Contes merveilleux – Tome I

Chapitre 28Histoire de celui qui s’en alla apprendre la peur

Un père avait deux fils. Le premier étaitréfléchi et intelligent. Il savait se tirer de toute aventure. Lecadet en revanche était sot, incapable de comprendre etd’apprendre. Quand les gens le voyaient, ils disaient :« Avec lui, son père n’a pas fini d’en voir. » Quand il yavait quelque chose à faire, c’était toujours à l’aîné que revenaitla tâche, et si son père lui demandait d’aller chercher quelquechose, le soir ou même la nuit, et qu’il fallait passer par lecimetière ou quelque autre lieu terrifiant, il répondait :« Oh non ! père, je n’irai pas, j’ai peur. » Car ilavait effectivement peur. Quand, à la veillée, on racontait deshistoires à donner la chair de poule, ceux qui les entendaientdisaient parfois : « Ça me donne le frisson ! »Le plus jeune des fils, lui, assis dans son coin, écoutait etn’arrivait pas à comprendre ce qu’ils voulaient dire. « Ilsdisent toujours : “ça me donne la chair de poule ! ça mefait frissonner !” Moi, jamais ! Voilà encore une chose àlaquelle je ne comprends rien. » Il arriva qu’un jour son pèrelui dit :

– Écoute voir, toi, là dans toncoin ! Tu deviens grand et fort. Il est temps que tu apprennesà gagner ton pain. Tu vois comme ton frère se donne du mal.

– Eh ! père, répondit-il,j’apprendrais bien volontiers. Si c’était possible, je voudraisapprendre à frissonner. C’est une chose que j’ignoretotalement.

Lorsqu’il entendit ces mots, l’aîné des filssongea : « Seigneur Dieu ! quel crétin que monfrère ! Il ne fera jamais rien de sa vie. » Le pèreréfléchit et dit :

– Tu apprendras bien un jour à avoirpeur. Mais ce n’est pas comme ça que tu gagneras ton pain.

Peu de temps après, le bedeau vint en visite àla maison. Le père lui conta sa peine et lui expliqua combien sonfils était peu doué en toutes choses.

– Pensez voir ! Quand je lui aidemandé comment il ferait pour gagner son pain, il a dit qu’ilvoulait apprendre à frissonner !

– Si ce n’est que ça, répondit le bedeau,je le lui apprendrai. Confiez-le-moi.

Le père était content ; il sedisait : « On va le dégourdir un peu. » Le bedeaul’amena donc chez lui et lui confia la tâche de sonner les cloches.Au bout de quelque temps, son maître le réveilla à minuit et luidemanda de se lever et de monter au clocher pour carillonner.« Tu vas voir ce que c’est que d’avoir peur »,songeait-il. Il quitta secrètement la maison et quand le garçon futarrivé en haut du clocher, comme il s’apprêtait à saisir lescordes, il vit dans l’escalier, en dessous de lui, une forme touteblanche.

– Qui va là ? cria-t-il.

L’apparition ne répondit pas, ne bougeapas.

– Réponds ! cria le jeune homme. Oubien décampe ! Tu n’as rien à faire ici !

Le bedeau ne bougeait toujours pas. Il voulaitque le jeune homme le prit pour un fantôme. Pour la deuxième fois,celui-ci cria :

– Que viens-tu faire ici ? Parle situ es honnête homme. Sinon je te jette au bas de l’escalier.

Le bedeau pensa : « Il n’en ferarien. » Il ne répondit pas et resta sans bouger. Comme s’ilétait de pierre. Alors le garçon l’avertit pour la troisième foiset comme le fantôme ne répondait toujours pas, il prit son élan etle précipita dans l’escalier. L’apparition dégringola d’une dizainede marches et resta là allongée. Le garçon fit sonner les cloches,rentra à la maison, se coucha sans souffler mot et s’endormit.

La femme du bedeau attendit longtemps sonmari. Mais il ne revenait pas. Finalement, elle prit peur, réveillale jeune homme et lui demanda :

– Sais-tu où est resté mon mari ? Ilest monté avant toi au clocher.

– Non, répondit-il, je ne sais pas. Maisil y avait quelqu’un dans l’escalier et comme cette personne nerépondait pas à mes questions et ne voulait pas s’en aller, je l’aiprise pour un coquin et l’ai jetée au bas du clocher. Allez-y, vousverrez bien si c’était votre mari. Je le regretterais.

La femme s’en fut en courant et découvrit sonmari gémissant dans un coin, une jambe cassée. Elle le ramena à lamaison, puis se rendit en poussant de grands cris chez le père dujeune homme :

– Votre garçon a fait des malheurs, luidit-elle. Il a jeté mon mari au bas de l’escalier, où il s’estcassé une jambe. Débarrassez notre maison de ce vaurien !

Le père était bien inquiet. Il alla chercherson fils et lui dit :

– Quelles sont ces façons,mécréant ! C’est le diable qui te les inspire !

– Écoutez-moi, père, répondit-il. Je suistotalement innocent. Il se tenait là, dans la nuit, comme quelqu’unqui médite un mauvais coup. Je ne savais pas qui c’était et, partrois fois, je lui ai demandé de répondre ou de partir.

– Ah ! dit le père, tu ne me ferasque des misères. Disparais !

– Volontiers, père. Attendez seulementqu’il fasse jour. Je voyagerai pour apprendre à frissonner. Commeça, je saurai au moins faire quelque chose pour gagner monpain.

– Apprends ce que tu veux, dit le père.Ça m’est égal ! Voici cinquante talents, va par le monde etsurtout ne dis à personne d’où tu viens et qui est ton père.

– Qu’il en soit fait selon votre volonté,père. Si c’est là tout ce que vous exigez, je m’y tiendrai sanspeine.

Quand vint le jour, le jeune homme empocha lescinquante talents et prit la route en se disant : « Siseulement j’avais peur ! si seulement jefrissonnais ! »Arrive un homme qui entend les paroles quele garçon se disait à lui-même. Un peu plus loin, à un endroit d’oùl’on apercevait des gibets, il lui dit :

– Tu vois cet arbre ? Il y en a septqui s’y sont mariés avec la fille du cordier et qui maintenantprennent des leçons de vol. Assieds-toi là et attends que tombe lanuit. Tu sauras ce que c’est que de frissonner.

– Si c’est aussi facile que ça, réponditle garçon, c’est comme si c’était déjà fait. Si j’apprends si viteà frissonner, je te donnerai mes cinquante talents. Tu n’as qu’àrevenir ici demain matin.

Le jeune homme s’installa sous la potence etattendit que vînt le soir. Et comme il avait froid, il alluma dufeu. À minuit le vent était devenu si glacial que, malgré le feu,il ne parvenait pas à se réchauffer. Et les penduss’entrechoquaient en s’agitant de-ci, de-là. Il pensa :« Moi, ici, près du feu, je gèle. Comme ils doivent avoirfroid et frissonner, ceux qui sont là-haut ! » Et, commeil les prenait en pitié, il appliqua l’échelle contre le gibet,l’escalada, décrocha les pendus les uns après les autres et lesdescendit tous les sept. Il attisa le feu, souffla sur les braiseset disposa les pendus tout autour pour les réchauffer. Comme ils nebougeaient pas et que les flammes venaient lécher leurs vêtements,il dit :

– Faites donc attention ! Sinon jevais vous rependre là-haut !

Les morts, cependant, n’entendaient rien, setaisaient et laissaient brûler leurs loques. Le garçon finit par semettre en colère.

– Si vous ne faites pas attention,dit-il, je n’y puis rien ! je n’ai pas envie de brûler avecvous.

Et, l’un après l’autre, il les raccrocha augibet. Il se coucha près du feu et s’endormit. Le lendemain,l’homme s’en vint et lui réclama les cinquante talents :

– Alors, sais-tu maintenant ce que c’estque d’avoir le frisson ? lui dit-il.

– Non, répondit le garçon. D’où lesaurais-je ? Ceux qui sont là-haut n’ont pas ouvert la bouche,et ils sont si bêtes qu’ils ont laissé brûler les quelques hardesqu’ils ont sur le dos.

L’homme comprit qu’il n’obtiendrait pas lescinquante talents ce jour-là et s’en alla en disant :« Je n’ai jamais vu un être comme celui-là ! »

Le jeune homme reprit également sa route et sedit à nouveau, parlant à haute voix.

– Ah ! si seulement j’avaispeur ! Si seulement je savais frissonner !

Un cocher qui marchait derrière lui l’entenditet demanda :

– Qui es-tu ?

– Je ne sais pas, répondit le garçon.

Le cocher reprit :

– D’où viens-tu ?

– Je ne sais pas, rétorqua le jeunehomme.

– Qui est ton père ?

– Je n’ai pas le droit de le dire.

– Que marmonnes-tu sans cesse dans tabarbe ?

– Eh ! répondit le garçon, jevoudrais frissonner. Mais personne ne peut me dire comment j’yarriverai.

– Cesse de dire des bêtises ! repritle cocher. Viens avec moi !

Le jeune homme accompagna donc le cocher et,le soir, ils arrivèrent à une auberge avec l’intention d’y passerla nuit. En entrant dans sa chambre, le garçon répéta à haute etintelligible voix :

– Si seulement j’avais peur ! Siseulement je savais frissonner !

L’aubergiste l’entendit et dit enriant :

– Si vraiment ça te fait plaisir, tu enauras sûrement l’occasion chez moi.

– Tais-toi donc ! dit sa femme. Àêtre curieux, plus d’un a déjà perdu la vie, et ce serait vraimentdommage pour ses jolis yeux s’ils ne devaient plus jamais voir lalumière du jour.

Mais le garçon répondit :

– Même s’il fallait en arriver là, jeveux apprendre à frissonner. C’est d’ailleurs pour ça que jevoyage.

Il ne laissa à l’aubergiste ni trêve ni reposjusqu’à ce qu’il lui dévoilât son secret. Non loin de là, setrouvait un château maudit, dans lequel il pourrait certainementapprendre ce que c’était que d’avoir peur, en y passant seulementtrois nuits. Le roi avait promis sa fille en mariage à quitenterait l’expérience et cette fille était la plus belle qu’on eûtjamais vue sous le soleil. Il y avait aussi au château de grandstrésors gardés par de mauvais génies dont la libération pourraitrendre un pauvre très riche. Bien des gens étaient déjà entrés auchâteau, mais personne n’en était jamais ressorti. Le lendemain, lejeune homme se rendit auprès du roi :

– Si vous le permettez, je voudrais bienpasser trois nuits dans le château.

Le roi l’examina, et comme il lui plaisait, ilrépondit :

– Tu peux me demander trois choses. Maisaucune d’elles ne saurait être animée et tu pourras les emporteravec toi au château.

Le garçon lui dit alors :

– Eh bien ! je vous demande du feu,un tour et un banc de ciseleur avec un couteau.

Le jour même, le roi fit porter tout cela auchâteau. À la tombée de la nuit, le jeune homme s’y rendit, allumaun grand feu dans une chambre, installa le tabouret avec le couteautout à côté et s’assit sur le tour.

– Ah ! si seulement je pouvaisfrissonner ! dit-il. Mais ce n’est pas encore ici que jesaurai ce que c’est.

Vers minuit, il entreprit de ranimer son feu.Et comme il soufflait dessus, une voix retentit tout à coup dans uncoin de la chambre :

– Hou, miaou, comme nous avonsfroid !

– Bande de fous ! s’écria-t-il.Pourquoi hurlez-vous comme ça ? Si vous avez froid, venez ici,asseyez-vous près du feu et réchauffez-vous !

À peine eut-il prononcé ces paroles que deuxgros chats noirs, d’un bond formidable, sautèrent vers lui ets’installèrent de part et d’autre du garçon en le regardant d’unair sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s’étantréchauffés, ils dirent :

– Si nous jouions aux cartes,camarade ?

– Pourquoi pas ! répondit-il, maismontrez-moi d’abord vos pattes.

Les chats sortirent leurs griffes.

– Holà ! dit-il. Que vos ongles sontlongs ! attendez ! il faut d’abord que je vous lescoupe.

Il les prit par la peau du dos, les posa surl’étau et leur y coinça les pattes.

– J’ai vu vos doigts, dit-il, j’en aiperdu l’envie de jouer aux cartes.

Il les tua et les jeta par la fenêtre dansl’eau d’un étang. À peine s’en était-il ainsi débarrassé que detous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tousnoirs, tirant des chaînes rougies au feu. Il y en avait tant ettant qu’il ne pouvait leur échapper. Ils criaient affreusement,dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaientde l’éteindre. Tranquillement, le garçon les regarda faire unmoment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur etdit :

– Déguerpissez, canailles !

Et il se mit à leur taper dessus. Une partiedes assaillants s’enfuit ; il tua les autres et les jeta dansl’étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur lesbraises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer eteut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit,dans un coin.

– Voilà ce qu’il me faut, dit-il.

Et il se coucha. Comme il allait s’endormir,le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par toutle château.

– Très bien ! dit-il. Plusvite !

Le lit partit derechef comme si unedemi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes,montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sensdessus dessous hop ! et le garçon se retrouva par terre aveccomme une montagne par-dessus lui. Il se débarrassa des couvertureset des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit :

– Que ceux qui veulent se promener, sepromènent.

Et il se coucha auprès du feu et dormitjusqu’au matin.

Le lendemain, le roi s’en vint au château.Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômesl’avaient tué. Il murmura :

– Quel dommage pour un si belhomme !

Le garçon l’entendit, se leva, etdit :

– Je n’en suis pas encore là !

Le roi s’étonna, se réjouit et lui demandacomment les choses s’étaient passées.

– Très bien. Voilà une nuit d’écoulée,les autres se passeront bien aussi.

Quand il arriva chez l’aubergiste, celui-ciouvrit de grands yeux.

– Je n’aurais jamais pensé, dit-il, queje te reverrais vivant. As- tu enfin appris à frissonner ?

– Non ! répondit-il ; toutreste sans effet. Si seulement quelqu’un pouvait me dire commentfaire !

Pour la deuxième nuit, il se rendit à nouveauau château, s’assit auprès du feu et reprit sa vieillechanson : « Ah ! si seulement je pouvaisfrissonner. » À minuit on entendit des bruits étranges.D’abord doucement, puis toujours plus fort, puis après un courtsilence, un grand cri. Et la moitié d’un homme arrivant par lacheminée tomba devant lui.

– Holà ! cria-t-il. Il en manqua unemoitié. Ça ne suffit pas comme ça !

Le vacarme reprit. On tempêtait, on criait. Etla seconde moitié tomba à son tour de la cheminée.

– Attends, dit le garçon ; je vaisd’abord ranimer le feu pour toi.

Quand il l’eut fait, il regarda à nouveauautour de lui : les deux moitiés s’étaient rassemblées et unhomme d’affreuse mine s’était assis à la place qu’occupait le jeunehomme auparavant.

– Ce n’est pas ce que nous avionsconvenu, dit-il. Ce tour est à moi !

L’homme voulut l’empêcher de s’y asseoir maisil ne s’en laissa pas conter. Il le repoussa avec violence etreprit sa place. Beaucoup d’autres hommes se mirent alors àdégringoler de la cheminée les uns après les autres et ilsapportaient neuf tibias et neuf têtes de mort avec lesquels ils semirent à jouer aux quilles. Le garçon eut envie d’en faireautant.

– Dites, pourrais-je joueraussi ?

– Oui, si tu as de l’argent.

– J’en ai bien assez, répondit-il ;mais vos boules ne sont pas rondes.

Il prit les têtes de mort, s’installa à sontour et en fit de vraies boules.

– Comme ça elles rouleront mieux, dit-il.En avant ! on va rire !

Il joua et perdit un peu de son argent. Quandsonna une heure, tout avait disparu. Au matin, le roi vint auxrenseignements.

– Que t’est-il arrivé cettefois-ci ? demanda-t-il.

– J’ai joué aux quilles, répondit legarçon, et j’ai perdu quelques deniers.

– Tu n’as donc pas eu peur ?

– Eh ! non ! dit-il, je me suisamusé ! Si seulement je savais frissonner !

La troisième nuit, il s’assit à nouveau surson tour et dit tristement :

– Si seulement je pouvaisfrissonner !

Quand il commença à se faire tard, six hommesimmenses entrèrent dans la pièce portant un cercueil.

– Hi ! Hi ! Hi ! dit legarçon, voilà sûrement mon petit cousin qui est mort il y aquelques jours seulement.

Du doigt, il fit signe au cercueil ets’écria :

– Viens, petit cousin, viens !

Les hommes posèrent la bière sur le sol ;il s’en approcha et souleva le couvercle. Un mort y était allongé.Il lui toucha le visage. Il était froid comme de la glace.

– Attends, dit-il, je vais te réchaufferun peu. Il alla près du feu, s’y réchauffa la main et la posa surla figure du mort. Mais celui-ci restait tout froid. Alors il lesortit du cercueil, s’assit près du feu et l’installa sur sesgenoux en lui frictionnant les bras pour rétablir la circulation dusang. Comme cela ne servait à rien, il songea tout à coup qu’ilsuffit d’être deux dans un lit pour avoir chaud. Il porta lecadavre sur le lit, le recouvrit et s’allongea à ses côtés. Au boutd’un certain temps, le mort se réchauffa et commença à bouger.

– Tu vois, petit cousin, dit le jeunehomme, ne t’ai-je pas bien réchauffé ?

Mais le mort, alors, se leva ets’écria :

– Maintenant, je vaist’étrangler !

– De quoi ! dit le garçon, c’estcomme ça que tu me remercies ? retourne au cercueil !

Il le ceintura, et le jeta dans la bière enrefermant le couvercle. Les six hommes arrivèrent alors etl’emportèrent.

– Je ne réussis pas à frissonner, dit-il.Ce n’est décidément pas ici que je l’apprendrai.

À ce moment précis entra un homme plus grandque tous les autres et qui avait une mine effrayante. Il étaitvieux et portait une longue barbe blanche.

– Pauvre diable, lui dit-il, tu netarderas pas à savoir ce que c’est que de frissonner : tu vasmourir !

– Pas si vite ! répondit le garçon.Pour que je meure, il faudrait d’abord que vous me teniez.

– Je finirai bien par t’avoir ! ditle monstrueux bonhomme.

– Tout doux, tout doux ! ne tegonfle pas comme ça ! je suis aussi fort que toi. Et même bienplus fort !

– C’est ce qu’on verra, dit le vieux. Situ es plus fort que moi, je te laisserai partir. Viens,essayons !

Il le conduisit par un sombre passage dans uneforge, prit une hache et d’un seul coup, enfonça une enclume dansle sol.

– Je ferai mieux, dit le jeune homme ens’approchant d’une autre enclume.

Le vieux se plaça à côté de lui, laissantpendre sa barbe blanche. Le garçon prit la hache, fendit l’enclumed’un seul coup et y coinça la barbe du vieux.

– Et voilà ! je te tiens !dit-il, à toi de mourir maintenant !

Il saisit une barre de fer et se mit à rouerde coups le vieux jusqu’à ce que celui-ci éclatât en lamentationset le suppliât de s’arrêter en lui promettant mille trésors. Lejeune homme débloqua la hache et libéra le vieux qui le reconduisitau château et lui montra, dans une cave, trois caisses pleinesd’or.

– Il y en a une pour les pauvres, unepour le roi et la troisième sera pour toi, lui dit-il.

Sur quoi, une heure sonna et le méchant espritdisparut. Le garçon se trouvait au milieu d’une profondeobscurité.

– Il faudra bien que je m’en sorte,dit-il. Il tâtonna autour de lui, retrouva le chemin de sa chambreet s’endormit auprès de son feu. Au matin, le roi arriva etdit :

– Alors, as-tu appris àfrissonner ?

– Non, répondit le garçon, je ne saistoujours pas. J’ai vu mon cousin mort et un homme barbu est venuqui m’a montré beaucoup d’or. Mais personne ne m’a dit ce quesignifie frissonner.

Le roi dit alors :

– Tu as libéré le château de ses fantômeset tu épouseras ma fille.

– Bonne chose ! répondit-il, mais jene sais toujours pas frissonner.

On alla chercher l’or et les noces furentcélébrées. Mais le jeune roi continuait à dire : « Siseulement j’avais peur, si seulement je pouvaisfrissonner ! » La reine finit par en être contrariée. Sacamériste dit :

– Je vais l’aider à frissonner.

Elle se rendit sur les bords du ruisseau quicoulait dans le jardin et se fit donner un plein seau de goujons.Durant la nuit, alors que son époux dormait, la princesse retirales couvertures et versa sur lui l’eau et les goujons, si bien queles petits poissons frétillaient tout autour de lui. Il s’éveillaet cria :

– Ah ! comme je frissonne, chèrefemme ! Ah ! Oui, maintenant je sais ce que c’est que defrissonner.

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