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Scène VI

Florame,Théante

 

Florame

Quelle surprise, ami, paraît sur tonvisage ?

Théante

T’ayant cherché longtemps, je demeureconfus

De t’avoir rencontré quand je n’y pensaisplus.

Florame

Parle plus franchement : fâché de tapromesse,

Tu veux et n’oserais reprendre tamaîtresse !

Ta passion, qui souffre une trop dure loi,

Pour la gouverner seul te dérobait demoi ?

Théante

De peur que ton esprit formât cettecroyance,

De l’aborder sans toi je faisaisconscience.

Florame

C’est ce qui t’obligeait sans doute à mechercher ?

Mais ne te prive plus d’un entretien sicher.

Je te cède Amarante, et te rends taparole :

J’aime ailleurs ; et lassé d’uncompliment frivole,

Et de feindre une ardeur qui blesse mesamis,

Ma flamme est véritable, et son effetpermis :

J’adore une beauté qui peut disposerd’elle,

Et seconder mes feux sans me rendreinfidèle.

Théante

Tu veux dire Daphnis ?

Florame

Je ne puis te celer

Qu’elle est l’unique objet pour qui je veuxbrûler.

Théante

Le bruit vole déjà qu’elle est pour toi sansglace,

Et déjà d’un cartel Clarimond te menace.

Florame

Qu’il vienne, ce rival, apprendre, à sonmalheur,

Que s’il me passe en biens, il me cède envaleur,

Que sa vaine arrogance, en ce dueltrompée,

Me fasse mériter Daphnis à coupsd’épée :

Par là je gagne tout ; ma générosité

Suppléera ce qui fait notreinégalité ;

Et son père, amoureux du bruit de mavaillance,

La fera sur ses biens emporter la balance.

Théante

Tu n’en peux espérer un moindreévénement :

L’heur suit dans les duels le plus heureuxamant ;

Le glorieux succès d’une action si belle,

Ton sang mis au hasard, ou répandu pourelle,

Ne peut laisser au père aucun lieu derefus.

Tiens ta maîtresse acquise, et ton rivalconfus ;

Et sans t’épouvanter d’une vaine fortune

Qu’il soutient lâchement d’une valeurcommune,

Ne fais de son orgueil qu’un sujet demépris,

Et pense que Daphnis ne s’acquiert qu’à ceprix.

Adieu : puisse le ciel à ton amourparfaite

Accorder un succès tel que je lesouhaite !

Florame

Ce cartel, ce me semble, est trop long àvenir :

Mon courage bouillant ne se peutcontenir ;

Enflé par tes discours, il ne sauraitattendre

Qu’un insolent défi l’oblige à sedéfendre.

Va donc, et de ma part appelleClarimond ;

Dis-lui que pour demain il choisisse unsecond,

Et que nous l’attendrons au château deBicêtre.

Théante

J’adore ce grand cœur qu’ici tu faisparaître,

Et demeure ravi du trop d’affection

Que tu m’as témoigné par cette élection.

Prends-y garde pourtant ; pense à quoi tut’engages.

Si Clarimond, lassé de souffrir tantd’outrages,

Éteignant son amour, te cédait ce bonheur,

Quel besoin serait-il de le piquerd’honneur ?

Peut-être qu’un faux bruit nous apprend samenace :

C’est à toi seulement de défendre taplace.

Ces coups du désespoir des amants méprisés

N’ont rien d’avantageux pour lesfavorisés.

Qu’il recoure, s’il veut, à ces fâcheuxremèdes ;

Ne lui querelle point un bien que tupossèdes :

Ton amour, que Daphnis ne sauraitdédaigner,

Court risque d’y tout perdre, et n’y peut riengagner.

Avise encore un coup ; ta valeurinquiète

En d’extrêmes périls un peu trop tôt tejette.

Florame

Quels périls ? L’heur y suit le plusheureux amant.

Théante

Quelquefois le hasard en disposeautrement.

Florame

Clarimond n’eut jamais qu’une valeurcommune.

Théante

La valeur aux duels fait moins que lafortune.

Florame

C’est par là seulement qu’on mériteDaphnis.

Théante

Mais plutôt de ses yeux par là tu tebannis.

Florame

Cette belle action pourra gagner son père.

Théante

Je le souhaite ainsi plus que je nel’espère.

Florame

Acceptant un cartel, suis-je plusassuré ?

Théante

Où l’honneur souffrirait rien n’estconsidéré.

Florame

Je ne puis résister à des raisons sifortes :

Sur ma bouillante ardeur malgré moi tul’emportes.

J’attendrai qu’on m’attaque.

Théante

Adieu donc.

Florame

En ce cas,

Souviens-t’en, cher ami, tu me promets tonbras ?

Théante

Dispose de ma vie.

Florame,seul.

Elle est fort assurée,

Si rien que ce duel n’empêche sa durée.

Il en parle des mieux ; c’est un jeu quilui plaît ;

Mais il devient fort sage aussitôt qu’il enest,

Et montre cependant des grâces peuvulgaires

À battre ses raisons par des raisonscontraires.

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