Scène VIII
Florame
Dépourvu de conseil comme de sentiment,
L’excès de ma douleur m’ôte le jugement.
De tant de biens promis je n’ai plus que savue,
Et mes bras impuissants ne l’ont pasretenue ;
Et même je lui laisse abandonner ce lieu,
Sans trouver de parole à lui dire unadieu.
Ma fureur pour Daphnis a de lacomplaisance ;
Mon désespoir n’osait agir en sa présence,
De peur que mon tourment aigrît sesdéplaisirs ;
Une pitié secrète étouffait messoupirs :
Sa douleur, par respect, faisait taire lamienne ;
Mais ma rage à présent n’a rien qui laretienne.
Sors, infâme vieillard, dont leconsentement
Nous a vendu si cher le bonheur d’unmoment ;
Sors, que tu sois puni de cette humeurbrutale
Qui rend ta volonté pour nos feux inégale.
À nos chastes amours qui t’a faitconsentir,
Barbare ? mais plutôt qui t’en faitrepentir ?
Crois-tu qu’aimant Daphnis, le titre de sonpère
Débilite ma force ou rompe macolère ?
Un nom si glorieux, lâche, ne t’est plusdû ;
En lui manquant de foi, ton crime l’aperdu.
Plus j’ai d’amour pour elle, et plus pour toide haine
Enhardit ma vengeance et redouble tapeine :
Tu mourras ; et je veux, pour finir mesennuis,
Mériter par ta mort celle où tu me réduis.
Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée
Parle d’ôter la vie à qui te l’adonnée !
Je t’aime, et je t’oblige à m’avoir enhorreur,
Et ne connais encor qu’à peine monerreur !
Si je suis sans respect pour ce que turespectes,
Que mes affections ne t’en soient passuspectes ;
De plus réglés transports me feraienttrahison ;
Si j’avais moins d’amour, j’aurais de laraison :
C’est peu que de la perdre, après t’avoirperdue ;
Rien ne sert plus de guide à mon âmeéperdue :
Je condamne à l’instant ce que j’airésolu ;
Je veux, et ne veux plus sitôt que j’aivoulu.
Je menace Géraste, et pardonne à tonpère ;
Ainsi rien ne me venge, et tout medésespère.