Le Marquis de Loc-Ronan

Chapitre 6NANTES

Il en est du sort des villes comme de celuides hommes. Pour celles-ci comme pour ceux-là le destin se montreclément ou cruel ; envers les unes comme envers les autres, ilest favorable ou néfaste, les conduisant de la naissance à la mort,de l’érection à la ruine, soit par une route dorée, toute parseméede joies et de bonheur, soit par un chemin escarpé et difficile,constamment bordé de ronces et de précipices.

De même que certains hommes, nés sous uneheureuse étoile, voient les obstacles s’aplanir sous leurs pas etarrivent à la prospérité suprême en compagnie de la santé, de labeauté et de la richesse, de même certaines cités, toujoursflorissantes, profitent des événements heureux, des circonstancesfavorables ; et jolies, riantes, situées pittoresquement, biensolides sur leurs fondations, atteignent un renom illustre qui faitaccourir dans leur sein les populations étrangères.

Pour d’autres, le contraire existe. Que devilles pauvres, malingres, rachitiques, déshéritées de la nature etdu hasard ! Combien d’autres voient leur avenir constammentassombri, leur prospérité d’un jour devenir misère, les calamitéssans nombre s’abattre sur elles !

Parmi ces dernières, ces villes martyres, ilen est peu en France qui aient subi des vicissitudes aussinombreuses que la vieille capitale de la Bretagne.

Nantes était née non seulement viable, maisencore vigoureusement constituée. Son enfance fut belle, et elleatteignit l’adolescence sous les auspices les plus brillants. Puistout à coup l’enfant bien portant devint débile : la guerre,le partage, l’incendie, ces terribles maladies des villes,rendirent sa jeunesse sombre et triste. L’âge mûr la vit puissante,vivace, supportant résolument les terribles secousses des fléauxqui fondirent sur elle ; souffrante un jour, convalescente lelendemain, en pleine santé la semaine suivante, il fallutl’épidémie révolutionnaire pour lui porter un coup dont elle ne putse relever. Vieille, maintenant, elle subit le sort ordinaire, etse voit abandonnée pour de plus jeunes ; mais comme ces femmesaimables sur le retour, qui savent encore attirer près d’elles uncercle d’amis fidèles et de jeunes gens intelligents, Nantes nesait pas et ne saura jamais ce que c’est que la tristesolitude.

L’époque de la fondation de Nantes est à peuprès inconnue. Entrepôt des métaux de l’Armorique et de laGrande-Bretagne, sous la domination romaine, elle acquit rapidementune importance véritable. Longtemps subsista près de la porteSaint-Pierre un monument qui attesta cette prospérité :c’était une salle voûtée, longue de cinquante pieds, large devingt-cinq, qui pouvait avoir été une bourse ou un tribunal decommerce.

Nantes florissait lorsque l’invasion desbarbares vint sécher dans sa source cette prospérité radieuse.Rattachée à la Bretagne sous Clovis, ramenée sous le joug desFrancs sous Clotaire, elle finit par recevoir le gouvernement d’unévêque, Félix, que Grégoire de Tours a chargé d’anathèmes, et queles Nantais révèrent encore. Félix commença cette série d’évêquesqui devaient exercer longtemps dans la ville de la souverainetétemporelle. Homme intelligent et instruit, Félix fut le bienfaiteurdu pays. L’Erdre se répandait en marais, il l’endigua. Nantes étaità quelques lieues de la Loire, au confluent de l’Erdre et du Seil,il amena, par des travaux gigantesques, la Loire dans la villemême, de sorte que Nantes se trouva baignée désormais par troiscours d’eau, dont un grand fleuve.

« C’est votre génie, Félix, écrivait àl’évêque le poète Fortunat, lors du deuxième concile de Tours,c’est votre génie qui, leur donnant un meilleur cours, force lesfleuves à couler dans un nouveau lit. Ô Félix ! que vous devezêtre habile à diriger la mobilité des hommes, vous qui avez susoumettre à vos lois des torrents rapides !… »

En 568, Félix fit à Nantes la dédicace d’unecathédrale commencée par son prédécesseur Evhémère, à la place mêmeoù s’élève la cathédrale actuelle. La conversion des Saxons duCroisic inaugura la nouvelle maison de Dieu, « dont levaisseau estoit si superbe en sa structure, dit le P. Albert, et siriche en ornemens et parures, qu’il ne s’en trouvoit pas de pareilen France. »

Comme on le voit, le clergé nantais étaitriche. Nantes reprenait toute sa prospérité première, et un miracleaccompli à ses portes l’avait consacrée en lui donnant un rangdistingué parmi les villes chrétiennes.

Un jour deux hommes se rendaient de compagnieau couvent de Vertou. Ces hommes étaient accompagnés d’un âneportant leurs bagages. L’un d’eux, nommé Martin, s’éloigna,recommandant à l’autre la garde de l’animal. Or, le compagnon,accablé de fatigue, s’endormit si bel et si bien, qu’il n’entenditpas, durant son sommeil, un ours gigantesque venir faire sondéjeuner du pauvre âne, lequel dut cependant ne pas se laisseravaler sans essayer de pousser quelques plaintes. Mais, soit que ledormeur eût l’oreille dure, soit qu’il eût un sommeil semblable àcelui de ce prince allemand qui ne se réveillait qu’au bruit d’unebatterie d’artillerie tonnant à la porte de sa chambre, toujoursfut-il qu’il n’ouvrit les yeux que pour voir l’ours s’en aller bientranquillement faire sa digestion du côté du fleuve. Le malheureux,désespéré, ne savait que dire à son compagnon, lorsque Martin futde retour. Heureusement l’ours avait respecté les bagages. Martin,sans plus s’embarrasser de la situation, appela l’ours, et luicommanda de porter les objets pesants qui gisaient sur le chemin.L’animal accourut, et se prêta de si bonne grâce à la circonstance,qu’il accompagna les deux amis, dont l’un tremblait de tous sesmembres, jusqu’à la porte du couvent. Grandes furent lastupéfaction et l’admiration des moines qui, en voyant ce miracle,ne purent faire autrement que de reconnaître pour un saint l’hommequi possédait une telle puissance sur les bêtes féroces. Donc,Martin devint saint Martin, se vit fêté et vénéré dans la contrée,et transforma le couvent en abbaye.

Grâce à ses évêques, qui la gouvernaientsagement, à sa situation éminemment favorable qui faisait d’elle undes marchés où les Francs rencontraient les Bas-Bretons, Nantesvoyait s’accroître de jour en jour sa richesse, son commerce et sapopulation. Mais on eût dit qu’il était écrit au livre du Destinque la prospérité de la ville, ayant acquis une certaine limite, nedevait jamais la franchir, et que la ruine l’atteindrait de périodeen période.

En comparant la vie de Nantes et la viehumaine, j’ai dit que sa jeunesse avait été maladive. La premièreépidémie qui fondit sur elle et faillit la tuer, fut l’invasion desbarbares. La seconde, qui la mit encore à deux doigts de sa perte,fut celle des Northmans. Un prétendant au comté de Nantes, nomméLambert, évincé par Charles le Chauve, appela ses pirates, quimarquent une époque de deuil dans l’histoire de presque toutes nosprovinces du littoral de l’Ouest. Trois fois les Northmansravagèrent et saccagèrent la ville au temps de Nomenoë etd’Erispoë, rois de Bretagne, qui essayèrent en vain de lescombattre. Salomon fit la paix avec eux et les laissa libresd’agir : si bien que ces sauvages, après avoir égorgé l’évêqueGohard et son clergé au pied des autels, chassèrent les habitantsqui s’enfuirent.

Pendant l’espace de trente annéesconsécutives, la ville ne fut plus qu’un vaste et triste désert.Enfin le comte Alain Barbe-Torte résolut de mettre un terme à cescruelles invasions. Rassemblant une armée imposante, il courut susaux pirates qu’il rencontra dans la « prée d’Aniane »(aujourd’hui quartier Sainte-Catherine).

Avant la bataille, les soldats du comte,privés d’eau depuis plusieurs heures, mouraient de soif. Alaininvoqua la Vierge, et une fontaine jaillit, qui fut nommée lafontaine de Notre-Dame.

Ce miracle, en portant l’épouvante dans lecœur des Northmans, augmenta l’ardeur de leurs ennemis, qui lesmassacrèrent impitoyablement. Alain voulut alors rentrer dansNantes ; mais telle avait été la calamité qui avait causél’abandon de la ville, et telles en étaient les funestesconséquences que, pour aller rendre grâces à Dieu dans la superbebasilique érigée par Félix, il lui fallut de son sabre se frayer unpassage à travers les ronces et les broussailles qui avaient poussésur les ruines. Cependant, avec Alain, la vie rentra dans lecadavre : le cœur de la cité palpita, ses principales artèresreprirent quelque animation, la population circula de nouveau, lecommerce revint, et, grâce au comte médecin, la santé repritrapidement force et vigueur, bien que durant le Xe, leXIe siècle et une partie du XIIe, desindispositions fréquentes entravassent la marche du rétablissementcomplet.

Ces indispositions nombreuses furent causéesd’abord par Conan le Tors, duc de Bretagne, qui s’empara violemmentde la ville. Foulques d’Anjou la délivra et battit le duc àConquereul en 992. Puis, annexée au trône ducal en 1084, ce fut larévolte contre ses ducs qui vint encore la désoler par decontinuelles dissensions intestines.

En dépit de ces guerres incessantes, de cesperpétuels déchirements, la ville, grâce à sa forte constitution,continuait sa marche ascendante vers le bien-être lorsqu’unerechute épouvantable vint la terrasser en 1118. À cette époque unincendie terrible la consuma, à ce point qu’il ne resta deboutqu’un ou deux édifices. Pour la seconde fois, il fallut la rebâtiren entier. De là vient qu’aujourd’hui, à dix pieds au-dessous dupavé de la nouvelle ville, on retrouve la chaussée del’ancienne.

On voit que le destin se montrait cruel enversla malheureuse cité. Enfin, après l’assassinat d’Arthur en 1202,Nantes passa sous le protectorat de Philippe-Auguste, quoiquedemeurant toujours annexée au duché de Bretagne, et vit recommencerune troisième ère de prospérité.

Alain Barbe-Torte avait jadis divisé la villeen trois parts : il en prit une, il avait donné la seconde auxseigneurs ses compagnons, et remis la troisième à l’évêque. Ce modede partage, qui se maintint longtemps après la mort du destructeurdes Northmans, fut une source de discordes. L’évêque, en souvenirde ses prédécesseurs qui avaient été maîtres absolus, se montratoujours jaloux de ses droits. Ses hommes ne prêtaient serment auduc que sous cette réserve : « Sauf la fidélité que nousdevons à l’évêque. » Le tiers des revenus bruts de la villerevenait au prélat, qui percevait rigoureusement et régulièrementses droits de « tierçage » et de « pastsnuptial ». En temps de guerre, son armée, sous la bannièreépiscopale, marchait distincte de l’armée ducale. De plus l’évêqueprétendait à une juridiction tout à fait indépendante de celle duduc, et on le voit même, dans un acte du XIIIe siècle,affirmer que son église est un fief plus noble que comté oubaronnie, et ne relève ni de duc, ni de prince, mais du pape seul.Enfin, lorsqu’il entrait dans la ville de Nantes, les quatre pluspuissants seigneurs du comté, les barons de Chateaubriand,d’Ancenis, de Retz et de Pontchâteau, étaient tenus, par uneancienne coutume, de le porter sur leurs épaules depuis le parvisde la cathédrale jusqu’au maître-autel. On vit un duc de Bretagnelui-même, Jean IV, comme baron de Retz et de Chateaubriand,placer sa noble épaule sous la chaise épiscopale.

Cependant, par suite de concessions mutuelles,les Nantais se soudèrent de plus en plus aux Bretons bretonnants,et si la ville ne marqua pas d’une manière prononcée dans lesguerres de parti dont la Bretagne fut le théâtre au XIVesiècle, elle se déclara pourtant avec énergie contre le roiCharles V, et, obligée d’ouvrir ses portes à Duguesclin, ellesaisit la première occasion de revenir au duc.

Jean V, reconnaissant, y établit sa résidenceet en fit la capitale du duché. Profitant de tous les avantagesattachés à ce nouveau titre, Nantes, plus forte, plus vivante etplus belle que jamais, traversa assez tranquillement la longuepériode qui aboutit à l’abolition du duché de Bretagne par lemariage de la duchesse Anne avec Charles VIII. Dès lors elledevint française ; mais on conçoit l’attachement que lesBretons conservèrent pour leurs souverains nationaux, lorsqu’onremarque que l’époque d’abolition du duché fut précisément la plusbrillante de la Bretagne indépendante.

François II avait établi une université àNantes ; il avait achevé, en 1480, ce beau château fondé en938 par Alain Barbe-Torte, et qui, plus tard, fit dire àHenri IV : « Ventre-saint-gris ! les ducs deBretagne n’étaient pas de petits compagnons. »

Des traités de commerce passés avecl’Angleterre, l’Espagne et les puissances du Nord, assuraient latranquillité de la marine. Alors aussi florissait le poète nantaisMeschinot, dont Marot prisait fort les vers, et Michel Colomb,l’habile sculpteur, qui devait élever le tombeau du dernierduc.

Nantes était si riche, qu’elle avait puenvoyer à Charles VIII deux navires de mille tonneaux chacun,et néanmoins, devenue française, elle devait voir encore saprospérité augmenter.

À chaque visite royale, la ville se livrait,par ostentation, à des prodigalités immenses qui dénotaient sarichesse. C’étaient des seize mille litres de vin, des dix millelivres de confitures, des joutes sur l’eau, des processions, desfêtes de toutes sortes organisées rapidement ou luxueusement, etqui augmentaient sa réputation par toute la France.

Sagement administrée, elle vit s’écouler, sansen souffrir, la pénible époque des guerres religieuses, respectanthumainement les cultes divers en dépit de l’un de ses évêques,Antoine de Créquy, qui voulait massacrer les protestants. À laSaint-Barthélemy, elle refusa énergiquement et héroïquement deprendre part aux horreurs commises. On lit encore aujourd’hui dansle livre de ses délibérations : « Rassemblés dans lamaison commune, le 3 septembre 1572, le maire de Nantes, leséchevins et suppôts de la ville, les juges consuls, firent leserment de maintenir celui précédemment fait de ne pointcontrevenir à l’édit de pacification rendu en faveur descalvinistes, et firent défense aux habitants de se porter à aucunexcès contre eux. »

Peut-être fut-ce cette déclaration, plusencore que sa révolte ouverte en faveur du duc de Mercœur, quiamena dans ses murs le Béarnais triomphant pour y rendre ce fameuxédit par lequel la tolérance religieuse aurait dû devenir une loide l’État, et qui, commenté, interprété, violé et rétabli tour àtour, fut la source de tant de maux et de tant de crimes.

Louis XIII vint trois fois àNantes ; la dernière, en 1626 : Richelieu l’accompagnaitet fit tomber, au pied du vieux château du Bouffay, la têteillustre d’Henri de Talleyrand, comte de Chalais, qui ne se détachacomplètement du corps qu’au trente-cinquième coup dehache !

Ce château du Bouffay ne devait pas manquer deprisonniers fameux : le cardinal de Retz, Fouquet, du Couédic,de Pontcallec, de Talhouët, de Montlouis, y furent incarcérés, lesquatre derniers pour n’en sortir que le 18 juin 1720, jour de leurexécution, à l’endroit même où Chalais était tombé.

Pendant le cours du XVIIIe siècle,Nantes atteignit l’apogée de sa splendeur. Calme et heureuse aprèsla conspiration Cellamare, elle étendit son commerce avec uneprodigieuse activité. Ses nombreux vaisseaux sillonnaient les mers,ses armateurs la transformaient en une ville coquette, élégante,spacieuse et admirablement construite.

Mais cette fois encore, comme les foisprécédentes, Nantes, arrivée au sommet de la colline de la fortunequ’elle avait gravie si péniblement, devait être subitementprécipitée de l’autre côté dans un effrayant abîme. Sa plusdouloureuse maladie allait encore lui ravir ses forces et sapuissance. Cette maladie, ce fléau, s’appela Jean-BaptisteCarrier.

La Révolution éclata ; la guerre deVendée survint. Nantes, qui avait donné tête baissée dans les idéesnouvelles, tenait pour la République. Les Vendéens résolurent des’en emparer. Onze mille hommes défendirent la ville contre lescent mille soldats de Cathelineau.

– Périr et assurer le triomphe de laliberté plutôt que de se rendre ! disait le maire Baco,soutenu par le vaillant général Canclaux. Soyons tous sous lesarmes, et décrétons la peine de mort contre quiconque parlera decapituler !

L’héroïque magistrat municipal fut blessé,mais Cathelineau fut tué, et Nantes fut sauvée. Pour la récompenserde cette belle défense, de ce sublime exemple donné aux autresvilles républicaines, la Convention ne trouva rien de mieux à faireque de lui envoyer Carrier.

Le jour même où Marcof confiait à Boishardyles secrets du marquis de Loc-Ronan, l’envoyé extraordinaire de laConvention nationale était à Nantes depuis deux mois accomplis. Lapauvre ville avait senti la griffe de ce tigre s’enfoncer dans sesflancs décharnés et amaigris par la souffrance. Le siége qu’elleavait soutenu l’avait déjà cruellement éprouvée. Ses faubourgs,incendiés et détruits, n’offraient plus que l’aspect désolé devastes ruines, et les bras, l’argent, le courage, manquaientégalement pour les relever. Les quelques maisons qui y restaientdebout chancelaient sur leurs murs noircis, crevassés par lesboulets et lézardés par les balles et la mitraille. Les habitants,épouvantés, s’étaient réfugiés dans l’intérieur de la ville. Lasolitude rendait plus affreux encore ce triste et navrant spectaclede la dévastation.

La ville proprement dite avait un peu moinssouffert. Deux quartiers entre autres étaient demeurés à l’abri desboulets : celui de l’île Feydeau d’abord, puis celui fondé en1785 par le capitaliste Graslin, qui lui avait donné son nom. LeBouffay, les quais et le port n’avaient pas eu non plus beaucoup àsouffrir ; et cependant l’aspect de la ville était plus sombreencore et plus désolé que celui des faubourgs. Nulle part on nevoyait plus ce mouvement, ce bruit, cette activité, qui décèlent lacité commerçante. Les rues étaient désertes, les quais mornes etsilencieux. Au Bouffay seul il y avait de l’animation. C’est quesur la grande place des exécutions se dressait l’échafaudsurmontant une cuve couverte d’un prélat rougeâtre.

Le prélat est un grand carré de toilegoudronnée. C’était un perfectionnement dû aux nombreusesréclamations des boutiquiers voisins, dont les magasins étaientinondés de sang par suite des exécutions journalières. Autour de laguillotine, on voyait des quantités de bancs, de tabourets et dechaises. D’intelligents spéculateurs les louaient aux chaudspatriotes pour les mettre à même de mieux contempler l’horriblespectacle.

Partout la stupeur et l’épouvante régnaient enmaîtresses absolues. En pénétrant dans cette pauvre ville,ensanglantée jour et nuit par des crimes auxquels l’imagination serefuse à croire, on eût dit contempler l’une de ces cités du moyenâge, agonisant sous la peste, et torturée par les mains de fer dequelque bandit qui l’étreignait. Les plus lâches tremblaient sousl’empire de la terreur ; les plus forts et les plus braves sesentaient engourdis et énervés. On ne savait plus résister à lamort ; elle venait, on ne la fuyait même pas. C’est que,hélas ! sur cette ville jadis si florissante s’appesantissaitle joug de l’un de ces monstres que la nature se plaît parfois àproduire pour prouver que rien ne lui est impossible, et que, sil’homme est le roi de la création par son génie, il peut aussi endevenir l’animal le plus odieux et le plus abject par sesvices.

Jean-Baptiste Carrier était né à Yolai, prèsd’Auriac, en 1756. Obscur procureur lorsque la Révolution éclata,il s’acharna immédiatement à la poursuite de la noblesse et se mitsur les rangs comme candidat à la Convention, à laquelle il futeffectivement envoyé en 1792.

Votant la mort de Louis XVI sans sursiset sans appel au peuple, il contribua ensuite à la formation dutribunal révolutionnaire, et prit une part active à la journée du31 mai, qui amena la proscription de la Gironde. À cette époque, laMontagne victorieuse, voulant imprimer aux départements uneimpulsion conforme à ses vues, songea à revêtir quelques-uns de sesmembres de pouvoirs proconsulaires. Chargé d’une missionextraordinaire en Normandie et dans le Nord, Carrier déploya uneexaltation frénétique qui lui valut l’approbation de ses amis. PuisNantes, laissant apparaître depuis le 31 mai des tendancesfédéralistes, on y envoya Carrier. Ses prédécesseurs, Foucher etVillers, Merlin et Gillet, lui avaient préparé les voies.

Carrier, commissaire de la Convention, arrivadans le chef-lieu du département de la Loire-Inférieure le 8octobre 1793, ayant en poche des instructions et des pouvoirsdiscrétionnaires qui l’autorisaient à employer toutes les rigueursqu’il jugerait convenables. C’était simplement envoyer tout entièrela ville de Nantes au bourreau, et c’était dignement la récompenserde sa belle défense patriotique. Au reste, Canclaux avait étérappelé, et Baco, le maire Baco, qui avait prodigué son sang pourla cause de la liberté, avait été jeté dans les prisons de l’Abbayependant un voyage qu’il avait fait à Paris. Avec le proconsul, laterreur était venue s’abattre sur la pauvre cité jadis florissante,maintenant morne et dévastée.

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