Contes merveilleux – Tome I

Chapitre 9Chat et souris associés

– Il nous faudra faire nos réserves denourriture pour l’hiver, dit le chat, sinon nous risquons de mourirde faim. Toi, ma petite souris, tu ne peux pas aller partout, tupourrais te faire prendre dans un piège. C’était une bonne idée.Ils achetèrent alors un petit pot de saindoux mais ne savaient pasoù le cacher. Ils réfléchirent longtemps et, finalement, le chatdécida : – Sais-tu ce que nous allons faire ? Nous lecacherons dans l’église ; on ne peut imaginer meilleurecachette ! Personne n’oserait emporter quelque chose d’uneéglise. Nous poserons le pot sous l’autel et nous ne l’entameronsqu’en cas de nécessité absolue. Ils portèrent donc le pot en celieu sûr, mais très vite le chat eut envie de saindoux. Il dit à lasouris : – Je voulais te dire, ma petite souris, ma cousinem’a demandé d’être le parrain de leur petit dernier. Ils ont eu unpetit, blanc avec des taches marron et je dois le tenir pendant lebaptême. Laisse-moi y aller, et occupe-toi aujourd’hui de la maisontoute seule, veux-tu ? – Bien sûr, sans problème, acquiesça lasouris, vas-y, si tu veux, et pense à moi quand tu mangeras desbonnes choses. J’aurais bien voulu, moi aussi, goûter de ce bon vindoux qu’on donne aux jeunes mamans. Mais tout cela étaitfaux ; le chat n’avait pas de cousine et personne ne lui avaitdemandé d’être parrain. Il s’empressa d’aller à l’église, rampajusqu’au petit pot de saindoux et lécha jusqu’à avoir mangé toutela graisse du dessus. Ensuite, il partit se promener sur les toitspour voir ce qui se passait dans le monde, et puis surtout pourtrouver encore quelque chose de bon à manger. Puis il s’allongea ausoleil. Et chaque fois qu’il se souvenait du petit pot de saindoux,il se léchait les babines et se caressait la moustache. Il nerentra à la maison que dans la soirée. – Te voilà enfin deretour ! l’accueillit la petite souris. T’es-tu bienamusé ? Vous avez dû bien rire. – Oui, ce n’était pas mal,répondit le chat. – Et quel nom avez-vous donné à ce chaton ?demanda la souris. – Sanledessu, répondit sèchement le chat. –Sanledessu ? chicota la souris, quel drôle de nom ! Assezrare, dirais-je. Est-il courant dans votre famille ? – Tu peuxdire ce que tu veux, rétorqua le chat, mais ce n’est pas pire queVolemiettes, le nom de tes filleuls. Peu de temps après, le chat sesentit de nouveau l’eau venir à la bouche. – Sois gentille,supplia-t-il, occupe-toi encore une fois de la maison toute seule.Fais cela pour moi, petite souris ; on m’a encore demandéd’être le parrain. Le chaton a une collerette blanche au cou, je nepeux pas refuser. La gentille souris fut d’accord. Et le chat seglissa à travers le mur de la ville, s’introduisit dans l’église etvida la moitié du pot de saindoux. – Rien à faire, se dit-il, c’estbien meilleur quand on mange tout seul. Et il se félicita de sonexploit. Lorsqu’il arriva à la maison, la petite sourisdemanda : – Comment avez-vous baptisé le bébé ? –Miparti, répondit le chat. – Miparti ? Pas possible ! jen’ai jamais entendu un nom pareil. Je parie qu’il n’est même pasdans le calendrier. Le chat ne tarda pas à se sentir de nouveaul’eau à la bouche en pensant au pot de saindoux. – Jamais deux sanstrois, dit-il à la souris. On me demande de nouveau d’être leparrain. L’enfant est tout noir, seules les pattes sont blanches,elles mis à part, il n’a pas un seul poil blanc. Un enfant comme çane naît qu’une fois par siècle ! Tu me laisseras y aller,n’est-ce pas ? – Sanledessu ! Miparti ! répondit lasouris, ce sont des noms si étranges. Cela ne s’est jamais vu. Ilsme trottent dans la tête sans arrêt. – C’est parce que tu restestout le temps ici, avec ta vilaine robe gris foncé à longue natte,tu passes toutes tes journées enfermée ici, pas étonnant que toutse brouille dans ta tête, dit le chat. Voilà ce qui arrive quand onpasse sa vie dans ses pantoufles. Le chat parti, la petite sourisfit le ménage dans toute la maison. Pendant ce temps-là, le chatgourmand vida entièrement le pot de saindoux. – Et voilà,pensa-t-il, maintenant que j’ai tout mangé, je ne serai plus tenté.Si repu qu’il s’essoufflait en marchant, il ne rentra à la maisonque la nuit, mais serein. La petite souris lui demanda aussitôt lenom du troisième chaton. – Je suis sûr que tu n’aimeras pas,répondit le chat. Il s’appelle Toufini. – Toufini ! chicota lasouris. Cela parait suspect, ce nom ne me dit rien qui vaille. Jene l’ai jamais vu imprimé quelque part. Toufini ! Qu’est ceque cela veut dire, en fait ? Elle hocha la tête, se roula enboule et s’endormit. Depuis ce jour, plus personne n’invita le chatà un baptême. L’hiver arriva, et dehors, il n’y avait rien àmanger. La petite souris se rappela qu’ils avaient quelque chose enréserve. – Viens, mon chat, allons chercher notre pot de saindouxque nous avons caché pour les temps durs. On va se régaler. – Tu terégaleras, tu te régaleras, marmonna le chat, cela sera comme si tusortais ta petite langue fine par la fenêtre. Ils s’en allèrent etlorsqu’ils arrivèrent dans l’église, le pot était toujours à saplace mais vide. – « Ça y est, dit la souris, je comprendstout, j’y vois clair à présent. Tu parles d’un ami ! Tu astout mangé quand tu allais « faire le parrain » :d’abord « Sanledessu », puis « Miparti » etpour finir… – Tais-toi, coupa le chat, encore un mot et je temange ! » Mais la petite souris avait le« Toufini » sur la langue, et à peine l’eut-elle prononcéque le chat lui sauta dessus, l’attrapa et la dévora. Eh oui, ainsiva le monde.

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