La Conspiration des milliardaires – Tome I

Chapitre 15Perfide Albion

Lecaractère, les mœurs des Anglais, leur manière d’agir vis-à-vis desautres peuples, sont assez connus pour que nous n’essayions pas unedescription complète.

Dans le commerce, dans l’industrie, et surtoutdans la colonisation, en un mot dans tout ce qui touche, d’unemanière quelconque, à leurs intérêts de commerçants, leurs ruses,leur sans-gêne, l’absolu mépris qu’ils ont pour leurs voisins sontlégendaires.

Mais c’est surtout dans leur politiqueextérieure qu’ils se sont révélés, qu’ils ont le mieux montré leuraudace, leur égoïsme ; que sous le couvert des grands mots decivilisation et de progrès, ils ont donné un libre essor à leursinstincts dominateurs et rapaces.

Diviser pour régner, voilà leur principe. Lesmoindres incidents servent de prétexte à la mise en œuvre de cettetactique. Ils colonisent, la Bible d’une main, le revolver del’autre. Leurs instincts mercantiles ne connaissent pasd’obstacles.

Toujours à l’affût de nouvelles colonies àconquérir, ils saisissent habilement toutes les occasions deplanter quelque part le drapeau britannique. Susciter entre lesgouvernements des difficultés diplomatiques n’est pour eux qu’unjeu. Ils savent ménager, comme on dit, la chèvre et le chou, ettoujours en retirent quelques avantages.

L’humanité, dont ils font grand cas dans leursdiscours officiels, ne les embarrasse pas dans les faits. Leurshommes d’État présentent ce type particulier qui réunit à la foisla prudence et la hardiesse. Ils savent attendre l’heure favorableet hâter les événements, tout en ayant l’air de les retarder.

L’âme des Anglais, toute d’une pièce, neprésente pas les divergences et les contradictions qu’on peutobserver dans les autres pays. Elle est uniforme, invariable etopiniâtre. Le même but l’anime ; les mêmes convoitisesl’exaltent.

On a beaucoup parlé de la supériorité desAnglo-Saxons, de leur esprit d’initiative, de leur entente de lavie. On nous a prédit qu’ils seraient, à bref délai, les maîtres dumonde civilisé. Nous ne le croyons pas.

Leur empire colonial, qui va chaque jour ens’agrandissant, ne justifie pas complètement ces prévisions. S’ilsont empoisonné la Chine par l’opium, s’ils ensanglantentjournellement l’Afrique pour pouvoir l’inonder à leur guised’alcool et de basses pacotilles, si jusqu’en Égypte ils étendentles frauduleuses manœuvres de leurs diplomates, ils n’ont pointacquis une véritable suprématie ; on peut dire même qu’ils nel’acquerront jamais.

L’esprit français, leur ennemi séculaire, leurbarre la route ; et c’est surtout à combattre son influenceque s’exerce le Foreign Office ou ministère des Affairesétrangères.

Le Foreign Office ne ménage pour cela nil’argent ni les hommes. Une véritable armée de détectives, choisisparmi les plus sagaces, est chargée de lui fournir desrenseignements et d’exécuter ses ordres.

La dextérité, l’audace de ses agents, leuradresse à se glisser dans tous les milieux, sont surprenants.

Dès qu’un but est assigné, ils déploient, pourl’atteindre, des ruses d’Apaches. Tous les procédés leur sontbons.

Bob Weld était un détective à la solde duForeign Office.

Son passé, pour tout le monde, demeuraitrempli de mystère. Comment était-il entré dans l’espionnagediplomatique ? Personne ne se le rappelait.

Ancien forban ou grand seigneur déchu, ilavait de l’un l’audace, de l’autre les bonnes manières et lahautaine apparence.

D’une intelligence peu commune, il était, deplus, passé maître dans l’art de la dissimulation et del’impassibilité. Son habileté à changer d’idées et de langagen’avait d’égale que la facilité avec laquelle il travestissait saphysionomie.

On l’a vu électricien consommé à Mercury’sPark, touriste anglais et passager du London ; aussibien l’eussions-nous rencontré missionnaire allant porter la bonnedoctrine aux peuplades sauvages, négociant farci de considérationséconomiques, général retraité parlant avec gravité de questionsmilitaires, ou bien encore étonnamment exact dans les fonctionsplus humbles de maître d’hôtel ou de garçon de banque.

On eût fait un volume en décrivant lesnombreux personnages dont il avait endossé l’apparence.

Personne ne connaissait Bob Weld, n’avait faitattention à lui. En revanche, il possédait, classées avec soin danssa mémoire, toutes les physionomies célèbres de l’Europe et dumonde entier.

Ned Hattison y figurait en bonne place depuisque, par suite d’une série de circonstances favorables, le policieravait découvert les constructions enfouies au milieu des montagnesRocheuses et que, d’après les ordres de son gouvernement, il avaitfilé le jeune ingénieur en Europe.

L’existence que celui-ci y menait n’avait pasde secrets pour lui.

En remontant les grands boulevards dans ladirection de l’Opéra, le détective se frottait les mains. Il étaitcontent de lui et des événements.

Après les révélations qu’il venait de faire àOlivier Coronal, si les catastrophes ne se précipitaient pas demanière à donner satisfaction au Foreign Office, ce ne seraitvraiment pas de sa faute.

Le chapeau haut de forme carrément posé sur latête, la démarche majestueuse dans ses vêtements coupés à ladernière mode, augmentée encore de la noblesse de favoris blancsencadrant son visage, il avait tout à fait l’aspect d’un diplomate,sinon d’un ambassadeur.

« Après ce qu’il vient d’apprendre,monologuait-il intérieurement, Olivier Coronal est capable de selivrer aux dernières violences. Je le connais, ajoutait-il ensouriant. C’est un méridional : sang vif et tête chaude.Lorsqu’il rencontrera Ned Hattison, qui doit justement allervisiter la partie des ateliers ouverte au public… »

Il ne formulait pas sa pensée ; mais ellelui était sans doute agréable, car un sourire inexprimableeffleurait ses lèvres.

Il entrevoyait déjà le scandale, lesdifficultés diplomatiques qui ne manqueraient pas de surgir entrela France et les États-Unis ; et l’Angleterre, profitant decette aubaine qui lui rapporterait plus – commercialement s’entend– qu’une glorieuse expédition, qu’une de ces folles équipéeshumanitaires comme en commettent les Français.

Si tout allait bien, ce serait pour lui uneaffaire de quelques milliers de livres sterling, et le prestiged’une délicate expédition menée à bonne fin.

Bob Weld venait de s’engager dans le faubourgSaint-Honoré.

Quelques minutes après, il pénétrait dans lesbureaux du consulat britannique.

Laissons-le gagner le cabinet du consul etrendre compte de ses actes, cependant que, les traits bouleverséspar la violence de ses sentiments, Olivier Coronal reprenait letrain pour Enghien, à la gare du Nord.

– Jamais je n’aurais soupçonné cela,s’écriait-il avec véhémence. Comment ! je suis espionné !Et par qui ! Par Ned Hattison lui-même ! Qui l’eûtdit ?

Bob Weld avait jugé juste. L’émotion del’inventeur était profonde. Il serrait les poings avec rage ;ses yeux lançaient des éclairs.

« Nous sommes vraiment inconscientsd’ouvrir, comme nous le faisons, nos portes à des étrangers,pensait-il. Ils en profitent pour nous trahir sans scrupule, nousvoler nos découvertes, nous frustrer du produit de nos travaux. Etcomme récompense, ils se moquent de nous et nousméprisent. »

– Ah ! que je le rencontre, cetAméricain, ajoutait-il en secouant furieusement sa chevelureléonine ; nous verrons s’il osera nier l’évidence ! Carle doute n’est plus permis. Ce Bob Weld m’a mis en main des preuvespalpables.

En arrivant à Enghien, l’agitation de Coronaln’était pas encore calmée. Il sentait sourdre en lui une flamme dehaine. Dans son cabinet de travail, la tête dans ses mains, ilréfléchit.

Au-dehors on entendait le grincement desmachines.

À mesure qu’il s’enfonçait dans ses songeries,ses pensées, tout d’abord violentes et précises, se teintaient dephilosophie et de tristesse.

– Est-ce que ce sera donc toujours lamême chose, murmurait-il ; et notre vie n’aura-t-elle jamaisun but plus élevé ? N’est-ce pas illogique d’inventer pourdétruire, de s’armer les uns contre les autres ; et le cerveauhumain ne sera-t-il jamais affranchi de la haine et dumeurtre ?

Il détaillait, dans son esprit, les avantagesde la torpille terrestre, supputait les résultats de sa puissancedestructive.

– C’est donc là le progrès : unequestion d’explosifs… de canons ? Un jeu de massacre dont nousconfectionnons les boules ?

« Remplacer un engin qui peut abattrecinquante hommes d’un seul coup par un autre qui en fauchera cinqcents ; bombarder des villes, exterminer des populations,est-ce là le résultat de six mille ans de pensée etd’efforts ?

« Que nous réservera l’avenir ? Quelsoleil luira pour les générations futures ?

« Les plus optimistes n’osent rienaffirmer.

« En face de l’Europe, une civilisations’est dressée, hâtive et monstrueuse. En un siècle, les États-Unisont réalisé l’impossible, ont atteint le summum de l’activitématérielle.

« Pour nous autres, le véritable périlest là. Jusqu’à ce jour, les Américains se sont contentés d’êtred’étonnants industriels. Cela ne leur suffit plus.

« Nous les sentons s’agiter et sedébattre dans des problèmes économiques. Ils cherchent à nousimposer leurs tarifs commerciaux ; ils emploieront tous lesmoyens pour y arriver.

« Déjà leur armement s’augmente et seperfectionne. La présence de Ned Hattison en France n’est guèrefaite pour me faire changer d’avis.

« Que résultera-t-il de cet immenseconflit ? Peut-on, sans frémir d’horreur, envisager laperspective d’une guerre générale ?

« Avec les moyens de destruction que nouspossédons, qui, chaque jour, deviennent plus terribles et, danscinquante ans, seront inimaginables, quelle tuerie, quellehécatombe ensanglanterait l’univers soi-disant civilisé !…

Olivier Coronal avait relevé la tête. Unefièvre d’évocation l’agitait tout entier. Ses yeux semblaientregarder au loin, sans rien voir des choses environnantes.

– Oui, poursuivit-il, ce seraiteffroyable. Mais tout porte à croire que l’humanité ne connaîtrapas ces époques lugubres.

« L’orgueil des Américains, leurpuissance qui s’accroît sans cesse, l’ère d’hostilités qu’ilsinaugurent, tout cela est un bien pour l’Europe.

« En politique, comme en physique, leslois de l’équilibre agissent d’elles-mêmes, à l’heure propice.

« Contre le péril américain, le véritabledanger des races latines, sait-on s’il ne se formera pas, enEurope, une immense république, englobant toutes les puissances duvieux continent que divisent encore des querellesséculaires ?

« Après tout, ce serait logique. LesÉtats-Unis d’Europe, en face des États-Unis d’Amérique,rétabliraient la balance des forces, la stabilité de la vie, etpermettraient peut-être le désarmement général.

« On ne pourrait plus faire la guerre. Ceserait, pour la première fois, l’avènement d’une ère vraimentsublime de génie et de paix.

« Si l’on songe à ce que pourraientproduire, utilisés au profit du bien-être de tous, les énormescapitaux, les efforts cérébraux des générations, qu’absorbemaintenant, qu’immobilise l’armement des peuples, on reste saisid’étonnement.

« Comme la vie serait belle, affranchiedes luttes et des haines qu’engendre l’antagonisme desintérêts ! Que de merveilles réalisées, et qui profiteraientmieux aux hommes que des torpilles et des mitrailleuses !

« L’agriculture florissante, la vie del’ouvrier garantie de la misère, délivrée du vice parl’assainissement des villes et des cerveaux. Et comme elle seraitvite résolue la terrible question sociale, par un peuple joyeux devivre sainement, et d’engendrer des hommes libres et conscients dela beauté de leur race.

« S’ils pouvaient un jour se réaliser,les États-Unis d’Europe amèneraient peut-être la réalisation detous ces rêves !

« Allons, bon ! me voilà encoremonté dans ma tour d’ivoire ! s’écria Coronal, sortant de sarêverie, en entendant frapper à la porte.

Son domestique, un jeune homme d’une vingtained’années, à la tête gouailleuse de gavroche parisien, entra.

– Qu’est-ce que c’est, Léon ?

– Une lettre, monsieur. Elle vientd’arriver de Paris.

Il déposa, sur le bureau, une large enveloppecachetée de rouge.

Léon allait ouvrir la bouche pour quelquefacétie de mauvais goût ; mais l’inventeur s’écria, avec unebrusquerie qui ne lui était pas ordinaire :

– Laisse-moi tranquille ! Si j’aibesoin de toi, je te sonnerai.

Léon se retira en grommelant :

– Ah çà ! qu’est-ce qu’il a donc, lepatron, aujourd’hui ? Il est aimable comme un chat en colère.Va donc, eh ! singe !…

Olivier n’entendit pas ces réflexions ;mais le sans-gêne de son domestique ne l’eût pas surpris.

Élevé dans les faubourgs de Belleville, LéonGoupit, dont le père avait été plus de trente ans au service de lafamille Coronal, était mieux qu’un Parisien, c’était unBellevillois dans l’âme.

Malgré ses fonctions auprès de l’inventeur, ilavait gardé, des interminables flâneries de son enfance, ce langageimagé et sans façon qui fait reconnaître le gamin de Paris danstous les pays du monde.

Une éternelle cigarette collée sur ses lèvresaux coins retroussés, un profil amusant, les cheveux en coup devent, le nez fureteur et les yeux malins, toujours content de luiet prêt à railler les autres, c’était bien le vrai type du gamin,insouciant et blagueur.

Il avait, pour Olivier Coronal, un dévouementà toute épreuve, une affection capable de compenser bien desdéfauts. Si Léon manquait de correction, si, souvent, il étaitirrespectueux, par contre, il connaissait à merveille les habitudesde l’ingénieur et lui rendait de grands services.

Olivier Coronal avait brisé fébrilement lescachets de la missive.

Une haute écriture, ferme et volontaire, parutà ses yeux.

Il lut :

Monsieur,

J’ai l’honneur de vous prier dem’autoriser à visiter la partie des ateliers d’Enghien que legouvernement français vient d’ouvrir au public.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma hauteconsidération.

NED HATTISON.

Il relut la lettre, la tourna dans tous lessens, mais sans parvenir à classer une idée dans son cerveau.

– Comment ! s’écria-t-il enfin, NedHattison ose me demander la permission de visiter lesateliers ! Ah ! c’est trop d’impudence. Après avoirétabli, dans tout le pays, un système d’espionnage en règle !Eh bien, nous allons voir !…

La sueur aux tempes, il écrivit d’un seuljet :

Monsieur,

Votre audace n’a d’égale que votrebassesse. Je regrette de ne pouvoir vous accorder l’autorisationque vous sollicitez…

Une pensée lui vint. La plume lui glissa desmains.

– Non, fit-il, qu’il vienne ; j’aimemieux cela. Je pourrai lui dire en face toute ma pensée etl’accabler de tout mon mépris.

Il sonna.

– Tiens, Léon, porte immédiatement cetteautorisation à la poste.

Son domestique disparu, l’ingénieur s’absorbade nouveau. L’idée lui vint bientôt que cette demande n’étaitpeut-être qu’une raillerie, une fumisterie dirigée contre lui, etque Ned Hattison n’en était pas l’auteur.

Il se trompait. L’ingénieur avait appris, parM. Golbert, qu’on admettait désormais les visiteurs àEnghien.

Le savant avait dit cela négligemment, un jourque, rentrant d’une séance de l’Académie, qui s’était prolongéeplus tard qu’à l’ordinaire, il avait trouvé Ned en tête à tête avecLucienne.

Tout en sachant respecter les convenances, lajeune fille vivait assez librement. Elle n’affectait aucunepruderie dans la conversation, et parlait sur tous les sujets avecce sérieux mitigé de gaminerie qui la faisait originale etcharmante.

Ce soir-là, en prenant congé du savant et deLucienne, Ned Hattison revint à pied jusqu’à son domicile. Le longdes boulevards, où grouillait une foule turbulente et joyeuse, ilse sentait comme animé d’une nouvelle vie.

À côté des tourments et des déceptions que luioccasionnaient ses recherches, ces soirées de causerie intime, oùla jeune fille lui ouvrait son âme avec une confiante naïveté,avaient pour lui un charme puissant et lui procuraient une joiedont il commençait à deviner la véritable cause.

Dans le silence de son laboratoire, il osait,parfois, s’avouer à lui-même son amour pour Lucienne Golbert.

Il avait maintenant des espérances qu’il ne seprécisait pas à lui-même. Son imagination, ordinairement contenuepar ses études, se livrait à de folles équipées. Il entrevoyaitl’avenir sous les plus séduisantes couleurs.

Cependant, il n’avait jamais déclaré son amourà Lucienne ; et seule l’expression de joie profonde de sesyeux, lorsqu’ils s’attachaient sur ceux de la jeune fille, auraitpu dévoiler ses sentiments.

Somme toute, ce n’était encore qu’un rêve àpeine formulé, un espoir dont il berçait sa vie et qui lui étaitbienfaisant au milieu de ses inquiétudes.

Après avoir adressé à Olivier Coronal, lademande qui surprit tant celui-ci, il attendit impatiemmentl’autorisation que, nous l’avons vu, l’inventeur ne tarda pas à luienvoyer.

Le lendemain matin, il prenait le train pourEnghien.

Aux portes de la charmante petite ville,l’usine des torpilles terrestres profilait ses vastes bâtimentsbariolés de couleurs claires.

Il présenta son permis au fonctionnaire, quile laissa passer sans difficulté.

Un bizarre sentiment de fierté s’empara delui, comme il franchissait le seuil.

– Enfin, se disait-il, j’ai donc réussi àm’introduire dans ces ateliers si bien gardés… Malheureusement, jen’y verrai sans doute pas grand-chose aujourd’hui qui puisse meservir.

En face de lui, une large porte vitrée donnaitaccès à un vestibule, meublé de fauteuils en velours rouge.

Il y pénétra.

En même temps que lui, Olivier Coronalparut.

Une large ride barrait son front ; elles’accentua encore tandis que Ned Hattison saluait aveccorrection.

– Vous avez l’autorisation de visiter lesateliers, monsieur ! s’écria-t-il, sans pouvoir contenir sonagitation.

Le ton avec lequel Olivier prononça cessimples paroles, le regard dont il les accompagna, firentpressentir à l’ingénieur américain qu’on ne lui ménageait pas uneréception amicale.

Néanmoins, il ne laissa rien paraître de sasurprise et tendit son permis.

– En effet, monsieur, dit-il, je suisdésireux de voir ces merveilles qui occupent actuellement tout lemonde civilisé.

Cette réponse courtoise ne fit qu’exaspérerdavantage Olivier Coronal.

– Elle l’occupe peut-être trop,fit-il ; et la sécurité de notre pays pourrait bien s’enressentir.

– Que voulez-vous dire ? demanda NedHattison en rougissant.

Cette riposte inattendue, l’allure presquemenaçante de l’inventeur l’avaient touché au vif !

– Ce que je veux dire ? C’est quenous sommes trop confiants en France ; que, toujours trompés,nous ne pouvons, malgré cela, nous résoudre à la défiance, et quenous continuons à ne tenir aucun compte des leçons du passé. Nousouvrons toute grandes les portes aux étrangers ; nous lesinitions à tous les procédés de notre industrie, à toutes nosdécouvertes scientifiques. Nous nous abandonnons pieds et poingsliés, sans la moindre garantie, aux écumeurs cosmopolites qui nousdévalisent sans vergogne.

La voix de l’inventeur était devenue sourde.Ses regards cherchaient ceux de Ned.

Celui-ci ne broncha pas.

– En vérité, monsieur, dit-il, je ne voispas bien quel rapport peut exister entre ma visite, autorisée parle gouvernement français, et le flot d’invectives qui vouséchappent en ce moment.

– Vous osez le demander ? Vous voustarguez de l’autorisation du gouvernement ! Croyez-vous quecela vous innocente et puisse fournir une excuse à vosinqualifiables procédés ?… Laissez-moi parler, fit-il envoyant que Ned voulait l’interrompre ; laissez-moi, puisqu’ille faut, vous dire que je n’ignore rien de vos manœuvres, del’espionnage que vous avez organisé autour de mes ateliers. Vousêtes un agent des États-Unis ; vous êtes un espion !

À ce moment, la figure de Ned se décomposa, etdevint livide.

– Un espion ! proféra-t-il endardant vers l’inventeur un regard irrité. Voilà comment vous osezme traiter ; et cela chez vous, au cours d’une visite dontvous-même m’avez accordé l’autorisation !… Monsieur, vosparoles sont indignes d’un galant homme, et qui plus est, d’unsavant !

– Oh ! n’essayez pas de vousretrancher derrière des questions de convenances. Je sais que nousavons, à l’étranger, une réputation de naïveté dont on profite.Pour une fois, fit-il ironiquement, vous serez mal tombé. Je ledéplore pour vous et le succès de vos rapines.

– Ah ! vous m’insultez ! Vousinsultez les États-Unis ! s’exclama Ned sous l’impulsion d’unefureur contenue jusqu’alors. Eh bien, prenez garde ! si c’estun défi qu’il vous faut, je vous le porte en tant qu’homme et entant que savant. Votre torpille terrestre, nous n’avons pas besoind’elle. Le génie de mon père vous prépare autre chose !…

Et, livide de colère, la bouche contractée parun rictus sardonique, Ned Hattison, après avoir toisé l’inventeuravec mépris, gagna la porte qu’il referma sur lui avecviolence.

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