La suivante

Examen

 

Je ne dirai pas grand mal de celle-ci, que jetiens assez régulière, bien qu’elle ne soit pas sans taches. Lestyle en est plus faible que celui des autres. L’amour de Gérastepour Florise n’est point marqué dans le premier acte, et ainsi laprotase comprend la première scène du second, où il se présenteavec sa confidente Célie, sans qu’on les connaisse ni l’un nil’autre. Cela ne serait pas vicieux s’il ne s’y présentait quecomme père de Daphnis, et qu’il ne s’expliquât que sur les intérêtsde sa fille ; mais il en a de si notables pour lui, qu’ilsfont le nœud et le dénouement. Ainsi c’est un défaut, selon moi,qu’on ne le connaisse pas dès ce premier acte. Il pourrait êtreencore souffert, comme Célidan dans la Veuve, si Floramel’allait voir pour le faire consentir à son mariage avec sa fille,et que par occasion il lui proposât celui de sa sœur pourlui-même ; car alors ce serait Florame qui l’introduirait dansla pièce, et il y serait appelé par un acteur agissant dès lecommencement. Clarimond, qui ne paraît qu’au troisième, est insinuédès le premier, où Daphnis parle de l’amour qu’il a pour elle, etavoue qu’elle ne le dédaignerait pas s’il ressemblait à Florame. Cemême Clarimond fait venir son oncle Polémon au cinquième ; etces deux acteurs ainsi sont exempts du défaut que je remarque enGéraste. L’entretien de Daphnis, au troisième, avec cet amantdédaigné, a une affectation assez dangereuse, de ne dire que chacunun vers à la fois ; cela sort tout à fait du vraisemblable,puisque naturellement on ne peut être si mesuré en ce qu’ons’entredit. Les exemples d’Euripide et de Sénèque pourraientautoriser cette affectation, qu’ils pratiquent si souvent, et mêmepar discours généraux, qu’il semble que leurs acteurs ne viennentquelquefois sur la scène que pour s’y battre à coups desentences : mais c’est une beauté qu’il ne leur faut pasenvier. Elle est trop fardée pour donner un amour raisonnable àceux qui ont de bons yeux, et ne prend pas assez de soin de cacherl’artifice de ses parures, comme l’ordonne Aristote.

Géraste n’agit pas mal en vieillard amoureux,puisqu’il ne traite l’amour que par tierce personne, qu’il neprétend être considérable que par son bien, et qu’il ne se produitpoint aux yeux de sa maîtresse, de peur de lui donner du dégoût parsa présence. On peut douter s’il ne sort point du caractère desvieillards, en ce qu’étant naturellement avares, ils considèrent lebien plus que toute autre chose dans les mariages de leurs enfants,et que celui-ci donne assez libéralement sa fille à Florame, malgréson peu de fortune, pourvu qu’il en obtienne sa sœur. En cela, j’aisuivi la peinture que fait Quintilien d’un vieux mari qui a épouséune jeune femme, et n’ai point de scrupule de l’appliquer à unvieillard qui se veut marier. Les termes en sont si beaux, que jen’ose les gâter par ma traduction : Genus infirmissimaeservitutis est senex maritus, et flagrantius uxoriœcharitatis ardorem frigidis concipimus affectibus. C’est surces deux lignes que je me suis cru bien fondé à faire dire de cebonhomme que,

… s’il pouvait donner trois Daphnis pourFlorise,

Il la tiendrait encore heureusementacquise.

Il peut naître encore une autre difficulté surce que Théante et Amarante forment chacun un dessein pour traverserles amours de Florame et Daphnis, et qu’ainsi ce sont deuxintrigues qui rompent l’unité d’action. À quoi je réponds,premièrement, que ces deux desseins formés en même temps, etcontinués tous deux jusqu’au bout, font une concurrence quin’empêche pas cette unité ; ce qui ne serait pas si, aprèscelui de Théante avorté, Amarante en formait un nouveau de sapart ; en second lieu, que ces deux desseins ont une espèced’unité entre eux, en ce que tous deux sont fondés sur l’amour queClarimond a pour Daphnis, qui sert de prétexte à l’un et àl’autre ; et enfin, que de ces deux desseins il n’y en a qu’unqui fasse effet, l’autre se détruisant de soi-même, et qu’ainsi lafourbe d’Amarante est le seul véritable nœud de cette comédie, oùle dessein de Théante ne sert qu’à un agréable épisode de deuxhonnêtes gens qui jouent tour à tour un poltron et le tournent enridicule.

Il y avait ici un aussi beau jeu pour les aparte qu’en la Veuve : mais j’y en fais voir la même aversion,avec cet avantage, qu’une seule scène qui ouvre le théâtre donneici l’intelligence du sens caché de ce que disent mes acteurs, etqu’en l’autre j’en emploie quatre ou cinq pour l’éclaircir.

L’unité de lieu est assez exactement gardée encette comédie, avec ce passe-droit toutefois dont j’ai déjà parlé,que tout ce que dit Daphnis à sa porte ou en la rue serait mieuxdit dans sa chambre, où les scènes qui se font sans elle et sansAmarante ne peuvent se placer. C’est ce qui m’oblige à la fairesortir au-dehors, afin qu’il y puisse avoir et unité de lieuentière, et liaison de scène perpétuelle dans la pièce ; cequi ne pourrait être, si elle parlait dans sa chambre, et lesautres dans la rue.

J’ai déjà dit que je tiens impossible dechoisir une place publique pour le lieu de la scène que cetinconvénient n’arrive ; j’en parlerai encore plus au long,quand je m’expliquerai sur l’unité de lieu. J’ai dit que la liaisonde scènes est ici perpétuelle, et j’y en ai mis de deux sortes, deprésence et de vue. Quelques-uns ne veulent pas que quand un acteursort du théâtre pour n’être point vu de celui qui y vient, celafasse une liaison ; mais je ne puis être de leur avis sur cepoint, et tiens que c’en est une suffisante quand l’acteur quientre sur le théâtre voit celui qui en sort, ou que celui qui sortvoit celui qui entre, soit qu’il le cherche, soit qu’il le fuie,soit qu’il le voie simplement sans avoir intérêt à le chercher ni àle fuir. Aussi j’appelle en général une liaison de vue ce qu’ilsnomment une liaison de recherche. J’avoue que cette liaison estbeaucoup plus imparfaite que celle de présence et de discours, quise fait lorsqu’un acteur ne sort point du théâtre sans y laisser unautre à qui il ait parlé ; et dans mes derniers ouvrages je mesuis arrêté à celle-ci sans me servir de l’autre ; mais enfinje crois qu’on s’en peut contenter, et je la préférerais debeaucoup à celle qu’on appelle liaison de bruit, qui ne me semblepas supportable, s’il n’y a de très justes et de très importantesoccasions qui obligent un acteur à sortir du théâtre quand il enentend : car d’y venir simplement par curiosité, pour savoirce que veut dire ce bruit, c’est une si faible liaison, que je neconseillerais jamais personne de s’en servir.

La durée de l’action ne passerait point encette comédie celle de la représentation, si l’heure du dîner n’yséparait point les deux premiers actes. Le reste n’emporte que cetemps-là ; et je n’aurais pu lui en donner davantage, que mesacteurs n’eussent le loisir de s’éclaircir ; ce qui lesbrouille n’étant qu’un malentendu qui ne peut subsister qu’autantque Géraste, Florame et Daphnis ne se trouvent point tous troisensemble. Je n’ose dire que je m’y suis asservi à faire les actessi égaux, qu’aucun n’a pas un vers plus que l’autre : c’estune affectation qui ne fait aucune beauté. Il faut, à la vérité,les rendre les plus égaux qu’il se peut ; mais il n’est pasbesoin de cette exactitude ; il suffit qu’il n’y ait pointd’inégalité notable qui fatigue l’attention de l’auditeur enquelques-uns, et ne la remplisse pas dans les autres.

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