Mémoires de Casanova partie 1

Mon âge de 25 ans

CHAPITRE XIII

Départ de Paris, séjour à Dresdea

Mon ami Patu à la foire S. Laurent conçut l’envie de souper avec une actrice flamande qui s’appelait Morfi1, et m’invita à être de moitié de son caprice ; j’y ai consenti. La Morfi ne me tentait pas ; mais c’était égal : le plaisir de l’ami intéresse assez. Il proposa doncb deux louis, qui furent d’abord acceptés, et nous allâmes après l’opéra à la maison de la belle dans la rue des deux portes S. Sauveur2. Après le souper Patu eut envie de coucher avec elle, et j’ai demandé pour moi un canapé dans quelque coin de la maison. La petite sœur de la Morfi jolie gueuse, et sale me dit qu’elle me donnerait son lit, mais qu’elle voulait un petit écu3 ; je le lui ai accordé. Elle me conduit dans un cabinet, où je ne vois qu’une paillasse sur trois ou quatre planches.

— Et tu appelles cela un lit ?

— C’est mon lit.

— Je n’en veux point, et tu n’auras pas le petit écu.

— Est-ce que vous pensiez de vous déshabiller pour y dormir ?

— Sans doute.

— Quelle idée ! Nous n’avons pas des draps.

— Tu dors donc vêtue ?

— Point du tout.

— Eh bien ! Va donc te coucher toi-même, et tu auras le petit écu. Je veux te voir.

— Oui. Mais vous ne me ferez rien.

— Pas la moindre chose.

Elle se déshabille, elle se couche, et se couvre avec un vieux rideau. Elle avait treize ans. Je regarde cette fille ; je secoue tout préjugé ; je ne la vois plus ni gueuse, ni en lambeaux, et je trouve la beauté la plus parfaite. Je veux l’examiner toute, elle refuse, elle rit, elle ne veut pas ; mais un écu de six francs la rend douce comme un mouton, et n’ayant autre défaut que celui d’être sale, je la lave toute de mes propres mains : mon lecteur sait que l’admiration est inséparable d’une autre approbation,c et je trouve [55v] la petite Morfi disposée à me laisser faire tout ce que je veux hormis ce que je n’avais pas envie de faire. Elle me prévient qu’elle ne me permettrait pas cela, car cela, au jugement de sa sœur aînée valait vingt-cinq louis. Je lui dis que nousd marchanderions de cela une autre fois ; et pour lors ellee me donne toutes les marques de sa future complaisance dans celle qu’elle me démontref avec la plus grande prodigalité en tout ce que je pouvais vouloirg.

La petite Hélène, dont j’avais joui, en la laissant intacte, donna à sa sœur les six francs, et lui dit ce qu’elle espérait de moi. Elle m’appela avant que je parte, et elle me dit qu’ayant besoin d’argent, elle diminuerait quelque chose. Je luih réponds que j’irais lui parler le lendemain. J’ai voulu que Patu voie cette fille telle que je l’avais vue pour le faire avouer qu’il n’était pas possible de voir une beauté plusi accomplie. Hélène blanche comme un lys avait tout ce que la nature, et l’art des peintres pouvaient mettre ensemble de plus beau. Outre cela la beauté de la physionomie qui causait à l’âme qui la contemplait le plus délicieux calme. Elle était blonde4. J’y fus le soir, et ne m’étant pas accommodé pour le prix je lui ai donnéj douze francs pour que la sœur lui prête son lit, et j’ai enfin fait un accord que je lui donnerais toujoursk douze francs jusqu’à ce que je me déterminasse à payer lesl six cents5. L’usure était forte, mais la Morfi était de race grecque, et elle n’avait sur cela aucun scrupule. Il est certain que je ne me serais jamais déterminé à dépenser les vingt-cinq louis, car j’aurais cru d’y perdrem. La grande Morfi me croyait le plus grand des dupes, puisqu’en deux moisn j’avais dépensé trois cents francs pour rieno. Elle attribuait [56r] cela à mon avarice. Quelle avarice ! J’ai dépensép six louis pour la faire peindre toute nue d’après nature par un peintre allemand6 qui la fit vivante. Elle étaitq couchée sur son ventre, s’appuyant de ses bras, et de sa gorge sur un oreiller, et tenant sa tête comme si elle était couchée sur son dos. L’habile artiste avait dessiné ses jambes, et ses cuisses de façon que l’œil ne pouvait pas désirer de voir davantage. J’y ai fait écrire dessous O-Morphi. Mot qui n’est pas homérique, mais qui n’est pas moins grec. Il signifie Belle7.

Mais voilà les chemins secrets de la très puissante destinée. Mon ami Patu eut envie d’avoir la copie der ce portrait. Refuse-t-on cela à un ami ? Le même peintre la fit, alla à Versailles, la montra avec plusieurs autres portraits à M. de S.t Quentin, qui les montra au Roi, qui devint curieux de voir si le portrait de la Grecque était fidèle. S’il l’était le monarque prétendait d’avoir droit de condamner l’original à éteindre le feu qu’il lui avait allumé dans l’âme.

M. de S.t Quentin demanda au peintre s’il pouvait conduire à Versailles l’originals de la Grecque ; et il lui répondit qu’il croyait la chose très faisable. Il vint chez moi me communiquer l’affaire, et je l’ai trouvée bonne. La Morfi tressaillit de joie quand je lui ai dit qu’il s’agissait d’aller à la cour avec sa sœurt et avec le peintre conducteur, et se conformer là aux décrets de la providence. Un beau matin donc elle débarbouilla la petite, elle l’habilla décemment, et elle alla avec le peintre à Versaillesu, qui lui dit de se promener dans le parc jusqu’à son retour. Il retourna avec le valet de chambrev, qui lui dit d’aller à l’auberge attendre les deux sœurs, qu’il conduisit et enferma dans un cabinet de verdure8w. J’ai su le surlendemain de la Morfi même qu’une demi-heure après, le roi vint seul, [56v] luix demanda si elle était grecque, tira de sa poche le portrait, regarda bien la petite, et dit : Je n’ai jamais vu rien de plus ressemblant. Il s’assit, il la prit entre ses genoux, il lui fit quelques caressesy, et après s’être assuré de sa royale main qu’elle était toute neuve, il lui donna un baiser. O-Morphi le regardait, et elle riait.

— De quoi ris-tu ?

— Je ris de ce que vous ressemblez à un écu de six francs comme deux gouttes d’eau.

Le monarque à cette naïveté donna un grand éclat de rire, et lui demanda si elle voulait rester à Versailles : elle lui répondit de s’arranger avec sa sœur, et la sœur dit au Roi qu’elle ne désirait pas un plus grand bonheur. Le roi alors partit, et les enferma à la clef. Un quart d’heure après S.t Quentin vint les tirer dehors, mit la petite dans un appartement rez-de-chaussée entre les mains d’une femme, et est allé avecz l’aînée rejoindre l’Allemand, auquel il donna cinquante louis pour le portrait, et rien à la Morfi. Il prit seulement son adresse en l’assurant qu’elle aurait de ses nouvelles. Elle eutaa mille louis, qu’elle me montra le surlendemain. L’Allemand honnête me donna vingt-cinq louis pour mon portrait, et m’en fit un autre en le copiant de celui que Patu avait. Il s’offrit à me faire le portrait gratis de toutes les jolies filles qui m’en feraient venir l’envie. Mon grand plaisir fut celui de voir la joie de cette bonne Flamande qui, contemplant cinq cents doubles louis9, se croyait devenue riche, et qui me regardait comme l’auteur de sa fortune.

— Je ne m’attendais pas à tant, car il est vrai qu’Hélène est jolie, mais je ne croyais pas ce qu’elle me disait de vous. Est-il possible mon cher ami que vous l’ayez laissée pucelle ? Dites-moi la vérité.

— Si elle l’était, je peux vous assurer qu’à cause de moi elle n’a pas cessé de l’être.

— Sûrement elle l’était, car ce n’est qu’à vous que je l’ai livrée. Ah ! l’honnête homme ! Elle était destinée au Roi. Qui l’eût dit. Dieu est le maître de tout. J’admire votre vertu. Venez que je vous embrasse.

[57r] O-Morphi, car le roi ne l’appela jamais autrement, lui plut plus encore par sa naïveté, dont le monarque n’avait pas d’idée, que par sa beauté malgré qu’elle fût des plus régulières. Il la mit dans un appartement du Parc au cerf10, où S. M. tenait positivement son sérail, et où il n’était permis d’aller qu’aux dames présentées à la cour. La petite au bout de l’an accoucha d’un fils11 qui est allé on ne sait pas où, car Louis XV ne voulut jamais rien savoir des bâtards qu’il eut tant que la Reine Marie vécut.

O-Morphi fut disgraciée au bout de trois ans. Le roi lui donna quatre cent mille francs qu’elle porta en dot à un officier de l’état-major en Bretagne12. J’ai vu un fils de ce mariage13 l’année 1783 à Fontainebleau. Il avait vingt-cinq ans, et il ne savait rien de l’histoire de sa mère, dont il était le vrai portrait. Je l’ai prié de lui faire mes compliments, et j’ai écrit mon nom sur ses tablettes14.

La cause de la disgrâce de cette belle personne fut la malice de Mme de Valentinois15 belle-sœur du prince de Monaco. Cette dame, que tout Paris connaît, dit à l’O-Morphi, dans une visite qu’elle lui fit au Parc au cerf, de faire rire le Roi en lui demandant comme il traitait sa vieille femme. L’O-Morphi, dont l’esprit était trop simple, fit au roi cette même impertinente, et injurieuse question, qui surprit le monarque au point, qu’en se levant, et la foudroyant des yeux : Malheureuse, lui dit-il, qui vous a induite à me faire cette demande ? O-Morphi tremblante lui dit la vérité : le Roi lui tourna le dos, et elle ne le revit plus. La comtesse de Valentinois ne fut revue à la cour que deux ans après. Louis XV qui savait qu’il manquait à16 sa femme en qualité de mari, voulait au moins [57v] la dédommager en qualité de Roi. Malheur à celui qui aurait osé lui manquer.

Malgré tout l’esprit des Français Paris est, et sera toujours la ville où l’imposture fera fortune. Lorsqu’elle est découverte on s’en moque, et on en rit, et l’imposteur en rit encore plus, car il est déjà devenu riche recto stat famula talo [la pièce se tient sur un pied sûr]17. Ce caractère de la nation qui donne si facilement dans des panneaux vient de l’empire que la mode a sur elle. L’imposture est neuve ; elle devient donc de mode. Il suffit que la chose ait droit de surprendre par un caractère d’extraordinaire, et tout le monde y fait accueil, car tout le monde craint de paraître sot en disant : Cela est impossible. Il n’y a en France que les seuls physiciens qui sachent qu’entre la puissance et l’action il y a l’infini18, tandis qu’en Italie la force de cet axiome est enracinée dans l’esprit de tout le monde. Un peintre fit pour quelque temps fortune s’étant annoncé pour capable de faire le portrait d’une personne sans la voir : tout ce qu’il demandait était d’être bien informé par celui qui le lui demandait : il devait lui faire la description de la physionomie si exactement, que le peintre n’eût pas pu se tromper. Il arrivait de cela que le portrait faisait plus encore d’honneur à l’informateur, qu’au peintre ; et il arrivait aussi que l’informateur se voyait obligé à dire que le portrait ressemblait parfaitement, puisque s’il disait autrement le peintre alléguait la plus légitime de toutes les excuses ; il disait que si le portrait ne ressemblait pas la faute était de celui qui n’avait pas su lui communiquer la physionomie de la personne. Je soupais chez Silvia, lorsque quelqu’un [58r] débita cette nouvelle ; mais, observons bien, sans la ridiculiser, et sans mettre en doute l’habileté du peintre qui à ce qu’on disait avait déjà fait plus de cent portraits tous très ressemblants. Tout le monde disait que cela était beau. Je fus le seul quiab étouffant de rire j’ai dit que c’était une imposture. Le narrateur fâché me proposa une gageure de cent louis ; mais j’ai encore ri, parce que c’était une question sur laquelleac on ne pouvait parier, qu’en s’exposant à être dupé.

— Mais les portraits ressemblent.

— Je n’en crois rien ; et s’ils ressemblent il y a de la friponnerie.

La seule Silviaad étant de mon avis, accepte la partie que le narrateur lui propose d’aller dîner avec moi, et avec lui chez le peintre. Nous y allons, et nous voyons une quantité de tableaux portraits tous soi-disant ressemblants ; mais comme nous n’en connaissions pas les originaux, c’était égal.

— Me feriez-vous, Monsieur, lui dit Silvia, le portrait de ma fille sans la voir ?

— Oui Madame ; si vous êtes sûre de me faire la description de sa physionomieae.

Nous nous donnâmes alors un coup d’œil, et tout fut dit. La politesse ne permettait pas deaf dire davantage. Le peintre qui se nommait Sanson19 nous donna un bon dîner, et sa nièce qui avait de l’esprit me plut infiniment. Comme j’étais de bonne humeur je l’ai intéressée en la faisant beaucoup rire. Le peintre nous dit que son repas favori était le souper, et que nous lui ferions plaisir toutes les fois que nous l’honorerionsag en y allant. Il nous fit voir plus de [58v] cinquante lettres de Bordeaux, de Toulouse, de Lyon, de Rouen, deah Marseille dans lesquelles on lui ordonnait des portraits en lui envoyant la description des figures qu’on voulait : j’en ai lu trois ou quatre avec un plaisir infini. On le payait d’avance.

Deux ou trois jours après j’ai vu sa jolie nièce à la foire qui me fit des reproches de ce que je n’allais pas souper chez son oncle. Cette nièce était très intéressante, et flatté du reproche j’y suis allé le lendemain, et en sept huit jours la pratique devint sérieuse. J’en devins amoureux, et la nièceai qui avait de l’esprit, n’étant pas amoureuse, ne voulait que rire, et ne m’accordait rien. Malgré cela j’espérais, et je me voyais dans le puits20.

Je prenais du café tout seul dans ma chambre pensant à elle, lorsque je me vois visité par un jeune homme que je ne remettais pas. Il me dit qu’il avait eu l’honneur de souper avec moi chez le peintre Sanson.

— Oui oui : excusez, Monsieur, si je ne vous remettais pas.

— C’est naturel : vous n’eûtes des yeux à table que pour Mademoiselle Sanson.

— Cela se peut, car avouez qu’elle est charmante.

— Je n’ai pas de peine à l’avouer, car par21 mon malheur je ne le sais que trop.

— Vous en êtes donc amoureux.

— Hélas oui.

— Faites-vous aimer.

— C’est ce que je tâche de faire depuis un an, et je commençais à espérer lorsque vous êtes survenu pour me désespérer.

— Qui, monsieur ? Moi ?

— Vous-même.

— J’en suis bien fâché ; mais en même temps je ne saurais qu’y faire.

— Cela cependant n’est pas difficile, et si vous me le permettez je vous suggérerai moi-même ce que vous pourriez faire pour m’obliger.

— Dites-le-moi de grâce.

— Vous pourriez ne mettre plus de votre vie les pieds dans sa maison.

[59r] — Effectivement c’est tout ce que je pourrais faire ayant une extrême envie de vous obliger ; mais croyez-vous pour lors qu’elle vous aimerait ?

— Oh ! cela est mon affaire. En attendant n’y venez plus, vous, et j’aurai soin du reste.

— J’avoue que je peux avoir cette extraordinaire complaisance ; mais permettez-moi que je vous dise que je trouve singulier que vous y ayez compté dessus.

— Oui Monsieur : après avoir bien pensé. Je vous ai reconnu pour homme de beaucoup d’esprit. Je me suis donc persuadé que vous vous mettriez parfaitement à ma place, et que vous raisonneriez ; et que vous ne voudriez pas vous battre à mort avec moi pour une demoiselle que vous, comme je pense, n’avez pas envie d’épouser, tandis que dans mon amour mon seul objet est ce lien.

— Et si je pensais aussi à la demander pour ma femme ?

— Nous serions pour lors tous les deux également à plaindre, et moi plus que vous, car tant que je vivrai Mademoiselle Sanson ne sera jamais la femme d’un autre.

Ce jeune homme bien planté, pâle, sérieux, froid comme de la glace, amoureux qui vient me tenir un propos pareil avec un flegme surprenant dans ma propre chambre me donna sujet de penser. Je me suis promené un bon quart d’heureaj en long, et en large pour mettre sur une juste balance les deux actions, et voir laquelle me déclarerait plus brave, et plus digne de ma propre estime. J’ai vu que celle qui était faite pour me déclarer plus brave était celle qui devait me déclarer à l’esprit de mon rival pour plus sage que lui.

— Que penserez-vous de moi, Monsieur, lui dis-je d’un air décidé, si je ne mets plus les pieds chez Mademoiselle Sanson ?

— Que vous avez pitié d’un malheureux, qui sera toujours prêt à verser tout son sang pour vous [59v] témoigner sa reconnaissance.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis Garnier22 fils unique de Garnier marchand de vin dans la rue de Seine.

— Eh bien, Monsieur Garnier. Je n’irai plus chez Mademoiselle Sanson. Soyez mon ami.

— Jusqu’à la mort. Adieu Monsieur.

Voilà Patu, qui vient chez moi un moment après son départ, à qui je narre ce fait, et qui me trouve un héros : il m’embrasse, il pense, et il me dit qu’il en aurait agi de même à ma place ; mais pas à la place de l’autre.

Le comte de Melfort dans ces jours Colonel du régiment d’Orléans me fit prier par Camille sœur de Coraline, que je ne voyais plus, de tirer la réponse à deux questions par le moyen de ma cabale23. Je fais deux réponses fort obscures, mais disant beaucoup, je les cachette, et je les remets à Camille qui me prie le lendemain d’aller avec elle dans un endroit qu’elle ne veut pas me nommer. Elle me mène au palais royal, et nous montons par un petit escalier jusqu’à l’appartement de Madame la duchesse de Chartres24, qui vient un quart d’heure après, fait cent caresses à la petite reine25, et la remercie de lui avoir conduit ma personne. Après un petit préambule tout noble, et tout gracieux, mais sans façon elle commence à m’indiquer toutes les difficultés qu’elle trouvait dans les deux réponses que j’avais faitesak, et qu’elle tenait à la main. Après m’être montré un peu surpris que ces questions-là étaient de Son Alt. je lui dis queal je savais faire la cabale, mais que je ne valais rien pour l’interpréter, et qu’il lui fallait donc se donner la peine de faire elle-même des nouvelles questions faites pour rendre les réponses plus claires. Elle écrit donc tout ce qu’elle n’entendait pas, et tout ce qu’elle voulait savoir : je lui dis qu’il fallait qu’elle séparât les questions, car on ne pouvait pas demander à l’oracle deux choses, [60r] elle me dit de faire les questions moi-même ; je lui réponds qu’elle devait écrire tout de sa main, etam s’imaginer d’interroger une intelligence qui savait tous ses secrets. Elle écrit tout ce qu’elle voulait savoir en sept ou huit questions : elle les lit après toute seule, et elle me dit de l’air le plus noble qu’elle voudrait être sûre que personne, moi excepté, ne verrait jamais ce qu’elle venait d’écrire. Je le lui promets en parole d’honneur ; je lis, et je vois non seulement qu’elle avait raison, maisan qu’en les mettant dans ma poche pour les lui faire tenir le lendemain avec les réponses, je risquais de me compromettre.

— Il ne me faut, Madame, que trois heures pour tout ce travail, et je veux que V. A. soit tranquille. Si elle a à faire elle peut s’en aller, et me laisser ici, pourvu que personne ne vienne m’interrompre. Après que j’aurai fini je mettrai tout sous cachet : il me reste seulement à savoir à qui je dois remettre le paquet.

— À moi-même, ou à Madame de Polignac26, si vous la connaissez.

— Oui Madame je la connais.

La duchesse me donna de ses propres mains un briquet pour allumer une petite bougie, lorsque j’aurais besoin de cacheter, et s’en alla, et Camille en même temps. Je suis resté là enfermé à clef ;ao et trois heures après, comme je venais de finir, Madame de Polignac entra, je lui ai remis le paquet, et je me suis en allé.

La Duchesse de Chartres fille du prince de Conti27 avait vingt-six ans. Elle était remplie de cette espèce d’esprit fait pour rendre adorables toutes les femmes qui le possèdent, elle était très vive, sans préjugés, gaie, disant [60v] des bons mots, aimant le plaisirap, et le préférant à l’espoir d’une longue vie. Courte, et bonne était un mot qu’elle avait toujours sur la langue. Outre cela elle était bonne, généreuse, patiente, tolérante, et constante dans tous ses goûts. Avec cela elle était très jolie. Elle se tenait mal, et elle se moquait du maître des grâces Marcel28 qui voulait la corriger. Elle dansait tenant la tête penchée en avant, et les pieds en dedans ; malgré tout cela elle était charmante. Un défaut essentiel qui l’ennuyait, et qui faisait du tort à sa belle figure était des boutons qu’on croyait procédés du foie, et qui venaient d’un vice dans le sang, qui fut enfin la cause de sa mort, qu’elle brava jusqu’au dernier moment de sa vie.

Les questions qu’elle fit à mon oracle avaient pour objet des affaires qui regardaient son cœur, et entr’autres choses elle voulait savoir un remède pour faire disparaître de sa belle peau des petites bubes29 qui effectivement faisaient de la peine à tous ceux qui la voyaient. Mes oracles étaient obscurs dans tout ce dont j’ignorais les circonstances ; mais ils ne l’étaient pas sur sa maladie, et ce fut cela qui lui rendit mon oracle cher, et nécessaire.

Le lendemain après dîner, Camille m’écrivit un billet, comme je m’y attendais, dans lequel elle me priait de quitter tout pour être à cinq heures au palais royal dans le même cabinet où elle m’avait conduit. J’y fus, et un vieux valet de chambre qui m’attendait, partit dans l’instant, et cinq minutes après j’ai vu la charmante princesse.

[61r] Après un très court compliment, mais gracieux au possible, elle tira de sa poche toutes mes réponses, et elle me demanda si j’avais des affaires : je l’ai assurée que la seule que j’avais était celle de la servir. — Fort bien ; je ne sortirai pas non plus, et nous travaillerons. Là-dessus elle me montra toutes les nouvelles demandes qu’elle avait déjà faites sur toutes les matières, et particulièrement sur le remède pour faire disparaître les bubes. Ce qui lui avait accrédité mon oracle était une chose qu’il lui avait diteaq, et que personne ne pouvait savoir. J’ai conjecturé, et j’ai deviné : si je n’avais pas deviné c’eût été égal : j’avais eu la même indisposition, et j’étais assez physicien pour savoir qu’une guérison forcée d’une maladie cutanée par des topiques30 aurait pu tuer la princesse. J’avais déjà répondu qu’elle ne pouvait guérir en moins de huit jours de l’apparence de la maladie sur le visage, et qu’il lui fallait un an de régime pour la guérir radicalement ; mais qu’en huit jours elle paraîtrait guérie. Or nous passâmes trois heures pour savoir tout ce qu’elle devait faire. Curieuse de la science de l’oracle elle se soumit à tout, et huit jours après toutes les bubes disparurent. Je l’ai purgée tous les jours, je lui ai ordonné ce qu’elle devait manger, et je lui ai défendu toutes les pommades, en lui ordonnant seulement de se laver avant que de se coucher, et le matinar avec de l’eau de plantain31. L’oracle modeste ordonna à la princesse de faire le même lavage partout où elle aurait envie de voir le même effet, et la princesse enchantée de la discrétion de l’intelligence obéit.

[61v] Je suis allé exprès à l’opéra le jour que la princesse y parut avec son visage tout à fait propre. Elle se promena après l’opéra sur la grande allée de son palais royal suivie de toutes les premières dames, et fêtée de tout le monde ; elle me vit, et elle m’honora d’un sourire. Il me paraissait d’être le plus heureux des hommes. Camille, M. de Melfort, et Madame de Polignac étaient les seuls qui savaient que j’avais l’honneur d’être l’oracle de la princesse. Mais le lendemain du jour qu’elle fut à l’opéra des petits boutons retournèrent à salir sa peau, et j’ai reçu ordre d’aller au palais royal le matin. Le vieux valet de chambre qui ne me connaissait pas me fit aller dans un cabinet délicieux près d’un autre où il y avait une baignoire, et la duchesse y vint ayant l’air un peu triste car elle avait des petits boutons sur le menton, et sur le front. Elle tenait à la main une question à l’oracle, et comme elle était courte je me suis amusé à lui faire tirer la réponse à elle-même, ce qui la surprit lorsqu’en traduisant les nombres en lettres elle trouva que l’ange lui reprochait d’avoir transgressé le régime ordonné. Elle ne put pas le nier. Elle avait mangé du jambon, et elle avait bu des liqueurs. Dans ce moment une de sesas femmes de chambre vint lui dire un mot à l’oreille. Elle lui dit d’attendre un moment dehors. Vous ne serez pas fâché Monsieur, me dit-elle, de voir ici quelqu’un qui est de vos amis, et qui est discret. En disant cela elle met tous les papiers qui n’avaient rien de commun avec sa maladie dans sa poche, et elle appelle. Voilà une personne qui entre, et que j’ai priseat positivement pour un garçon d’écurie. C’était M. de Melfort.

[62r] — Voyez, lui dit-elle, M. Casanova m’a appris à faire la cabale, et elle lui montre la réponse qu’elle avait tirée. Le comte ne le croyait pas.

— Allons, me dit-elle, il faut le convaincre, que voulez-vous que je demande ?

— Tout ce qui plaira à Votre Altesse.

Elle pense, et elle tire de sa poche une boîte d’ivoire, et elle écrit : Dis-moi pourquoi cette pommade ne me fait plus aucun effet.

Elle fait la pyramide, les colonnes, et les clefs comme je lui avais déjà appris, et lorsqu’elle est pour tirer la réponse je lui montre à faire des additions, des soustractions, qui paraissent sortir des nombres, et qui étaient malgré cela arbitraires, et après cela je lui dis d’interpréter les nombres en lettres elle-même, et je sors faisant semblant d’avoir quelque besoin. Je rentre quand je crois que la traduction est faite, et je vois la duchesse hors d’elle-même d’étonnement.

— Ah ! Monsieur, quelle réponse !

— Fausse peut-être ; mais cela peut arriver.

— Point du tout ; divine. La voici : Elle n’a de force que sur la peau d’une femme qui n’a pas fait des enfants.

— Je ne trouve pas cette réponse étonnante.

— Parce que vous ne savez pas que cette pommade est celle de l’abbé de Brosses32 qui m’a guérie il y a cinq ans dix mois avant que j’accouche de M. le Duc de Montpensier33. Je donnerais tout ce que j’ai au monde pour apprendre à faire par moi-même cette cabale.

— Comment, dit le comte, c’est cette pommade dont je sais l’histoire ?

— Précisément.

— C’est surprenant.

— Je voudrais demander encore une chose qui regarde une [62v] femme dont je ne voudrais pas dire le nom.

— Dites la femme que j’ai dans ma pensée.

Elle demande alors quelle est la maladie de cette femme, et je lui fais tirer en réponse qu’elle veut en imposer à son mari. Pour lors la duchesse fit les hauts cris.

Il était fort tard, et je suis parti avec M. de Melfort qui avait auparavant parlé à part à Madame. Il me dit que ce que la cabale avait répondu sur la pommade était étonnant, et en voici l’histoire.

Madame la Duchesse, me dit-il, jolie comme vous la voyez, avait la figure si remplie de boutons que M. le Duc dégoûté n’avait pas la force de coucher avec elle : ainsi elle n’aurait jamais eu d’enfant. L’abbé de Brosses l’a guérie avec cette pommade, et toute belle elle est allée à la comédie française dans la loge de la Reine. Voilà par hasard le duc de Chartres qui va à la comédie sans savoir que sa femme y était, et va se mettre dans la loge du Roi. Il voit sa femme vis-à-vis de lui, il la trouve jolie, il demande qui c’est, on lui dit que c’était sa femme, il ne le croit pas ; il sort de sa loge, il va la voir, et il lui fait compliment sur sa beauté, puis il retourne dans sa loge. À onze heures et demie nous étions tous au palais royal dans l’appartement de la duchesse qui jouait. Tout d’un coup, chose extraordinaire, un page avertit la duchesse que le duc son époux entrait chez elle, elle se lève pour lui faire accueil, et le duc lui dit, qu’il l’avait trouvéeau si belle à la comédie que brûlant d’amour il était venu la prier de lui permettre de lui faire un enfant. À ces paroles nous partîmes d’abord tous, [63r] c’était dans l’été de l’année quarante-six, et dans le printemps de l’année quarante-sept elle accoucha du duc de Montpensier qui a cinq ans, et qui se porte bien. Mais après ses couches les boutons revinrent, et la pommade ne valut plus rien.

Après cette anecdote le comte tira de sa poche une boîte ovale d’écaille où était le portrait de Madame la duchesse, très ressemblant, et il me le donna de sa part en me disant que si je voulais le faire monter en or, elle m’envoyait aussi l’or, et il me remit un rouleau de cent louis. Je l’ai reçu en le suppliant de témoigner à la princesse toute ma reconnaissance ; mais je n’ai pas fait monter en or le portrait, car j’avais alors grand besoin d’argent. Dans la suite lorsque la duchesse me faisait dire d’aller au palais royal il n’y avait plus question de guérir les boutons, car elle n’a jamais voulu se soumettre à un régime ; mais elle me faisait passer les cinq, et les six heures tantôt dans un coin, et tantôt dans un autre s’en allant, venant après me rejoindre, et me faisant donner à dîner, ou à souper par ce vieux bonhomme qui ne me disait jamais le moindre mot. Les cabales ne roulaient que sur des affaires secrètes d’elle ou d’autres dont elle était curieuse, et elle trouvait des vérités que je ne savais pas de savoir. Elle désiraitav que je lui apprisse à la faire ; mais elle ne me pressa jamais : elle me fit seulement dire par M. de Melfort qu’elle me ferait avoir un emploi qui me rendrait vingt-cinq mille livres34 de rente, si je voulais lui apprendre ce calcul. Hélas ! c’était impossible. J’étais amoureux d’elle à la folie, [63v] mais je ne lui ai jamais donné le moindre indice de ma passion. Une pareille bonne fortune me paraissait trop grande : j’avais peur de me voir humilié par un mépris trop marqué ; et peut-être étais-je un sot. Tout ce que je sais est que je me suis toujours repenti de ne m’être pas déclaré. Il est vrai que je jouissais de plusieurs privilèges, dont elle ne m’aurait pas laissé jouir, peut-être, si elle avait su que je l’aimais. J’avais peur de les perdre en me découvrant. Elle voulut un jour savoir de la cabale si on pouvait guérir un cancer que Madame la Popelinière35 avait à un sein. J’ai eu le caprice de lui répondre que cette dame n’avait aucun cancer, et qu’elle se portait très bien. Comment, dit-elle, tout Paris le croit, elle-même fait des consultations avec tout le monde ; malgré cela je crois à la cabale. Elle voit à la cour M. de Richelieu, et elle lui dit qu’elle était sûre que Mme la Popelinière feignait, le Maréchal qui était du secret dit à la duchesse qu’elle se trompait, et elle lui offrit une gageure de cent mille francs36 : elle me fit trembler quand elle me dit cela.

— A-t-il accepté le pari ?

— Non. Cela l’a étonné, et vous savez qu’il doit le savoir.

Trois ou quatre jours après, elle me dit, que M. de Richelieu lui avait avoué que ce cancer était une ruse pour mouvoir à pitié son mari avec lequel elle avait envie de retourner ; mais que le Maréchal avait dit qu’il payerait mille louis pour savoir comment elle avait su cela.

— Si vous voulez les gagner, dit-elle, je lui dirai tout.

— Non non, madame, je vous en supplie.

J’eus peur d’une attrape. Je connaissais la tête37 du Maréchal, [64r] l’aventure du trou dans lesaw parois de la cheminée par où ce fameux seigneur entrait chez cette femme était connue de tout Paris38. M. de la Popelinière même avait renduax l’histoire publique en ne voulant plus voir sa femme à laquelle il donnait douze mille francs39 par an. La duchesse avait composé des couplets fort jolis sur cet événement ; mais personne ne les a vusay hors de sa coterie que le Roi, qui l’aimait beaucoup malgré qu’elle lui lançait de temps en temps des bons mots sanglants. Elle lui demanda un jour s’il était vrai que le Roi de Prusse venait à Paris, et le Roi lui ayant répondu que c’était un conte elle lui repartit qu’elle en était fâchée parce qu’elle mourait d’envie de voir un Roi.

Mon frère qui avait déjà fait à Paris plusieurs tableaux se détermina à en présenter un à M. de Marigni. Nous allâmes donc ensemble un beau matin chez ce seigneur qui demeurait au Louvre où les artistes allaient lui faire leur cour. Nous nous trouvâmes dans la salle contiguë à son appartement, et étant arrivés les premiers nous attendions qu’il sortît. Le tableau était là exposé. C’était une bataille dans le goût de Bourguignon40.

Voilà un homme habillé de noir qui entre, voit le tableau, s’y arrête un moment, et dit, tout seul : C’est mauvais. Un moment après deux autres arrivent, regardent le tableau, rient et disent : C’est de quelque écolier. Je lorgnais mon frère, qui était assis à côté de moi, et qui suait à grosses gouttes. En moins d’un quart d’heure la salle se trouva remplie de monde, et la méchanceté41 du tableau était le sujet des risées de tous ceux qui étaient là en cercle le critiquant. Mon pauvre frère se sentait mourir, et remerciait Dieu que personne ne le connaissait.

[64v] Comme la situation de son âme m’excitait à rire je me suis levé, et je suis entré dans l’autre salle. J’ai dit à mon frère qui me suivit, que M. de Marigny allait sortir, et qu’en trouvant son tableau beau il le vengerait de tous ces gens-là ; mais très sagement il ne fut pas de cet avis. Vite vite nous descendîmes, nous entrâmes dans notre fiacre ordonnant à notre domestique d’aller prendre le tableau. Ainsi nous retournâmes chez nous, et mon frère donna au tableau vingt coups d’épée pour le moins ; et prit dans le moment la résolution d’arranger ses affaires, et de quitter Paris pour aller ailleurs étudier, et se rendre maître dans l’art auquel il s’était adonné. Nous nous déterminâmes à aller à Dresde.

Deux ou trois jours avant que de quitter l’agréable séjour de cette ville enchanteresse, j’ai dîné tout seul aux Tuileries chez le suisse de la porte de feuillants42 qui s’appelait Condé. Après dîner sa femme assez jolie me présenta une carte où j’ai vu tout mis au double : je voulais rabattre, mais elle ne voulut me diminuer un seul liard43. J’ai donc payé, et comme la carte était quittancée au bas par ces mots femme Condé, j’ai pris la plume et j’ai ajouté au mot Condé – Labré. Après cela je suis sorti en me promenant vers le pont tournant44. Lorsque je ne pensais plus à la femme du Suisse, qui m’avait surfait, je vois unaz petit homme coiffé à l’oiseau royal45, ayant à sa boutonnière un bouquet énorme, et une épée en ceinture dont la gardeba tierçait46 de deux poucesbb, qui m’aborde d’un air insolent, et me dit sans préambule qu’il avait envie de me couper la gorge.

— En sautant, puisque vous n’êtes qu’un bout d’homme vis-à-vis de moi, qui vous couperai les oreilles.

— Sacr…… Monsieur.

— Point de colère de manant. Vous n’avez qu’à me suivre.

Je vais à longs pas jusqu’à l’Étoile47, où ne voyant personne, je [65r] demande à l’insolent ce qu’il me voulait, et la raison qui le conduisait à m’attaquer.

— Je suis le chevalier de Talvis48. Vous avez insulté à49 une honnête femme que je protège. Dégainez.

En disant ces mots il tire son épée. Je tirebc dans l’instant la mienne, et sans attendre qu’il se couvre je le blesse à la poitrine. Il saute en arrière, et il me dit que je l’ai blessé en assassin.

— Vous mentez, et convenez-en, oubd je vous égorge.

— Point du tout, car je suis blessé ; mais je vous demanderai ma revanche, et nous ferons juger le coup.

Je l’ai laissé là ; mais mon coup était en règle, puisqu’il mit l’épée à la main avant moi. S’il ne s’est pas couvert c’est sa faute.

À la moitié du mois d’Août50 j’ai quitté Paris avec mon frère, où j’ai séjourné deux ans, et où j’ai joui de tous les plaisirs de la vie sans aucun désagrément, si ce n’est que je me suis souvent trouvé bas en argent. Par Metz, et par Francfort nous arrivâmes à Dresde à la fin du mois, et nous vîmes notre mère qui nous fit le plus tendre accueil charmée de voir les deux premiers fruits de son mariage qu’elle ne pouvait pas espérer de revoir. Mon frère s’adonna entièrement à l’étude de son art en copiant dans la célèbre galerie51 les beaux tableaux de batailles qui s’y trouvent des auteurs les plus célèbres. Il y passa quatre ans, jusqu’à ce qu’il crut d’être devenu en état de retourner à Paris, et de braver la critique. Je narrerai à sa place comme nous y retournâmes presque dans le même temps52 ; mais mon lecteur avant cette époque verra comme je fus traité par la fortune ennemie, et amie tour à tour.

La vie que j’ai menéebe à Dresde jusqu’à la fin du carnaval de l’année suivante 1753 ne contient rien d’extraordinaire. La seule chose que j’ai faitebf pour faire plaisir aux comédiens fut une pièce comico-tragique où j’ai employé deux [65v] personnages qui jouaient le rôle d’Arlequin. Ma pièce était une parodie des Frères ennemis de Racine53. Le Roi54 rit beaucoup des disparates55 comiques dont ma comédie était farcie, et j’ai reçu au commencement du carême un beau présent de ce monarque prodigue secondé d’un ministre56 dont l’Europe n’a vu nulle part le plus magnifique57. J’ai dit adieu à ma mère, à mon frère, et à ma sœur devenue femme de Pierre Auguste maître de clavecin de la cour qui mourut il y a deux ans58, en laissant sa veuve dans une honnête aisance, et sa famille heureuse.

J’ai employé les trois premiers mois de mon séjour à Dresde à connaître toutes les beautés mercenaires. Je les ai trouvées supérieures aux Italiennes, et aux Françaises pour ce qui regarde le matériel, mais très inférieures dans les grâces, dans l’esprit, et dans l’art de plaire, qui consiste principalement à paraître amoureuse de celui qui les trouva aimables, et qui les paye. Cela fait qu’elles ont la réputation d’être froides. Ce qui m’arrêta dans ces courses brutales fut une indisposition qu’une belle Hongroise de la société de la Creps59 me communiqua. C’était labg septième, et je m’en suis délivré comme toujours par un régime de six semaines. Je n’ai jamais dans ma vie fait autre chose que travailler pour me rendre malade quand je jouissais de ma santé, et travailler pour regagner ma santé quand je l’avais perdue. J’ai très bien, et également réussi dans l’un, et dans l’autre, et je jouis aujourd’hui à l’égard de cela d’une santé parfaite, dont je voudrais bien pouvoir encore faire dégât60 ; mais l’âge me le défend. Le mal que nous appelons français n’abrège pas la vie, quand on sait s’en guérir ; il laisse seulement des cicatrices ; mais on s’en console facilement quand on pense [66r] qu’on les a gagnées avec plaisir, comme les militaires qui se plaisent à voir les marques de leurs blessures indices de leur vertu, et sources de leur gloire.

Le roi Auguste électeur de Saxe aimait son premier ministre comte de Brühl parce qu’à proportion il dépensait plus que lui, et parce qu’il ne lui laissait jamais trouver rien d’impossible. Ce Roi était un homme ennemi déclaré de l’économie, riant de ceux qui le volaient, et ne dépensant beaucoup que pour se procurer des sujets de rire. N’ayant pas assez d’esprit pour rire des sottises politiques des souverains, et des ridicules des hommes de toutes les espèces, il tenait à son service quatre bouffons qu’en allemand on appelle fous, dont l’office était celui de le faire rire par des véritables scurrilités61, par des cochonneries, par des impertinences. Ces messieurs fous obtenaient souvent de leur maître des grâces importantes en faveur de ceux pour lesquels ils s’intéressaient. Il arrivait de cela que très souvent ces fous se voyaient honorés, et cultivés par des honnêtes gens qui avaient besoin de leur protection. Quel est l’homme auquel le besoin ne fasse faire des bassesses ? Agamemnon dans Homère dit à Ménélas qu’ils sont dans le cas de devoir en faire62.

On a tort aujourd’hui en conversation, et en histoire de dire que le comte de Brühl fut la cause de ce qu’on appelait dans ce temps-là la perte de la Saxe. Cet homme n’était que le ministre fidèle de son maître, et tous ses enfants, qui n’ont rien hérité de toutes ses prétendues grandes richesses justifient assez la mémoire de leur père63.

J’ai enfin vu à Dresde la plus brillante cour de toute l’Europe, et les arts qui y fleurissaient. Je n’y ai pas vu la galanterie, car le Roi Auguste n’était pas galant, et les [66v] Saxons ne sont pas de nature à l’être, lorsque le souverain ne leur en donne pas l’exemple.

À mon arrivée à Prague64, où je n’avais pas intention de m’arrêter, je n’ai fait que porter une lettre d’Amorevoli65 à l’entrepreneur de l’opéra Locatelli66, et voir la Morelli67. C’était une ancienne connaissance qui me tint lieu de tout en trois jours que j’ai passésbh dans cette vaste ville. Maisbi au moment de mon départ, j’ai rencontré dans la rue mon ancien ami Fabris, qui était Colonel68, et qui m’obligea à aller dîner avec lui. Je l’embrasse, et je lui remontre que je dois partir. — Vous partirez ce soir avec un de mes amis, et vous rejoindrez la Diligence. J’ai fait ce qu’il a voulu, et j’en fus enchanté. Il souhaitait la guerre, et elle arriva deux ans après69, où il acquit beaucoup de gloire.

Pour ce qui regarde Locatelli, c’était un caractère original, qui valait la peine d’être connu. Il mangeait tous les jours à une table de trente couverts : les convives étaient ses acteurs, actrices, danseurs, et danseuses, et ses amis. Il présidait lui-même à la bonne chère qu’il faisait faire, car celle de bien manger était sa passion. J’aurai occasion de parler de lui, lorsque je serai à mon voyage de Pétersbourg70, où je l’ai trouvé, et où il est mort il n’y a pas longtemps à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

a. Mon arrivée à Vienne biffé.

b. Quatre puis trois ou biffé.

c. Et la petite Morphi me laissa faire d’elle.

d. Parlerions biffé.

e. Se dispose à me donner biffé.

f. Dans sa biffé.

g. En respectant donc toujours son petit trésor j’ai passé avec elle délicieusement tout le temps que Patu passa avec l’adulte biffé.

h. Ai dit biffé.

i. Parfaite biffé.

j. Un louis biffé.

k. Un louis biffé.

l. Vingt-cinq biffé.

m. Le cent pour quatre biffé.

n. J’en avais dépensé trente biffé.

o. Disait-elle biffé.

p. Quatre biffé.

q. Peinte biffé.

r. Mon biffé.

s. Et il lui dit qu’on le défrayerait, et le peintre lui biffé.

t. Sans lui dire pourquoi biffé.

u. Où elle se promena avec sa fille jusqu’au retour du peintre qui vint biffé.

v. L’Allemand pour lors eut ordre d’aller attendre à l’auberge, et les deux sœurs furent placées enfermées biffé.

w. à clef. Une heure après, me dit la Morphi biffé.

x. Parla biffé.

y. Et ils biffé.

z. La Morphi biffé.

aa. Cinq cents louis, comme je l’ai su après biffé.

ab. Étouffais de rire criant à la bêtise, et finissant par dire que.

ac. On ne pouvait pas parier, car.

ad. Était de mon avis, et elle.

ae. — Je n’en suis pas sûre, Monsieur, mais je suis aussi sûre que personne au monde ne la connaît mieux que moi. biffé.

af. Badiner biffé.

ag. D’y biffé.

ah. Bruxelles, puis Lille biffé.

ai. Avait de l’esprit, n’était pas amoureuse apparemment.

aj. Dans ma chambre biffé.

ak. Orth. fait.

al. Je sais faire la cabale, mais que je ne vaux rien.

am. De biffé.

an. Que je risquais de me compromettre biffé.

ao. Mais biffé.

ap. Au-dessus biffé.

aq. Orth. dit.

ar. En se lavant biffé.

as. Dames lui dit biffé.

at. Orth. pris.

au. Orth. trouvé.

av. De biffé.

aw. Orth. le.

ax. L’aventure biffé.

ay. Orth. vu.

az. Jeune biffé.

ba. Excédait d’ biffé.

bb. Au moins biffé.

bc. Après lui biffé.

bd. Poursuivons biffé.

be. Orth. mené.

bf. Orth. fait.

bg. Sixième ou la biffé.

bh. Orth. passé.

bi. Le passage « Mais au moment […] de gloire » est ajouté dans la marge gauche.

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CHAPITRE XIV

[67r] Mon séjour à Vienne

Me voilà dans laa capitale de l’Autriche pour la première fois dans le bel âge de vingt-huit ans. J’avais quelques effets1, mais je n’avais guère d’argent ; il fallait donc aller doucement jusqu’au retour d’une lettre de change que j’ai d’abord tiréeb surc M. de Bragadin. Je n’avais autre lettre qu’une du poète Migliavacca2 de Dresde qui me recommandait à l’illustre abbé Metastasio que je brûlais d’envie de connaître. Je la lui ai présentée le surlendemain, et dans une heure d’entretien je l’ai trouvé encore plus grand que ses ouvrages ne l’annoncent pour ce qui regarde l’érudition, et une modestie, que dans le commencement je n’ai pas crued naturelle ; mais je me suis vite vite aperçu qu’elle était véritable lorsqu’elle disparaissait d’abord qu’il récitait quelque chose du sien, et qu’il en faisait observer les beautés lui-même. Je lui ai parlé de son précepteur Gravina3, et il me dit cinq ou six stances qu’il avait composéese à sa mort, qui n’étaient pas imprimées, et je l’ai vu verser des larmes attendri par la douceur de sa propre poésie. Après me les avoir récitées, il ajouta ces mots : Ditemi il vero : si può dir meglio ? [Dites-moi la vérité : peut-on écrire mieux ?] Je lui ai répondu qu’il n’appartenait qu’à lui de croire cela impossible.f

[67v] Je lui ai demandé si ses beaux vers lui coûtaient beaucoup de peine, et il me montra d’abord quatre ou cinq pages remplies de ratures pour avoir voulu réduire à la perfection quatorze vers. Il m’assura qu’il n’avait jamais pu en faire davantage dans un seul jour. Il me confirma une vérité que je savais que les vers qui coûtent le plus de peine à un poète sont ceux que les lecteurs non initiés pensent qu’ils ne lui en ont coûté aucune. Je lui ai demandé quel était celui de ses opéras qu’il aimait davantage et il me dit que c’était son Attilio Regolo4, et il ajouta : Ma questo non vuol già dire che sia il migliore [Mais cela ne veut pas dire qu’il soit le meilleur]. Je lui ai dit qu’on avait traduit à Paris tous ses ouvrages en prose française5, et que l’éditeur s’était ruiné, car il n’était pas possible de les lire ; et que cela démontrait la force de sa belle poésie. Il me répondit qu’un autre sot s’était ruiné dans le siècle passé qui avait traduit en prose française l’Arioste6, et il rit beaucoup de ceux qui soutinrent, et qui soutiennent qu’un ouvrage en prose puisse avoir le droit d’être appelé poème7. Pour ce qui regarde ses ariettes il me dit qu’il n’en a jamais écrit aucune sans la mettre en musique lui-même, mais qu’ordinairement il ne montrait sa musique à personne ; et il rit beaucoup des Français qui croient qu’on puisse adapter des paroles à une musique faite d’avance. Il me porta une comparaison très philosophique. C’est, me dit-il, comme si on disait à un sculpteur : Voilà un morceau de marbre, faites-moi une Vénus, [68r] qui montre sa physionomie avant que vous ayez développé ses traits.

J’ai trouvé avec grande surprise à la bibliothèque impériale8 Monsieur de la Haye avec deux Polonais, et un jeune homme vénitien9 que son père avait mis près de lui pour qu’il lui donnât une bonne éducation. Je l’ai embrassé à reprises. Je le croyais en Pologne. Il me dit qu’il était à Vienne pour affaires, et qu’il serait de retour à Venise dans l’été. Nous nous fîmes des visites réciproques, et d’abord que je lui ai dit que je n’avais pas d’argent il me prêta cinquante sequins10, dont je lui ai tenu compte. La nouvelle qu’il me donna, et qui me fit un très sensible plaisir fut celle de son ami le Baron de Bavois qui était déjà Lieutenant-Colonel au service vénitien. Il avait eu le bonheur d’être choisi pour adjudant général par M. Morosini qu’à son retour de l’ambassade de France la République avait fait commissaire aux confins11. J’étais enchanté de voir devenus heureux ceux qui devaient me reconnaître pour premier auteur de leur fortune. J’ai su à Vienne sans pouvoir en douter que de la Haye avait été jésuite ; mais il ne fallait pas lui en parler.

Ne sachant où aller, et ayant envie de me divertir je suis allé à la répétition de l’opéra12 qui devait commencer après Pâques, et j’ai trouvé Bodin premier danseur qui avait épousé la Jeoffroi. Je les avais vusg tous les deux à Turin. J’ai aussi trouvé là Campioni le [68v] mari de la belle Ancilla, qui me dit qu’il avait fait divorce, car elle le déshonorait. Campioni était grand danseur, et grand joueur. Je me suis logé avec lui.

Tout à Vienne était beau, il y avait beaucoup d’argent, et beaucoup de luxe ; mais une grande gêne pour ceux qui étaient dévoués à Vénus. Des scélérats espions qu’on appelait commissaires de chasteté13 étaient les bourreaux impitoyables de toutes les jolies filles ; l’impératrice qui avait toutes les vertus, n’avait pas celle de la tolérance lorsqu’il s’agissait d’un amour non légitime entre un homme, et une femme14. Cette grande souveraine très religieuse haïssait en général le péché mortel, et désirant de se faire un mérite devant Dieu en l’extirpant elle crut avec raison qu’il fallait le persécuter en détail. Elle prit donc entre ses royales mains le registre de ce qu’on appelle les péchés mortels, elle trouva qu’ils étaient sept, et elle crut qu’elle pouvait dissimuler sur six, maish la paillardise lui parut impardonnable, et ce fut contre elle que tout son zèle se déploya, et éclata.

— On peut, dit-elle, ne pas connaître l’orgueil, car la dignité en porte l’étendard. L’avarice est affreuse, mais on peut s’y méprendre ; elle peut paraître économie à celui qui aime l’espèce. Pour la colère c’est une maladie, qui dans son accès esti meurtrière, mais les homicides sont punis de mort. La gourmandise peut n’être que friandise, qui passe pour une vertu dans la bonne compagnie, et elle s’allie avec l’appétit. Tant pis d’ailleurs pour ceux qui meurent d’une indigestion. L’Envie n’est jamais avouée ; et la Paresse est punie par l’ennui. Mais l’Incontinence est ce que je ne peux pas pardonner. Mes sujets seront les maîtres de trouver jolies toutes les femmes qui leur paraîtront telles, et les femmes feront tout ce qu’elles pourront pour le paraître ; [69r] qu’on s’entre-désire tant qu’on voudra, je ne peux pas l’empêcher ; mais je ne souffrirai jamais l’acte indigne qui tend à contenter ce désir, qui est cependant inséparable de la nature humaine, et cause de la reproduction de l’espèce. Qu’on se marie, si on veut avoir ce plaisir-là, et périssent tous ceux qui veulent se le procurer pour leur argent, et qu’on envoie à Temisvar15 toutes les malheureuses, qui vivent du parti qu’elles pensent pouvoir tirer de leurs charmes. Je sais que sur cet article-là on est indulgent à Rome pour empêcher, dit-on, la sodomie, les incestes, et les adultères ; mais mon climat est un autre ; mes Allemands n’ont pas le diable au corps comme les Italiens, qui n’ont pas, comme on l’a ici, la ressource de la bouteille ; et d’ailleurs les désordres de conséquence seront aussi surveillés, et lorsque je saurai qu’une femme n’est pas fidèle à son mari, je la ferai enfermer aussi, malgré qu’on prétend, que le mari en est le seul maître. Ce ne peut pas être une raison dans mes états, car les maris y sont trop indolents. Je laisserai crier tant qu’ils voudront les maris fanatiques qui prétendront qu’en punissant leurs femmes je les déshonore. Ne sont-ils pas déshonorés d’avance ?

— Mais, Madame, le déshonneur ne peut exister que dans la publicité16, et d’ailleurs vous pouvez être trompée.

— Taisez-vous.

Dans cette féroce maxime, sortie du seul défaut que la grande Marie-Thérèse avait sub specie recti [sous prétexte de justice]17, naissaient toutes les injustices, et toutes les rapines que commettaient les bourreaux commissaires de chasteté. On enlevait, et on conduisait en prison à toutes les heures du jour dans les rues de Vienne toutes les filles qui toutes seules marchaient pour aller gagner leur vie même honnêtement. Mais comment pouvait-on savoir que ces filles allaient se faire consoler chez [69v] quelqu’un ou qu’elles cherchaient le consolateur ? Un espion les suivait de loin, la police en payait cinq cents, et ils n’étaient pas vêtus en uniforme. Lorsque la fille entrait dans une maison, l’espion qui l’avait vue, ne pouvant pas savoir à quel étage elle était montée, l’attendait en bas, et s’en emparait pour savoir chez qui elle était allée, et ce qu’elle y avait fait, et au moindre sens obscur dans ses réponses, le bourreau la conduisait en prison, commençant par lui prendre tout ce qu’elle avait en argent, ou en bijoux, dont on ne pouvait plus savoir des nouvelles. Ce fut à Leopoldstat que dans un tumulte une fille qui se sauvait, et que je ne connaissais pas, glissa dans mes mains une montre d’or, qu’elle prévoyait devoir devenir rapine de ceux qui allaient la conduire à Stokaus18. Un mois après je la lui ai rendue, après avoir entendu son histoire, et par quels sacrifices elle s’était délivrée du supplice. Toutes les filles enfin qui marchaient dans les rues de Vienne étaient réduites à tenir un chapelet à la main. On ne pouvait pas pour lors les arrêter d’emblée, car elles disaient qu’elles allaient à l’église, et Marie-Thérèse aurait pour lors fait pendre le commissaire. Vienne était si obérée19 par cette canaille qu’un homme qui avait besoin de lâcher de l’eau20 était embarrassé à chercher l’endroit où personne ne l’aurait pu voir. Je fus très surpris un jour que je me suis vu interrompu par un gueux en perruque ronde, qui me menaça de me faire arrêter si je n’allais pas finir ailleurs.

— Pourquoi s’il vous plaît ?

— Parce qu’il y a à votre gauche une femme à la fenêtre qui vous voit.

Je regarde, et effectivement j’ai vu au quatrième étage d’une maison une figure de femme qui était à une fenêtre, et qui moyennant une lorgnette aurait pu voir si j’étais juif, ou chrétien. J’ai obéi en riant de la chose, dont j’ai conté l’histoire à tout le monde ; mais personne ne la trouvait rare.

[70r] Je suis allé à l’Écrevisse21 dîner avec Campioni à une table d’hôte, et je fus surpris d’y voir Pepe il cadetto que j’avais connu lors de mon arrêt à l’armée d’Espagne, puis à Venise, puis à Lyon sous le nom de D. Giuseppe Marcati22. Campioni qui avait été son associé à Lyon l’embrassa, lui parla à part, et me dit avant que nous nous missions à table que ce monsieur-là avait repris son véritable nom, et qu’il s’appelait le comte Afflisio. Il me dit qu’après table on ferait une banque de Pharaon, où j’aurais un petit intérêt, et par conséquent de m’abstenir de jouer23. J’y ai adhéré. On fit la banque, Afflisio gagna, le Capitaine Beccaria24 lui jeta les cartes à la figure ; mais Afflisio prudent n’y fit pas attention. Nous allâmes au café Afflisio, Campioni, et moi avec un officier de bonne mine qui me regardait, et souriait mais d’une façon à ne pas blesser la politesse.

— Je ris de ce que vous ne me remettez pas.

— Non Monsieur, mais j’ai une impression.

— Il y a neuf ans que par ordre du prince Lobkowitz je vous ai conduit à la porte de Rimini25.

— Vous êtes le baron Vais.

— Précisément.

Il me fit des offres d’amitié, et il me promit de me procurer à Vienne tous les plaisirs qui dépendaient de lui. Effectivement il me présenta le soir à une comtesse, où j’ai connu l’abbé Testa grossa26, qu’on appelait Grosse tête, qui était ministre du duc de Modène27, bien vu à la cour, parce que c’était lui qui avait négocié le mariage de l’archiduc28 avec Madame Béatrice d’Este29. Dans cette compagnie j’ai connu un comte de Roquendorf30, et un comte Sarotin31, et plusieurs frailes32 avec une baronne qui avait rôti le balai, mais qui avait encore de quoi plaire. On soupa, et on me fit baron : j’eus beau dire que je n’avais aucun titre ; on m’a répondu que je devais bien être quelque chose dans ce monde, et que je ne pouvais être moins que baron, et que je devais convenir de l’être, si je [70v] voulais à Vienne être admis quelque part. J’y ai consenti. Cette baronne avec un air dégagé me fit comprendre que j’étais de son goût, et qu’elle agréerait ma cour ; je lui ai fait une visite le lendemain : elle me dit d’y aller le soir si j’aimais le jeu, et j’ai connu plusieurs joueurs. J’ai connu là Tramontini33 dont je connaissais la femme qu’on appelait Madame Tesi34. Dans cette maison j’ai connu trois ou quatre frailes, qui sans avoir aucune peur des commissaires de chasteté étaient dévouées à l’amour, et si bonnes qu’elles ne craignaient pas de préjudicier à leur noblesse en acceptant de l’argent. Après avoir découvert les privilèges de ces demoiselles, j’ai vu que les commissaires n’étaient gênants que pour ceux qui n’allaient pas dans les bonnes maisons.

La baronne me dit que je pouvais lui présenter des amis si j’en avais, et ayant consulté Campioni j’y ai conduit Afflisio, le baron Vais, et Campioni même qui étant danseur n’eut besoin d’aucun titre. Afflisio joua, tint la banque, gagna, et Tramontini le présenta à sa femme, qui le présenta à son prince de Saxe Hildbourghausen35. Ce fut là qu’Afflisio fit sa grande fortune qui finit si mal vingt-cinq ans après36. Tramontini devenu son associé dans les grandes parties de jeu qu’il lui fit faire fit facilement que sa femme engageât le duc à lui faire donner d’abord le rang de Capitaine au service de L. M. I. R. A.37. Cela ne fut pas long, car trois semaines après je l’ai vu moi-même en uniforme38. Il était déjà maître de cent mille florins39 à mon départ de Vienne, l’impératrice aimait le jeu, et l’empereur aussi, mais non pas pour ponter. Il faisait tenir une banque. C’était un bon prince, magnifique, et économe, je l’ai vu en majesté impériale, et je fus surpris de le voir vêtu en Espagnol40. Il [71r] me paraissait de voir Charles V qui avait établi cette étiquette, et qui durait encore malgré qu’après lui aucun empereur n’ait été espagnol, et que François premier n’eut rien de commun avec cette nation. J’ai observé la même chose avec plus de raison à Varsovie lors du couronnement de Stanislas Auguste Poniatowski qui eut aussi le caprice de s’habiller à l’espagnole41. Cette décoration fit pleurer les vieux palatins42, mais ils durent avaler la pilule, car sous le despotisme russe il ne leur était resté plus que la faculté de penser.

L’empereur François premier était beau, et je lui aurais connu la physionomie heureuse quand même je ne l’aurais pas vu monarque. Il avait pour sa femme tous les égards, il ne l’empêchait pas d’être prodigue, parce qu’elle ne jouait, et ne donnait en pensions que des Cremnitz43, et il laissait qu’elle endettât l’état parce qu’il avait l’art d’en devenir lui-même le créancier. Il favorisait le commerce parce qu’il mettait dans ses coffres une bonne partie des utilités qu’il produisait44. Il était aussi galant ;j et l’impératrice, qui lui donnait toujours le titre de maîtrek, dissimulait. Elle nel voulait, peut-être, pas que le mondem sût que ses charmes ne suffisaient pas au tempérament de son mari, d’autant plus que le monde tout entier admirait la beauté de sa nombreuse famille. J’ai vu toutes ses archiduchesses45 belles, la première exceptée, et je n’ai examiné entre les mâles46 que son aîné, auquel j’ai trouvé la physionomie malheureuse, malgré l’idée contraire de l’abbé Grossetête qui se piquait aussi d’être physionomiste.

— Qu’y voyez-vous ?

— J’y vois la présomption, et le suicide.

J’ai deviné, car Joseph II s’est tué47 ; [71v] et malgré qu’il n’en ait pas eu le dessein, il ne s’est pas moins tué. La présomption fut la cause qu’il ne s’en est pas aperçu. Ce qu’il prétendait de savoir, et qu’il ne savait pas rendait inutile ce qu’il savait, et l’esprit qu’il voulait avoir gâtait celui qu’il avait48. Il aimait à parler à tous ceux qui éblouis par son raisonnement ne savaient que lui répondre, et il appelait pédants tous ceux qui par un raisonnement vrai rendaient le sien sans force. Il me dit à Laxembourg il y a sept ans49 à propos de quelqu’un qui avait dépensé des trésors pour acheter des titres de noblesse qu’il méprisait tous ceux qui l’achetaient. Je lui ain répondu qu’il fallait mépriser préférablement ceux qui la vendaient50. Il me tourna le dos, et il ne me crut plus digne d’entendre sa voix. Sa passion était celle de voir rire, au moins sous cape, ceux qui l’écoutaient lorsqu’il narrait en société quelque chose, car il contait joliment, et il brodait plaisamment les circonstances de la chose ; et il traitait de pauvres d’esprit ceux que ses plaisanteries ne faisaient pas rire. C’étaient ceux qui les comprenaient plus que tous les autres. Il aimait mieux le raisonnement de Brambila51 qui l’encouragea à se tuer que celui des médecins qui lui disaient : Principiis obsta [protège-toi dès le début]52. Personne n’a pu lui contester l’intrépidité. Pour ce qui regarde l’art de régner il ne leo connaissait pas, car il n’avait aucune connaissance du cœur humain, il ne savait ni dissimuler, ni garder le secret, il laissait voir le plaisir qu’il avait à punir, et il n’avait pas appris à régler sa physionomie. Il négligea cet artifice au point que lorsqu’il voyait quelqu’un qu’il ne connaissait pas, il faisait une grimace qui le rendait très laid, dans le moment qu’il aurait pu se permettre de substituer à cette grimace odieuse une lorgnette53 ; car la grimacep paraissait dire : Qui est donc cette espèce54 ?

[72r] Ce souverain a succombé à une maladie très cruelle par rapport à ce qu’elle l’a laissé raisonner jusqu’à sa fin, et parce qu’avant de le tuer elle lui fit voir la mort irréparable. Il doit avoir eu le malheur de se repentir de tout ce qu’il a fait, et l’autre malheur de ne pas pouvoir défaire ce qu’il avait fait, en partie parce que cela n’était pas possible, et en partie parce qu’il aurait cru de se déshonorer en le faisantq, car l’esprit de sa haute naissance dut toujours rester dans son âme quoique languissante. Il avait une estime infinie pour son frère qui règne aujourd’hui à sa place55, et malgré cela il n’eut pas la force de suivre les principaux conseils qu’il lui donna. Par grandeur d’âme il donna une grosse récompense au médecin56 homme d’esprit qui lui prononça la sentence de mort, mais par faiblesse d’âme il avait récompensé quelques mois auparavant les médecins, et le charlatan, qui lui firent croire qu’il était guéri. Il eut aussi le malheur de savoir qu’on ne le regretterait pas ; c’est une pensée désolante. L’autre malheur qu’il eut fut celui de ne pas mourir avant l’archiduchesse sa nièce57. Si ceux qui l’entouraientr l’avaient aimé véritablement ils lui auraient épargné cette déchirante nouvelle, car il était déjà expédié, et on ne pouvait pas craindre qu’il aurait pu redevenir en état de punir la discrétion comme indiscrétion ; mais on eut peur que le successeur ne serait pas généreux avec la respectable dame qui obtint d’abord cent mille florins. Léopold n’aurait frustré personne.

Enchanté du séjour de Vienne, et des plaisirs que je me procurais avec les belles frailes que j’avais connuess chez la baronne je pensais à partir, lorsque M. Vais me trouva à la fête du mariage de M. le comte Durazzo58, et m’engagea à un Pique-nique à Schönbrunnt. Nous y fûmes, et je m’en suis donné de toutes façons59, mais je suis retourné à Vienne avec une si forte indigestion qu’en vingt-quatre heures j’étais déjà sur les bords du tombeau. [72v] J’ai employé la dernière partie d’esprit qui me restait encore à me sauver la vie. J’avais à mon lit Campioni qui me logeait, et Messieurs Roquendorf, et Sarotin. Ce dernier qui avait conçu pour moi une forte amitié était venu avec un médecin, tandis que je m’étais expliqué que je n’en voulais aucun. Ce médecin croyant de pouvoir user du despotisme de son art avait envoyé quérir un chirurgien, et on allait me saigner contre, et sans mon consentement. À demi mort, je ne sais pas par quelle inspiration j’ai ouvert les yeux, et j’ai vu l’homme avec la lancette qui allait me percer la veine. Non non ; lui dis-je, et languissant j’ai retiré mon bras ; mais le bourreau allait, à ce que le médecin prétendait, me donner la vie malgré moi, et je vois mon bras saisi. J’ai vite mis la main sur un des deux pistolets que j’avais sur ma table de nuit, et je l’ai déchargé contre celui qui avait juré obéissance au médecin. La balle défit une boucle de ses cheveux, et ce fut très suffisant à faire partir le chirurgien, le médecin, et tout le monde qui était près de moi. La seule servante ne m’abandonna pas, et me donna à boire de l’eau tant que je lui en ai demandé, et en quatre jours je me suis trouvé en parfaite santé. Toute la ville de Vienne sut cette histoire, et l’abbé Grosse-tête m’assura que si je l’avais tué il ne me serait rien arrivé, car deux seigneurs qui étaient présents avaient été témoins qu’on allait me saigner par force. Outre cela tout le monde me dit que les médecins de Vienne disaient que si on m’avait saigné je serais mort. Il est cependant vrai que je devais me garder de tomber maladeu, car aucun médecin n’aurait plus osé me visiter. Cette aventure fit du bruit. Je suis allé à l’opéra, et beaucoup de personnes voulurent me connaître : on me regardait [73r] comme un homme qui s’était défendu de la mort en lui lâchant un coup de pistolet. Un peintre en miniaturesv nommé Marol mon ami mort d’une indigestion parce qu’on l’avait saigné m’avait endoctriné que pour guérir de cette maladie il ne fallait que boire de l’eau, et avoir patience. On est dans un état de détresse qu’on ne peut pas expliquer. On ne désire pas de vomir, car le vomissement ne guérit pas. Je n’oublierai jamais un bon mot sorti de la bouche d’un homme qui n’en disait jamais ; c’était monsieur de Maisonrouge qu’on conduisait chez lui mourant d’une indigestion60. Un embarras de charrettes oblige vis-à-vis les Quinze-Vingt61 son cocher à s’arrêter. Un mendiant s’approche de sa voiture, et lui demande un sou par charité en lui disant qu’il se mourait de faim. Maisonrouge ouvre les yeux, le regarde, et lui dit : Tu es bien heureux coquin.

Dans ces jours-là j’ai fait connaissance avec une danseuse milanaise62 qui avait de l’esprit de littérature, et qui outre cela était jolie. Elle recevait chez elle bonne compagnie. J’ai connu là un comte Christophe Herdëdi63 aimable, riche, et généreux ; et un prince Kinski pétillant qui avait toutes les grâces d’un Arlequin ; cette fille, qui vit encore, je crois, m’inspira de l’amour, mais en vain, puisqu’elle était devenue amoureuse d’un danseur arrivé de Florence qu’on appelait Angiolini64. [73v] Je lui faisais ma cour, mais elle se moquait de moi. Une fille de théâtre amoureuse de quelqu’un est invincible à moins qu’on ne sache en faire la conquête à force d’or. Je n’étais pas riche. Malgré cela je ne désespérais pas, et je poursuivais à y aller : ma compagnie l’amusait parce qu’elle me montrait les lettres qu’elle écrivait, et je lui en relevais les beautés : en même temps assis près d’elle je jouissais de la beauté de ses yeux. Elle me montrait les lettres de son frère qui était jésuite, et prédicateur. On lui avait fait son portrait en miniature, où elle était parlante65 ; à la veille de mon départ enragé de n’avoir pu rien obtenir de cette beauté, je me suis déterminé à lui voler le portrait, faible ressource pour un malheureux qui n’avait pas pu obtenir l’original. Le jour donc que j’ai pris congé d’elle, je l’ai pris sans qu’elle s’en aperçoive, et je l’ai mis dans ma poche. Le lendemain je suis parti pour Presbourg, où le Baron Vais m’avait engagé en compagnie de deux frailes dans une partie de plaisir.

Nous descendons de voiture à une auberge, et la première personne que je vois c’est le chevalier de Talvis, le même qui m’avait forcé à lui donner un petit coup d’épée à l’Étoile le jour que j’avais écrit labré après condé sur la quittance de la femme du suisse aux Tuileries66. D’abord qu’il me voit, il m’approche, et il me dit que je lui dois une revanche. [74r] Je lui réponds que je ne quitte jamais une partie pour une autre, et que nous nous verrions.

— Cela suffit, me répondit-il, me feriez-vous l’honneur de me présenter à ces dames ?

— Volontiers, mais non pas dans la rue.

Nous montons, il nous suit, et je pense que cet homme qui d’ailleurs était brave pourrait nous divertir, et je le présente. Il logeait à cette même auberge depuis deux jours, et il était habillé en deuil avec une chemise à manchettes effilées67. Il nous demande si nous allions au bal du prince-évêque68, dont nous ne savions rien et Vais lui répond qu’oui. On y va, dit-il, sans être présenté, et voilà la raison que je compte d’y aller, car ici je ne suis connu de personne. Un moment après il s’en va, l’hôte vient demander nos ordres, il nous informe de ce bal, les frailes ont envie d’y aller, et après avoir mangé quelque chose, nous y allons, et nous voyons beaucoup de monde, et n’étant connus de personne nous nous promenons par-ci par-là en pleine liberté.

Nous entrons dans une chambre, où nous voyons une grande table entourée de noblesse qui pontait à Pharaon ; celui qui taillait était le prince, et la banque nous semble entre souveraines, et ducats de treize ou quatorze mille florins69. Le chevalier de Talvis était debout entre deux dames auxquelles il disait des jolies choses, tandis que Monseigneur mêlait. [74v] Il donne à couper, et il s’avise de regarder le Français, et de lui dire de mettre aussi une carte.

— Volontiers, monseigneur, va la banque à cette carte70.

— Va, dit l’évêque dans sa grandeur, voulant faire voir qu’il n’avait pas peur, et voilà la carte qui paraît dans le moment à sa gauche, et voilà le chevalier qu’avec71 indifférence ramasse tout cet orw. L’évêque étonné dit au Gascon :

— Si votre carte avait perdu, Monsieur, comment m’auriez-vous payé ?

— Monseigneur ce ne sont pas vos affaires.

— Monsieur, vous êtes plus heureux que sage.

Talvis partit avec son or dans la poche.

Cette étonnante aventure fit faire cent discours ; mais personne ne finissait par dire autre chose, sinon que cet étranger devait être fou, ou désespéré, et que l’évêque était une bête.

Une demi-heure après nous retournons à l’auberge nous demandons des nouvelles du vainqueur et on nous dit qu’il était allé se coucher. Je dis à Vais que nous devions profiter de cet événement empruntant une petite somme.x Nous entrons dans sa chambre de très bonne heure, je lui fais compliment, et je lui demande le plaisir de me prêter centy ducats72.

— De tout mon cœur.

— Je vous les rendrai à Vienne. Voulez-vous mon billet ?

— Point de billet.

Il me compte cent cremnitz, et un quart d’heure après il part en poste pour Vienne. Tout son équipage était un sac de nuit, une redingote, et une paire de bottes. J’ai loyalement divisé les cent ducats entre nous quatre, et nous retournâmes à Vienne le lendemain. Nous trouvâmesz cette histoire dans la bouche de tout le beau monde ; mais personne ne savait ni que nous avions reçu cent ducats, ni que le vainqueur était le chevalier de Talvis ; outre cela personne à Vienne, jusqu’à ce moment-là ne pouvait deviner qui était l’homme. Chez l’ambassadeur de France73 on n’en avait pas d’idée. Je n’ai jamais su si on en a su quelque nouvelle après. Je suis parti avec la diligence, et le quatrième jour je fus à Trieste, où je me suis d’abord embarqué pour Venise. J’y suis arrivé l’avant-veille de l’ascension l’année 1753.

Fin du tome quatrièmeaa

a. Belle biffé.

b. Orth. tiré.

c. Venise en écrivant à M. de Bragadin d’envoyer la somme au banquier.

d. Orth. cru.

e. Orth. composé.

f. À ce trait j’ai vu que sa modestie était vraie biffé.

g. Orth. vu.

h. Le troisième biffé.

i. Micidielle biffé (italianisme formé sur micidiale : meurtrier, mortel).

j. Mais biffé.

k. N’y trouvait pas à redire : elle faisait semblant de ne rien savoir biffé.

l. Voulut biffé.

m. Sache biffé.

n. Dit biffé.

o. Orth. la (arte est féminin en italien).

p. Disait : qui êtes-vous ? biffé.

q. Parce que biffé.

r. L’eussent biffé.

s. Orth. connu.

t. Orth. Schonbrun.

u. À Vienne biffé.

v. Orth. miniature.

w. Plusieurs personnes alors lui parlent à l’oreille, et biffé.

x. Prêt à faire tout ce que je veux biffé.

y. Cinquante biffé et corrigé en cent (de même dans les trois occurrences suivantes).

z. Les dernières lignes, « cette histoire […] l’année 1753 », sont écrites dans la marge gauche.

aa. Tomaison intermédiaire du manuscrit, non corrigée et non harmonisée par Casanova.

Le théâtre de la foire Saint-Laurent, à Paris

« Je fus enchanté lorsque je l’ai vue sur le théâtre à la foire »

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