Contes merveilleux – Tome I

Chapitre 24La Fille du Roi et la grenouille

Dans des temps très anciens, alors qu’ilpouvait encore être utile de faire des vœux, vivait un roi donttoutes les filles étaient belles. La plus jeune était si belle quele soleil, qui en a cependant tant vu, s’étonnait chaque fois qu’ililluminait son visage. Non loin du château du roi, il y avait unegrande et sombre forêt et, dans la forêt, sous un vieux tilleul,une fontaine. Un jour qu’il faisait très chaud, la royale enfantpartit dans le bois, et s’assit au bord de la source fraîche. Etcomme elle s’ennuyait, elle prit sa balle en or, la jeta en l’airet la rattrapa ; c’était son jeu favori. Il arriva que laballe d’or, au lieu de revenir dans sa main, tomba sur le sol etroula tout droit dans l’eau. La princesse la suivit des yeux, maisla balle disparut : la fontaine était si profonde qu’on n’envoyait pas le fond. La jeune fille se mit à pleurer, à pleurer deplus en plus fort ; elle était inconsolable. Comme ellegémissait ainsi, quelqu’un lui cria :

– Pourquoi pleures-tu, princesse, si fortqu’une pierre s’en laisserait attendrir ?

Elle regarda autour d’elle pour voir d’oùvenait la voix et aperçut une grenouille qui tendait hors de l’eausa tête grosse et affreuse.

– Ah ! c’est toi, vieillebarboteuse ! dit-elle ; je pleure ma balle d’or qui esttombée dans la fontaine.

– Tais-toi et ne pleure plus, dit lagrenouille. Je vais t’aider. Mais que me donneras-tu si je terapporte ton jouet ?

– Ce que tu voudras, chère grenouille,répondit-elle, mes habits, mes perles et mes diamants et même lacouronne d’or que je porte sur la tête.

– Je ne veux ni de tes perles, ni de tesdiamants, ni de ta couronne. Mais, si tu acceptes de m’aimer, si tume prends comme compagne et camarade de jeux, si je peux m’asseoirà ta table à côté de toi, manger dans ton assiette, boire dans tongobelet et dormir dans ton lit, si tu me promets tout cela, jeplongerai au fond de la source et te rendrai ta balle.

– Mais oui, dit-elle je te promets toutce que tu veux à condition que tu me retrouves ma balle.

Elle se disait : « Elle vit là, dansl’eau avec les siens et coasse. Comment serait-elle la compagned’un être humain ? »

Quand la grenouille eut obtenu sa promesse,elle mit la tête sous l’eau, plongea et, peu après, réapparut entenant la balle entre ses lèvres. Elle la jeta sur l’herbe. Enretrouvant son beau jouet, la fille du roi fut folle de joie. Ellele ramassa et partit en courant.

– Attends ! Attends ! cria lagrenouille. Emmène-moi ! je ne peux pas courir aussi vite quetoi !

Mais il ne lui servit à rien de pousser ses« coâ ! coâ ! coâ ! » aussi fort qu’ellepouvait. La jeune fille ne l’écoutait pas. Elle se hâtait derentrer à la maison et bientôt la pauvre grenouille fut oubliée. Ilne lui restait plus qu’à replonger dans la fontaine.

Le lendemain, comme la petite princesse étaità table, mangeant dans sa jolie assiette d’or, avec le roi et tousles gens de la Cour, on entendit – plouf ! plouf !plouf ! plouf ! – quelque chose qui montait l’escalier demarbre. Puis on frappa à la porte et une voix dit :

– Fille du roi, la plus jeune, ouvremoi !

Elle se leva de table pour voir qui était là.Quand elle ouvrit, elle aperçut la grenouille. Elle repoussa bienvite la porte et alla reprendre sa place. Elle avait très peur. Leroi vit que son cœur battait fort et dit :

– Que crains-tu, mon enfant ? Yaurait-il un géant derrière la porte, qui viendrait techercher ?

– Oh ! non, répondit-elle, ce n’estpas un géant, mais une vilaine grenouille.

– Que te veut cette grenouille ?

– Ah ! cher père, hier, commej’étais au bord de la fontaine et que je jouais avec ma balle d’or,celle-ci tomba dans l’eau. Parce que je pleurais bien fort, lagrenouille me l’a rapportée. Et comme elle me le demandait avecinsistance, je lui ai promis qu’elle deviendrait ma compagne. Maisje ne pensais pas qu’elle sortirait de son eau. Et voilà qu’elleest là dehors et veut venir auprès de moi.

Sur ces entrefaites, on frappa une secondefois à la porte et une voix dit :

Fille du roi, la plus jeune,

Ouvre-moi !

Ne sais-tu plus ce qu’hier

Au bord de la fontaine fraîche

Tu me promis ?

Fille du roi, la plus jeune,

Ouvre-moi !

Le roi dit alors :

– Ce que tu as promis, il faut le faire.Va et ouvre !

Elle se leva et ouvrit la porte. La grenouillesautilla dans la salle, toujours sur ses talons, jusqu’à sa chaise.Là, elle s’arrêta et dit :

– Prends-moi auprès de toi !

La princesse hésita. Mais le roi lui donnal’ordre d’obéir. Quand la grenouille fut installée sur la chaise,elle demanda à monter sur la table. Et quand elle y fut, elledit :

– Approche ta petite assiette d’or, nousallons y manger ensemble.

La princesse fit ce qu’on voulait, maisc’était malgré tout de mauvais cœur. La grenouille mangea de bonappétit ; quant à la princesse, chaque bouchée lui restait autravers de la gorge. À la fin, la grenouille dit :

– J’ai mangé à satiété ; maintenant,je suis fatiguée. Conduis-moi dans ta chambrette et prépare ton litde soie ; nous allons dormir.

La fille du roi se mit à pleurer ; elleavait peur du contact glacé de la grenouille et n’osait pas latoucher. Et maintenant, elle allait dormir dans son joli lit bienpropre ! Mais le roi se fâcha et dit :

– Tu n’as pas le droit de mépriser cellequi t’a aidée quand tu étais dans le chagrin.

La princesse saisit la grenouille entre deuxdoigts, la monta dans sa chambre et la déposa dans un coin. Quandelle fut couchée, la grenouille sauta près du lit et dit :

– Prends-moi, sinon je le dirai à tonpère.

La princesse se mit en colère, saisit lagrenouille et la projeta de toutes ses forces contre lemur :

– Comme ça tu dormiras, affreusegrenouille !

Mais quand l’animal retomba sur le sol, cen’était plus une grenouille. Un prince aux beaux yeux pleinsd’amitié la regardait. Il en fut fait selon la volonté du père dela princesse. Il devint son compagnon aimé et son époux. Il luiraconta qu’une méchante sorcière lui avait jeté un sort et laprincesse seule pouvait l’en libérer. Le lendemain, ils partiraienttous deux pour son royaume. Ils s’endormirent et, au matin, quandle soleil se leva, on vit arriver une voiture attelée de huitchevaux blancs. Ils avaient de blancs plumets sur la tête et leursharnais étaient d’or. À l’arrière se tenait le valet du jeune roi.C’était le fidèle Henri. Il avait eu tant de chagrin quand il avaitvu son seigneur transformé en grenouille qu’il s’était fait banderla poitrine de trois cercles de fer pour que son cœur n’éclatât pasde douleur. La voiture devait emmener le prince dans son royaume.Le fidèle Henri l’y fit monter avec la princesse, et s’installa denouveau à l’arrière, tout heureux de voir son maître libéré dumauvais sort.

Quand ils eurent roulé pendant quelque temps,le prince entendit des craquements derrière lui, comme si quelquechose se brisait. Il tourna la tête et dit :

– Henri, est-ce l’attelage qui brise seschaînes ?

– Eh ! non, Seigneur, ce n’estpas la voiture,

Mais de mon cœur l’une desceintures.

Car j’ai eu tant de peine

Quand vous étiez dans lafontaine,

Transformé en grenouillevilaine !

Par deux fois encore, en cours de route, onentendit des craquements et le prince crut encore que la voiture sebrisait. Mais ce n’était que les cercles de fer du fidèle Henri,heureux de voir son seigneur délivré.

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