Scène VIII
Théante,Amarante
Théante
Tu me vois sans Florame : un amoureuxennui
Assez étroitement m’a dérobé de lui.
Las de céder ma place à son discoursfrivole,
Et n’osant toutefois lui manquer deparole,
Je pratique un quart d’heure à mesaffections.
Amarante
Ma maîtresse lisait dans tes intentions.
Tu vois à ton abord comme elle a faitretraite,
De peur d’incommoder une amour siparfaite.
Théante
Je ne la saurais croire obligeante à cepoint.
Ce qui la fait partir ne se dira-t-ilpoint ?
Amarante
Veux-tu que je t’en parle avec toutefranchise ?
C’est la mauvaise humeur où Florame l’amise.
Théante
Florame ?
Amarante
Oui. Ce causeur voulaitl’entretenir ;
Mais il aura perdu le goût d’yrevenir :
Elle n’a que fort peu souffert sacompagnie,
Et l’en a chassé presque avec ignominie.
De dépit cependant ses mouvements aigris
Ne veulent aujourd’hui traiter que demépris ;
Et l’unique raison qui fait qu’elle mequitte,
C’est l’estime où te met près d’elle tonmérite :
Elle ne voudrait pas te voir malsatisfait,
Ni rompre sur-le-champ le dessein qu’elle afait.
Théante
J’ai regret que Florame ait reçu cettehonte :
Mais enfin auprès d’elle il trouve mal sonconte ?
Amarante
Aussi c’est un discours ennuyeux que lesien :
Il parle incessamment sans dire jamaisrien ;
Et n’était que pour toi je me fais cescontraintes,
Je l’envoierais bientôt porter ailleurs sesfeintes.
Théante
Et je m’assure aussi tellement en ta foi,
Que bien que tout le jour il cajole avectoi,
Mon esprit te conserve une amitié si pure,
Que sans être jaloux je le vois etl’endure.
Amarante
Comment le serais-tu pour un si tristeobjet ?
Ses imperfections t’en ôtent tout sujet.
C’est à toi d’admirer qu’encor qu’un beauvisage
Dedans ses entretiens à toute heuret’engage,
J’ai pour toi tant d’amour et si peu desoupçon,
Que je n’en suis jalouse en aucune façon.
C’est aimer puissamment que d’aimer de lasorte ;
Mais mon affection est bien encor plusforte.
Tu sais (et je le dis sans te mésestimer)
Que quand notre Daphnis aurait su techarmer,
Ce qu’elle est plus que toi mettrait horsd’espérance
Les fruits qui seraient dus à tapersévérance.
Plût à Dieu que le ciel te donnât assezd’heur
Pour faire naître en elle autant que j’aid’ardeur !
Voyant ainsi la porte à ta fortuneouverte,
Je pourrais librement consentir à maperte.
Théante
Je te souhaite un change autantavantageux.
Plût à Dieu que le sort te fût moinsoutrageux,
Ou que jusqu’à ce point il t’eûtfavorisée,
Que Florame fût prince, et qu’il t’eûtépousée !
Je prise, auprès des tiens, si peu mesintérêts,
Que bien que j’en sentisse au cœur milleregrets,
Et que de déplaisir il m’en coûtât la vie,
Je me la tiendrais lors heureusementravie.
Amarante
Je ne voudrais point d’heur qui vînt avec tamort,
Et Damon que voilà n’en serait pasd’accord.
Théante
Il a mine d’avoir quelque chose à me dire.
Amarante
Ma présence y nuirait : adieu, je meretire.
Théante
Arrête ; nous pourrons nous voir tout àloisir :
Rien ne le presse.