Oh ! demandez, demandez, VotreÉminence. Elle m’annonce qu’au retour de la fête et à la suite denouvelles importantes reçues, M. le capitaine général Acton etSa Majesté la reine ont décidé qu’il y aurait conseilextraordinaire aujourd’hui mardi. Que le bon Dieu bénisse la reineet M. Acton ! Est-ce que je les tourmente, moi ?Qu’ils fassent donc ce que je fais, qu’ils me laissenttranquille.

– Sire, répliqua Ruffo, pour cette fois, jesuis obligé de donner raison à Sa Majesté la reine et à M. lecapitaine général ; un conseil extraordinaire me paraît detoute nécessité, et plus tôt il aura lieu, mieux cela vaudra.

– Eh bien, alors, vous en serez, mon chercardinal.

– Moi, sire ? Je n’ai point droitd’assister au conseil !

– Mais, moi, j’ai le droit de vous yinviter.

Ruffo s’inclina.

– J’accepte, sire, dit-il ; d’autres yapporteront leur génie, j’y apporterai mon dévouement.

– C’est bien. Dites à la reine que je seraidemain au conseil à l’heure qu’elle m’indiquera, c’est-à-dire àneuf heures. Votre Éminence entend ?

– Oui, sire.

L’huissier se retira.

Ruffo allait le suivre, lorsqu’on entendit legalop d’un cheval qui passait sous la voûte du palais.

Le roi saisit la main du cardinal.

– En tout cas, dit-il, voilà Ferrari qui part.Éminence, vous serez instruit un des premiers, je vous le promets,de ce qu’aura répondu mon cher neveu.

– Merci, sire.

– Bonne nuit à Votre Éminence… Ah !qu’ils se tiennent bien demain au conseil ! je préviens lareine et M. le capitaine général que je ne serai pas de bonnehumeur.

– Bah ! sire, dit le cardinal en riant,la nuit portera conseil.

Le roi rentra dans sa chambre à coucher etsonna à briser la sonnette. Le valet de chambre accourut touteffaré, croyant que le roi se trouvait mal.

– Que l’on me déshabille et que l’on mecouche ! cria le roi d’une voix de tonnerre ; et, uneautre fois, vous aurez soin que l’on ferme mes jalousies, afin quel’on ne voie pas que ma chambre est éclairée à trois heures dumatin.

Disons maintenant ce qui s’était passé dans lachambre obscure de la reine, tandis que ce que nous venonsde raconter se passait dans la chambre éclairée duroi.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer