La San-Felice – Tome IV

CXXII – L’ARMÉE DE LA SAINTE FOI.

Le 16 mars, à peu près à la même heure oùChampionnet sortait de Naples, appuyé au bras de Salvato, lecardinal Ruffo, en passant dans la petite commune de Borgia,rencontra une députation de la ville de Catanzaro, qui venaitau-devant de lui.

Elle se composait du chef de la rota(du tribunal), don Vicenzo Petroli, du cavalier don AntonioPerruccoli, de l’avocat Saverio Landari, de don Antonio Greco et dedon Alessandro Nava.

Saverio Landari, en sa qualité d’avocat, pritla parole, et, contre les habitudes du barreau, exposa au cardinal,dans toute leur simplicité et toute leur clarté, les faitssuivants :

Que, quoique les royalistes eussent tué, misen fuite ou arrêté à peu près tous ceux qui étaient soupçonnésd’appartenir au parti républicain, la ville de Catanzaro, dans sadésolation, ne cessait de nager dans la plus horrible anarchie, aumilieu des meurtres, des pillages et des vengeances privées.

En conséquence, au nom de tout ce qui restaitd’honnêtes gens à Catanzaro, le cardinal était prié de venir leplus tôt possible au secours de la malheureuse ville.

Il fallait que la situation fût bien gravepour que les royalistes demandassent des secours contre les gens deleur propre parti.

Il est vrai que quelques-uns des membres de ladéputation que Catanzaro avait envoyée au cardinal, avaient faitpartie des comités démocratiques, et, entre autres, le chef de larote, Vicenzo Petroli, qui ayant été du gouvernement provisoire,était un de ceux qui avaient mis à prix la tête du cardinal etcelle du conseiller de Fiore.

Le cardinal fit semblant de ne rien savoir detout cela : ce qui lui importait, à lui, c’était que lesvilles lui ouvrissent leurs portes, quels que fussent ceux qui leslui ouvraient. En conséquence, pour apporter au mal le plus promptremède possible, il demanda qui était chef du peuple àCatanzaro.

On lui répondit que c’était un certain donFrançois de Giglio.

Il demanda une plume, de l’encre, et, sansdescendre de son cheval, écrivit sur son genou :

« Don François de Giglio,

» La guerre comme vous la faites estbonne contre les jacobins obstinés qui se font tuer ou prendre lesarmes à la main, et non contre ceux qui ont été contraints par lamenace ou la violence de se réunir aux rebelles, surtout si cesderniers se repentent et s’en remettent à la clémence du roi :à plus forte raison cette guerre n’a-t-elle point d’excuse contreles citoyens pacifiques.

» En conséquence, je vous ordonne, etsous votre propre responsabilité, de faire immédiatement cesser lesmeurtres, le pillage et toute voie de fait. »

Cet ordre fut immédiatement envoyé àCatanzaro, sous la protection d’une escorte de cavalerie.

Puis, accompagné de la députation, le cardinalreprit, vers Catanzaro, sa marche un instant interrompue.

L’avant-garde, arrivée au fleuve Corace,l’antique Crotalus, fut forcée, faute de ponts, de passer en charet à la nage. Pendant ce temps, le cardinal, qui n’oubliait pas lesétudes d’archéologie faites par lui à Rome, s’écarta du chemin pouraller visiter les ruines d’un temple grec.

Ces ruines, que l’on voit encore aujourd’hui,et que l’auteur de ce livre a visitées en suivant la même route quele cardinal Ruffo, sont celles d’un temple de Cérès, à une heureduquel sont les ruines d’Amphissum, où mourut Cassiodore, premierconsul et ministre de Théodoric, roi des Goths. Cassiodore avaitvécu près de cent ans, et passa de ce monde à l’autre dans unepetite retraite qui domine toute la contrée, et où il écrivit sondernier livre du Traité de l’âme.

Le cardinal passa le Corace après tout lemonde et s’arrêta à la marine de Catanzaro, riante plage, semée deriches villas où les familles nobles ont l’habitude de passer lasaison d’hiver.

La plage de Catanzaro n’offrant au cardinalaucun abri pour loger sa troupe, et les pluies d’hiver commençant àvenir avec cette abondance particulière à la Calabre, il décidad’envoyer une partie de son armée au blocus de Cotrone, où lagarnison royale avait pris du service sous les républicains, oùs’étaient réunis tous les patriotes fugitifs de la province, et oùavaient débarqué, sur un bâtiment venu d’Égypte, trente-deuxofficiers subalternes d’artillerie, un colonel et un chirurgienfrançais.

Le cardinal détacha donc de son armée deuxmille hommes de troupes régulières, et spécialement les compagniesdes capitaines Joseph Spadea et Giovanni Celia. À ces deuxcompagnies il en adjoignit une troisième, de ligne, avec deuxcanons et un obusier. Toute l’expédition fut mise sous les ordresdu lieutenant-colonel Perez de Vera. Il y adjoignit comme officierparlementaire le capitaine Dandano de Marceduse. Enfin, un banditde la pire espèce, mais qui connaissait parfaitement le pays, où ilexerçait depuis vingt ans le métier de voleur de grand chemin, futchargé des importantes fonctions de guide de l’armée.

Ce bandit, nommé Pansanera, était célèbre pardix ou douze meurtres.

Le jour de l’arrivée du cardinal à la plage deCatanzaro, il se jeta à ses pieds et sollicita de lui la faveurd’être entendu en confession.

Le cardinal comprit que ce n’était point unpénitent ordinaire qui lui venait ainsi le fusil à l’épaule et lacartouchière aux reins, le poignard et les pistolets à laceinture.

Il descendit de cheval, s’écarta de la routeet alla s’asseoir au pied d’un arbre.

Le bandit s’agenouilla et déroula, avec lesmarques du plus profond repentir, la longue série de sescrimes.

Mais le cardinal n’avait point le choix desinstruments qu’il employait. Celui-là pouvait lui être utile. Il secontenta de l’assurance de son repentir, et, sans s’informer si cerepentir était bien sincère, il lui donna l’absolution. Le cardinalétait pressé d’utiliser au profit du roi les connaissancestopographiques que don Alonzo Pansanera avait acquises enmanœuvrant contre la société.

L’occasion ne tarda point à s’offrir, et,comme nous l’avons dit, Pansanera fut nommé guide de la colonneexpéditionnaire. La colonne se mit en route, et le cardinal restaderrière elle pour réorganiser l’armée et organiser laréaction.

Au bout de trois jours, il se mit à son touren marche ; mais, comme il fallait faire trois étapes ensuivant le rivage de la mer, et sans passer par aucun lieu habité,le cardinal chargea son commissaire aux vivres, don GaetanoPeruccioli, de réunir un certain nombre de voitures chargées depains, de biscuits, de jambons, de fromage et de farine, puis, sesordres exécutés, de se mettre en marche sur Cotrone.

À la fin de la première journée, on arriva surles bords du fleuve Trocchia, qui se trouvait gonflé par les pluieset par la fonte des neiges.

Pendant le passage, qui s’effectua avec unegrande difficulté, et en conséquence avec un grand désordre, lecommissaire des vivres et les vivres disparurent, avec toutel’administration.

On le voit, don Alonzo Pansanera n’eut pasmieux fait que Gaetano Peruccioli.

Nommé de la veille, il n’avait pas perdu detemps pour poser la première pierre de l’édifice de safortune.[1]

Ce fut dans la nuit seulement, et lorsquel’armée s’arrêta pour bivaquer, que la disparition de Peruccioli sefit connaître par la complète absence des vivres.

On ne mangea point cette nuit-là.

Le lendemain, par bonheur, après deux lieuesde marche, on trouva un magasin plein d’excellente farine et desbandes de porcs à moitié sauvages, telles qu’on en rencontre àchaque pas dans la Calabre. Cette double manne fut la bienvenue audésert et immédiatement convertie en soupe au lard. Le cardinal enmangea comme les autres, quoique ce fût un samedi, c’est-à-direjour maigre. Mais, en sa qualité de haut dignitaire de l’Église, ilavait pour lui des pouvoirs qu’il étendit à toute l’armée.

L’armée sanfédiste put donc sans remordsmanger sa soupe au lard, et la trouver excellente. Le cardinal futde l’avis de l’armée.

Une chose qui n’étonna pas moins le cardinalque la disparition du commissaire des vivres Peruccioli, futl’apparition du marquis Taccone, chargé, par ordre du généralActon, de suivre l’armée de la sainte foi comme trésorier et venantla joindre à cet effet.

Le cardinal était justement dans le magasinaux farines lorsqu’on lui annonça le marquis Taccone. SonExcellence arrivait dans un mauvais moment : le cardinal étaitde mauvaise humeur, n’ayant pas mangé depuis la veille à midi.

Il crut que le marquis Taccone lui rapportaitles cinq cent mille ducats qu’il n’avait pas pu se procurer àMessine, ou plutôt il fit semblant de le croire. Le cardinal étaitun homme trop expérimenté pour commettre de pareilles erreurs.

Il était assis à une table, et, sur unescabeau que l’on avait trouvé à grand’peine, il expédiait desordres.

– Ah ! vous voilà, marquis, dit-il avantmême que celui-ci eût franchi la porte. En effet, j’ai reçu avis deSa Majesté que vous aviez retrouvé les cinq cent mille ducats etque vous me les rapportiez.

– Moi ? dit Taccone étonné. Il faut queSa Majesté ait été induite en erreur.

– Eh bien, alors, demanda le cardinal, quevenez-vous faire ici ? À moins, cependant, que vous ne veniezcomme volontaire ?

– Je viens envoyé par le capitaine généralActon, Votre Éminence.

– À quel titre ?

– À titre de trésorier de l’armée.

Le cardinal éclata de rire.

– Est-ce que vous croyez, lui demanda-t-il,que j’ai cinq cent mille ducats à vous donner pour compléter lemillion ?

– Je vois avec douleur, dit le marquisTaccone, que Votre Excellence me soupçonne d’infidélité.

– Vous vous trompez, marquis. Mon Éminencevous accuse de vol, et, jusqu’à ce que vous m’ayez donné la preuvedu contraire, j’affirmerai l’accusation.

– Monseigneur, dit Taccone en tirant unportefeuille de sa poche, je vais avoir l’honneur de vous prouverque cette somme et beaucoup d’autres ont été employées à diversusages par ordre de monseigneur le capitaine général Acton.

Et, s’approchant du cardinal, il ouvrit sonportefeuille.

Le cardinal y plongea son œil perçant, et,voyant une foule de papiers qui lui parurent non-seulement de laplus haute importance, mais encore de la plus grande curiosité, ilallongea la main, prit le portefeuille, et, appelant la sentinellede garde à sa porte :

– Faites venir deux de vos camarades,dit-il ; qu’ils prennent monsieur au collet, qu’ils leconduisent à un quart de lieue d’ici et qu’ils le laissent sur lagrande route. Si monsieur fait mine de revenir, tirez sur lui commesur un chien, attendu que j’estime un chien bien au delà d’unvoleur.

Puis, au marquis Taccone, tout abasourdi del’accueil :

– Ne vous inquiétez point de vos papiers,dit-il ; j’en ferai prendre fidèle copie, je les ferainuméroter avec soin et je les enverrai au roi. Retournez donc àPalerme ; vos papiers y seront aussitôt que vous.

Et, pour prouver au marquis Taccone qu’il luidisait la vérité, le cardinal commença la revue de ses papiersavant même que le marquis fût sorti de la chambre.

Le cardinal, en mettant la main sur leportefeuille du marquis Taccone, avait fait une véritabletrouvaille. Mais, comme nous n’avons pas eu ce portefeuille sousles yeux, nous nous contenterons de répéter à cette occasion ce quedit Dominique Sacchinelli, historien de l’illustreporporato :

« À la vue de ces papiers, qui avaienttous rapport à des dépenses secrètes, écrit-il, le cardinal put seconvaincre que le plus grand ennemi du roi était Acton. C’estpourquoi, emporté par son zèle, il écrivit au roi, en lui envoyanttous les papiers de Taccone, dont il avait eu la précaution deconserver un double :

« Sire, la présence du général Acton àPalerme compromet la sûreté de Votre Majesté et de la familleroyale… »

Sacchinelli, à qui nous empruntons ce fait etqui, après avoir été le secrétaire du cardinal, est devenu sonhistorien, ne put surprendre au passage autre chose que la phraseque nous guillemetons, la lettre du cardinal au roi étant écritetout entière de sa main et n’étant restée qu’un instant sous sesyeux, tant le cardinal avait hâte de l’envoyer au roi.

Mais ce que nous pouvons dire en touteconnaissance de cause, c’est que les cinq cent mille ducats ne seretrouvèrent jamais.

À la nouvelle de la disparition du commissairedes vivres Peruccioli, le cardinal n’avait pas jugé à propos detraverser le fleuve gonflé par la pluie.

Pendant que l’on amasserait les vivresnécessaires à l’expédition, l’eau baisserait.

Et, en effet, le 23 mars au matin, le fleuveétant devenu guéable, et une quantité suffisante de vivres ayantété amassée, le cardinal ordonna de se remettre en route, lança lepremier son cheval dans l’eau, et, quoiqu’il en eût jusqu’à laceinture, il traversa le fleuve heureusement.

Toute l’armée le suivit.

Trois hommes seulement furent entraînés par lecourant et sauvés par des mariniers du Pizzo.

Au moment où le cardinal mettait le pied surla rive opposée, il lui arriva un messager courant à toute bride ettout souillé de boue, qui lui annonçait que la ville de Cotroneavait été prise la veille 22 mars.

Cette nouvelle fut reçue aux cris de« Vive le roi ! vive la religion ! »

Le cardinal poursuivit son chemin à marchesforcées, et, passant par Cutro, il arriva le 25 mars, seconde fêtede Pâques, en vue de Cotrone.

La ville fumait en plusieurs endroits etdénotait des restes d’incendie.

Le cardinal, en s’approchant, entendit descoups de feu, des cris, des clameurs qui lui indiquèrent que saprésence était urgente.

Il mit son cheval au galop ; mais à peineavait-il franchi la porte de la ville, qu’il s’arrêtaépouvanté ; les rues étaient jonchées de morts ; lesmaisons, saccagées, n’avaient plus ni portes ni fenêtres ;quelques-unes, comme nous l’avons dit, brûlaient.

Arrêtons-nous un instant sur Cotrone, dont ladestruction fut un des plus douloureux épisodes de cette guerreinexpiable.

Cotrone, sur le nom de laquelle vingt-cinqsiècles ont passé et ont, voilà tout, changé une lettre de place,est l’ancienne Crotone, rivale de Sybaris. Elle fut la capitaled’une des plus anciennes républiques de la Grande Grèce, dans leBrutium. La pureté de ses mœurs, la sagesse de sesinstitutions dues à Pythagore, qui y fonda une école, la fitl’ennemie de Sybaris. Elle donna naissance à plusieurs athlètescélèbres, et, entre autres, au fameux Milon, qui, commeM. Martin (du Nord) et M. Mathieu (de la Drôme), fit, nonpas du département, mais de la ville où il était né, un appendice àson nom. C’était lui qui, serrant sa tête avec une corde, lafaisait éclater en enflant ses tempes ; c’était lui quiportait un bœuf autour du Cirque au pas gymnastique, et, aprèsl’avoir porté, l’assommait d’un coup de poing et le mangeait dansla journée. Le célèbre médecin Démocède, qui vivait à la cour dePolycrate de Samos, ce tyran trop heureux, qui retrouvait dans leventre des poissons les anneaux qu’il jetait à la mer, était deCrotone, et encore cet Alcméon, disciple d’Amyntas, qui fit unlivre sur la nature de l’âme, qui écrivit sur la médecine et qui,le premier, ouvrit des porcs et des singes pour se rendre compte dela conformation du corps humain.

Cotrone fut dévastée par Pyrrhus, prise parAnnibal, et reprise par les Romains, qui y envoyèrent unecolonie.

À l’époque où nous sommes arrivé de notrerécit, Cotrone n’était plus qu’une espèce de bourg, qui n’en avaitpas moins conservé le nom de son aïeule. Elle avait un petit port,un château sur la mer, des restes de fortifications et de muraillesqui la faisaient compter au rang des places fortes.

Comme les républicains y étaient en majorité,la garnison royale, au moment où éclata la révolution, fut forcéede pactiser avec eux. Son commandant, Foglia, avait été destitué etarrêté comme royaliste, et à sa place avait été nommé le capitaineDucarne, qui était en prison comme suspect de patriotisme. Par unchassé-croisé assez ordinaire dans ces sortes de circonstances,Foglia, qu’il avait remplacé à son poste, l’avait remplacé dans soncachot.

En outre, à cette garnison, sur laquelle il nefallait pas trop compter, on devait ajouter tous les patriotesfuyant devant Ruffo et de Cesare, qui s’étaient réunis à Cotrone etrenfermés dans ses murs, ainsi que trente-deux Français venant,comme nous l’avons dit, d’Égypte.

Ces trente-deux Français étaient la vraieforce résistante de la ville, et la preuve, c’est que, surtrente-deux, quinze se firent tuer.

Les deux mille hommes envoyés par le cardinalcontre Cotrone firent sur la route la boule de neige. Tous lespaysans qui, aux environs de Cotrone et de Catanzaro, purentprendre un fusil, prirent ce fusil et se réunirent à l’expédition.En outre, sans tenir compte de l’armée sanfédiste, une massed’individus armés, de ceux-là qui se réunissent en toute occasionet dans tous les temps, se tenait aux environs de Cotrone,attendant le moment de faire un coup, et, en attendant,coupant, pour faire quelque chose, les communications de la villeavec les villages et occupant les meilleures positions.

Dans la matinée du jeudi saint, le 21 mars, lecapitaine parlementaire Dardano fut expédié à Cotrone par le chefde l’expédition royaliste. Les Cotronais le reçurent les yeuxbandés. Il montra alors ses lettres de créance signées ducardinal ; mais peut-être y manquait-il quelque formalitéd’étiquette ; car le capitaine Dardano fut pris, jeté enprison, soumis à une commission militaire et condamné à mort, commebrigandant contre la République. Peut-être le verbebrigander n’est-il point français ; mais, à coup sûr,il est napolitain, et l’on nous permettra de le franciser, vu legrand usage que nous aurons à en faire.

Les sanfédistes, voyant que leur parlementairene revenait point, et qu’ils ne recevaient aucune réponse à lasommation qu’ils avaient faite à la ville de se rendre, résolurentde ne pas perdre un instant, afin de délivrer le capitaine Dardano,s’il était encore vivant, et de le venger s’il était mort. Enconséquence, ils recoururent à leur guide Pansanera, se groupèrentautour de lui, lui adjoignirent, pour plus grande sûreté, un hommedu pays, et, conduits par eux, s’avancèrent, pendant une nuitobscure, jusque sous les murs de la ville, où, du côté du Nord, ilsoccupèrent une position avantageuse.

Ils profitèrent de l’obscurité, toujours pourfaire arriver et mettre en batterie au milieu d’eux leur petiteartillerie, et, montrant seulement les deux compagnies de ligne,ils cachèrent les volontaires, c’est-à-dire une masse de trois ouquatre mille hommes, dans les plis du terrain, ne s’inquiétant dela pluie qui tombait à torrents que pour leur recommander de mettreà l’abri leurs cartouchières et la batterie de leurs fusils.

Ils demeurèrent là toute la nuit du vendredisaint, et, au point du jour, le chef de l’expédition, lecolonel-lieutenant Perez, envoya, en manière de défi, dans la placequelques obus et quelques grenades.

Au bruit que firent en éclatant cesprojectiles, à la vue des deux compagnies de ligne qui se tenaientdebout et découvertes, les Crotonais crurent que le cardinal, dontils connaissaient la marche, était sous leurs murs avec une arméerégulière.

On savait que la forteresse, en mauvais état,ne pouvait opposer qu’une médiocre résistance. Un conseil de guerrefut, en conséquence, réuni chez le lieutenant-colonel français,lequel déclara hautement et clairement qu’il n’y avait que deuxpartis à prendre, et ajouta qu’en sa qualité d’étranger il seréunirait à la majorité.

Ces deux partis étaient :

Ou d’accepter les propositions que le cardinalavait fait faire par son parlementaire Dardano, et, dans ce cas, ilfallait à l’instant même mettre en liberté leparlementaire ;

Ou de faire une vigoureuse sortie et dechasser les brigands, de prendre place immédiatement sur lesremparts et d’attendre derrière eux, en faisant une défensedésespérée, l’armée française, qui, disait-on, était en marche versla Calabre.

Ce dernier avis avait été adopté. Lelieutenant-colonel français s’y rangea, et tout se prépara pour lasortie, de la réussite ou de l’insuccès de laquelle allait dépendrele salut ou la chute de la ville.

En conséquence, ce même jour du vendredisaint, dès neuf heures du matin, tambour battant, mèche allumée,les républicains sortirent de la ville. Les royalistes, de leurcôté, ne présentant qu’un front étroit et dissimulant les troisquarts de leurs forces, les laissèrent accomplir une faussemanœuvre, à l’aide de laquelle les républicains croyaient lesenvelopper.

Mais à peine, de part et d’autre, le feu del’artillerie eut-il commencé, que les masses cachées, qui avaientréglé leur plan de bataille, d’après les conseils de Pansanera, selevèrent à droite et à gauche, laissant au centre, pour faire têteaux républicains, les deux compagnies de ligne etl’artillerie ; puis, favorisées pas l’inclinaison même duterrain, les deux ailes se rabattirent au pas de course sur leflanc des républicains, et, à demi-portée de fusil, firent, àdroite et à gauche, une décharge qui, grâce à l’adresse destireurs, eut un terrible résultat.

Les patriotes virent au premier coup d’œill’embuscade dans laquelle ils étaient tombés, et, comme il n’yavait d’autre parti à prendre que de se faire tuer sur place etd’abandonner, par conséquent, la ville à l’ennemi, ou de faire uneprompte retraite et de chercher à réparer, derrière les murs, ledésastre que l’on venait d’éprouver, ils s’arrêtèrent à laretraite, et l’ordre en fut donné. Mais, enveloppés comme ilsl’étaient, les patriotes ne purent opérer cette retraite que dansle plus grand désordre et hâtivement, abandonnant leur artillerie,poursuivis de si près, que, Pansanera et sept ou huit de ses hommesétant arrivés en même temps que les fuyards à la porte de la ville,ils empêchèrent, avec le feu qu’ils firent, que ces derniers nelevassent le pont derrière eux, de manière que les républicains, nepouvant refermer la porte par laquelle ils étaient rentrés, et lessanfédistes s’étant rendus maîtres de cette porte, ils furentobligés d’abandonner la ville et de se renfermer dans lacitadelle.

La porte restée ouverte et sans défense,chacun s’y précipita, déchargeant son arme sur ce qu’ilrencontrait, hommes, femmes, enfants, animaux même, et répandant detous côtés la terreur ; mais, dès qu’un peu d’ordre put êtreétabli dans l’agression, les forces isolées se réunirent et secombinèrent contre la forteresse.

Les assaillants commencèrent par s’emparer detoutes les maisons environnant le château, et, de toutes lesfenêtres, le feu commença contre lui.

Mais, tandis que cette fusillade s’échangeaitentre les troupes régulières et les défenseurs du château, les deuxcompagnies de troupes de ligne entraient dans la ville, mettaientleur artillerie en position et faisaient feu à leur tour.

Or, le hasard voulut qu’un obus coupât lalance du drapeau républicain et renversât la bannière aux troiscouleurs napolitaines qui avait été élevée sur le château. À cettevue, l’ancienne garnison royale, qui, à contre-cœur, s’était réunieaux patriotes, crut que c’était pour elle un avis du ciel deredevenir royaliste, et tourna immédiatement ses armes contre lesrépublicains et les Français : elle abaissa le pont-levis etouvrit les portes.

Les deux compagnies de ligne entrèrentaussitôt dans le château, et les Français, réduits à dix-sept,furent, avec les patriotes, enfermés dans le même château où ilsétaient venus chercher un asile.

Le parlementaire Dardano, condamné à mort,mais qui n’avait pas subi sa peine, fut mis en liberté.

De ce moment, la ville de Cotrone avait étéabandonnée à toutes les horreurs d’une ville prise d’assaut,c’est-à-dire au meurtre, au pillage, au viol et à l’incendie.

Le cardinal arrivait au moment où, repue desang, d’or, de vin, de luxure, son armée accordait à la malheureuseville expirante la trêve de la lassitude.

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