Scène première
Damon,Théante
Damon
Ami, j’ai beau rêver, toute ma rêverie
Ne me fait rien comprendre en tagalanterie.
Auprès de ta maîtresse engager un ami,
C’est, à mon jugement, ne l’aimer qu’àdemi.
Ton humeur qui s’en lasse au changementl’invite ;
Et n’osant la quitter, tu veux qu’elle tequitte.
Théante
Ami, n’y rêve plus ; c’est en juger tropbien
Pour t’oser plaindre encor de n’y comprendrerien.
Quelques puissants appas que possèdeAmarante,
Je trouve qu’après tout ce n’est qu’unesuivante ;
Et je ne puis songer à sa condition
Que mon amour ne cède à mon ambition.
Ainsi, malgré l’ardeur qui pour elle mepresse,
À la fin j’ai levé les yeux sur samaîtresse,
Où mon dessein, plus haut et pluslaborieux,
Se promet des succès beaucoup plusglorieux.
Mais lors, soit qu’Amarante eût pour moiquelque flamme,
Soit qu’elle pénétrât jusqu’au fond de monâme,
Et que malicieuse elle prît du plaisir
À rompre les effets de mon nouveau désir,
Elle savait toujours m’arrêter auprèsd’elle
À tenir des propos d’une suite éternelle.
L’ardeur qui me brûlait de parler àDaphnis
Me fournissait en vain des détoursinfinis ;
Elle usait de ses droits, et touteimpérieuse,
D’une voix demi-gaie etdemi-sérieuse :
« Quand j’ai des serviteurs, c’est pourm’entretenir,
Disait-elle ; autrement, je les sais bienpunir ;
Leurs devoirs près de moi n’ont rien qui lesexcuse. »
Damon
Maintenant je devine à peu près une ruse
Que tout autre en ta place à peineentreprendrait.
Théante
Écoute, et tu verras si je suis maladroit.
Tu sais comme Florame à tous les beauxvisages
Fait par civilité toujours de feintshommages,
Et sans avoir d’amour offrant partout desvœux,
Traite de peu d’esprit les véritablesfeux.
Un jour qu’il se vantait de cette humeurétrange,
À qui chaque objet plaît, et que pas un nerange,
Et reprochait à tous que leur peu debeauté
Lui laissait si longtemps garder saliberté :
« Florame, dis-je alors, ton âmeindifférente
Ne tiendrait que fort peu contre monAmarante. »
« Théante, me dit-il, il faudraitl’éprouver ;
Mais l’éprouvant, peut-être on te feraitrêver :
Mon feu, qui ne serait que purecourtoisie,
La remplirait d’amour, et toi dejalousie. »
Je réplique, il repart, et nous tombonsd’accord
Qu’au hasard du succès il y ferait effort.
Ainsi je l’introduis ; et par ce tourd’adresse,
Qui me fait pour un temps lui céder mamaîtresse,
Engageant Amarante et Florame au discours,
J’entretiens à loisir mes nouvellesamours.
Damon
Fut-elle, sur ce point, ou fâcheuse, oufacile ?
Théante
Plus que je n’espérais je l’y trouvaidocile ;
Soit que je lui donnasse une fort douceloi,
Et qu’il fût à ses yeux plus aimable quemoi ;
Soit qu’elle fît dessein sur ce fameuxrebelle,
Qu’une simple gageure attachait auprèsd’elle,
Elle perdit pour moi son importunité,
Et n’en demanda plus tant d’assiduité.
La douceur d’être seule à gouvernerFlorame
Ne souffrit plus chez elle aucun soin de maflamme,
Et ce qu’elle goûtait avec lui de plaisirs
Lui fit abandonner mon âme à mes désirs.
Damon
On t’abuse, Théante ; il faut que je tedie
Que Florame est atteint de même maladie,
Qu’il roule en son esprit mêmes desseins quetoi,
Et que c’est à Daphnis qu’il veut donner safoi.
À servir Amarante il met beaucoupd’étude ;
Mais ce n’est qu’un prétexte à faire unehabitude :
Il accoutume ainsi ta Daphnis à le voir,
Et ménage un accès qu’il ne pouvait avoir.
Sa richesse l’attire, et sa beauté leblesse ;
Elle le passe en biens, il l’égale ennoblesse,
Et cherche, ambitieux, par sa possession,
À relever l’éclat de son extraction.
Il a peu de fortune, et beaucoup decourage ;
Et hors cette espérance, il hait lemariage.
C’est ce que l’autre jour en secret ilm’apprit ;
Tu peux, sur cet avis, lire dans sonesprit.
Théante
Parmi ses hauts projets il manque deprudence,
Puisqu’il traite avec toi de telleconfidence.
Damon
Crois qu’il m’éprouvera fidèle au dernierpoint,
Lorsque ton intérêt ne s’y mêlera point.
Théante
Je dois l’attendre ici. Quitte-moi, je teprie,
De peur qu’il n’ait soupçon de tasupercherie.
Damon
Adieu. Je suis à toi.