Contes merveilleux – Tome I

Chapitre 27Hansel et Gretel

A l’orée d’une grande forêt vivaient un pauvrebûcheron, sa femme et ses deux enfants. Le garçon s’appelait Hanselet la fille Grethel. La famille ne mangeait guère. Une année que lafamine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint à manquer,le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit etremâchait ses soucis. Il dit à sa femme

– Qu’allons-nous devenir ? Commentnourrir nos pauvres enfants, quand nous n’avons plus rien pournous-mêmes ?

– Eh bien, mon homme, dit la femme,sais-tu ce que nous allons faire ? Dès l’aube, nous conduironsles enfants au plus profond de la forêt nous leur allumerons un feuet leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nousirons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouverontplus leur chemin et nous en serons débarrassés.

– Non, femme, dit le bûcheron. je neferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nosenfants tout seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages netarderaient pas à les dévorer.

– Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tupréfères donc que nous mourions de faim tous les quatre ?Alors, il ne te reste qu’à raboter les planches de noscercueils.

Elle n’eut de cesse qu’il n’acceptât cequ’elle proposait.

– Mais j’ai quand même pitié de cespauvres enfants, dit le bûcheron.

Les deux petits n’avaient pas pu s’endormirtant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la marâtre disaità leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à sonfrère :

– C’en est fait de nous

– Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t’enfais pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.

Quand les parents furent endormis, il se leva,enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors. La lunebrillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison,étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dansses poches autant qu’il put. Puis il rentra dans la maison et dit àGrethel :

– Aie confiance, chère petite sœur, etdors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.

Et lui-même se recoucha.

Quand vint le jour, avant même que le soleilne se levât, la femme réveilla les deux enfants :

– Debout, paresseux ! Nous allonsaller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna unmorceau de pain à chacun et dit :

– Voici pour le repas de midi ; nemangez pas tout avant, car vous n’aurez rien d’autre.

Comme les poches de Hansel étaient pleines decailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirenttous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansels’arrêta et regarda en direction de la maison. Et sans cesse, ilrépétait ce geste. Le père dit :

– Que regardes-tu, Hansel, et pourquoirestes-tu toujours en arrière ? Fais attention à toi etn’oublie pas de marcher !

– Ah ! père dit Hansel, Je regardemon petit chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je luidis au revoir.

La femme dit :

– Fou que tu es ! ce n’est pas lechaton, c’est un reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, enréalité, n’avait pas vu le chat. Mais, à chaque arrêt, il prenaitun caillou blanc dans sa poche et le jetait sur le chemin.

Quand ils furent arrivés au milieu de laforêt, le père dit :

– Maintenant, les enfants, ramassez dubois ! je vais allumer un feu pour que vous n’ayez pasfroid.

Hansel et Grethel amassèrent des brindilles ausommet d’une petite colline. Quand on y eut mit le feu et qu’il eutbien pris, la femme dit : – Couchez-vous auprès de lui, lesenfants, et reposez-vous. Nous allons abattre du bois. Quand nousaurons fini, nous reviendrons vous chercher. Hansel et Grethels’assirent auprès du feu et quand vint l’heure du déjeuner, ilsmangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des coupsde hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais cen’était pas la hache. C’était une branche que le bûcheron avaitattachée à un arbre mort et que le vent faisait battre de-ci,de-là. Comme ils étaient assis là depuis des heures, les yeuxfinirent par leur tomber de fatigue et ils s’endormirent. Quand ilsse réveillèrent, il faisait nuit noire. Grethel se mit à pleurer etdit :

– Comment ferons-nous pour sortir de laforêt ?

Hansel la consola

– Attends encore un peu, dit-il, jusqu’àce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons notrechemin.

Quand la pleine lune brilla dans le ciel, ilprit sa sœur par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ilsétincelaient comme des écus frais battus et indiquaient le chemin.Les enfants marchèrent toute la nuit et, quand le jour se leva, ilsatteignirent la maison paternelle. Ils frappèrent à la porte.Lorsque la femme eut ouvert et quand elle vit que c’étaient Hanselet Grethel, elle dit :

– Méchants enfants ! pourquoiavez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous pensions quevous ne reviendriez jamais.

Leur père, lui, se réjouit, car il avait lecœur lourd de les avoir laissés seuls dans la forêt.

Peu de temps après, la misère régna de plusbelle et les enfants entendirent ce que la marâtre disait, pendantla nuit, à son mari :

– Il ne nous reste plus rien à manger,une demi-miche seulement, et après, finie la chanson ! Il fautnous débarrasser des enfants ; nous les conduirons encore plusprofond dans la forêt pour qu’ils ne puissent plus retrouver leurchemin ; il n’y a rien d’autre à faire.

Le père avait bien du chagrin. Il songeait –« Il vaudrait mieux partager la dernière bouchée avec lesenfants. » Mais la femme ne voulut n’en entendre. Elle legourmanda et lui fit mille reproches. Qui a dit « A »doit dire « B. »Comme il avait accepté une première fois,il dut consentir derechef.

Les enfants n’étaient pas encore endormis. Ilsavaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans lesommeil, Hansel se leva avec l’intention d’aller ramasser descailloux comme la fois précédente. Mais la marâtre avait verrouilléla porte et le garçon ne put sortir. Il consola cependant sa petitesœur :

– Ne pleure pas, Grethel, dorstranquille ; le bon Dieu nous aidera.

Tôt le matin, la marâtre fit lever lesenfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus petit encore quel’autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel l’émietta dans sapoche ; il s’arrêtait souvent pour en jeter un peu sur lesol.

– Hansel, qu’as-tu à t’arrêter et àregarder autour de toi ? dit le père. Va ton chemin !

– Je regarde ma petite colombe, sur letoit, pour lui dire au revoir ! répondit Hansel.

– Fou ! dit la femme. Ce n’est pasla colombe, c’est le soleil qui se joue sur la cheminée.

Hansel, cependant, continuait à semer desmiettes de pain le long du chemin.

La marâtre conduisit les enfants au fin fondde la forêt, plus loin qu’ils n’étaient jamais allés. On y refit ungrand feu et la femme dit :

– Restez là, les enfants. Quand vousserez fatigués, vous pourrez dormir un peu nous allons couper dubois et, ce soir, quand nous aurons fini, nous viendrons vouschercher.

À midi, Grethel partagea son pain avec Hanselqui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils dormirentet la soirée passa sans que personne ne revînt auprès d’eux. Ilss’éveillèrent au milieu de la nuit, et Hansel consola sa petitesœur, disant :

– Attends que la lune se lève, Grethel,nous verrons les miettes de pain que j’ai jetées ; elles nousmontreront le chemin de la maison.

Quand la lune se leva, ils se mirent en route.Mais de miettes, point. Les mille oiseaux des champs et des boisles avaient mangées. Les deux enfants marchèrent toute la nuit etle jour suivant, sans trouver à sortir de la forêt. Ils mouraientde faim, n’ayant à se mettre sous la dent que quelques baiessauvages. Ils étaient si fatigués que leurs jambes ne voulaientplus les porter. Ils se couchèrent au pied d’un arbre ets’endormirent. Trois jours s’étaient déjà passés depuis qu’ilsavaient quitté la maison paternelle. Ils continuaient à marcher,s’enfonçant toujours plus avant dans la forêt. Si personne n’allaitvenir à leur aide, ils ne tarderaient pas à mourir. À midi, ilsvirent un joli oiseau sur une branche, blanc comme neige. Ilchantait si bien que les enfants s’arrêtèrent pour l’écouter. Quandil eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils lesuivirent jusqu’à une petite maison sur le toit de laquelle le beloiseau blanc se percha. Quand ils s’en furent approchés tout près,ils virent qu’elle était faite de pain et recouverte de gâteaux.Les fenêtres étaient en sucre.

– Nous allons nous mettre au travail, ditHansel, et faire un repas béni de Dieu. Je mangerai un morceau dutoit ; ça a l’air d’être bon !

Hansel grimpa sur le toit et en arracha unpetit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les carreaux. Onentendit alors une voix suave qui venait de la chambre

– Langue, languelèche !

Qui donc ma maison lèche ?

Les enfants répondirent

– C’est le vent, c’est levent.

Ce céleste enfant.

Et ils continuèrent à manger sans se laisserdétourner de leur tâche. Hansel, qui trouvait le toit fort bon, enfit tomber un gros morceau par terre et Grethel découpa une vitreentière, s’assit sur le sol et se mit à manger. La porte, tout àcoup, s’ouvrit et une femme, vieille comme les pierres, s’appuyantsur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent sipeur qu’ils laissèrent tomber tout ce qu’ils tenaient dans leursmains. La vieille secoua la tête et dit :

– Eh ! chers enfants, qui vous aconduits ici ? Entrez, venez chez moi ! Il ne vous serafait aucun mal.

Elle les prit tous deux par la main et les fitentrer dans la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du laitet des beignets avec du sucre, des pommes et des noix. Elle préparaensuite deux petits lits. Hansel et Grethel s’y couchèrent. Ils secroyaient au Paradis.

Mais l’amitié de la vieille n’étaitqu’apparente. En réalité, c’était une méchante sorcière à l’affûtdes enfants. Elle n’avait construit la maison de pain que pour lesattirer. Quand elle en prenait un, elle le tuait, le faisait cuireet le mangeait. Pour elle, c’était alors jour de fête. La sorcièreavait les yeux rouges et elle ne voyait pas très clair. Mais elleavait un instinct très sûr, comme les bêtes, et sentait venir deloin les êtres humains. Quand Hansel et Grethel s’étaient approchésde sa demeure, elle avait ri méchamment et dit d’une voixmielleuse :

– Ceux-là, je les tiens ! Il nefaudra pas qu’ils m’échappent !

À l’aube, avant que les enfants ne se soientéveillés, elle se leva. Quand elle les vit qui reposaient sigentiment, avec leurs bonnes joues toutes roses, ellemurmura :

– Quel bon repas je vais faire !

Elle attrapa Hansel de sa main rêche, leconduisit dans une petite étable et l’y enferma au verrou. Il eutbeau crier, cela ne lui servit à rien. La sorcière s’approchaensuite de Grethel, la secoua pour la réveiller ets’écria :

– Debout, paresseuse ! Va chercherde l’eau et prépare quelque chose de bon à manger pour ton frère.Il est enfermé à l’étable et il faut qu’il engraisse. Quand il seraà point, je le mangerai.

Grethel se mit à pleurer, mais cela ne luiservit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandaitl’ogresse. On prépara pour le pauvre Hansel les plats les plusdélicats. Grethel, elle, n’eut droit qu’à des carapaces de crabes.Tous les matins, la vieille se glissait jusqu’à l’écurie etdisait : – Hansel, tends tes doigts, que je voie si tu es déjàassez gras.

Mais Hansel tendait un petit os et lasorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s’en rendait pas compte.Elle croyait que c’était vraiment le doigt de Hansel et s’étonnaitqu’il n’engraissât point. Quand quatre semaines furent passées, etque l’enfant était toujours aussi maigre, elle perdit patience etdécida de ne pas attendre plus longtemps.

– Holà ! Grethel, cria-t-elle,dépêche-toi d’apporter de l’eau. Que Hansel soit gras ou maigre,c’est demain que je le tuerai et le mangerai.

Ah, comme elle pleurait, la pauvre petite, encharriant ses seaux d’eau, comme les larmes coulaient le long deses joues !

– Dieu bon, aide-nous donc !s’écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaientdévorés ! Au moins serions-nous morts ensemble !

– Cesse de te lamenter ! dit lavieille ; ça ne te servira à rien !

De bon matin, Grethel fut chargée de remplirla grande marmite d’eau et d’allumer le feu.

– Nous allons d’abord faire la pâte, ditla sorcière. J’ai déjà fait chauffer le four et préparé ce qu’ilfaut. Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d’où sortaient degrandes flammes.

– Faufile-toi dedans !ordonna-t-elle, et vois s’il est assez chaud pour la cuisson. Elleavait l’intention de fermer le four quand la petite y serait pourla faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Gretheldevina son projet et dit :

– Je ne sais comment faire, commententre-t-on dans ce four ?

– Petite oie, dit la sorcière,l’ouverture est assez grande, vois, je pourrais y entrermoi-même.

Et elle y passa la tête. Alors Grethel lapoussa vivement dans le four, claqua la porte et mit le verrou. Lasorcière se mit à hurler épouvantablement. Mais Grethel s’en allaet cette épouvantable sorcière n’eut plus qu’à rôtir.

Grethel, elle, courut aussi vite qu’elle lepouvait chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit :

– Hansel, nous sommes libres ! Lavieille sorcière est morte !

Hansel bondit hors de sa prison, aussi rapidequ’un oiseau dont on vient d’ouvrir la cage. Comme ils étaientheureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent ets’embrassèrent ! N’ayant plus rien à craindre, ils pénétrèrentdans la maison de la sorcière. Dans tous les coins, il y avait descaisses pleines de perles et de diamants.

– C’est encore mieux que mes petitscailloux ! dit Hansel en remplissant ses poches.

Et Grethel ajouta

– Moi aussi, je veux en rapporter à lamaison !

Et elle en mit tant qu’elle put dans sontablier.

– Maintenant, il nous faut partir, ditHansel, si nous voulons fuir cette forêt ensorcelée.

Au bout de quelques heures, ils arrivèrent surles bords d’une grande rivière.

– Nous ne pourrons pas la traverser, ditHansel, je ne vois ni passerelle ni pont.

– On n’y voit aucune barque non plus, ditGrethel. Mais voici un canard blanc. Si Je lui demande, il nousaidera à traverser. Elle cria :

– Petit canard, petitcanard,

Nous sommes Hansel et Grethel.

Il n’y a ni barque, ni gué, nipont,

Fais-nous passer avant qu’il ne soittard.

Le petit canard s’approcha et Hansel se mit àcalifourchon sur son dos. Il demanda à sa sœur de prendre place àcôté de lui.

– Non, répondit-elle, ce serait troplourd pour le canard. Nous traverserons l’un après l’autre.

La bonne petite bête les mena ainsi à bonport. Quand ils eurent donc passé l’eau sans dommage, ilss’aperçurent au bout de quelque temps que la forêt leur devenait deplus en plus familière. Finalement, ils virent au loin la maison deleur père. Ils se mirent à courir, se ruèrent dans la chambre deleurs parents et sautèrent au cou de leur père. L’homme n’avaitplus eu une seule minute de bonheur depuis qu’il avait abandonnéses enfants dans la forêt. Sa femme était morte. Grethel secoua sontablier et les perles et les diamants roulèrent à travers lachambre. Hansel en sortit d’autres de ses poches, par poignées.C’en était fini des soucis. Ils vécurent heureux tous ensemble.

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