Les Mille et une nuits

LXXXI NUIT.

« Lorsque les deux amants se furentendormis, poursuivit le grand vizir Giafar, le génie, qui avaitrejoint la fée, lui dit qu’il était temps d’achever ce qu’ilsavaient si bien commencé et conduit jusqu’alors. « Ne nouslaissons pas surprendre, ajouta-t-il, par le jour qui paraîtrabientôt ; allez, et enlevez le jeune homme sansl’éveiller. »

« La fée se rendit dans la chambre desamants, qui dormaient profondément, enleva Bedreddin Hassan dansl’état où il était, c’est-à-dire en chemise et en caleçon ;et, volant avec le génie d’une vitesse merveilleuse jusqu’à laporte de Damas en Syrie, ils y arrivèrent précisément dans le tempsque les ministres des mosquées, préposés pour cette fonction,appelaient le peuple à haute voix à la prière de la pointe du jour.La fée posa doucement à terre Bedreddin, et, le laissant près de laporte, s’éloigna avec le génie.

« On ouvrit les portes de la ville, etles gens qui s’étaient déjà assemblés en grand nombre pour sortirfurent extrêmement surpris de voir Bedreddin Hassan étendu parterre, en chemise et en caleçon. L’un disait : « Il atellement été pressé de sortir de chez sa maîtresse, qu’il n’a paseu le temps de s’habiller. – Voyez un peu, disait l’autre, à quelsaccidents on est exposé ! il aura passé une bonne partie de lanuit à boire avec ses amis ; il se sera enivré, sera sortiensuite pour quelque nécessité, et, au lieu de rentrer, il seravenu jusqu’ici sans savoir ce qu’il faisait, et le sommeil l’y aurasurpris. » D’autres en parlaient autrement, et personne nepouvait deviner par quelle aventure il se trouvait là. Un petitvent qui commençait alors à souffler, leva sa chemise et laissavoir sa poitrine qui était plus blanche que la neige. Ils furent,tous tellement étonnés de cette blancheur, qu’ils firent un crid’admiration qui réveilla le jeune homme. Sa surprise ne fut pasmoins grande que la leur, de se voir à la porte d’une ville où iln’était jamais venu, et environné d’une foule de gens qui leconsidéraient avec attention. « Messieurs, leur dit-il,apprenez-moi, de grâce, où je suis et ce que vous souhaitez demoi. » L’un d’entre eux prit la parole et lui répondit :« Jeune homme, on vient d’ouvrir la porte de cette ville, eten sortant, nous vous avons trouvé couché ici dans l’état où vousvoilà. Nous nous sommes arrêtés à vous regarder. Est-ce que vousavez passé ici la nuit ? et savez-vous bien que vous êtes àune des portes de Damas ? – À une des portes de Damas !répliqua Bedreddin, vous vous moquez de moi ; en me couchant,cette nuit, j’étais au Caire. » À ces mots, quelques-unstouchés de compassion, dirent que c’était dommage qu’un jeune hommesi bien fait eût perdu l’esprit, et ils passèrent leur chemin.

« Mon fils, lui dit un bon vieillard,vous n’y pensez pas ; puisque vous êtes ce matin à Damas,comment pouviez-vous être hier soir au Caire ? cela ne peutpas être. – Cela est pourtant très-vrai, repartit Bedreddin, et jevous jure même que je passai toute la journée d’hier àBalsora. » À peine eut-il achevé ces paroles, que tout lemonde fit un grand éclat de rire et se mit à crier : C’est unfou ! c’est un fou ! Quelques-uns néanmoins leplaignaient à cause de sa jeunesse, et un homme de la compagnie luidit : « Mon fils, il faut que vous ayez perdu laraison ; vous ne songez pas à ce que vous dites. Est-ilpossible qu’un homme soit le jour à Balsora, la nuit au Caire et lematin à Damas ? Vous n’êtes pas, sans doute, bienéveillé : rappelez vos esprits. – Ce que je dis, repritBedreddin Hassan, est si véritable, qu’hier au soir j’ai été mariédans la ville du Caire. » Tous ceux qui avaient ri auparavantredoublèrent leurs ris à ce discours. « Prenez-y bien garde,lui dit la même personne qui venait de lui parler, il faut que vousayez rêvé tout cela et que cette illusion vous soit restée dansl’esprit. – Je sais bien ce que je dis, répondit le jeunehomme ; dites-moi vous-même comment il est possible que jesois allé en songe au Caire, où je suis persuadé que j’ai étéeffectivement, où l’on a par sept fois amené devant moi mon épouse,parée d’un nouvel habillement chaque fois, et où enfin j’ai vu unaffreux bossu qu’on prétendait lui donner. Apprenez-moi encore ceque sont devenus ma robe, mon turban et la bourse de sequins quej’avais au Caire ? »

« Quoiqu’il assurât que toutes ces chosesétaient réelles, les personnes qui l’écoutaient n’en firent querire ; ce qui le troubla de sorte qu’il ne savait pluslui-même ce qu’il devait penser de tout ce qui lui étaitarrivé. »

Le jour, qui commençait à éclairerl’appartement de Schahriar, imposa silence à Scheherazade, quicontinua ainsi son récit le lendemain :

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