Scène IX
Florame,Daphnis
Daphnis
Quoi ! vous voilà, Florame ?
Je vous avais prié tantôt de me quitter.
Florame
Et je vous ai quittée aussi sanscontester.
Daphnis
Mais revenir sitôt, c’est me faire uneoffense.
Florame
Quand j’aurais sur ce point reçu quelquedéfense,
Si vous saviez quels feux ont pressé monretour,
Vous en pardonneriez le crime à mon amour.
Daphnis
Ne vous préparez point à dire desmerveilles,
Pour me persuader des flammes sanspareilles.
Je crois que vous m’aimez, et c’est en croireplus
Que n’en exprimeraient vos discourssuperflus.
Florame
Mes feux, qu’ont redoublés ces proposadorables,
À force d’être crus deviennentincroyables,
Et vous n’en croyez rien qui ne soitau-dessous.
Que ne m’est-il permis d’en croire autant devous !
Daphnis
Votre croyance est libre.
Florame
Il me la faudrait vraie.
Daphnis
Mon cœur par mes regards vous fait trop voirsa plaie.
Un homme si savant au langage des yeux
Ne doit pas demander que je m’expliquemieux.
Mais puisqu’il vous en faut un aveu de mabouche,
Allez, assurez-vous que votre amour metouche.
Depuis tantôt je parle un peu pluslibrement,
Ou, si vous le voulez, un peu plushardiment :
Aussi j’ai vu mon père, et s’il vous faut toutdire,
Avec tous nos désirs sa volonté conspire.
Florame
Surpris, ravi, confus, je n’ai querepartir.
Être aimé de Daphnis ! un père yconsentir !
Dans mon affection ne trouver plusd’obstacle !
Mon espoir n’eût osé concevoir ce miracle.
Daphnis
Miracles toutefois qu’Amarante aproduits ;
De sa jalouse humeur nous tirons ces douxfruits.
Au récit de nos feux, malgré son artifice,
La bonté de mon père a trompé samalice ;
Du moins je le présume, et ne puissoupçonner
Que mon père sans elle ait pu riendeviner.
Florame
Les avis d’Amarante, en trahissant maflamme,
N’ont point gagné Géraste en faveur deFlorame.
Les ressorts d’un miracle ont un plus hautmoteur,
Et tout autre qu’un dieu n’en peut êtrel’auteur.
Daphnis
C’en est un que l’Amour.
Florame
Et vous verrez peut-être
Que son pouvoir divin se fait iciparaître,
Dont quelques grands effets, avant qu’il soitlongtemps,
Vous rendront étonnée, et nos désirscontents.
Daphnis
Florame, après vos feux et l’aveu de monpère,
L’amour n’a point d’effets capables de meplaire.
Florame
Aimez-en le premier, et recevez la foi
D’un bienheureux amant qu’il met sous votreloi.
Daphnis
Vous, prisez le dernier qui vous donne lamienne.
Florame
Quoique dorénavant Amarante survienne
Je crois que nos discours iront d’un paségal,
Sans donner sur le rhume, ou gauchir sur lebal.
Daphnis
Si je puis tant soit peu dissimuler majoie,
Et que dessus mon front son excès ne sevoie,
Je me jouerai bien d’elle, et desempêchements
Que son adresse apporte à noscontentements.
Florame
J’en apprendrai de vous l’agréablenouvelle.
Un ordre nécessaire au logis me rappelle,
Et doit fort avancer le succès de nosvœux.
Daphnis
Nous n’avons plus qu’une âme et qu’un vouloirnous deux.
Bien que vous éloigner ce me soit unmartyre,
Puisque vous le voulez, je n’y puiscontredire.
Mais quand dois-je espérer de vous revoirici ?
Florame
Dans une heure au plus tard.
Daphnis
Allez donc : la voici.