La San-Felice – Tome IV

CXXXIX – UN DERNIER AVERTISSEMENT

Pendant la nuit qui suivit la réintégrationdes deux Backer à leur prison, dans une des chambres du palaisd’Angri, où il continuait de demeurer, Salvato, assis à une table,le front appuyé dans sa main gauche, écrivait de cette écritureferme et lisible qui était l’emblème de son caractère, la lettresuivante :

Au frère Joseph, couvent duMont-Cassin.

« 12 juin 1799.

» Mon père bien-aimé,

» Le jour de la lutte suprême est venu.J’ai obtenu du général Macdonald de rester à Naples, attendu qu’ilm’a semblé que mon premier devoir, comme Napolitain, était dedéfendre mon pays. Je ferai tout ce que je pourrai pour lesauver ; si je ne puis le sauver, je ferai tout ce que jepourrai pour mourir. Et, si je meurs, deux noms bien-aimésflotteront sur ma bouche à mon dernier soupir et serviront d’ailesà mon âme pour monter au ciel : le vôtre et celui deLuisa.

» Quoique je connaisse votre profondamour pour moi, je ne vous demande rien pour moi, mon père ; –mon devoir m’est tracé, je vous l’ai dit, je l’accomplirai ; –mais, si je meurs, ô père bien-aimé ! je la laisse seule, et,cause innocente de la mort de deux hommes condamnés hier à êtrefusillés, qui sait si la vengeance du roi ne la poursuivra pas,tout innocente qu’elle est !

» Si nous sommes vainqueurs, elle n’apoint à craindre cette vengeance, et cette lettre n’est qu’untémoignage de plus du grand amour que j’ai pour vous et del’éternel espoir que j’ai en vous.

» Si nous sommes vaincus, au contraire,si je suis hors d’état de lui porter secours, c’est vous, mon père,qui me remplacerez.

» Alors, mon père, vous quitterez leshauteurs sublimes de votre montagne sainte, et vous redescendrezdans la vie. Vous vous êtes imposé cette mission de disputerl’homme à la mort ; vous ne vous écarterez pas de votre but ensauvant cet ange dont je vous ai dit le nom et raconté lesvertus.

» Comme, à Naples, l’argent est le plussûr auxiliaire que l’on puisse avoir, j’ai, dans un voyage àMolise, réuni cinquante mille ducats, dont quelques centaines ontété dépensées par moi, mais dont la presque totalité est enfouiedans une caisse de fer au Pausilippe près des ruines du tombeau deVirgile, au pied de son laurier éternel : vous les trouverezlà.

» Nous sommes entourés, je ne dirai passeulement d’ennemis, ce qui ne serait rien, mais de trahisons, cequi est horrible. Le peuple est tellement aveuglé, ignorant, abrutipar ses moines et ses superstitions, qu’il tient pour ses plusgrands ennemis ceux qui veulent le faire libre, et qu’il voue uneespèce de culte à quiconque ajoute une chaîne aux chaînes qu’ilporte déjà.

» Ô mon père, mon père, celui qui, commenous, se consacre au salut des corps, acquiert un grand méritedevant Dieu ; mais bien plus grand, croyez-moi, sera le méritede celui qui se vouera à l’éducation de ces esprits, àl’illumination de ces âmes.

» Adieu, mon père ; le Seigneurtient en ses mains la vie des nations ; vous tenez dans vosmains plus que ma vie : vous tenez mon âme.

» Tous les respects du cœur.

» Votre Salvato.

» P.-S.– Inutile etmême dangereux que vous me répondiez, au milieu de tout ce qui sepasse ici. Votre messager peut être arrêté et votre réponse lue.Vous remettrez au porteur trois grains de votre chapelet ; ilsreprésenteront pour moi cette foi qui me manque, cette espéranceque j’ai en vous, cette charité qui déborde de votrecœur. »

Cette lettre achevée, Salvato se retourna etappela Michele.

La porte s’ouvrit aussitôt et Micheleparut.

– As-tu trouvé l’homme qu’il nous faut ?demanda Salvato.

– Retrouvé, vous voulez dire, car c’est lemême qui a fait trois voyages à Rome pour remettre au généralChampionnet les lettres du comité républicain et lui donner de vosnouvelles.

– Alors, c’est un patriote ?

– Qui n’a qu’un regret, Excellence, dit lemessager en paraissant à son tour, c’est que vous l’éloigniez deNaples au moment du danger.

– C’est toujours servir Naples, crois-moi, qued’aller où tu vas.

– Ordonnez, je sais qui vous êtes et ce quevous valez.

– Voici une lettre que tu vas porter au montCassin : tu demanderas frère Joseph et lui remettras cettelettre, à lui seul, entends-tu ?

– Attendrai-je une réponse ?

– Comme je ne sais point qui sera maître deNaples lorsque tu reviendras, cette réponse sera un signe convenuentre nous : pour moi, ce signe voudra tout dire, Michelea-t-il fait prix avec toi ?

– Oui, répondit le messager, une poignée demain à mon retour.

– Allons, allons, dit Salvato, je vois qu’il ya encore de braves gens à Naples. Va, frère, et que Dieu teconduise !

Le messager partit.

– Maintenant, Michele, dit Salvato, pensons àelle.

– Je vous attends, mon brigadier, dit lelazzarrone.

Salvato boucla son sabre, passa une paire depistolets dans sa ceinture, donna l’ordre à son calabrais del’attendre à minuit, avec deux chevaux de main, place du Môle,longea Toledo, prit la rue de Chiaïa, suivit la plage de la mer etatteignit Mergellina.

À mesure qu’il approchait de la maison duPalmier, il lui semblait entendre une espèce de psalmodie étrange,récitée sur un air qui n’en était pas un.

La personne qui faisait entendre ce chant setenait debout contre la maison, au-dessous de la fenêtre de lasalle à manger, et l’on voyait sa longue taille se dessiner sur lamuraille par un relief sombre et immobile.

Michele, le premier, reconnut la sorcièrealbanaise qui, dans toutes les circonstances importantes de la viede Luisa, lui était apparue.

Il prit le bras de Salvato pour que celui-ciécoutât ce qu’elle disait. Elle en était à la dernière strophe deson chant ; mais les deux hommes purent encore entendre cesparoles :

Loin de nous s’enfuit l’hirondelle

Lorsque du nord soufflent les vents.

Pauvre colombe, fais comme elle,

Puisque ton aile

Connaît la route du printemps !

– Entrez chez Luisa, dit Michele àSalvato : je vais retenir Nanno ; et, si Luisa juge àpropos de la consulter, appelez-nous.

Salvato avait une clef de la porte dujardin ; car peu à peu, nous l’avons dit, tous ces mystèresqui enveloppent un amour naissant et craintif avaient enfindisparu, du moins été un peu éclaircis, quoique les amis seulspussent lire à travers leur demi-transparence.

Salvato laissa la porte poussée seulementcontre la muraille, monta le perron, ouvrit la porte de la salle àmanger et trouva Luisa debout devant sa jalousie.

Il était évident que la jeune femme n’avaitpoint perdu un vers de la ballade de Nanno.

En apercevant Salvato, elle alla à lui, et,avec un triste sourire, posa sa tête sur son épaule.

– Je t’ai vu venir de loin avec Michele,dit-elle ; j’écoutais cette femme.

– Et moi aussi, dit Salvato ; mais jen’ai entendu que la dernière strophe de son chant.

– C’était une répétition des autres. Il y enavait trois : toutes annoncent un danger et invitent à lefuir.

– Tu n’as jamais eu à te plaindre de cettefemme ?

– Jamais, au contraire. Dès le premier jour oùje l’ai vue, elle m’a, il est vrai, prédit une chose qu’alors jecroyais impossible.

– La crois-tu plus vraisemblablemaintenant ?

– Tant de choses impossibles à prévoir sontarrivées depuis que nous nous connaissons, mon ami, que tout mesemble devenu possible.

– Veux-tu que nous fassions monter cettesorcière ? Si tu n’as jamais eu à te plaindre d’elle, j’ai eu,moi, à m’en louer, puisque c’est elle qui a posé le premierappareil sur ma blessure, que cette blessure pouvait être mortelleet que je n’en suis pas mort.

– Seule, je n’eusse point osé ; mais,avec toi, je ne crains rien.

– Et pourquoi n’eusses-tu point osé ? ditderrière les deux jeunes gens une voix qui les fit tressaillir,parce qu’ils la reconnurent pour celle de la sorcière. Est-ce queje n’ai pas toujours, comme un bon génie, essayé de détourner detoi le malheur ? Est-ce que, si tu avais suivi mes conseils,tu ne serais point à Palerme, auprès de ton protecteur naturel, aulieu d’être ici, tremblante, sous l’accusation d’avoir dénoncé deuxhommes qui seront fusillés demain ? Est-ce que, aujourd’hui,enfin, tandis qu’il en est temps encore, si tu voulais les suivre,est-ce que tu n’échapperais pas au destin que je t’ai prédit, etvers lequel tu t’achemines fatalement ? Je te l’ai dit, Dieu aécrit la destinée des mortels dans leur main, pour que, avec unevolonté ferme, ils pussent lutter contre cette destinée. Je n’aipas vu ta main depuis le jour où je t’ai prédit une mort fatale etviolente. Eh bien, regarde-la aujourd’hui, et dis-moi si cetteétoile que je t’ai signalée et qui coupait en deux la ligne de lavie, à peine visible à cette époque, n’a pas doublé d’apparence etde grandeur !

La San-Felice regarda sa main et poussa uncri.

– Regarde toi-même, jeune homme, continua lasorcière s’adressant à Salvato, et tu verras si un poinçon rougi aufeu la marquerait d’un pourpre plus vif que ne le fait laProvidence, qui, par ma bouche, te donne un dernier avis.

Salvato prit Luisa dans ses bras, l’entraînavers la lumière, ouvrit la main qu’elle s’efforçait de tenirfermée, et jeta à son tour un léger cri d’étonnement : uneétoile, large comme une petite lentille, dont les cinq rayons, bienvisibles, divergeaient, coupait en deux la ligne de la vie.

– Nanno, dit le jeune homme, je reconnais quetu es notre amie ; quand j’avais encore ma liberté d’action,quand je pouvais m’éloigner de Naples, j’ai proposé à Luisa del’emmener à Capoue, à Gaete, ou même à Rome ; aujourd’hui, ilest trop tard : je suis enchaîné à la fortune de Naples.

– Voilà pourquoi je suis venue, dit lasorcière ; car ce que tu ne peux plus faire, moi, je puis lefaire encore.

– Je ne comprends pas, dit Salvato.

– C’est bien simple cependant. Je prends cettejeune femme avec moi, et je l’emmène au nord, c’est-à-dire où ledanger n’est pas.

– Et comment l’emmènes-tu ?

Nanno écarta sa longue mante, et, montrant unpaquet qu’elle tenait à la main :

– Il y a, dit-elle, dans ce paquet un costumecomplet de paysanne de Maïda. Sous le costume albanais, nul nereconnaîtra la chevalière San-Felice : elle sera ma fille.Tout le monde connaît la vieille Nanno, et ni républicains nisanfédistes ne diront rien à la fille de la sorcière albanaise.

Salvato regarda Luisa.

– Tu entends, Luisa, dit-il.

Michele, qui, jusque-là, était reste inaperçudans l’ombre de la porte, s’approcha de Luisa, et, se mettant àgenoux devant elle :

– Je t’en prie, Luisa, lui dit-il, écoute lavoix de Nanno. Tout ce qu’elle a prédit est arrivé jusqu’à présent,pour toi comme pour moi. Pour moi, elle a prédit que, de lazzarone,je deviendrais colonel, et voilà que, contre toute probabilité, jele suis devenu. Reste maintenant le mauvais côté de sa prédiction,et il est probable qu’il s’accomplira aussi. Pour toi, elle aprédit qu’un beau jeune homme serait blessé sous tes fenêtres, etle beau jeune homme a été blessé ; elle a prédit que tul’aimerais, et tu l’aimes ; elle a prédit que cet amant teperdrait, et il te perd, puisque, par amour pour lui, tu refuses defuir. Luisa, écoute ce que te dit Nanno ! Tu n’es pas homme,toi : tu ne seras pas déshonorée si tu fuis. Nous, il nousfaut rester et combattre, combattons. Si nous survivons tous deux,nous allons te rejoindre ; si un seul survit, un seul y va. Jesais bien que, si c’est moi qui y vais, je ne remplacerai pasSalvato ; mais ce n’est point probable : aucuneprédiction ne condamne d’avance Salvato à mort, tandis que, moi, jesuis condamné. Quand la sorcière t’a dit tout à l’heure de regarderdans ta main, ma pauvre Luisa, j’ai, malgré moi, regardé dans lamienne. L’étoile y est toujours et bien autrement visible qu’ellene l’était il y a huit mois, c’est-à-dire le jour de la prédiction.Revêts donc ces habits, chère petite sœur ; tu sais comme tuétais jolie sous le costume d’Assunta.

– Hélas ! murmura Luisa, ce fut une doucesoirée pour moi que celle où je le revêtis. Comme ce temps-là estdéjà loin de nous, mon Dieu !

– Ce temps-là peut revenir pour toi, si tu leveux, chère petite sœur ; il te faut seulement avoir lecourage de quitter Salvato.

– Oh ! jamais ! jamais !murmura Luisa en passant ses bras autour du cou de Salvato. Vivreavec lui ou mourir avec lui !

– Je le sais bien, insista Michele ;certainement, vivre avec lui ou mourir avec lui, ce seraitsuperbe ; mais qui te dit qu’en restant ici tu vivras aveclui, ou mourras avec lui ? Le désir que tu en as, l’espoir quece désir te donne ; mais, en supposant que tu restes,resteras-tu ici ?

– Oh ! non ! s’écria Salvato, jel’emmène au Château-Neuf. Je sais bien que le château Saint-Elmevaudrait mieux ; mais, après ce qui s’est passé entre Mejeanet moi, je ne me fie plus à lui.

– Et que faites-vous après l’avoir conduite auChâteau-Neuf ?

– Je me mets à la tête de mes Calabrais, et jecombats.

– Donc, vous voyez, monsieur Salvato, que vousne vivez pas avec elle, et que vous pouvez mourir loin d’elle.

– Vois, chère Luisa, dit Salvato ; leschoses peuvent, en effet, arriver comme Michele le dit.

– Qu’importe que tu meures loin de moi ou prèsde moi, Salvato ? Toi mort, tu sais bien que je mourrai.

– Et as-tu le droit de mourir, répliquaSalvato en anglais, maintenant que tu ne mourrais plusseule ?

– Oh ! mon ami ! mon ami !murmura Luisa en cachant sa tête dans la poitrine de Salvato.

En ce moment, Giovannina entra, et, le souriredu mauvais ange sur les lèvres :

– Une lettre de M. André Backer pourmadame, dit-elle.

Luisa tressaillit, comme si elle eût vuapparaître le fantôme de Backer lui-même.

Salvato la regarda avec étonnement.

Michele se releva et tourna ses regards versla porte.

Le caissier Klagmann parut. Il était bienconnu de la San-Felice : c’était lui qui, d’habitude, luiapportait les intérêts de l’argent qu’elle avait placé ou plutôtque le chevalier avait placé dans la maison Backer.

Il était porteur, non pas d’une lettre, maisde deux lettres pour Luisa.

Ces deux lettres devaient, sans doute, êtrelues chacune à son tour ; car le messager commença par endonner une à Luisa en lui faisant signe que, lorsqu’elle aurait lula première, il lui donnerait la seconde.

Cette première était la circulaire impriméeadressée aux créanciers de la maison Backer.

Au fur et à mesure que Luisa avait lu lefunèbre écrit, sa voix s’était altérée, et, à ces mots :Par suite de la condamnation à mort des chefs de lamaison, le papier avait échappé à sa main tremblante et savoix s’était éteinte.

Michele avait ramassé le papier, et, tandisque Luisa sanglotait contre la poitrine de Salvato, qui, de sesdeux bras, la pressait sur son cœur, il l’avait lu tout hautjusqu’au bout.

Puis il s’était fait un grand et douloureuxsilence.

Ce silence, la voix du messager l’avaitrompu ; le premier.

– Madame, dit-il, le papier que l’on vient delire est la circulaire adressée à tous ; mais je suis, enoutre, porteur d’une lettre de M. André Backer : cettelettre vous est personnellement adressée et contient ses dernièresintentions.

Salvato desserra ses bras pour laisser Luisalire l’espèce de testament qui lui était annoncé. Celle-ci étenditla main vers Klagmann, reçut la lettre ; mais, au lieu de ladécacheter elle-même, elle la présenta à Salvato, en luidisant :

– Lisez.

Le premier mouvement de celui-ci fut derepousser doucement la lettre ; mais Luisa insista endisant :

– Ne voyez-vous pas, mon ami, que je suis horsd’état de lire moi-même ?

Salvato décacheta la lettre, et, comme ilétait près de la cheminée, sur laquelle brûlaient les bougies d’uncandélabre, il put, en continuant de presser Luisa contre son cœur,lire la lettre suivante :

« Madame,

» Si je connaissais une créature pluspure que vous, c’est elle que je chargerais de la sainte missionque je vous laisse en quittant la vie.

» Toutes nos dettes sont payées, notreliquidation faite ; il reste à notre maison une somme dequatre cent mille ducats, à peu près.

» Cette somme, mon père et moi ladestinons à soulager les victimes de la guerre civile dans laquellenous succombons, et cela, sans acception des principes que cesvictimes professaient, ni des rangs dans lesquels elles seronttombées.

» Nous ne pouvons rien pour les morts,que prier pour eux nous-mêmes en mourant ; aussi ne sont-cepoint les morts que nous désignons sous le nom de victimes ;mais nous pouvons quelque chose – et les victimes, à notre avis,les voilà – pour les enfants et les veuves de ceux qui, d’une façonquelconque, auront été frappés dans la lutte que nous voyons sousson vrai jour à cette heure seulement, et qui, nous le disons avecregret, est une lutte fratricide.

» Mais, pour que cette somme de quatrecent mille ducats soit répartie intelligemment, loyalement,impartialement, c’est entre vos mains bénies, madame, que nous ladéposons ; vous la répartirez, nous en sommes certains, selonle droit et l’équité.

» Cette dernière preuve de confiance etde respect vous prouve, madame, que nous descendons dans la tombeconvaincus que vous n’êtes pour rien dans notre mort sanglante etprématurée, et que la fatalité a tout fait.

» J’espère que cette lettre pourra vousêtre remise ce soir, et que nous aurons, en mourant, la consolationde savoir que vous acceptez la mission qui a pour but de fairedescendre la grâce du ciel sur notre maison et la bénédiction desmalheureux sur notre tombe !

» Avec les mêmes sentiments que j’aivécu, je meurs en me disant, madame, votre respectueuxadmirateur.

» André Backer. »

Tout au contraire de la première, cetteseconde lettre sembla rendre des forces à Luisa. À mesure queSalvato, ne pouvant commander lui-même à son émotion, en faisait lalecture d’une voix tremblante, elle redressait radieusement sa têtecourbée sous la crainte de l’anathème, et un sourire de triompherayonnait au milieu de ses larmes.

Elle s’avança vers la table, sur laquelle il yavait de l’encre, une plume et du papier et écrivit cesmots :

« J’allais partir, j’allais quitterNaples, lorsque je reçois votre lettre : pour remplir ledevoir sacré qu’elle m’impose, je reste.

» Vous m’avez bien jugée, et à vous jedis, comme je dirai au Dieu devant qui vous allez paraître etdevant qui peut-être je ne tarderai pas à vous suivre, – à vous jedis : Je suis innocente.

» Adieu !

» Votre amie en ce monde et dans l’autre,où, je l’espère, nous nous retrouverons.

» Luisa. »

Luisa tendit cette réponse à Salvato, qui laprit en souriant, et, sans la lire, la remit à Klagmann.

Le messager sortit et Michele après lui.

– Ainsi dit Nanno, tu restes ?

– Je reste, répondit Luisa, dont le cœur nedemandait qu’un prétexte pour se décider en faveur de Salvato, etavait, sans s’en rendre compte peut-être, avidement saisi celui quelui offrait le condamné.

Nanno leva la main, et, d’un tonsolennel :

– Vous qui aimez cette femme plus que votrevie et à l’égal de votre âme, dit-elle à Salvato, vous m’êtestémoin que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour la sauver ; vousm’êtes témoin que je l’ai éclairée sur le danger qu’elle courait,que je l’ai invitée à fuir, et que, contrairement aux ordres donnéspar le destin à ceux à qui il révèle l’avenir, je lui ai offert monappui matériel. Si cruel que soit le sort pour vous, ne maudissezpas la vieille Nanno, et dites, au contraire, qu’elle a fait toutce qu’elle a pu pour vous sauver.

Et, glissant dans l’ombre, avec laquelle soncostume sombre se confondait, elle disparut sans que ni l’un nil’autre des deux jeunes gens songeassent à la retenir.

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