Mémoires de Casanova partie 1

CHAPITRE IX

Mon arrivée à Paris année 17501

Jea sors d’une péote à midi au Pont du Lac obscur ; je prends une chaise pour aller vite dîner à Ferrare. Je descends à l’auberge de S.t Marc2, et je monte précédé par un valet qui me conduisait à ma chambre. Un bruit de gaieté qui sortaitb d’une salle ouverte m’excite à voir ce que c’était. Je vois dix à douze personnes à table : c’est tout simple, et j’allais mon chemin ; mais je me sens arrêté par un le voilà prononcé par une jolie femme, qui se lève, et court à moi à bras ouverts, m’embrasse, et dit : vite un couvert pour mon cher cousin, et qu’on mette sa malle dans cette chambre près de celle-ci. Un jeune homme s’avance vers moi, et elle lui dit : ne vous l’ai-je pas dit qu’il devait arriver aujourd’hui ou demain ?

Elle me fait asseoir près d’elle, et tout le monde qui s’était levé pour me faire honneur se remet à sa place. Vous aurez sûrement bon appétit, me dit-elle en marchant sur mon pied, voilà mon futur que je vous présente, et voilà mon beau-père, et ma belle-mère. Ces dames, et ces messieurs sont des amis de la maison. D’où vient que ma mère n’est pas arrivée avec vous ?

Voilà enfin le moment dans lequel il faut que je parle : Votre mère, ma chère cousine, sera ici dans trois ou quatre jours.

Je regarde attentivement la friponne, et je la reconnais pour Cattinella3 danseuse fort connue, et à laquelle je n’avais parlé jamais de ma vie. Je vois qu’elle me fait jouer un faux personnage pour la commodité d’une pièce de sa composition, et dont elle avait besoin pour parvenir au dénouement. Curieux de savoir si je possédais bien le talent qu’elle me supposait, je m’y prête avec plaisir, sûr qu’elle me récompenserait pour le moins avec ses faveurs secrètes. Mon adresse devait consister à bien jouer mon rôle sansc me compromettre. Sous prétexte d’avoir besoin de manger je lui ai en attendant [5v] donné tout le temps qui nous était nécessaire pour me concerter. Elle me donna un bon essai de son esprit en m’expliquant tout le nœud de la fable par des propos qu’elle tenait, pendant que je mangeais, tantôt à l’un, tantôt à l’autre de la compagnie. J’ai relevé que son mariage ne pouvait se faire qu’à l’arrivée de sa mère qui devait lui porter ses habits, et ses diamants, et que j’étais le maestro qui allait à Turin pour composer la musique de l’opéra pour les noces du duc de Savoie4. Sûr qu’elle ne pourrait pas m’empêcher de partir le lendemain, j’ai vu que je ne risquais rien à jouer ce personnage. Sans la récompense nocturne que je me promettais j’aurais dit à la compagnie qu’elle est folle. Cattinella pouvait avoir l’âge de trente ans, elle était fort jolie, et célèbre par ses intrigues.

La prétendue belle-mère, qui était assise vis-à-vis de moi, remplit un verre pour moi, et devant allonger le bras pour le prendre elle observa ma main que je tenais comme estropiée.

— Qu’est-ce que cela ? me dit-elle.

— Une petite entorse qui passera.

— Cattinella éclatant de rire dit qu’elle en était fâchée, parce qu’on ne pourrait pas m’entendre au clavecin.

— J’admire que cela vous fasse rire.

— Je ris parce que je me souviens d’une entorse de commande que je me suis donnée il y a deux ans pour ne point danser.

Après le café, lad belle-mère dit que Mademoiselle Cattinella devait avoir à conférer avec moi sur des affaires de famille, et qu’il fallait nous laisser en liberté ; ainsi je me suis enfin vu seul avec cette intrigante dans la chambre contiguë à la sienne qu’elle m’avait destinée.

Elle se laissa aller sur un canapé pour s’abandonner à un rire qu’elle ne pouvait pas modérer. Elle me dit qu’elle était sûre de moi, malgré qu’elle ne me connût que de vue, et de nom, et elle finit par me dire que je ferais fort bien à partir le lendemain.

— Je suis ici, me dit-elle, depuis deux mois sans le sou : je n’ai que quelques robes, et du linge, que j’aurais dû vendre pour [6r] vivre, si je n’avais pas rendu amoureux le fils de l’hôte, que j’ai flatté de devenir sa femme en lui donnant une dot de vingt mille écus5 en diamants que je dois avoir à Venise, et que ma mère doit me porter. Ma mère n’a rien, ne sait rien de cette intrigue, et ne bougera pas de Venise.

— Dis-moi je t’en prie quel sera le dénouement de cette farce : je le prévois tragique.

— Tu te trompes. Très comique. J’attends ici un amant qui est le comte de Holstein6 frère de l’électeur de Mayence. Il m’a écrit de Francfort, il en est parti, et il doit être actuellement à Venise. Il viendra me prendre pour me conduire à la foire de Reggio7. Si mon prétendu s’avisait de faire le méchant, il est certain qu’il le rosserait en lui payant cependant ma dépense ; mais je ne veux ni qu’il le paye, ni qu’il le rosse. Au moment de m’en aller, je lui dirai à l’oreille que je retournerai, et tout sera tranquille, car je l’assurerai de l’épouser à mon retour.

— C’est à merveille ; tu as de l’esprit comme un ange, mais je n’attendrai pas ton retour pour t’épouser, cela doit se faire actuellement.

— Quelle folie ! Attends au moins cette nuit.

— Point du tout, car il me paraît d’entendre les chevaux de ton comte qui arrive. S’il n’arrive pas, nous n’y perdrons rien pour la nuit.

— Tu m’aimes donc ?

— À la folie ; et quand même ? Ta pièce mérite que je t’adore, et que je t’en assure. Allons vite.

— Attends. Ferme la porte. Tu as raison. C’est un épisode8 ; mais il est fort joli.

Vers le soir toute la maison monta chez nous, et on parla d’aller prendre l’air. On s’y disposait, lorsqu’on entendit le bruit d’un équipage à six chevaux qui arrivait en poste. Cattinella regarde de la fenêtre, et dit à tout le monde de se retirer, puisque c’était un prince qui venait pour elle, et qu’elle en était sûre. Tout le monde se retire, et elle me pousse dans ma chambre, et m’enferme. Je vois effectivement la Berline s’arrêter devant l’auberge, et je vois en sortir un seigneur quatre fois plus gros que moi soutenu par deux domestiques. Il monte, il entre chez l’épouse, et il ne me reste pour tout amusement que la commodité d’entendre tous les discours, ete [6v] de voir par une fente tout ce que Cattinella faisait avec cette énorme machine. Mais cet amusement à la fin m’ennuya, car il dura cinq heures. Elles furent employées à faire tous les paquets de Cattinella, à les charger sur la Berline, et à souper, et vider des bouteilles de vin du Rhin. À minuit le comte de Holstein partit comme il était arrivé, et enleva l’épouse à l’époux. Personne n’est jamais venuf à ma chambre dans tout cet intervalle, et je n’ai pas eu garde d’appeler. Je craignais d’être découvert, et je ne savais pas comment le prince allemand aurait pu entendre la chose s’il avait su qu’il avait eu un témoin caché de ses démonstrations de tendresse qui ne faisaient aucun honneur ni à l’un ni à l’autre des personnages qui en étaient les sujets. J’ai fait des réflexions aux misères du genre humain.

Après le départ de l’héroïne j’ai vu par la fente le fils de l’hôte : j’ai frappé pour qu’il m’ouvre, et d’une voix plaintive il me dit qu’il fallait abattre la serrure puisque Mademoiselle avait emporté la clef. Je l’ai prié de faire cela d’abord parce que j’avais faim ; et cela fut fait. Il me tint compagnie à table.

Il me dit que Mademoiselle avait trouvé un moment pour l’assurer qu’elle retournerait dans six semaines, il me dit qu’elle pleurait en lui donnant cette assurance, et qu’elle l’avait embrassé.

— Le prince aura payé sa dépense ?

— Point du tout. Nous ne l’aurions pas reçue s’il l’avait offerte. Ma future se serait offensée, car vous ne sauriez croire combien elle pense noblement.

— Que dit votre père de son départ ?

— Mon père pense toujours mal ; il dit qu’elle ne reviendra plus, et ma mère est plus de son avis que du mien. Mais vous Signor maestro qu’en dites-vous ?

— Que si elle vous l’a dit, elle reviendra sans doute.

— Si elle n’avait pas intention de revenir, elle ne me l’aurait point assuré.

— Précisément. Voilà ce qui s’appelle raisonner.

Mon souper fut le reste de celui que le cuisinier du comte avait fait, et j’ai bu une bouteille de Rhin que Cattinella avait [7r] escamotée pour lui en faire présent. Après souper j’ai pris la poste, et je suis parti après l’avoir assuré que je persuaderai ma cousine à retourner le plus tôt qu’il lui sera possible. Je voulais payer ; mais il n’a voulu rien prendre. Je suis arrivé à Bologne un quart d’heure après Cattinella, et je me suis logé dans la même auberge. J’ai trouvé le moment de lui narrer la conversation que j’avais eueg avec son sot amant.

Je suis arrivé à Reggio avant elle, mais je n’ai jamais pu lui parler, car elle ne quittait jamais son comte. J’ai passé là toute la foire sans qu’il m’arriveh rien qui vaille la peine d’être écrit. Je suis parti de Reggio avec Balletti, et je suis arrivé à Turin, que j’avais envie de voir. Quand j’y étais passé avec Henriette, je ne m’y étais arrêté que pour changer de chevaux.

J’ai trouvé à Turin tout également beau, la ville, la cour, le théâtre, et les femmes toutes belles en commençant par les duchesses de Savoie9. J’ai ri quand on m’a dit que la police y était excellente, et que j’ai vu les rues pleines de mendiants. Cette police était cependant la principale affaire du Roi10 lui-même qui avait beaucoup d’esprit, comme tout le monde le sait par l’histoire. Mais je fus assez badaud11 pour m’étonner de la figure de ce monarque. N’ayant jamais vu un roi de ma vie, une idée bâtarde12 me faisait croire qu’un roi devait avoir quelque chose de fort rare en beauté, ou en majesté dans sa physionomie non commun aux autres hommes. En qualité de jeune républicain qui pensait, mon idée n’était pas tout à fait sotte ; mais je m’en suis défait bien vite, quand j’ai vu cei roi de Sardaigne laid, bossu, maussade, et ayant l’air ignoble jusque dans ses façons. J’ai entendu chanter l’Astrua13, et Gafarello14, et j’ai vu danser la Jeofroi15, qu’un danseur très honnête homme nommé Bodin épousa dans ce même temps. Aucun penchant amoureux n’altéra à Turin la paix [7v] de mon âme, si ce n’est la fille de la blanchisseuse, avec laquelle il m’est arrivé un accident que je n’écris que parce qu’il m’a donné une instruction en physique.

Après avoir fait tout mon possible pour avoir un entretien avec cette fille chez moi, chez elle, ou ailleurs, et n’y êtrej pas réussi, je me suis déterminé à l’avoir en usant d’un peu de violence au bas de l’escalier dérobé qu’elle descendait ordinairement en sortant de chez moi. Je me suis caché au bas, et lorsque je l’ai vue à ma portée, je suis sauté sur elle, et en partie par la douceur, et en partie par l’action vive je l’ai subjuguée sur les dernières marches ; mais à la première secousse de l’union, un son fort extraordinaire sortant de l’endroit voisin de celui que j’occupais ralentit un moment ma fureur, d’autant plus que j’ai vu la succombante porter la main à son visage pour me cacher la honte qu’elle ressentait à cause de cette indiscrétion.

Je la rassure par un baiser, et je veux suivre, mais voilà un second bruit plus fort duk premier ; je poursuis et voilà le troisième, puis le quatrième, et si régulièrement, que cela ressemblait à la basse d’un orchestre qui bat la mesure au mouvement d’une pièce de musique. Ce phénomène de l’ouïe se saisit tout d’un coup de mon âme, joint à l’embarras, et à la confusion où je voyais ma victime : tout cela représenta à mon esprit une idée si comique que le rire s’étant emparé de toutes mes facultés j’ai dû lâcher prise. Elle saisit cette conjoncture pour se sauver. Depuis ce jour-là elle n’a plus osé paraître devant mes yeux. Je suis resté là assis sur l’escalier plus d’un quart d’heure avant de pouvoir m’affranchir du comique de cet événement, qui me force à rire toutes les fois que je me le rappelle. J’ai réfléchi après, que cette fille était peut-être redevable de sa sagesse [8r] à cette incommodité. Elle pouvait aussi dériver d’une conformation d’organe, et dans ce cas-là elle devait reconnaître de la providence éternelle un don, qui par un sentiment d’ingratitude lui paraissait peut-être un défaut. Je crois que les trois quarts des femmes galantes cesseraient de l’être, si elles étaient sujettes à cet événement, à moins qu’elles ne fussent sûres que leurs amants y seraient sujetsl aussi ; car pour lors la singulière symphonie pourrait devenir un agrément de plus dans l’heureux accouplement. On pourrait même trouver facilementm un moyen applicable à l’écluse dont l’effet serait celui de rendre les explosions odoriférantes, car un sens ne doit pas souffrir lorsqu’un autre sens jouit ; et l’odorat n’est pas pour peu de chose dans les ébats de Vénus.

Le jeu à Turin m’a vengé du mal qu’il m’avait fait à Reggio, et je me suis facilement laissé persuader par mon ami Balletti d’aller avec lui à Paris, où on préparait des fêtes superbes dans l’attente de la naissance d’un duc de Bourgogne16. Tout le monde savait que Madame la Dauphine étaitn au terme de sa grossesse. Nous sommes donc partis de Turin, et le cinquième jour nous arrivâmes à Lyon. Nous y passâmes huit jours.

Lyon est une fort belle ville où il n’y a pas trois ou quatre maisons nobles ouvertes aux étrangers ; mais en revanche il y en a cent de négociants, fabricants, et commissionnaires beaucoup plus riches que les fabricants, où la société est très bien montée17. Le ton est beaucoup au-dessous de celui de Paris, mais on s’y fait, et on jouit de la vie plus méthodiquement. Ce qui fait la [8v] richesse de Lyon est le goût, et le bon marché. La divinité à laquelle cette ville doit sa prospérité est la Mode. Elle changeo chaque année, et une étoffe qu’à cause du nouveau dessin on paye trente, on ne la paye que vingt l’année ensuite, et on l’envoie aux pays étrangers où les acheteurs la débitent comme toute nouvelle. Les Lyonnais payent cher des dessinateurs qui ont du goût : c’est le secret. Le bon marché vient de la concurrence, dont l’âme est la liberté. Un gouvernement donc qui veut voir dans l’état la prospérité du commerce, n’a qu’à le laisser en pleine liberté, en se tenant seulement attentif à empêcher les fraudes que l’intérêt particulier peut inventerp au désavantage du général. Le souverain doit tenir la balance, et laisser que les sujets la chargent à leur gré.

J’ai trouvé à Lyon la plus célèbre de toutes les courtisanes vénitiennes. Son nom était Ancilla18. Sa beauté était surprenante.q Tout le monde disait qu’on n’avait jamais vu l’égale. Ceux qui la voyaient ne pouvaient pas s’empêcher de désirer d’en jouir, et elle ne pouvait se refuser à personne, car si tous les hommes l’aimaient un à un, elle aimait généralement tout le sexe masculin. Ceux qui n’avaient pas le peu d’argent qu’il fallait lui donner par loi pour obtenir ses complaisances, les obtenaient pour rien d’abord qu’ils savaient lui expliquer leurs désirs.

De tout temps Venise eut des courtisanes célèbres plus par leur beauté que par leur esprit : les principales de mes contemporaines furent cette Ancilla, et une autre nommée Spina19 : l’une, et l’autre filles de barcarol ; l’une et [9r] l’autre mortes jeunes après s’être avisées de se donner à un métier par lequel il leur paraissait de s’anoblir. Ancilla à l’âge de vingt-deux ans se fit danseuse ; et Spina voulut devenir chanteuse. Celui qui fit devenir Ancilla danseuse fut un danseur nommé Campioni Vénitien, qui dansant le sérieux20, lui apprit toutes les grâces, dont sa belle figure était susceptible, et l’épousa. Spina apprit la musique d’un castrato qui s’appelait Pepino da la Mamana21, qui ne pouvait pas l’épouser ; mais elle fut toujours moins que médiocre, et poursuivit à vivre du prix qu’elle retirait de ses charmes. Ancillar a dansé à Venise jusqu’à deux ans avant sa mort, dont je parlerai à propos22.

Je l’ai trouvée à Lyon avec son mari. Ils venaient d’Angleterre, où on les avait applaudis sur le théâtre de Hay-market23. Elle s’était arrêtée avec son mari à Lyon pour son seul plaisir, et elle avait à ses pieds toute la belle, et riche jeunesse de la ville qui allait le soir chez elle, et qui faisait tout ce qu’elle voulait pour lui plaire. Parties de plaisir le jour, grands soupers, et jeu de Pharaon toute la nuit. Celui qui tenait la banque était un nommé D. Giuseppe Marcati, qui était le même que j’avais connu à l’armée espagnole huit ans auparavant24 qu’on nommait D. Pepe il cadetto, et qui quelques années après publia25 son nom d’Afflisio, et qui a si mal fini. Cette banque gagna en peu de jours trois cent mille francs26. Dans un pays de cour une pareille somme n’aurait pas fait du bruit ; mais dans une ville de marchands elle donna [9v] l’alarme à tous les pères de famille, et la société italienne pensa à partir.

Un respectable personnage, que j’ai connu chez M. de Rochebaron27, me procura la grâce d’être admis parmi ceux qui voient la lumière28. Je suis devenu franc maçon apprenti. Deux mois après, j’ai reçu à Paris le second grade, et quelques mois après le troisième, qui est la maîtrise. C’est le suprême. Tous les autres titres que dans la suite du temps on m’a fait prendre sont des inventions agréables, qui quoique symboliques n’ajoutent rien à la dignité de maître.

Il n’y a point d’homme au monde qui parvienne à savoir tout ; mais tout homme doit aspirer à tout savoir. Tout jeune homme qui voyage, qui veut connaître le grand monde, qui ne veut pas se trouver inférieur à un autre, et exclu de la compagnie de ses égaux dans le temps où nous sommes, doit se faire initier dans ce qu’on appelle la maçonnerie, quand ce ne seraits pour savoir au moins superficiellement ce que c’est. Il doit cependant faire attention à bien choisir la loge dans laquelle il veut être installé, car malgré que la mauvaise compagnie ne puisse agir en loge, elle peut cependant s’y trouver, et le candidat doit se garder des liaisons dangereuses.

[10r] Ceux qui ne se déterminent à se faire recevoir maçonst que pour parvenir à savoir le secret peuvent se tromper, car il leur peut arriver de vivre cinquante ans maîtres maçons sans jamais parvenir à pénétrer le secret de cette confrérie.

Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne. Il l’a découvert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner, et de déduire. Lorsqu’il y est parvenu, il se garde bien de faire part de sa découverte à qui que ce soit fût-ce son meilleur ami maçon, puisque s’il n’a pas eu le talent de le pénétrer, il n’aura pas non plus celui d’en tirer parti en l’apprenant oralement. Ce secret sera donc toujours secret.

Tout ce qu’on fait en loge doit être secret ; mais ceux qui par une indiscrétion malhonnête ne se sont pas fait un scrupule de révéler ce qu’on y fait n’ont pas révélé l’essentiel. Comment pouvaient-ils le révéler s’ils ne le savaient pas ? S’ils l’avaient su, ils n’auraient pas révélé les cérémonies.

La même sensation que fait aujourd’hui la confrérie des maçons dans plusieurs quiu n’y sont pas initiés, procédait dans l’ancien temps des grands mystères qu’on célébrait à Éleusis à l’honneur de Cérès. Ils intéressaient toute la Grèce, et les premiers hommes de ce monde aspiraient à y être initiés. Cette initiation était d’une importance beaucoup plus grande que celle de la franc-maçonnerie [10v] moderne, où l’on trouve des polissons, et des rebuts de l’espèce humaine. On garda longtemps sous un silence impénétrable tout ce qui se passait dans les mystères d’Éleusis à cause de la vénération qu’ils inspiraient. On osait par exemple révéler les trois mots que le hiérophante disait aux initiés lorsqu’à la fin des mystères il les congédiait ; mais à quoi cela servait-il ? À déshonorer celui qui l’avait révélé, et pas à autre chose, car ces trois mots étaient d’une langue barbare inconnue à tous les profanes. J’ai lu quelque part que les trois mots signifiaient Veillez et ne faites pas de mal29. L’initiation durait neuf jours, les cérémonies étaient très imposantes, la compagnie était très respectable. Nous lisons dans Plutarque qu’Alcibiade fut condamné à mort, et que tout son bien fut confisqué pour avoir osé mettre en ridicule chez lui les grands mystères avec Polition, et Théodore contre les lois des Eumolpides. En conséquence de ce sacrilège il fut condamné à être maudit par les prêtres, et par les prêtresses, mais la malédiction ne fut pas donnéev ; une prêtressew s’y opposa en alléguant pour raison qu’elle était prêtresse pour bénir, et non pas pour maudire, leçon superbe, que notre très saint père le pape méprise30. Rien n’est important aujourd’hui. Botarelli31 publie dans une brochure toutes les pratiques des francs-maçons ; on se contente de dire que c’est un coquin. On le savait d’avance. Un prince à Naples, et M. Amilton33 font chez eux le miracle de S. Janvier33. Le roi dissimule ; et ne se souvient pas qu’il porte sur sa poitrine royale un crachat34 où il y a ces [11r] paroles à l’entour de la figure de S. Janvier in sanguine foedus [l’alliance dans le sang]35. Tout aujourd’hui est inconséquent, et il n’y a plus rien qui signifie quelque chose. On aura raison, si on irax en avant ; mais tout ira de mal en pire si on s’arrête à moitié chemin.

Nous prîmes deux places dans la diligence36 pour aller en cinq jours à Paris. Balletti prévint sa famille du moment de son départ, et par conséquent elle sut l’heure de notre arrivée.

Nous étions huit dans cette voiture qu’on nomme Diligence : nous étions tous assis, mais tous incommodément, car elle était ovale : personne n’occupait un coin, puisqu’elle n’avait pas des coins. J’ai trouvé cela mal raisonné ; mais je ne disais rien, car en qualité d’Italien je devais trouver tout ce qui existait en France admirable. Voiture ovale : je révérais la mode, et je la maudissais, car le singulier mouvement de cette voiture m’excitait à vomir. Elle était trop bien suspendue37. Un cahotement m’aurait incommodé moins. Dans la vigueur de son allure sur la belle route elle ondoyait ; on l’appelait aussi à cause de cela gondole ; mais la véritable gondole vénitienne poussée par deux rameurs va également et ne cause pas une nausée qui fait bondir le cœur. La tête me tournait. Ce mouvement de vitesse qui ne me secouait au moins un tant soit peu troubla mon atmosphère38, et j’ai dû rendre tout ce que j’avais dans l’estomac. On me trouva mauvaise compagnie ; mais on ne me le dit pas. On se contenta de me dire que [11v] j’avais trop soupé ; et un abbé parisien pour prendre ma défense dit que j’avais l’estomac faible, et on disputa. Impatienté je les ai fait taire en leur disant : Vous avez tort tous les deux, car j’ai l’estomac excellent, et je n’ai pas soupé. Un homme d’un certain âge qui avait près de lui un garçon de douze à treize ans, me dit d’un ton mielleux que je ne devais pas dire à ces messieurs qu’ils ont tort ; mais que j’aurais pu leur dire qu’ils n’avaient pas raison, imitant Cicéron qui ne dit pas aux Romains que Catilina et les autres conjurés étaient morts ; mais qu’ils avaient vécu39.

— N’est-ce pas la même chose ?

— Je vous demande pardon, Monsieur, l’un est impoli, et l’autre est poli.

Il fit alors une dissertation magnifique sur la politesse qu’il termina en me disant avec un air riant :

— Je parie que monsieur est italien.

— Oui ; mais oserais-je vous demander à quoi vous l’avez deviné ?

— Oh oh ! à l’attention avec laquelle vous avez honoré mon long bavardage.

Toute la compagnie fit alors un éclat de rire, et j’ai commencé à amadouer cet original qui était le gouverneur40 du jeune homme qu’il avait à côté. Je l’ai employé tous ces cinq jours à me donner des leçons de politesse française, et lorsquey nous dûmes nous séparer, il m’appela à part, et il me dit qu’il voulait me faire un petit cadeau.

— Quoi ?

— Il faut oublier, et abandonner la particule non, que vous mettez en usage sans miséricorde à tort, et à travers. Non n’est pas un mot français. Dites pardon : cela revient au même, et ne choque pas. Non est un démenti. Laissez-le, Monsieur, ou préparez-vous à Paris à mettre l’épée à la main à tout bout de champ.

— Je vous [12r] remercie monsieur ; et je vous promets de ne dire plus non de toute ma vie.

Il m’a paru dans le commencement de mon séjour à Paris d’être devenu le plus coupable de tous les hommes car je ne faisais que demander pardon. J’ai cru même un jour qu’on me faisait une querelle pour l’avoir demandé hors de propos. Ce fut à la comédie qu’un petit maître me marcha par mégarde sur un pied.

— Pardon, Monsieur, lui dis-je vite.

— Pardonnez vous-même.

— Vous-même.

— Vous-même.

— Hélas, Monsieur, pardonnons-nous tous les deux, et embrassons-nous.

Ainsi notre dispute fut finie.

Un jour que je dormais assez bien sur mon aplomb dans la diligence gondole qui allait grand train, voilà mon voisin qui me secoue pour me réveiller.

— Que voulez-vous ?

— Ah Monsieur ! de grâce, regardez ce château.

— Je le vois. Ce n’est pas grand-chose. Qu’y trouvez-vous de merveilleux ?

— Rien ; si nous n’étions à quarante lieues de Paris. Le croiront-ils les badauds mes compatriotes, quand je leur dirai que j’ai vu un si beau château à quarante lieues de la capitale ? Qu’on est ignorant, quand on n’a pas un peu voyagé !

— Vous dites fort bien.

Cet homme était parisien lui-même, badaud dans l’âme, comme un Gaulois au temps de César.

Mais si les Parisiens badaudent du matin au soir s’amusant à tout, et admirant tout, un étranger comme moi devait être bien plus badaud qu’eux. La différence entr’eux, et moi était qu’accoutumé à voir les choses telles qu’elles sont j’étais surpris de les voir sous un masque qui les changeait de nature, tandis que leur surprise dépend de ce qu’on leur fait souvent soupçonner le dessous du masque.

[12v] Ce qui m’a beaucoup plu fut la beauté du grand chemin, ouvrage immortel de Louis XV, la propreté des auberges, la chère qu’on y faisait, la promptitude avec laquelle on nous servait, l’excellence des lits, l’air modeste de la personne qui nous servait à table, qui le plus souvent était la fille la plus accomplie de la maison, dont le maintien, la propreté, et les manières avaient la force de tenir en frein le libertinage. Qui est celui entre nous en Italie qui voit avec plaisir les valets de nos auberges, leur air effronté, et leur insolence ? On ne savait pas dans ce temps-là en France ce que c’était que surfaire41, la France était la patrie des étrangers. L’est-elle actuellement des Français ? On avait le désagrément de voir souvent un despotisme odieux consistant en lettres de cachetz. C’était le despotisme d’un roi. On verra ce que c’est que le despotisme d’un peuple toujours effréné, féroce, indomptable qui s’attroupe, pend, coupe des têtes, et assassine ceux qui n’étant point peuple osent dire leur avis.

Paris : le Louvre et les deux comédies

a Jardins du Palais-Royal

b Comédie-Italienne (rue Mauconseil)

c Rue Saint-Denis

d Rue de Buci

e Rue Saint-Maur

f Comédie-Française

g Hôpital des Enfants-Trouvés

Nous dormîmes à Fontainebleau, et une heure avant que d’arriver à Paris nous vîmes une Berline qui en venait. Voilà ma mère, dit Balletti, arrêtez, arrêtez. Nous descendons, et après les transports d’usage entre mère, et fils, il me présente ; et cette mère qui était la célèbre comédienne Silvia42 me dit pour tout accueil : J’espère, Monsieur, que l’ami de mon fils voudra bien souper avec nous ce soir. En disant cela, elle remonte dans sa voiture avec son fils, et sa fille qui avait neuf ans. Je remonte dans la gondole.

À mon arrivée à Paris, je trouve un domestique de Silvia avec un fiacre, qui se chargea de tout, et me conduisit à un logement que j’ai trouvé très propre. Après y avoir placé ma malle, et tout ce que j’avais il me conduisit chezaa sa maîtresse qui demeurait à cinquante pas de là43. Balletti me présenta à son père, qui s’appelait Mario, et qui était convalescent. Les noms de Mario, et de Silvia étaient ceux qu’ils portaient dans les comédies qu’ils jouaient à canevas44. Les Français ne donnèrent jamais aux comédiens italiens autre nom en ville que celui par lequel ils les connurent sur le théâtre. Bonjour M. Arlequin, bonjour M. Pantalon, on disait au palais royal45 à ceux qui jouaient ces personnages.

a. Descend biffé.

b. D’une grande chambre ouverte excite ma curiosité ; et je vois en passant dix à douze personnes à table ; je m’en allais ; mais je me vois arrêté par un.

c. Cependant biffé.

d. Prétendue biffé.

e. Tout biffé.

f. Orth. venue.

g. Orth. eu.

h. Le e final de arrive est souligné d’une autre encre.

i. Le biffé.

j. Être est souligné.

k. Du souligné.

l. Aux mêmes explosions biffé.

m. Le biffé.

n. Dans le septième mois biffé.

o. À biffé.

p. Pour son utilité particulière biffé.

q. Personne biffé.

r. Au contraire biffé.

s. Pour autre raison pour celle de.

t. Pour nulle autre raison que pour celle de.

u. Plusieurs qui souligné.

v. À cause que biffé.

w. La refusa biffé.

x. Si on ira biffé d’une autre encre, avec une correction en surcharge biffée également.

y. Nous sommes biffé.

z. Orth. cachets (voir ici note 54).

aa. Silvia biffé.

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[13r] CHAPITRE X

Mon premier apprentissage à Paris l’année 1750

Silvia fêta l’arrivée de son fils en appelant à souper chez elle ses parents. Je fus enchanté d’être arrivé à Paris à temps de les connaître. Mario père de Balletti ne vint pas à table parce qu’il était convalescent, mais j’ai connu sa sœur plus vieille que lui, que par son nom de théâtre on appelait Flamminia1. On la connaissait dans la république des lettres à cause de quelques traductions ; mais ce qui me donnait envie de la connaître à fond était l’histoire que toute l’Italie savait du séjour à Paris de trois hommes célèbres. Ces trois hommes furent le marquis Maffei2, l’abbé Conti3, et Pierre-Jacques Martelli4. Ils devinrent ennemis à cause, dit-on, de la préférence que chacun d’eux prétendait dans les bonnes grâces de cette actrice, et en qualité de savants ils se battirent à la plume. Martelli fit une satire à Maffei qu’il appela Femia par anagramme5.

aÉtant annoncé à Flamminia pour candidatb dans la république des lettresc cette femme crut de devoir m’honorer du colloque. Je l’ai trouvée désagréable dans sa figure, dans son ton, dans son style, et jusque dans sa voix : elle ne me le dit pas, mais elle me fit comprendre qu’elle savait qu’illustre dans la république des lettres elle parlait à un insecte ; elle avait l’air de dicter, et elle croyait d’en avoir le droit à soixante et dix ans vis-à-vis d’un garçon de vingt-cinq qui n’avait enrichi aucune bibliothèque. Pour lui faire ma cour j’ai parlé de l’abbé Conti, et à certain propos j’ai cité deux vers de cet homme profond. Elle me corrigea avec un air de bonté sur le mot scevra qui veut dire séparée, que j’ai prononcé avec lad u consonne qui est v6. Elle me dit qu’il fallait la prononcer voyelle, et que je ne [13v] devais pas être fâché d’avoir appris cela à Paris le premier jour de mon arrivée.

— Je veux aussi apprendre, Madame, et non pas désapprendre. Il faut dire scevra, et non pas sceura, car c’est une syncope de scévera.

— C’est à savoir lequel des deux se trompe.

— Vous Madame selon l’Arioste qui rime scevra avec persevra.

Elle voulait poursuivre lorsque son mari homme de quatre-vingts ans lui dit qu’elle avait tort. Elle se tut, et depuis ce temps-là elle dit à tout le monde que j’étais un imposteur. Le mari de cette femme était Louis Riccoboni qu’on appelait Lelio7, le même qui avait conduit la troupe italienne à Paris l’année seizee au service du Duc régent8. J’ai reconnu son mérite. Il avait été fort bel homme, et il possédait à juste titre l’estime du public, et à cause de son talent, et à cause de ses mœurs. Dans ce souper ma principale attention fut celle d’étudier Silvia, dont la renommée allait aux nues. Je l’ai trouvée au-dessus de tout ce qu’on disait. Son âge était de cinquante ans, sa taille était élégante, son air noble comme toutes ses façons, aisée, affable, riante, fine dans ses propos, obligeante vis-à-vis de tout le monde, remplie d’esprit sans donner aucune marque de prétention. Sa figure était une énigme, elle était intéressante9, et elle plaisait à tout le monde, et malgré cela à l’examen on ne pouvait pas la trouver belle ; mais aussi personne n’a jamais osé la décider laide. On ne pouvait pas dire qu’elle n’était ni belle ni laide, car son caractère qui intéressait sautait aux yeux ; qu’était-elle donc ? Bellef ; mais par des lois, et des proportions inconnues à tout le monde, excepté à ceux qui se sentant par une force occulte entraînés à l’aimer avaient le courage de l’étudier, et la force de parvenir à les connaître.

Cette actrice fut l’idole de toute la France, et son talent fut le soutien de toutes les comédies que les plus grands auteurs écrivirent pour elle, [14r] et principalement Marivaux. Sans elle, ces comédies ne seraient pas passées à la postérité. On n’a jamais pu trouver une actrice capable de la remplacer, et on ne la trouvera jamais, car elle devrait réunir en elle toutes les parties que Silvia possédait dans l’art trop difficile du théâtre, action10, voix, physionomie, esprit, maintien, et connaissance du cœur humain. Tout dans elle était nature : l’art qui accompagnait, et avait perfectionné tout ne se laissait pas voir.

Pour être en tout unique, elle ajoutaitg à celles, dont je viens de faire mention, une qualité, que, si elle n’avait pas eueh, elle ne serait pas moins montée aux faîtes de la gloire en qualité de comédienne. Ses mœurs furent pures. Elle voulut avoir des amis, jamais des amants ; se moquant d’un privilège, dont elle pouvait jouir, mais qui l’aurait rendue méprisable à elle-même. Par cette raison elle gagna le titre de respectable à un âge où il aurait pu paraître ridicule, et presqu’injurieux à toutes les femmes de son état. Par cette raison plusieurs dames du plus haut rang l’honorèrent plus encore de leur amitié que de leur protection. Par cette raison, jamais le capricieux parterre de Paris n’a osé la siffler dans un rôle qui ne lui a pas plu. Par une voix générale unanime Silvia était une femme au-dessus de son état.

Comme elle ne croyait pas que sa sage conduite pût lui être ascrite à mérite11, car elle savait de n’être sage que par effet d’amour-propre, nul orgueil, nul air de supériorité put jamais être reconnu en elle dans le commerce qu’elle dut avoir avec les actrices ses camarades, qui satisfaites de briller par leur talent ne se souciaient pas de se rendre célèbres par leur vertu. Silvia les aimait toutes, et elle en était aimée, elle leur rendait justice publiquement, et elle en faisait l’éloge. Mais elle avait raison : elle n’avait rien à craindre : aucune ne pouvait lui faire le moindre tort.

[14v] La nature a frustré cette femme unique de dix ans de vie. Elle est devenue étique à l’âge de soixante ans, dix ans après que je l’ai connue12. Le climat parisien joue de ces tours-là aux femmes italiennes. Je l’ai vue deux ans avant sa mort13 jouer le rôle de Marianne dans la pièce de Marivaux14, où elle ne paraissait avoir que l’âge de Marianne. Elle mourut à ma présence en tenant sa fille15 entre ses bras, et lui donnant son dernier conseil cinq minutes avant d’expirer. Elle fut honorablement enterrée à S. Sauveur sans la moindre opposition du curé, qui dit que son métier de comédienne ne l’avait jamais empêchée d’être chrétienne16.

Excusez lecteur si j’ai fait l’oraison funèbre de Silvia dix ans avant de venir à sa mort. Lorsque j’en serai là je vous l’épargnerai.

Sa fille unique objet principal de sa tendresse était assise à table près d’elle à ce même souper. Elle n’avait que l’âge de neuf ans. Tout absorbé par les mérites de la mère, je ne me suis arrêté à faire aucune observation sur la fille. Cela ne devait arriver qu’après. Très content de cette première soirée, je me suis rendu à mon logement chez Madame Quinson17. C’était le nom de mon hôtesse.

Mademoiselle Quinson à mon réveil vint me dire qu’il y avait dehors un domestique qui venait s’offrir à mon service.

Je vois un homme très petit ; cela ne me plaît pas, et je le lui dis.

— Ma petite taille, mon prince, vous rendra sûr que je ne mettrai pas vos habits pour aller en bonne aventure.

— Votre nom ?

— Celui que vous voudrez.

— Comment ? Je vous demande le nom que vous portez.

— Je n’en porte aucun. Chaque maître que je sers m’en donne un, et j’en ai eu en ma vie plus de cinquante. Je m’appellerai par le nom que vous me donnerez.

— Mais enfin vous devez avoir un nom à vous, celui de votre famille.

— Famille ? Je n’ai jamais eu de famille. J’avais un nom dans ma jeunesse, et depuis vingt ans que je sers, et change toujours de maître, je l’ai oublié18.

— Je vous appellerai l’Esprit.

— Vous me faites bien de l’honneur.

[15r] — Tenez : allez me quérir monnaie de ce louis.

— En voilà.

— Je vous vois riche19.

— Tout à votre service Monsieur.

— Qui m’informera de vous ?

— Au bureau des domestiques20, et Madame Quinson aussi, tout Paris me connaît.

— C’est assez. Je vous donne trente sous par jour21, je ne vous habille pas, vous irez vous coucher chez vous, et vous serez à mes ordres tous les matins à sept heures.

Balletti est venu me voir, et m’a prié à dîner, et à souper pour tous les jours. Je me suis fait conduire au palais royal, et j’ai laissé l’Esprit à la porte. Curieux de cette promenade tant vantée j’ai commencé à observer tout. J’ai vu un assez beau jardin, des allées bordées de grands arbres, des bassins, des hautes maisons qui l’entouraient, beaucoup d’hommes, et des femmes qui se promenaient, des bancs par-ci par-là, où l’on vendait des nouvelles brochures, des eaux de senteur, des cure-dents, des colifichets ; j’ai vu des chaises de paille qu’on louait pour un sou, des liseurs de gazettes qui se tenaient à l’ombre, des filles, et des hommes qui déjeunaient seuls, et en compagnie, des garçons de café qui descendaient, et montaient rapidement un petit escalier caché derrière des charmilles.

Je m’assis devant une petite table vide, un garçon me demande ce que je veux prendre, je lui demande du chocolat sans lait, et il m’en porte du détestable dans une tasse d’argent. Je le laisse là, et je dis au garçon de me porter du café s’il est bon.

— Excellent, je l’ai fait hier moi-même.

— Hier ? Je n’en veux pas.

— Le lait y est excellent.

— Du lait ? Je n’en bois jamais. Faites-moi d’abord une tasse de café à l’eau.

— À l’eau ? Nous n’en faisons que l’après dîner. Voulez-vous une bavaroise22 ? Voulez-vous une carafe d’orgeat ?

— Oui orgeat.

Je trouve cette boisson excellente, et je décide d’en faire toujours mon déjeuner. Je demande au garçon si nous avons quelque chose de nouveau23, et il me répond que la Dauphine est accouchée d’un prince : un abbé lui dit qu’il est fou : c’est d’une princesse qu’elle est accouchée24. Un troisième s’avance, et dit : Je viens de Versailles, et la Dauphine n’est accouchée ni de prince ni de princesse. [15v] Il me dit que je lui semble étranger, et je lui réponds que je suis Italien, arrivé la veille. Il me parle alors de la cour, de la ville, des spectacles, il s’offre à me présenter partout, je le remercie, je m’en vais, et l’abbé m’accompagne, et me dit le nom de toutes les filles qui se promenaient. Un robin25 le rencontre, il l’embrasse, et l’abbé me le présente comme un docte dans la littérature italienne : je lui parle italien, il me répond avec esprit, je ris de son style, et je lui en dis la raison. Il parlait précisément dans le style de Boccace : ma remarque lui plaît, je le persuade qu’il ne faut pas parler ainsi malgré que la langue de cet ancien soit parfaite. En moins d’un quart d’heure nous nous lions d’amitié en nous reconnaissant les mêmes penchants. Lui poète, moi poète, lui curieux de la littérature italienne, moi de la française, nous nous donnons nos adresses, et nous nous promettons des visites réciproques.

Je vois beaucoup d’hommes, et de femmes fermes26 dans un coin du jardin, regardant en haut. Je demande à mon nouvel ami ce qu’il y avait là de merveilleux. Il me dit qu’on se tenait attentif à la méridienne chacuni ayant sa montre à la main pour attendre l’instant que l’ombre de l’aiguille montrerait le point de midi, et pour régler ainsi leurs montres.

— Est-ce qu’il n’y a pas des méridiennes partout ?

— Oui ; mais la célèbre est celle du palais royal27.

Je n’ai pu alors m’empêcher d’éclater de rire.

— Pourquoi riez-vous ?

— Parce qu’il est impossible que toutes les méridiennes ne soient égales : et voilà une badauderie28 dans toutes les règles.

Il y pensa un peu, et puis il en rit aussi ; et il me donna courage à critiquerj les bons Parisiens. Nous sortons du palais royal par la grande porte, et je vois à ma droite beaucoup de monde attroupé devant une boutique dont l’enseigne était une Civette29.

— Qu’est-ce que cela ?

— C’est actuellement que vous allez rire. Tous ces gens attendent pour acheter du tabac.

— Est-ce qu’on n’en vend qu’à cette boutique ?

— On en vend partout ; mais depuis trois semaines on ne veut [16r] avoir dans la tabatière que du tabac à la Civette.

— Est-il meilleur que les autres ?

— Point du tout : il est peut-être plus mauvais ; mais depuis que Madame la duchesse de Chartres30 l’a mis à la mode, on ne veut que de celui-là.

— Comment a-t-elle fait pour le mettre à la mode ?

— Elle s’est arrêtée deux ou trois fois étant dans son équipage devant cette boutique en n’en achetant que pour remplir sa tabatière, et en disant publiquement à la jeune femme qui le vend que c’est le meilleur tabac de Paris ; les badauds qui l’entendirent dirent la chose à d’autres, et tout Paris sut que si l’on voulait du bon tabac il fallait l’acheter à la Civette. Cette femme fera sa fortune, puisqu’elle en vend pour plus de cent écus par jour.

— La duchesse de Chartres ne sait pas peut-être d’avoir fait la fortune de cette femme-là.

— Au contraire : c’est une invention de la duchesse remplie d’esprit, qui aimant cette femme qui est une nouvelle mariée, et pensant à ce qu’elle pouvait faire pour lui être utile trouva qu’il lui fallait faire ce qu’elle a fait. Vous ne sauriez croire combien les Parisiens sont des bonnes gens. Vous êtes dans le seul pays du monde où l’esprit est le maître de faire sa fortune ou qu’il se montre en donnant du vrai, et pour lors celui qui lui fait accueil est l’esprit, ou qu’en imposant il donne du faux, et dans ce cas celui qui le récompense est la sottise : elle est caractéristique dans la nation, et ce qui est étonnant c’est qu’elle est fille de l’esprit, de sorte que, ce n’est pas un paradoxe, la nation française serait plus sage si elle avait moins d’esprit.

Les Dieux qu’on adore ici, malgré qu’on ne leur élève pas des autels sont la nouveauté et la mode. Un homme n’a qu’à courir, et tous ceux qui le voient lui courent après. On ne s’arrêterait que lorsqu’on le découvrirait pour fou ; mais une pareille découverte est une mer à boire : nous avons ici des fous qui le sont depuis leur naissance, [16v] et on les prend encore pour des sages. Le tabac à la civette est un très petit exemple de la cohue de la ville. Notre roi allant à la chasse se trouva au pont de Neuilly31, et eut envie de boire du ratafia32. Il s’arrêta au cabaret ; il en demanda, et par un hasard singulier le pauvre cabaretier en avait un flacon, et le roi après en avoir bu un verre s’avisa de dire à ceux qui l’entouraient que cette liqueur était excellente, et en demanda un autre. Il n’a pas fallu davantage pour faire la fortune du cabaretier. En moins de vingt-quatre heures toute la cour, et toute la ville sut que le ratafia de Neuilly était la meilleure liqueur de l’Europe, car le Roi l’avait dit. Les plus brillantes compagnies allaient à minuit à Neuilly pour boire du ratafia, et en moins de trois ans le cabaretier devint riche, et fit bâtir dans le même endroit une maison sur laquelle vous verrez l’inscription ex liquidis solidum [des liquides, je fis du solide]33, assez comique, et qui fut donnée à cet homme par un de nos messieurs de l’académie. Quel est le saint que cet homme-là doit remercier de la brillante et rapide fortune qu’il a faitek ? La sottise, la légèreté, l’envie de rire.

— Il me semble, lui dis-je, que cet applaudissement aux opinions du roi, et des princes du sang vienne d’une affection invincible de la nation qui les adore : elle est si grande qu’ils les croient infaillibles.

— lC’est vrai. Tout ce qui arrive en France fait croire aux étrangers que la nation adore son roi ; mais ceux entre nous qui pensent voient que cet amour de la nation au monarque n’est que du clinquant. Quel fondement y a-t-il à faire sur un amour qui n’a aucun fondement ? La cour n’y compte pas dessus. Le roi vient à Paris, [17r] et tout le monde crie : vive le roi, parce qu’un fainéant a commencé à faire ce cri. C’est un cri de la gaieté, de la peur peut-être que le roi même, croyez-moi, ne prend jamais pour argent comptant. Il lui tarde de retourner à Versailles, où il a vingt-cinq mille hommes qui le garantissent de la fureur de ce même peuple, qui devenu sage pourrait s’aviser de crier meure le Roi. Louis quatorze le connaissait34. Il en a coûté la vie à quelques conseillers de la grande chambre35 qui osèrent parler d’assembler les états généraux36 dans les calamités de l’état. La France n’a jamais aimé ses rois, excepté S. Louis37 à cause de sa piété, Louis XII38, et Henri IV après sa mort. Le Roi qui règne actuellement dit de bonne foi dans le temps de sa convalescence39 : Je m’étonne de ces grandes réjouissances parce que j’ai regagné ma santé, car je ne peux pas deviner la raison par laquelle on m’aime tant. On a fait l’apothéose de cette réflexion de notre monarque. Il raisonnait. Un courtisan philosophe devait40 lui dire qu’on l’aimait tant parce qu’il avait le surnom de bien-aimé.

— Y a-t-il quelque philosophe entre les courtisans ?

— Philosophe non, parce qu’en qualité de courtisan il ne peut pas l’être ; mais il y a des gens d’esprit qui en grâce de leur intérêt mordent le frein. Il n’y a pas longtemps que le roi exalta à un courtisan, que je ne vous nommerai pas, les plaisirs dont il jouissait en passant la nuit avec Madame la M.41, il disait qu’il ne croyait pas qu’il y eût une autre femme au monde qui sût enm donner des pareils. Le courtisan lui répondit [17v] que Sa Majesté pensait ainsi parce qu’elle n’avait jamais été au b..d.l42. Le courtisan fut envoyé à ses terres.

— Les rois de France ont raison, ce me semble d’abhorrer la convocation des états généraux, car ils deviennent pour lors à la même condition d’un pape qui convoque un concile.

— Pas tout à fait ; mais peu s’en faut. Les états généraux seraient dangereux, si le peuple, qui est le tiers état, pouvait contrebalancer les suffrages de la noblesse, et du clergé ; mais cela n’est pas, et cela ne sera jamais, car il n’est pas vraisemblable que la politique mette l’épée entre les mains des furieux. Le peuple voudrait bien parvenir à avoir la même influence, mais il n’y aura jamais ni roi, ni ministre qui la lui accorde. Un tel ministre serait sot ou traître.

Le jeune homme qui me tenant ce discours me donna d’abord une vraie idée de la nation, du peuple parisien, de la cour, et du monarque s’appelait Patu. Il m’arrivera de devoir parler de lui. En causant ainsi il me conduisit jusqu’à la porte de Silvia, et me fit compliment sur ce que j’avais l’accès dans cette maison.

J’ai trouvé cette aimable actrice en belle compagnie. Elle me présenta à tout son monde, et elle me fit connaître tous ceux auxquels elle me présenta. Le nom qui me frappa fut Crébillon43. Comment Monsieur ? lui dis-je. Heureux si rapidement ! il y a huit ans que vous me charmez. Écoutez de grâce.

Je lui récite alors la plus belle scène de sa Zénobie, et Radamiste44 traduite par moi en vers blancs45. Silvia était [18r] enchantée de voir le plaisir que Crébillon à l’âge de quatre-vingts ans ressentait en s’écoutant rendu dans une langue qu’il aimait plus que la sienne. Il récita la même scène en français, et il releva poliment les endroits dans lesquels il disait que je l’avais embelli. Je l’ai remercié sans être la dupe du compliment. Nous nous mîmes à table, et interrogé de ce que j’avais vu de beau dans Paris je leur ai dit tout ce que j’avais vu, et appris, excepté le discours de Patu. Après avoir parlé au moins deux heures, Crébillon qui avaitn observé plus que tous les autres la route que je prenais pour connaître le bon et le mauvais de sa nation, me parla en ces termes :

— Pour un premier jour je trouve, Monsieur, que vous promettez beaucoup. Vous ferez des progrès rapides. Je trouve que vous narrez bien. Vous parlez français à vous faire parfaitement comprendre ; mais tout ce que vous avez dit, vous l’avez prononcé par des phrases italiennes. Vous vous faites écouter, vous intéressez, et vous vous attirez par cette nouveauté une double attention de la part de ceux qui vous écoutent : je vous dirai même que votre jargon est fait pour vouso captiver46 le suffrage de ceux qui vous écoutent car il est singulier, et nouveau, et vous êtes dans le pays, où l’on court après tout ce qui est singulier, et nouveau ; mais malgré tout cela vous devez commencer demain, pas plus tard à vous donner toutes les peines pour apprendre à bien parler notre langue, car dans deux, ou trois mois les mêmes qui vous applaudissent aujourd’hui commenceront à se moquer de vous.

— Je le crois, et je le crains : [18v] aussi mon principal projet en venant ici fut celui de me donner de toute ma force à l’étude de la langue, et de la littérature françaisesp ; mais comment ferai-je, Monsieur, pour trouver un maître ? Je suis un écolier insoutenable, interrogateur, curieux, importun, insatiable. Je ne suis pas assez riche pour payer un maître pareil en supposant que je le trouve.

— Il y a cinquante ans, Monsieur, que je cherche un écolier tel que vous vous êtes peint, et c’est moi qui vous payerai si vous voulez venir prendre des leçons chez moi. Je demeure au marais dans la rue des douze portes47, j’ai les meilleurs poètes italiens que je vous ferai traduire en français, et je ne vous trouverai jamais insatiable.

J’ai accepté fort embarrassé à lui expliquer tous mes sentiments de reconnaissance. Crébillon avait une taille de six pieds : il me surpassait de trois pouces48 ; il mangeait bien, il narrait plaisamment, et sans rire, et il était célèbre pour les bons mots. Il passait la vie chez lui, ne sortant que très rarement, et ne voyant presque personne, parce qu’il avait toujours la pipe à la bouche, et dix-huit ou vingt chats qui l’entouraient, et avec lesquels il se divertissait la plus grande partie du jour. Il avait une vieille gouvernante, une cuisinière, et un domestique. Sa gouvernante pensait à tout, tenait son argent, et ne le laissant jamais manquer de rien, il ne lui en demandait jamais aucun compte. Une chose assez remarquable est celle-ci. La physionomie de Crébillon avait le [19r] caractère de celle du lion, ou du chat, ce qui est la même chose49. Il était censeur royal50, et il me disait que cela l’amusait. Sa gouvernante lui lisait les ouvrages qu’on lui portait, et suspendait sa lecture quand il lui paraissait que la chose méritait sa censure, et je riais de ses disputes avec cette gouvernante quand il était de différent avis. J’ai entendu un jour cette femme renvoyer quelqu’un qui était allé pour recevoir son manuscrit revu, en lui disant : venez la semaine prochaine, car nous n’avons pas encore eu le temps d’examiner votre ouvrage.

Je suis allé chez Crébillon trois fois par semaine une année de suite, et j’ai appris chez lui tout le français que je sais, mais je n’ai jamais pu me défaire des tournures italiennes : je les connais51 quand je les trouve dans les autres ; mais lorsqu’elles sortent de ma plume je ne les connais pas, et je suis sûr que je n’apprendrai jamais à les connaître, comme je n’ai jamais pu voir en quoi consiste le vice qu’on impute à Tite-Live dans sa latinité52.

J’ai composé un huitain en vers libres53 sur un certain sujet, et je les ai portés à Crébillon pour les soumettre à sa correction. Après avoir lu avec attention mes huit vers voilà ce qu’il me dit :

— Votre pensée est belle, et très poétique : votre langue est parfaite : vos vers sont bons et très justes ; et malgré tout cela votre huitain est mauvais.

— Comment cela ?

— Je n’en sais rien. Ce qui manque est le je ne sais quoi54. Imaginez-vous un homme que vous voyez, et que vous trouvez beau, bien fait, aimable, [19v] rempli d’esprit, parfait à la fin selon votre jugement le plus sévère. Une femme arrive, elle considère cet homme, et après l’avoir bien considéré, elle s’en va en vous disant, que cet homme ne lui plaît pas. — Mais, madame, dites-moi quel défaut vous lui trouvez. — Je n’en sais rien.

Vous retournez à cet homme, vous lui faites un examen plus exact, et vous découvrez à la finq que c’est un castrato. Ah ! vous dites pour lors, je vois actuellement la raison que cette femme ne l’a pas trouvé de son goût.

C’est par cette comparaison que Crébillon me fit apercevoir la raison que mon huitain pouvait ne pas plaire.

Nous parlâmes beaucoup à table de Louis XIV auquel Crébillon avait fait sa cour quinze années de suite, et il nous dit des anecdotes très curieuses que tout le monde ignorait. Il nous assura que les ambassadeurs de Siam étaient des fripons payés par Madame de Maintenon55. Il nous dit qu’il n’avait jamais achevé sa tragédie dont le titre était Cromwel parce que ler roi lui-même lui avait dit un jour de ne pas user sa plume d’après un coquin56.

Il nous parla de son Catilina, et il nous dit qu’il la croyait la plus faible de toutes ses pièces, mais qu’il n’aurait pas voulu qu’elle fût bonne si pour la rendre telle il eût dû faire paraître sur la scène César, car César jeune homme devait faire rire, comme ferait rire Médée si on la faisait paraître sur la scène avant qu’elle eût connu Jason. Il loua beaucoup le talent de Voltaire, [20r] mais en l’accusant de vol, car il lui avait volé la scène du Sénat57. Il dit, en lui rendant justice qu’il était né avec tout le talent pour écrire l’histoire, mais qu’il la falsifiait, et qu’il la remplissait des contes pour la rendre intéressante. L’homme au masque de fer, selon Crébillon était un conte, et il disait d’en avoir été assuré de la bouche même de Louis XIV58.

On donnait au théâtre italien dans ce jour-là, Cénie pièce de Madame de Grafigni59. J’y suis allé de bonne heure pour avoir une bonne place à l’amphithéâtre60.

Les dames toutes chargées de diamants qui entraient dans les premières loges m’intéressaient, et je me tenais attentif à les voir. J’avais un bel habit, mais ayant les manches ouvertes, et les boutons jusqu’au bas, tout le monde qui me voyait me reconnaissait pour étranger : cette mode n’existait plus à Paris. Pendant donc que je me tenais si attentif, un homme richement vêtu trois fois plus gros que moi m’approche, et me demande poliment si je suis étranger. Je lui dis qu’oui, et il me demande d’abord si je suis content de Paris. Je lui réponds, en lui en faisant l’éloge ; et dans le même instant je vois entrer dans la loge à ma gauche une femme couverte de pierreries, mais d’une taille énorme.

— Qui est donc, dis-je à mon gros voisin, cette grosse cochonne ?

— C’est la femme de ce gros cochon.

— Ah Monsieur je vous demande un million de pardons.

Mais l’homme n’avait pas besoin que je lui demandasse pardon, [20v] car bien loin d’être fâché il étouffait de rire. J’étais au désespoir. Après avoir bien ri, il se lève, il sort de l’amphithéâtre, et un moment après je le vois dans la loge parlant à sa femme. Je les vois rire tous les deux, et j’étais pour prendre le parti de m’en aller, lorsque j’entends qu’il m’appelle : Monsieur Monsieur. Je ne peux sans impolitesse me refuser, et je m’approche de la loge. D’un air alors sérieux, et très noble il me demande pardon s’il a tant ri, et de la meilleure grâce du monde il me prie d’aller souper chez lui le soir même. Je le remercie, et je lui dis que j’étais engagé. Il me réitère ses instances, la dame y met du sien, et pour les convaincre que ce n’est pas une défaite61 je leur dis que je suis engagé chez Silvia. Je suis sûr, dit-il, de vous dégager, si vous ne le trouvez pas mauvais ; j’irai en personne. Je cède ; il va ; il revient après avec Balletti qui me dit de la part de sa mère qu’elle est enchantée que je fasse des si belles connaissances, et qu’elle m’attend à dîner le lendemain. Balletti me dit à part que c’était M. de Beauchamp62 receveur général des finances.

Après la comédie j’ai donné ma main à Madame, et je suis entré dans son équipage. J’ai trouvé dans cette maison la profusion qu’on trouvait à Paris chez toutes les personnes de cette espèce. Grande compagnie, gros jeu de commerce63, et grande gaieté à table. On se leva de table à une heure après minuit, et on me fit reconduire. Cette maison me fut ouverte tout le temps que je suis resté à Paris, et elle me fut fort utile. Ceux qui disent que tous les [21r] étrangers qui vont à Paris s’ennuient au moins les premiers quinze jours, disent vrai, car pour se faufiler64 il faut le temps. Pour ce qui me regarde je sais qu’en vingt-quatre heures je me suis vu déjà occupé, et sûr de m’y plaire.

Le lendemain matin j’ai vu chez moi Patu qui me fit présent de l’éloge en prose qu’il avait fait au maréchal de Saxe65. Nous sortîmes ensemble, et nous allâmes déjeuner aux Tuileries66, où il me présenta à Madame du Boccage67. En parlant du maréchal de Saxe cette dame dit un bon mot. Il est singulier, dit-elle, que nous ne puissions pas dire un de profundis pour cet homme qui nous a fait chanter tant de Te Deum68. Il me conduisit après chez une fameuse actrice de l’opéra qui s’appelait la Le Fel69, bien-aimée de tout Paris, et membre femelle de l’académie royale de musique70. Elle avait trois enfants en bas âge charmants, qui voltigeaient par la maison.

— Je les adore, dit-elle.

— La beauté de leur physionomie, lui répondis-je, a dans tous les trois un différent caractère.

— Je le crois bien. L’aîné est fils du duc d’Aneci71 ; celui-là est du comte d’Eguemont72, et le cadet est fils de Maison rouge qui vient d’épouser la Romainville73.

— Ah ah ! Excusez de grâce. J’ai cru que vous étiez la mère de tous les trois.

— Je le suis aussi.

Et en disant cela, elle regarde Patu, et elle donne avec lui dans un grand éclat de rire qui me fit rougir jusqu’aux oreilles. J’étais nouveau. Je n’étais pas accoutumé à entendre une femme empiéter ainsi sur les droits des hommes. Mademoiselle Le Fel n’était pas effrontée, elle était franche, et supérieure à tous les préjugés. [21v] Les seigneurs auxquels ces petits bâtards appartenaient les laissaient entre les mains de leur mère, et lui payaient une pension pour les élever, et la mère vivait dans l’abondance. Mon inexpérience des mœurs de Paris me faisait donner ainsi dans des lourdes méprises. La le Fel aurait ri au nez de quelqu’un qui serait allé lui dire que j’avais de l’esprit après l’interrogation que je lui avais faite.

Un autre jour chez Lany74 maître des ballets de l’opéra j’ai vu quatre ou cinq filles toutes accompagnées de leur mère auxquelles il donnait des leçons de danse. Elles avaient toutes l’âge de treize à quatorze ans, et l’air modeste de l’honnête éducation. Je leur disais des choses flatteuses, et elles me répondaient en baissant les yeux. Une d’elles avait mal à la tête, et je lui fais flairer de l’eau des carmes : son amie lui demande si elle a bien dormi ; ce n’est pas cela, répond l’enfant, je crois que je suis grosse. À cette réponse inattendue je lui dis, comme une bête : je n’aurais jamais pensé que Madame fût mariée. Elle me regarde, puis elle se tourne à l’autre, et elles se mettent toutes les deux à rire de toute leur âme. Je m’en suis en allé tout honteux, et bien déterminé à ne plus supposer à l’avenir aucune pudeur dans des filles de théâtre. Elles se piquent de ne pas en avoir, et elles traitent de bêtes ceux qui leur en supposent.

Patu me fit connaître toutes les filles de Paris qui avaient quelque renommée ; il aimait le beau sexe autant que moi, mais malheureusement pour lui, il n’avait pas un tempérament si fort que le mien, et il paya de sa propre vie. [22r] S’il avait vécu il aurait remplacé Voltaire. Il est mort à l’âge de trente ans à S. Jean de Morienne, lorsqu’il revenait de Rome pour retourner en France. C’est de lui que j’ai appris un secret, que plusieurs jeunes lettrés français emploient pour s’assurer de la perfection de leur prose lorsqu’ils doivent écrire quelque chose qui demande que la prose soit belle au possible, comme par exemple les éloges, les oraisons funèbres, les lettres dédicatoires. J’ai relevé ce secret, de Patu même, par surprise.

Un matin chez lui j’ai vu sur sa table dess feuilles volantes remplies de vers alexandrins blancs : j’en ai lu une douzaine, et je lui ai dit que quoique beaux ils me faisaient plus de peine que de plaisir, et je lui ai ajouté que ce que j’avais lu dans ces vers me plaisait beaucoup plus dans l’éloge qu’il avait fait en prose au maréchal de Saxe.

— Ma prose ne t’aurait pas tant plu si je n’avais pas auparavant écrit en vers blancs tout ce que j’y dis.

— C’est se donner bien de la peine en pure perte.

— Point de peine, puisque les vers non rimés ne coûtent rien. On les écrit, comme si on écrivait de la prose.

— Tu crois donc que ta prose devient plus belle, lorsque tu la copies de tes propres vers ?

— Je le crois parce que ce n’est pas douteux ; elle devient plus belle, et outre cela je m’assure que ma prose n’aura pas le défaut d’être pleine de demi-vers, qui sortent de la plume de l’écrivain sans qu’il s’en aperçoive.

— Est-ce un défaut ?

— Très grand, et impardonnable. Une prose entrelardée de vers casuels75 est pire qu’une poésie prosaïque.

— Il est vrai que les vers involontaires qui se fourrent dans une oraison doivent faire mauvaise figure, et doivent même être mauvais.

— Certainement. Prends l’exemple de [22v] Tacite dont l’histoire commence par Urbem Romam a principio reges habuere [À l’origine Rome appartenait à des rois]76. C’est un hexamètre fort mauvais que certainement il n’a pas fait exprès, et qu’il n’a pas discerné après, car il aurait donné une autre tournure à sa phrase. Est-ce que votre prose italienne, où l’on trouve des vers involontaires n’est pas vicieuse ?

— Très vicieuse. Mais je te dirai que plusieurs pauvres génies y mettent des vers exprès pour la rendre plus sonore : c’est un clinquant ; mais ils se flattent qu’il passera pour or, et que les lecteurs n’y prendront pas garde. Mais je crois que tu es le seul qui veut bien se donner cette peine.

— Le seul ? Tu te trompest. Tous ceux auxquels les vers ne coûtent rien, comme à moi, font cela lorsque la chose qu’ils écrivent doit être copiée par eux-mêmes. Demande à Crébillon, à l’abbé de Voisenon, à la Harpe77, et à qui tu voudras, et on te dira ce que je te dis. Voltaire est le premier qui a employé cet art dans les petites pièces où sa prose est enchanteresse. L’épître par exemple à Madame du Châtelet78 est de ce nombre : elle est superbe : lis-la, et si tu y trouves un seul hémistiche dis que j’ai tort.

J’ai demandé à Crébillon, et il m’a dit la même chose ; mais il m’a assuré qu’il n’avait jamais fait cela.

Il tardait à Patu de me conduire à l’opéra pour voir l’effet que ce spectacle ferait dans mon esprit, car effectivement un Italien doit le trouver extraordinaire. On donnait un opéra dont le titre était Les Fêtes vénitiennes79. Titre intéressant. Nous allons nous mettre dans le parterre en payant quarante sous ; on y est debout80, et on y trouve bonne compagnie. Ce spectacle est celui quiu fait les délices de la nation. Solus Gallus cantat [seul le Français chante]81.

[23r] Après une symphonie très belle dans son genre donnée par un excellent orchestre on lève la toile, et je vois une décoration qui me représente la petite place de S. Marc vue de la petite île de S. Georges82 ; mais je suis surpris de voir le palais ducal à ma gauche, et les procuraties83, et le grand clocher à ma droite. Cette faute trop comique, et honteuse pour mon siècle commence par me faire rire, et Patu informé doit en rire aussi. La musique, quoique belle dans le goût antique, m’amuse un peu à cause de sa nouveauté, puis m’ennuie, et la mélopée me désole à cause de sa monotonie, et des cris hors de propos. Cette mélopée des Français remplace à ce qu’ils prétendent la mélopée grecque, et notre récitatif qu’ils détestent, et qu’ils ne détesteraient pas s’ils entendaient notre langue84.

Pour ce qui regarde l’erreur du prospect85 je l’attribue à la crasse ignorance du peintre qui avait mal copié une estampe. S’il avait trouvé des hommesv ayant l’épée au côté droit il n’aurait pas deviné que s’il le voit au droit il doit être au gauche.

L’action était un jour du carnaval, dans lequel les Vénitiens vont se promener en masque dans la grande place de S. Marc, et on y représentait des galants, des entremetteuses, et des filles qui nouaient, et dénouaient des intrigues ; tout ce qui était costume86 était faux, mais amusant. Mais ce qui me fit bien rire fut de voir sortir des coulisses le doge avec douze conseillers tous en toge bizarre qui se mettent à danser la grande passacaille87. Tout d’un coup j’entends le parterre qui claque des mains à l’apparition d’un grand, et beau danseur masqué avec une perruque noire à longues boucles qui descendaient jusqu’à la moitié de sa taille, et vêtu d’une robe ouverte par-devant qui lui allait jusqu’aux talons. Patu me dit d’un air dévot, et pénétré que je voyais le grand Dupré88. J’en avais entendu parler, et je m’y tiens attentif. Je vois cette belle figure qui s’avance à pas cadencés, et qui parvenue au bord de l’orchestre élève lentement ses bras arrondis, les meut avec [23v] grâce, les étend entièrement, puis les resserre, remue ses pieds, fait des petits pas, des battements à mi-jambe, une pirouette ensuite, et disparaît après entrant à reculons dans la coulisse. Tout ce pas de Dupré n’a duré que trente secondes. Le claquement du parterre et des loges était général ; je demande à Patu ce que cet applaudissement signifiait, et il me répond sérieusement qu’on applaudissait aux grâces de Dupré, et à la divine harmonie de ses mouvements. Il avait, me dit-il soixante ans89, et il était le même qu’il était quarante ans auparavant.

— Quoi ? Il n’a jamais dansé autrement ?

— Il ne peut pas avoir dansé mieux ; car ce développement que tu as vu est parfait. Y a-t-il quelque chose au-dessus du parfait ? Il fait toujours la même chose, et nous le trouvons toujours neuf ; telle est la puissance du beau, du bon, du vrai qui pénètre à l’âme. Voilà la véritable danse ; c’est un chant : vous n’en avez point d’idée en Italie.

À la fin du second acte voilà de nouveau Dupré avec son visage couvert d’un masque, cela va sans dire, qui danse, accompagné d’un air différent, mais à mes yeux la même chose. Il avance vers l’orchestre, il arrête sa taille un instant, très bien dessinéew, j’en conviens ; et tout d’un coup j’entends cent voix dans le parterre qui disent tout bas : oh ! Mon Dieu ! mon Dieu ! il se développe, il se développe. Et vraiment il paraissait un corps élastique qui en se développant devenait plus grand. J’ai accordé à Patu qu’il y avait à tout cela de la grâce, et je l’ai vu content. Tout d’un coup après Dupré je vois une danseuse qui comme une furieuse parcourt tout l’espace en faisant des entrechats à droite à gauche rapidement, mais ne s’élevant guère, applaudie à toute force.

— C’est la fameuse Camargot90, mon ami, que tu es arrivé à Paris à temps de voir. Elle a aussi soixante ans91. C’est la première danseuse qui a osé sauter, avant elle les danseuses ne sautaient pas : et l’admirable est qu’elle ne porte pas des culottes.

— Pardon ; j’ai vu….

[24r] — Qu’as-tu vu ? C’est sa peau, qui à dire vrai n’est pas blanche.

— La Camargot, lui dis-je d’un air pénitent, ne me plaît pas, j’aime mieux Dupré.

Un zélé très vieux que j’avais à ma gauche me dit qu’étant jeune elle faisait le saut de basque, et même la gargouillade92x et qu’il n’avait jamais vu ses cuisses malgré qu’elle dansât sans culottes.

— Mais si vous n’avez jamais vu ses cuisses comment pouvez-vous jurer qu’elle n’avait pas des culottes ?

— Oh ! ce sont des choses qu’on peut savoir. Je vois que Monsieur est étranger.

— Oh ! pour ça, oui.

Une chose qui m’a plu à l’opéra français fut l’obéissance du changement de décoration auy son du sifflet. Le début aussi de l’orchestre au coup d’archet : mais l’auteur de la musique avec un sceptre à la main qui se donnait un violent mouvement à droite, et à gauche, comme s’ilz avait dû faire agir tous les instruments par des ressorts, m’a choqué93. Ce qui me fit aussi plaisir fut le silence de tous les spectateurs. En Italie on est à juste titre scandalisé de l’insolent bruit qu’on y fait quand on chante, et il faut rire après quand on remarque le silenceaa qu’on observe quand on exécute le ballet. Il n’y a point d’endroit sur la terre où l’observateur ne trouve des extravagances, s’il est étranger, car s’il est du pays il ne peut pas les discerner.

Je me suis trouvé content à la comédie française94. Mon grand plaisir était d’y aller dans les jours où l’on donnait du vieux, et qu’il n’y avait pas deux cents spectateurs. J’ai vu Le Misanthrope, l’Avare, le Joueur, le Glorieux95, et je m’imaginais d’en voir la première représentation. Je suis arrivé à temps de voir Sarasin96, Grandval97, sa femme, la Dangeville98, la Dumenil99, la Gaussin100, la Cléron101, Préville102, et plusieurs actrices aussi qui retirées du théâtre vivaient de leurs pensions entre autres la Le Vasseur103. Je leur parlais avec plaisir, [24v] car elles me communiquaient les plus délicieuses anecdotes. Outre cela elles étaient très serviables. On donnait une tragédie, où une jolie comédienne jouait le rôle muet d’une prêtresse.

— Comme elle est jolie ! dis-je à une de ces matrones.

— Oui elle est à croquer. C’est la fille de celui qui a joué le confident. Elle est très aimable en société, et elle promet beaucoup.

— Je ferais bien volontiers sa connaissance.

— Oh mon Dieu ! cela n’est pas difficile. Son père et sa mère sont l’honnêteté même, et je suis sûre qu’ils seront enchantés si vous leur demandez à souper, et ils ne vous gêneront pas : ils iront se coucher, et ils vous laisseront causer à table avec la petite tant qu’il vous plaira. Vous êtes en France Monsieur où l’on connaît le prix de la vie, et où on tâche d’en tirer parti. Nous aimons les plaisirs, et nous nous croyons heureux quand nous pouvons les faire naître.

— Cette façon de penser est divine, Madame ; mais de quel front104 voulez-vous que j’aille demander à souper à des honnêtes gens qui ne me connaissent pas ?

— Oh mon Dieu ! Que dites-vous ? Nous connaissons tout le monde. Vous voyez bien comme je vous traite. Ai-je l’air de ne pas vous connaître ? Après la comédie je vous présenterai.

— Je vous prierai, Madame, de me faire cet honneur-là un autre jour.

— Quand il vous plaira Monsieur.

a. Baletti biffé.

b. Initié biffé.

c. Orth. de lettres puis, quatre lignes plus bas, de lettre : nous unifions.

d. Lettre biffé.

e. De ce siècle biffé.

f. Avec biffé.

g. Aux qualités biffé.

h. Orth. eu.

i. Tenant biffé.

j. Sa nation biffé.

k. Orth. fait.

l. Nous ajoutons le tiret, omis sur le manuscrit.

m. Procurer tant biffé.

n. Noté biffé.

o. Faire fortune, car il est biffé.

p. Orth. française (latinisme).

q. Qu’il est eunuque biffé.

r. Même roi lui dit biffé.

s. Vraisemblablement cayers [cahiers] biffé.

t. Orth. trompe.

u. Orth. que.

v. Tenant biffé.

w. Orth. dessiné.

x. Sans culotte, et que le parterre ne voyait rien biffé.

y. Coups de biffé.

z. Faisait agir tous biffé.

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