La Conspiration des milliardaires – Tome I

Chapitre 22Un voyage de Hattison

Depuisle départ de Ned Hattison, tout ce que l’imagination humaine etl’effort continu des générations successives a créé dans l’art dedétruire et de faire la guerre, semblait avoir été centralisé, parune volonté surnaturelle, à Mercury’s Park et à Skytown, les deuxvilles monstrueuses enfouies au milieu des montagnes Rocheuses.

En prenant la direction de cette société demilliardaires américains, Hattison père, l’illustre inventeur,avait dit vrai.

En une année, son merveilleux génied’organisateur pratique avait presque atteint le but proposé parWilliam Boltyn.

Tout un coin de l’énorme chaîne de montagnesétait transformé.

Avec ses enceintes successives, chacuned’elles affectée à des travaux différents, avec la masse de sesbâtiments, de ses fonderies, de ses laboratoires, avec son parcaérostatique, Mercury’s Park était bien, à présent, le premierarsenal du monde.

Directeur tout-puissant, âme de la prodigieusecité, Hattison père n’avait rien épargné pour lui assurer cettesuprématie.

Isolée dans son enceinte respective, une arméed’ouvriers travaillait chaque jour.

Les cheminées des usines versaient sansrelâche leurs torrents de fumée ; les tours d’aluminium àvingt étages s’érigeaient. On ne comptait plus les dollarsdépensés.

Skytown ne restait pas en arrière. Là aussi,les marteaux-pilons ébranlaient le sol. Des monstres sous-marinsmontraient leurs coques d’acier dans les cales sèches. Des plans,d’une ingéniosité et d’une audace inouïes, recevaient une exécutionplus audacieuse encore.

À chacun de ses voyages, William Boltynrapportait une sensation plus forte d’orgueil et de puissance.

L’énorme fortune du milliardaire s’accroissaitsans cesse.

Une heureuse spéculation l’avait rendupropriétaire de tout un quartier de Chicago.

Les abattoirs et ses fabriques de conserves,sillonnés de trains électriques, enrichis de nouvelles machines,avaient doublé d’importance.

Il n’y avait qu’un seul nuage sur sonbonheur : Aurora, sa fille, le préoccupait.

Elle, autrefois fervente de tous les sports,active, et qui apportait, dans toutes les choses de la vie,l’impassibilité d’un caractère hautain et volontaire, s’ennuyaitmortellement depuis le départ de Ned pour l’Europe.

Toujours lasse, ne s’intéressant plus à rien,elle semblait chercher sans cesse des yeux quelque visiondisparue.

Boltyn n’y comprenait plus rien.

Pour la distraire, il avait tout imaginé.

Les caprices les plus coûteux, une foisréalisés, n’arrachaient même pas un sourire à la jeune fille.

Elle dépérissait à vue d’œil.

Aussi le milliardaire avait-il fait comprendreà Hattison qu’on ne pouvait plus différer le retour de Ned.

– Il faut qu’il revienne à tout prix,qu’il laisse tout en suspens, avait-il dit.

Pas plus que sa fille, William Boltyn neconnaissait le véritable motif du voyage de Ned, Hattison pères’étant bien gardé de le révéler.

Il avait usé d’expédients pour leur fairecroire, à tous deux, que le mariage était seulement retardé.

Il avait grandi son fils à leurs yeux, en luiattribuant le désir de se rendre digne de la main d’Aurora, par uneréussite éclatante de sa mission.

Nous avons vu que, cédant aux instances dumilliardaire, l’ingénieur avait écrit à son fils pour l’engager àreprendre de suite le chemin de l’Amérique.

Dans son laboratoire, qu’un blocus électriqueisolait complètement, Hattison était enfermé depuis le matin.

La nuit venait de tomber.

Au-dehors, de puissants fanaux électriqueséclairaient tout le paysage de coupoles et de cheminées.

Autour du savant, une multitude de piècesd’acier, de ressorts, de bielles, encombraient les établis.

Penché sur une feuille couverte de chiffres,l’ingénieur, dont les yeux pareils à des boules de métal dénotaientune extraordinaire tension du cerveau, semblait ne plus vivre pourle monde extérieur.

À quelques pas de lui, Joë, le nègre muet, àla stature herculéenne, épiait ses moindres signes.

À quelle tâche s’était voué le savant ?Que rêvait-il de créer ? Quelle mystérieuse besogne avait-ilentreprise ?

Personne ne le savait encore.

Hattison attendait sans doute l’heure propicepour divulguer ce secret.

Mais, malgré son silence, on pouvait supposerqu’il s’agissait d’une invention terrible, étant donné lesprécautions infinies dont il s’entourait dans son travail.

Depuis plus d’une heure, aucun muscle de safigure n’avait bougé.

Il semblait figé dans cette attitude d’effortset de recherches.

Tout à coup, d’un geste sec, il nota uneformule.

Puis, sans mot dire, avec sa brusqueriecoutumière d’automate, il se leva, dériva le blocus électrique qui,autour de son laboratoire, mettait nuit et jour une invisible maisinfranchissable barrière, et sortit.

À peine arrivé à son cottage, le timbreélectrique lui annonça une dépêche.

À mesure que se déroulait la mince bande depapier, il lut :

Mon père,

En réponse à votre lettre, je suis heureuxde vous informer de mon prochain mariage avecMlle Lucienne Golbert, fille du savant distingué,membre de l’Académie des sciences de Paris. Je compte sur votrebonté pour m’envoyer votre autorisation par télégramme.

Votre fils,

NED HATTISON.

À mesure qu’il avait lu, les lèvres del’ingénieur s’étaient contractées. Ses yeux avaient pris uneexpression terrible.

Pendant quelques minutes, la fureur l’empêchade parler.

– Oh ! c’est trop fort, s’écria-t-ilenfin. Se jouer de moi à ce point ! Mais il est fou, lemalheureux ! Ah ! c’est ainsi qu’il me récompense d’enavoir fait un savant. Il se pose en obstacle devant moi !… Ehbien, nous verrons.

« Et il ose, poursuivit-il rageusement,me demander mon autorisation, pour ce mariage insensé !… Monautorisation, répéta-t-il par deux fois ; eh bien, je vaisaller la lui porter moi-même !…

Le lendemain soir, l’ingénieur Hattisonarrivait à New York par la gare de l’Atlantic Railway, et prenaitplace sur un paquebot de la Compagnie transatlantique, àdestination du Havre.

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