Scène VI
Daphnis
Mon amour, par ses yeux plus fortedevenue,
L’eût bientôt emporté dessus maretenue ;
Et je sentais mon feu tellements’augmenter,
Qu’il n’était plus en moi de le pouvoirdompter.
J’avais peur d’en trop dire ; et cruelleà moi-même,
Parce que j’aime trop, j’ai banni ce quej’aime.
Je me trouve captive en de si beaux liens,
Que je meurs qu’il le sache, et j’en fuis lesmoyens.
Quelle importune loi que cette modestie
Par qui notre apparence en glace convertie
Étouffe dans la bouche, et nourrit dans lecœur,
Un feu dont la contrainte augmente lavigueur !
Que ce penser m’est doux ! que je t’aime,Florame !
Et que je songe peu, dans l’excès de maflamme,
À ce qu’en nos destins contre nous irrités
Le mérite et les biens fontd’inégalités !
Aussi par celle-là de bien loin tu mepasses,
Et l’autre seulement est pour les âmesbasses ;
Et ce penser flatteur me fait croireaisément
Que mon père sera de même sentiment.
Hélas ! c’est en effet bien flatter moncourage,
D’accommoder son sens aux désirs de monâge ;
Il voit par d’autres yeux, et veut d’autresappas.