Le Marquis de Loc-Ronan

Chapitre 17CHOUANS ET SANS-CULOTTES

Brutus conduisit ses compagnons dans une vastesalle dont les fenêtres donnaient sur la Loire ; c’étaitl’ancienne salle à manger du fermier général : mais lecabaretier l’avait rendue méconnaissable. Puis, sous prétexte decommander à souper, Brutus sortit presque aussitôt. Lesans-culotte, qui connaissait les êtres de la maison, se dirigeavers la cuisine dans laquelle il trouva le cabaretier.

– As-tu du monde dans ta cassine ?demanda-t-il brusquement.

– Je n’ai que toi et tes amis, réponditNicoud.

– Bien sûr ?

– Dam ! visite la maison depuis lacave jusqu’au grenier, et si tu y trouves un visage humain autreque le tien, le mien et ceux de tes compagnons, tu me traiterascomme vous avez traité cet aristocrate de Claude, le cabaretier deRichebourg.

Maître Nicoud faisait allusion à des actes deférocité commis deux jours auparavant par la compagnie Marat sur unpauvre homme dont le seul crime avait été de prier lessans-culottes de solder leurs dépenses. Brutus sourit agréablementà ce souvenir, et reprenant la parole :

– C’est bon ; je veux le croire.Ainsi il n’y a personne que nous ici ?

– Personne que vous.

– Eh bien !… tu vas filertoi-même.

– Moi ?

– Et vivement.

– Pourquoi ?

– Ça ne te regarde pas.

– Et où veux-tu que j’aille à cetteheure ?

– Ça m’est tout à fait égal.

– Mais…

– Ah ! pas d’observations, ou jet’envoie à l’entrepôt.

– Faut donc que je vous laisse mamaison ?

– Oui.

– Toute la nuit ?

– Oui.

– Cependant…

– Rien ! interrompit Brutus. Lapatrie est en danger, et nous sommes en train de la sauver. Si tunous en empêches, tu deviens un ami des aristocrates, et tu sais cequ’on en fait, n’est-ce pas, des aristocrates ?

Un geste atroce accompagna la phrase.

– Je m’en vais, citoyen, je m’envais ! dit vivement le malheureux aubergiste en frissonnant detous ses membres.

Le pauvre Nicoud s’apercevait depuis quelquetemps que la situation du cabaretier attitré des sans-culottescomportait une foule de désagréments qui en balançaientfâcheusement l’honneur.

– Avant cela, reprit Brutus, tu nousapporteras du vin et du meilleur !

– Oui, citoyen oui !

Sur ce, Brutus pirouetta sur ses sabots etreprit le chemin de la grande salle.

– J’ai idée que c’est des gros négociantsmêlés d’aristocrates, qui nous la payeront bonne en louis d’or,murmura-t-il. En tout cas, faut que je saigne celui qui m’aétranglé, et que je vide la bourse de celui que m’a désignéNiveau.

Brutus, en entrant, trouva ses compagnonsassis autour d’une vaste table. Soit hasard, soit intentionpréméditée, les trois royalistes se trouvaient assis chacun entredeux sans-culottes. Brutus sourit en remarquant ce détail, et lançaun regard d’intelligence à Spartacus. La conversation était déjàengagée entre Marcof, Boishardy et les membres de la compagnieMarat.

– Ainsi, disait Marcof qui poursuivaittoujours la même pensée relative à Philippe, ainsi on ne dresserapas une liste des aristocrates noyés ce soir ?

– Pas plus que de ceux qui sont encoresur la place du Département, répondit Spartacus.

– Pourquoi ?

– Imbécile ! Pour faire une liste,faut-il pas savoir les noms ?

– Sans doute.

– Eh bien ?

– Eh bien quoi ?

– Est-ce qu’on se donne la peine deprendre les noms de tous ces gueux-là ? On les tire del’entrepôt par fournées, au hasard. Les uns ont la chance de labaignade, les autres celle de la mitraillade, voilà !

– Mais on ne les juge donc pas ?

– Est-ce qu’on a le temps !D’ailleurs, pourquoi les juger, ne sont-ils pas touscoupables ?

– Ah çà ! dit Brutus en prenant unsiège, qu’est-ce que ça te fait à toi, qu’on les juge ou non, qu’ondresse des listes ou qu’on n’en dresse pas ? Tu as doncintérêt à savoir les noms des aristocrates qui restent, que tudemandes ceux des brigands qui s’en vont ?

– C’est possible, répondit Marcof ;j’ai connu du monde jadis à Nantes, et j’aurais voulu savoir siceux que je connaissais étaient morts ou vivants.

– Carrier lui-même ne pourrait pas terépondre. Il n’en sait rien. Faudrait fouiller les prisons pourconnaître ceux qui y sont encore.

– Mais ce délégué de Paris dont tu meparlais, ne pourrait-il pas me renseigner, lui ?

– Le citoyen Fougueray ?

– Oui.

– Dame ! c’est possible. Mais il nes’agit pas de ça ; nous allons boire !

– Nous boirons, soit ; mais tu m’aspromis d’envoyer chercher le délégué du Comité de salut public deParis, et je te rappelle ta promesse.

– Bah ! nous verrons demainmatin.

– Non, ce soir !

– Ah çà ! tu tiens donc bien à voirle citoyen Fougueray ?

– Énormément.

– Cette nuit ?

– Je te l’ai dit.

– Qu’est-ce que tu lui veux de sipressé ? Tu tiens donc bien à te renseigner sur lesaristocrates ! Est-ce que tu es de leurs amis ?

– Ça ne te regarde pas.

– Je veux le savoir, moi ! hurlaBrutus, emporté par sa brutalité, et peut-être par le désir defaire naître une querelle.

– Comment as-tu prononcé ?

– J’ai dit : « Je veux lesavoir ! »

Au lieu de répondre, Marcof se laissa allersur le dossier de sa chaise, et se livra à un accès immodéré dejoyeuse hilarité. Brutus devint cramoisi de colère. Enfin, le marinreprit son sérieux, et désignant du geste un drapeau tricoloresuspendu au fond de la salle :

– Va lire ce qu’il y a écrit sur cedrapeau ! dit-il.

– Je ne sais pas lire, réponditBrutus ; je ne suis pas un aristocrate, moi !

– Eh bien ! je vais lire pourtoi.

Et Marcof se levant, et déployant le drapeauen attirant un coin à lui, récita à haute voix la fameuse légendeinscrite sur l’étendard : « Liberté !Égalité ! ou la Mort ! »

– Ce qui veut dire, continua Marcof,liberté à chacun de faire ce que bon lui semble, égalité desvolontés ; en d’autres termes, je suis libre de mes paroles etde mes actions, et s’il te plaît de dire : « Je veuxsavoir, » il me plaît à moi de te répondre : Je ne veuxpas t’apprendre ! Quant à ce qui concerne la« Mort, » j’ajouterai que je n’ai jamais refusé un coupde sabre à personne, et que je suis à ton service si tu te trouvesoffensé par mes paroles. Comprends-tu ?

– Je comprends que tu es unaristocrate !

– Bah ! tu crois ?

– Oui.

– Eh bien ! crois-le !

– Va, tu feras connaissance avec laguillotine !

– Bah ! l’acier du rasoir qui doitme couper la tête n’est pas encore trempé !

Marcof parlait ainsi en se laissant peu à peuentraîner par le sang qui bouillonnait dans son cerveau. Il savaitn’avoir affaire qu’à sept ennemis. Or, il avait deux compagnonsbraves et forts. Peu lui importait donc une lutte ; maiscependant il se contenait encore, ne voulant rien brusquer avantque Brutus n’envoyât chercher Fougueray.

Brutus, de son côté, lâche comme tous sessemblables, voulait agir seulement sur des hommes sans défense. Lavigueur dont Keinec avait fait preuve l’effrayait à juste titre.Déjà le jeune homme se soulevait sur son siège, et l’on sentait quesur un seul geste de Marcof, il allait prendre part à l’action quicommençait à s’engager. Brutus comprit que le moment n’était pasvenu, et il profita de la venue de maître Nicoud, lequel entrait ence moment portant des verres et des bouteilles, pour passer unepartie de sa colère.

– Arrive donc ! cria-t-il d’un tonmenaçant ; tu te donnes des airs de faire attendre dessans-culottes de la « compagnie Marat ! » Décidémenttu tournes à l’aristocrate, et ça ne peut pas durerlongtemps !

Le pauvre cabaretier déposa sur la table cequ’il portait dans ses mains et se retira sans répondre. Cependant,arrivé à la porte, il se retourna et s’adressant àBrutus :

– Tu n’as plus besoin de rien ?demanda-t-il.

– Non !

– Alors je vais sortir ; jelaisserai la clef sur la porte.

– Ah ! fit le sans-culotte enl’arrêtant de la main, puisque tu vas te promener, tu me feras unecommission.

– Avec plaisir, citoyen Brutus.

– Tu vas aller à Richebourg.

– Oui, citoyen.

– Tu connais la maison deCarrier ?

– Sans doute.

– Tu demanderas à la sentinelle lecitoyen Fougueray, et tu lui diras que des amis l’attendent cheztoi.

– C’est tout ?

– Qu’il vienne ce soir ; tuajouteras que Brutus l’attend et que la patrie est en danger !Ça le pressera.

– Bien.

– Il nous trouvera encore ici dans deuxheures.

– J’y vais !

– Es-tu content ? demanda Brutus ens’adressant à Marcof, tandis que maître Nicoud s’esquivait avecempressement.

– Oui, répondit le marin.

– Alors buvons, et pas de rancune.

– Buvons, je le veux bien.

– Et parlons un peu des affaires de laRépublique, ajouta Boishardy.

– Parlons-en.

– Y a-t-il longtemps que le citoyenFougueray est à Nantes ?

– Depuis deux jours.

– Et il est bien avec Carrier ?

– Je crois bien, c’est un ami dePinard.

– Qu’est-ce que c’est quePinard ?

– Comment tu ne connais pasPinard ?

– Non.

– C’est drôle !

– Eh non ! c’est naturel. Je t’aidit qu’il y avait six mois que nous avions quitté Nantes.

– Eh bien ! Pinard, c’est comme quidirait le chef de la compagnie Marat. Lui et Grandmaison, c’est lestrois doigts de la main avec Carrier ; c’est lui qui fixe lesrançons ?

– Quelles rançons ?

– Celles que payent les prisonniers.

– Les nobles ?

– Oh ! que non ! Depuis qu’on aconfisqué leurs biens, ils n’ont plus un liard à donner ;aussi on les exécute sans attendre ; mais les gros négociants,faut bien leur tirer le sang du ventre.

– Tiens ! c’est très adroit,cela.

– Tu trouves ?

– Parbleu !

– Comme ça, continua Brutus en affectantun ton goguenard, comme ça tu approuves les rançons ?

– Très bien !

– Et si tu étais incarcéré, tupayerais ?

– Peut-être.

– Eh bien ! j’ai dans l’idée que tupayeras, fit Brutus en se rapprochant de la porte à laquelle ildonna un tour de clef.

Boishardy et Marcof échangèrent de nouveau unregard significatif. Les choses commençaient à se dessinernettement. Le gentilhomme reprit néanmoins d’un ton parfaitementcalme :

– Qu’est-ce qui te donne cetteidée-là ?

– Je vais te le dire, répondit lesans-culotte, tandis que ses compagnons se levèrent vivement enportant la main à la poignée de leur sabre.

Marcof et Keinec bondirent sur leur siège etfurent sur la défensive en un clin d’œil. Boishardy ne bougea pas.Il arrêta même ses deux compagnons.

– Eh mais, dit-il froidement, il mesemble que le temps se gâte.

– Tu veux dire qu’il est gâté !hurla Brutus.

– Et à quoi devons-nous ce brusquechangement de température ?

– À ce que tu n’es pas plus sans-culotteque je ne suis aristocrate.

– Et puis après ?

– Après ?

– Oui.

– Eh bien ! toi et tes amis nousallons vous conduire à l’entrepôt ; à moins que…

– Que quoi ?

– Que nous ne nous entendions.

– Alors parle.

– Nous avons besoin d’argent.

– Bon.

– Il nous en faut.

– Combien ?

– Vingt-cinq louis chacun.

– En assignats ?

– En or !

– Diable ! vous êtes sept, et celafait cent soixante-quinze louis.

– Tout juste.

– Et tu crois que nouspayerons ?

– Si vous ne payez pas, vous y passerezdemain.

– Pour qui nous prends-tu donc ?

– Pour des gueux de négociants, pour desaccapareurs qui viennent affamer les bons patriotes. Allons !pas tant de raisons ! nous sommes sept, vous êtes trois ;allons-y gaiement !

– Qu’est-ce que vous en pensez ?demanda Boishardy en se tournant vers ses deux compagnons. Faut-ilpayer ?

– C’est mon avis, répondit Marcof ensouriant.

– À la bonne heure ! cria Brutustandis que la joie rayonnait sur le visage de ses amis.

– Eh bien ! reprit le gentilhommetoujours impassible, nous allons payer… mais pas en argent.

– Je t’ai dit que nous ne voulions pasd’assignats.

– Je ne t’en parle pas non plus.

– De quoi parles-tu alors ?

– D’un bon avis que je vais vousdonner.

– C’est une monnaie qui n’a pascours.

– Peut-être. Écoute-moi seulement.

Et Boishardy se leva à son tour.

– Vous connaissez les noms des chefs del’armée royaliste, n’est-ce pas ? demanda-t-il en haussant lavoix.

– Parbleu ! répondit Brutus, j’ai lesignalement de ces brigands dans ma poche.

– Vous savez que leur tête est mise àprix ?

– Oui.

– Combien Carrier estime-t-il une tête dechef ?

– Trois mille livres.

– Voulez-vous les gagner ?

– Tu connais un chouan ? fit Brutusen s’adoucissant subitement. Tu peux nous le livrer ?

– Oui.

– Quand cela ?

– Ce soir même.

– Loin d’ici ?

– Tout près.

– Et comment le nommes-tu ?

– Boishardy !

– Tu nous le livreras ?

– Je vous le jure !

– Si tu fais cela, je passe la rançonpour moitié.

– Bah ! tu n’en parleras même plus,ajouta Marcof ; car nous t’en livrerons deux au lieu d’un.

– Comment s’appelle le second ?

– Marcof le Malouin.

– Celui qui nous a enlevé une partie desprisonniers que les soldats nous amenaient deSaint-Nazaire ?

– Lui-même.

– Oh ! s’écria Brutus, Carrier a ditque s’il tenait celui-là, il donnerait deux mille livres deplus.

– Et il fera bien, car il en vaut lapeine ! répondit le marin. Marcof a dit qu’il tuerait Carrieret qu’il ferait pendre par les pieds au bout des vergues de sonnavire tous les misérables qui composent la compagnie Marat. Il adit que les sans-culottes comme toi et tes amis étaient desgalériens en rupture de ban. Il a dit qu’il égorgerait à son tourles égorgeurs de Nantes. Et tout ce qu’il dit, il a l’habitude dele faire. Ah ! continua Marcof en donnant enfin libre cours àsa fureur, ah ! vous avez pensé que nous étions des négociantsfaciles à rançonner ! Ah ! vous avez supposé que septbandits de votre espèce, sept misérables tirés de la fange deségouts sanglants feraient reculer trois hommes de cœur ! Nousvous avons promis de vous livrer deux chefs royalistes. Ehbien ! nous vous les livrons. À vous à les prendremaintenant ! Voici M. de Boishardy, et moi je suiscelui qui ai défait vos bandes sur la route de Saint-Nazaire, celuià propos duquel Carrier augmente le prix du sang ; je suisMarcof le Malouin ! Vive le roi !

– Vive le roi ! répétèrent Boishardyet Keinec.

Un moment d’hésitation suivit ces paroles. Lessans-culottes, stupéfiés de l’audace des chouans, reculèrent. Mais,réfléchissant bientôt qu’ils étaient sept contre trois, ils mirentle sabre à la main. Quelques-uns étaient armés de piques. D’autrespréparaient leurs pistolets. Brutus, toujours entre la porte desortie et les hommes qui emplissaient la salle, demeurait indécis.Keinec bondit sur lui et, le saisissant à la gorge, l’envoya roulersous la table.

– Tu m’appartiens ! cria le jeunehomme en brandissant son arme, et j’ai fait vœu de laver ma hacherougie dans le sang de tes victimes.

Ce fut le signal de la mêlée. Lessans-culottes, comprenant que c’était un combat mortel que celuiqui allait se livrer, s’élancèrent les premiers. Les misérablesignoraient à quels ennemis ils avaient affaire.

Marcof et Boishardy levèrent leurs bras armés,et deux d’entre eux tombèrent sans pousser un cri, tant le coup quiles frappa les atteignit rapidement. La lutte devenait presqueégale. Alors, ce qui se passa dans cette salle d’auberge futquelque chose d’horrible et d’indescriptible. Les sans-culottes sebattaient avec la rage du désespoir. Les trois chouans attaquaient,ivres de vengeance et de colère. Les cris et le choc des armes, lebruit des meubles brisés, celui des corps tombant lourdement sur lesol, le râle des mourants, tout cela formait un vacarme effrayant,rendu plus lugubre encore par le silence qui régnait au dehors.

Le combat se livrait à l’arme blanche. Deuxcoups de pistolet avaient seuls été tirés sans atteindre personne.Boishardy, Marcof et Keinec ne se servaient que de leur hached’abordage. Ils voulaient sentir les coups qu’ils frappaient.Brutus, blessé d’abord par Keinec au commencement de l’action,s’était relevé et avait bondi sur le jeune homme ; mais uncoup de hache qui l’atteignit en plein visage le renversa denouveau. Brutus râlait en se tordant dans les convulsions del’agonie.

Le drame qui se passait dans cette petiteauberge isolée était plus sinistre peut-être que ceux qui s’étaientpassés sur la place du Département et dans le lit de la Loire.L’élégant parquet sur lequel s’étaient posés jadis les petits piedsmignonnement chaussés des invitées du fermier général, ruisselaitalors du sang des patriotes. Les chaises, les tables brisées dansla lutte, le jonchaient de leurs débris mutilés ; lesbouteilles renversées laissaient couler à flots le vin qui semêlait au sang, tandis que leurs tessons servaient d’armes à ceuxqui avaient perdu les leurs.

Les sans-culottes, vaincus, blessés,épouvantés, faiblissaient rapidement. Quatre, tués sur le coup,gisaient près de la table. Deux autres, renversés sous les mainspuissantes de Keinec et de Boishardy, demandaient grâce d’une voixéteinte ; mais les deux chouans avaient trop longtemps contenul’éclat de leur colère : leur cerveau délirant ne leurpermettait pas de comprendre les supplications qui leur étaientadressées, et leurs ennemis tombèrent à leurs pieds, la poitrineouverte. Seul le septième vivait encore, et il s’efforçait degagner la porte de sortie, fermée à double tour par Brutus, alorsqu’il croyait être certain de la victoire, quand Marcof l’atteignitet l’envoya rouler auprès de ses compagnons.

Enfin les royalistes s’arrêtèrent avec leregret de ne plus avoir d’ennemis à combattre. Les cadavres dessans-culottes étaient étendus à terre baignés dans une mare de sangnoirâtre. La compagnie Marat était veuve de sept de ses enfants.Tous étaient morts.

Par surcroît de précaution, Keinec examinaattentivement chacun des corps et s’assura qu’aucun d’eux nepalpitait plus. Marcof, la bouche entr’ouverte, les narinesdilatées, regardait d’un œil étincelant l’horrible spectacle.

– Bien commencé ! dit Boishardy enessuyant le fer rougi de sa hache. Voilà de la besogne de moinspour le bourreau et des compagnes envoyées aux âmes de l’enfer.

– Tonnerre ! répondit Marcof ensoupirant, pourquoi n’étaient-ils que sept !

– Là, mon brave lion ! Nous noussommes fait la main, et nous recommencerons bientôt.

– Dieu le veuille ! fit Keinec.

– Dieu le voudra, car Dieu est juste, ditBoishardy en frappant sur l’épaule du jeune homme. Maintenant,qu’allons-nous faire de ces charognes.

– La Loire est proche…

– Eh bien ! jetons-y cescadavres.

– Pas encore, interrompit Marcof ;ne compromettons pas nos affaires par trop de précipitation…Laissons les choses dans l’état où elles sont. Je ne suis pas fâchéde donner audience dans cette salle à celui que Brutus a envoyéchercher.

– Croyez-vous donc qu’ilvienne ?

– Je l’espère.

– Non ! ce Fougueray est trop renardpour ne pas flairer la gueule du loup !

– Toujours est-il que nous devonsl’attendre.

– Soit ; attendons.

– Pendant ce temps Keinec va se rendre àl’auberge où nous avons laissé nos chevaux ; nous pouvons enavoir besoin.

Boishardy fit un geste d’assentiment. Marcoftira sa bourse de sa poche et la tendit à Keinec.

– Va vite, mon gars, dit-il au jeunehomme. Paie la dépense ; et si l’on s’inquiète des taches desang qui couvrent tes habits, tu répondras que tu as été près de laguillotine.

– On ne s’en inquiétera pas, réponditKeinec ; le costume que je porte en ce moment n’en est queplus exact.

– C’est juste. Va et fais promptement. Tunous retrouveras ici.

Keinec examina l’amorce de ses pistolets,raccrocha la hache à sa ceinture et s’élança au dehors. Boishardyet Marcof restèrent seuls. Ils repoussèrent du pied ceux descadavres qui les gênaient, et, prenant des sièges, ils sedisposèrent à attendre l’arrivée du citoyen Fougueray.

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