Contes merveilleux – Tome I

Chapitre 19Les Enfants Couleur d’Or

Il y avait une fois un pauvre homme et unepauvre femme qui ne possédaient rien au monde qu’une petite cabane.Ils ne vivaient que du produit de leur pêche. Un jour que le pauvrehomme assis au bord de l’eau tirait ses filets, il prit un poissonentièrement d’or. Tandis qu’il contemplait ce poisson avec des yeuxétonnés, celui-ci prit la parole :

– Bon pêcheur, écoute-moi, lui dit-il, situ consens à me rejeter dans l’eau, je changerai ta misérablecabane en un château magnifique.

– À quoi me servira un château, si jen’ai pas de quoi manger ?

– J’y aviserai aussi : il setrouvera dans le château une armoire, tu n’auras qu’à l’ouvrir poury trouver à souhait des plats de toutes sortes.

– S’il en est ainsi, dit notre homme, jene demande pas mieux que de faire ce que tu désires.

– Oui, reprit le poisson, mais j’y metspour condition que tu ne diras à personne l’origine de tafortune ; si tu souffles là-dessus le plus petit mot, touts’écroulera.

Le pêcheur rejeta dans l’eau le poissonmerveilleux, et prit le chemin de sa demeure ; mais à la placeoù se trouvait sa chétive cabane, s’élevait maintenant un châteaumagnifique. Il ouvrit de grands yeux, franchit la porte et aperçutsa femme assise dans une chambre richement ornée, et vêtue d’habitsprécieux. Cette dernière était au comble de la joie. Elles’écria :

– Cher homme, comment cela est-il arrivétout d’un coup ? je m’en trouve fort bien.

– Et moi aussi, répondit l’homme, mais jemeurs de faim ; commence par me donner quelque chose àmanger.

– Je ne possède rien, et je ne sais oùchercher dans ce château.

– Oh ! dit le pêcheur, je vois làune grande armoire ; si tu l’ouvrais ?

La femme tourna la clef aussitôt et aperçut,rangés avec ordre, des gâteaux, des viandes, des sucreries et desvins. Elle poussa un cri de joie, et tous deux se mirent à fairehonneur au repas préparé. Quand ils eurent fini, la femme élevantla voix :

– Dis-moi donc un peu, cher homme, quelleest l’origine de toute cette richesse ?

– Ne m’interroge pas, répondit lepêcheur, je dois garder le silence sur ce point, la moindreindiscrétion nous ferait retomber dans notre premier état.

– Il suffit ; puisque je ne dois pasle savoir, je ne te prierai plus de me le dire.

Cependant elle le tourmenta et le persécuta sibien, qu’il finit par lui avouer que toute leur fortune leur venaitd’un poisson d’or qu’il avait capturé.

Il avait à peine fini ce récit, que le châteaudisparut ainsi que l’armoire merveilleuse, et qu’ils se trouvèrentde nouveau assis dans leur ancienne cabane de pêcheur.

Notre homme fut donc forcé de reprendre sonancien métier.

Cependant le bonheur voulut qu’il attrapât uneseconde fois le poisson d’or.

– Si tu me rends encore la liberté, ditle poisson, je te donnerai de nouveau le château etl’armoire ; mais pour le coup tiens-toi ferme et garde-toibien de dire à qui que ce soit de qui tu tiens ces richesses sinon,tu les perdras de nouveau.

– J’y prendrai garde, répondit lepêcheur.

Et il rejeta le poisson dans l’eau.

Quand il revint chez lui, tout avait reprisson éclat et sa femme était radieuse mais la curiosité ne la laissapas longtemps en repos, et deux jours s’étaient à peine écoulésqu’elle recommença à questionner son mari. Celui-ci finit parcéder.

Le château s’évanouit, et ils se trouvèrentdans leur ancienne cabane.

– Tu l’as voulu, dit le pêcheur :grâce à toi, nous allons recommencer notre vie misérable.

– Hélas ! répondit la femme, jepréfère encore me passer de la richesse que de ne pas savoir d’oùelle me vient.

Le pêcheur retourna à ses filets, et quelquetemps après il attrapa pour la troisième fois le poisson d’or.

– Écoute, dit ce dernier ; je voisbien que je suis destiné à tomber entre tes mains ;emporte-moi avec toi au logis, et coupe-moi en six morceaux ;de ces morceaux, fais-en manger deux à ta femme, deux à ton cheval,et mets en terre les deux restants ; tu n’auras pas lieu det’en repentir.

Le pêcheur revint chez lui avec le poisson, etfit tout ce que celui-ci avait recommandé.

Il arriva que deux lis d’or poussèrent àl’endroit où les deux morceaux avaient été enterrés, la jument eutdeux poulains de couleur d’or, et la femme du pêcheur deux garçonségalement d’une couleur d’or.

Les enfants grandirent, ainsi que les lis etles jeunes poulains.

Il arriva qu’un jour les deux frères dirent aupêcheur :

– Cher père, permettez-nous de monter noscoursiers d’or et de nous mettre à courir le monde.

Le pêcheur répondit avec tristesse :

– Comment pourrai-je supporter votreabsence ? Songez à l’incertitude cruelle dans laquelle jeserai sur votre compte ; qui me dira ce qui vousarrive ?

Les frères répondirent :

– Les deux lis d’or vous donneront de nosnouvelles. Tant qu’ils brilleront d’un frais éclat, nous serons enbonne santé, si au contraire ils pâlissent, ce sera signe que noussommes malades et leur mort annoncerait la nôtre.

Ils partirent donc, et arrivèrent bientôt dansune auberge pleine de monde. À la vue des deux frères couleur d’or,on se mit à rire et à se moquer. L’un d’eux ayant compris qu’ilétait l’objet de ces plaisanteries, regagna la maisonpaternelle.

Quant à l’autre, il poursuivit son voyage, etparvint au bord d’une grande forêt. Comme il se disposait à ypousser son cheval, des paysans lui dirent :

– Il ne sera pas prudent à vous depénétrer dans cette forêt ; elle est pleine de voleurs ;et s’ils aperçoivent votre couleur d’or et celle de votre cheval,ils ne manqueront pas de vous donner la mort.

Mais le jeune homme ne se laissa paseffrayer ; il reprit :

– Il faut absolument que je traversecette forêt.

Cela dit, il prit des peaux d’ours, s’encouvrit entièrement, ainsi que son cheval, si bien qu’on ne voyaitplus luire la moindre petite place d’or, et il pénétra hardimentdans la forêt. Soudain, il entendit les broussailles s’agiter etdes voix en sortirent et s’entretinrent tout bas. D’un côté ondisait :

– En voici un !

Mais du côté opposé on répondaitaussitôt :

– Qu’on le laisse courir, c’est un pauvrediable, gueux comme un rat d’église !

C’est ainsi que le jeune homme couleur d’orarriva heureusement à l’autre extrémité de la forêt. Il traversabientôt un village où il remarqua une jeune fille si belle qu’ilcrut qu’aucune autre au monde ne pouvait la surpasser en beauté. Ilse sentit si épris, qu’il s’approcha d’elle et lui dit :

– Je vous aime de tout mon cœur,consentez-vous à devenir ma femme ?

De son côté, la jeune fille le trouva si fortde son goût qu’elle répondit :

– Oui, je veux bien devenir votre femmeet vous rester fidèle toute ma vie.

Ils célébrèrent donc le mariage, et ilsétaient au moment le plus joyeux de la fête, lorsque arriva le pèrede la fiancée. Celui-ci se fit présenter le marié. On lui montra lejeune homme couleur d’or, lequel ne s’était pas encore débarrasséde sa peau d’ours. À cette vue, le père entra dans une grandecolère et s’écria :

– Jamais ma fille ne sera la femme d’untel homme.

Et il voulut le tuer. Cependant la fiancée sejeta aux genoux de son père qu’elle baigna de ses larmes endisant :

– Il est mon mari et je l’aime !

Le père se laissa fléchir ; toutefoisl’idée ne lui sortit pas de la tête, que sa fille avait épousé unmisérable gueux ; aussi dès le lendemain matin,s’empressa-t-il de se lever pour s’en convaincre de ses propresyeux. Quand il entra dans la chambre des époux, il vit dans le litun bel homme de couleur d’or, et par terre étaient étendues lespeaux d’ours qu’il avait dépouillées.

Aussitôt il revint sur ses pas endisant :

– Quel bonheur que j’aie pu contenir macolère ! j’aurais commis une action bien déplorable.

Cependant le jeune homme couleur d’or avaitrêvé qu’il était sorti pour chasser un cerf magnifique ; à sonréveil, il dit à la jeune femme :

– Il faut que je sorte pour aller à lachasse.

Ces paroles inquiétèrent la jeune femme, etelle le supplia de rester, en disant :

– Il pourrait facilement t’arriver ungrand malheur.

Il répondit :

– Il faut absolument que je sorte.

Il se rendit dans la forêt. Il ne tarda pas àvoir paraître un beau cerf au port majestueux. Il le coucha enjoue, mais le cerf disparut d’un seul bond. Il se mit à sapoursuite, à travers les ravins et les broussailles. Quand vint lesoir, le cerf disparut complètement. Lorsque notre chasseur portases regards autour de lui, il vit qu’il était en face d’une petitemaison dans laquelle était assise une sorcière, et il frappa à laporte ; une vieille femme vint lui ouvrir et luidit :

– Qu’est-ce qui vous amène si tard danscette immense forêt ?

– N’avez-vous pas vu un cerf ?

– Oui, reprit-elle, je connais cecerf.

Et un petit chien qui était sorti avec elle dela maison se mit à aboyer fortement.

– Veux-tu bien te taire, maudit roquet,s’écria ce dernier, sinon je t’imposerai silence d’un coup defusil.

La sorcière repartit d’un tonirrité :

– Comment ! tu parles de tuer monchien ?

Et soudain elle le métamorphosa en pierre sibien que sa jeune épouse, ne le voyant point revenir, se prit àpenser :

« Sans doute que ce qui me donnait tantd’inquiétude et qui me pesait comme un fardeau sur le cœur, luisera arrivé. »

Cependant le second frère qui était retournédans la maison paternelle, et qui se tenait en ce moment auprès deslis d’or, en vit un s’incliner tout à coup.

« Mon Dieu ! se dit-il, un grandmalheur menace mon frère ; il faut que je parte sans retard,si je veux pouvoir lui porter secours. »

Son père lui dit alors :

– Ne t’en va pas, si je te perds aussi,que deviendrai-je ?

Mais le jeune homme répondit :

– Il faut à toute force que je parte.

Cela dit, il monta son cheval d’or, se mit enroute et arriva dans la grande forêt.

La vieille sorcière sortit encore une fois desa maisonnette, l’appela, et voulut l’attirer dans son piège ;mais il évita de s’approcher, et lui cria aussi :

– Si tu ne rends pas la vie à mon frère,je t’envoie une balle dans la tête.

La vieille fée fut donc forcée, bien àcontrecœur, d’animer de nouveau la pierre et de lui rendre son étatnaturel.

Lorsque les deux frères couleur d’or serevirent, ils éprouvèrent une grande joie, s’embrassèrenttendrement et sortirent ensemble de la forêt ; l’un allaretrouver sa jeune épouse, et l’autre son père.

Dès que ce dernier aperçut son fils, il luicria :

– Je savais bien que tu avais délivré tonfrère car le lis d’or, qui s’était incliné, s’est relevé tout àcoup et a refleuri de plus belle…

À partir de ce moment, rien ne manqua plus àleur bonheur.

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