Scène IX
Amarante
Je le perds donc, l’ingrat, sans que monartifice
Ait tiré de ses maux aucun soulagement,
Sans que pas un effet ait suivi ma malice,
Où ma confusion n’égalât son tourment.
Pour agréer ailleurs il tâchait à meplaire,
Un amour dans la bouche, un autre dans lesein :
J’ai servi de prétexte à son feutéméraire,
Et je n’ai pu servir d’obstacle à sondessein.
Daphnis me le ravit, non par son beauvisage,
Non par son bel esprit ou ses douxentretiens,
Non que sur moi sa race ait aucunavantage,
Mais par le seul éclat qui sort d’un peu debiens.
Filles que la nature a si bien partagées,
Vous devez présumer fort peu de vosattraits ;
Quelque charmants qu’ils soient, vous êtesnégligées,
À moins que la fortune en rehausse lestraits.
Mais encor que Daphnis eût captivéFlorame,
Le moyen qu’inégal il en fûtpossesseur ?
Destins, pour rendre aisé le succès de saflamme,
Fallait-il qu’un vieux fou fût épris de sasœur ?
Pour tromper mon attente, et me faire unsupplice,
Deux fois l’ordre commun se renverse en unjour ;
Un jeune amant s’attache aux lois del’avarice,
Et ce vieillard pour lui suit celles del’amour.
Un discours amoureux n’est qu’une fausseamorce,
Et Théante et Florame ont feint pour moi desfeux ;
L’un m’échappe de gré, comme l’autre deforce ;
J’ai quitté l’un pour l’autre, et je les perdstous deux.
Mon cœur n’a point d’espoir dont je ne soisséduite,
Si je prends quelque peine, une autre en a lesfruits ;
Et dans le triste état où le ciel m’aréduite,
Je ne sens que douleurs, et ne prévoisqu’ennuis.
Vieillard, qui de ta fille achètes unefemme
Dont peut-être aussitôt tu serasmécontent,
Puisse le ciel, aux soins qui te vont rongerl’âme,
Dénier le repos du tombeau quit’attend !
Puisse le noir chagrin de ton humeurjalouse
Me contraindre moi-même à déplorer tonsort,
Te faire un long trépas, et cette jeuneépouse
User toute sa vie à souhaiter ta mort !