Scène première
Théante,Damon
Théante
Croirais-tu qu’un moment m’ait pu changer desorte
Que je passe à regret par-devant cetteporte ?
Damon
Que ton humeur n’a-t-elle un peu plus tôtchangé !
Nous aurions vu l’effet où tu m’as engagé.
Tantôt quelque démon, ennemi de ta flamme,
Te faisait en ces lieux accompagnerFlorame :
Sans la crainte qu’alors il te prît poursecond,
Je l’allais appeler au nom deClarimond ;
Et comme si depuis il était invisible,
Sa rencontre pour moi s’est rendueimpossible.
Théante
Ne le cherche donc plus. À bienconsidérer,
Qu’ils se battent, ou non je n’en puisqu’espérer.
Daphnis, que son adresse a malgré moiséduite,
Ne pourrait l’oublier, quand il serait enfuite.
Leur amour est trop forte ; et d’ailleursson trépas,
Le privant d’un tel bien, ne me le donnepas.
Inégal en fortune à ce qu’est cette belle,
Et déjà par malheur assez mal voulud’elle,
Que pourrais-je, après tout, prétendre de sespleurs ?
Et quel espoir pour moi naîtrait de sesdouleurs ?
Deviendrais-je par là plus riche ou plusaimable ?
Que si de l’obtenir je me trouveincapable,
Mon amitié pour lui, qui ne peut expirer,
À tout autre qu’à moi me le faitpréférer ;
Et j’aurais peine à voir un troisième en saplace.
Damon
Tu t’avises trop tard ; que veux-tu queje fasse ?
J’ai poussé Clarimond à lui faire unappel ;
J’ai charge de sa part de lui rendre uncartel.
Le puis-je supprimer ?
Théante
Non, mais tu pourrais faire…
Damon
Quoi ?
Théante
Que Clarimond prît un sentiment contraire.
Damon
Le détourner d’un coup où seul je l’aiporté !
Mon courage est mal propre à cettelâcheté.
Théante
À de telles raisons je n’ai de répartie,
Sinon que c’est à moi de rompre la partie.
J’en vais semer le bruit.
Damon
Et sur ce bruit tu veux…
Théante
Qu’on leur donne dans peu des gardes à tousdeux,
Et qu’une main puissante arrête leurquerelle.
Qu’en dis-tu, cher ami ?
Damon
L’invention est belle,
Et le chemin bien court à les mettred’accord ;
Mais souffre auparavant que j’y fasse uneffort.
Peut-être mon esprit trouvera quelque ruse
Par où, sans en rougir, du cartel jem’excuse.
Ne donnons point sujet de tant parler denous,
Et sachons seulement à quoi tu te résous.
Théante
À les laisser en paix, et courir l’Italie
Pour divertir le cours de ma mélancolie,
Et ne voir point Florame emporter à mesyeux
Le prix où prétendait mon cœur ambitieux.
Damon
Amarante, à ce compte, est hors de tapensée ?
Théante
Son image du tout n’en est pas effacée.
Mais…
Damon
Tu crains que pour elle on te fasse unduel.
Théante
Railler un malheureux, c’est être tropcruel.
Bien que ses yeux encor règnent sur moncourage,
Le bonheur de Florame à la quitterm’engage ;
Le ciel ne nous fit point, et pareils, etrivaux,
Pour avoir des succès tellement inégaux.
C’est me perdre d’honneur, et par cettepoursuite,
D’égal que je lui suis, me ranger à sasuite.
Je donne désormais des règles à mesfeux ;
De moindres que Daphnis sont incapablesd’eux ;
Et rien dorénavant n’asservira mon âme
Qui ne me puisse mettre au-dessus deFlorame.
Allons, je ne puis voir sans milledéplaisirs
Ce possesseur du bien où tendaient mesdésirs.
Damon
Arrête. Cette fuite est hors debienséance,
Et je n’ai point d’appel à faire en taprésence.
(Théante le retire du théâtre commepar force.)