Scène IX
Théante,Damon
Théante
Ami, que tu m’as fait plaisir !
J’étais fort à la gêne avec cettesuivante.
Damon
Celle qui te charmait te devient bienpesante.
Théante
Je l’aime encor pourtant ; mais monambition
Ne laisse point agir mon inclination.
Ma flamme sur mon cœur en vain est la plusforte,
Tous mes désirs ne vont qu’où mon dessein lesporte.
Au reste, j’ai sondé l’esprit de monrival.
Damon
Et connu…
Théante
Qu’il n’est pas pour me faire grand mal.
Amarante m’en vient d’apprendre unenouvelle
Qui ne me permet plus que j’en sois encervelle.
Il a vu…
Damon
Qui ?
Théante
Daphnis, et n’en a remporté
Que ce qu’elle devait à sa témérité.
Damon
Comme quoi ?
Théante
Des mépris, des rigueurs sans pareilles.
Damon
As-tu beaucoup de foi pour de tellesmerveilles ?
Théante
Celle dont je les tiens en parleassurément.
Damon
Pour un homme si fin, on te dupe aisément.
Amarante elle-même en est mal satisfaite,
Et ne t’a rien conté que ce qu’ellesouhaite :
Pour seconder Florame en ses intentions,
On l’avait écartée à des commissions.
Je viens de le trouver, tout ravi dans sonâme,
D’avoir eu les moyens de déclarer saflamme,
Et qui présume tant de ses prospérités,
Qu’il croit ses vœux reçus, puisqu’ils sontécoutés ;
Et certes son espoir n’est pas horsd’apparence ;
Après ce bon accueil et cette conférence,
Dont Daphnis elle-même a fait l’occasion,
J’en crains fort un succès à ta confusion.
Tâchons d’y donner ordre ; et, sans plusde langage
Avise en quoi tu veux employer moncourage.
Théante
Lui disputer un bien où j’ai si peu depart,
Ce serait m’exposer pour quelqu’autre auhasard.
Le duel est fâcheux, et quoi qu’il enarrive,
De sa possession l’un et l’autre il nousprive,
Puisque de deux rivaux, l’un mort, l’autres’enfuit,
Tandis que de sa peine un troisième a lefruit.
À croire son courage, en amour ons’abuse ;
La valeur d’ordinaire y sert moins que laruse.
Damon
Avant que passer outre, un peud’attention.
Théante
Te viens-tu d’aviser de quelqueinvention ?
Damon
Oui, ta seule maxime en fondel’entreprise.
Clarimond voit Daphnis, il l’aime, il lacourtise ;
Et quoiqu’il n’en reçoive encor que desmépris,
Un moment de bonheur lui peut gagner ceprix.
Théante
Ce rival est bien moins à redouter qu’àplaindre.
Damon
Je veux que de sa part tu ne doives riencraindre,
N’est-ce pas le plus sûr qu’un duelhasardeux
Entre Florame et lui les en prive tousdeux ?
Théante
Crois-tu qu’avec Florame aisément onl’engage ?
Damon
Je l’y résoudrai trop avec un peud’ombrage.
Un amant dédaigné ne voit pas de bon œil
Ceux qui du même objet ont un plus douxaccueil :
Des faveurs qu’on leur fait il forme sesoffenses,
Et pour peu qu’on le pousse, il court auxviolences.
Nous les verrions par là, l’un et l’autreécartés,
Laisser la place libre à tes félicités.
Théante
Oui, mais s’il t’obligeait d’en porter laparole ?
Damon
Tu te mets en l’esprit une craintefrivole.
Mon péril de ces lieux ne te bannirapas ;
Et moi, pour te servir je courrais autrépas.
Théante
En même occasion dispose de ma vie,
Et sois sûr que pour toi j’aurai la mêmeenvie.
Damon
Allons, ces compliments en retardentl’effet.
Théante
Le ciel ne vit jamais un ami si parfait.