La Conspiration des milliardaires – Tome I

Chapitre 21Bellevillois et Yankee

Uneville comme Paris a besoin de joie.

Contre les ennuis et les déceptions dontchaque être a sa part, contre les déboires de la quotidienne luttepour la vie, contre le dégoût des insuccès, il faut un remède, unesorte d’élixir moral qui chasse la rancœur, stimule lesefforts.

Cet élixir, c’est la chanson.

De tout temps, on a chanté à Paris.

Dans les heures prospères aussi bien que dansles détresses, dans l’abondance comme dans la disette, dans la paixcomme dans la guerre, les strophes, railleuses ou sentimentales,gaies ou tristes, se sont toujours envolées des lèvres et descœurs, même aux instants les plus critiques de l’histoire.

En parlant du Français, J.-J. Rousseauécrivait : « On dirait que la chanson est l’expressionnaturelle de tous ses sentiments. »

« On chantait quand les Anglaisdémembraient le royaume », dit un autre écrivain,M. de Jouy ; on chantait pendant la guerre civiledes Armagnacs, pendant la Ligue, pendant la Fronde, sous laRégence ; et c’est au bruit des chansons de Rivarol que lamonarchie s’est écroulée à la fin du dix-huitième siècle.

C’est même ce qui donne à Paris sa physionomiespéciale et bien à soi, que l’humeur toujours légère, que le goûtde sa population pour la chanson.

Nos pères ont connu les guinguettes et lescaveaux, dont plusieurs furent célèbres avec les chansons de PierreDupont, de Béranger, de Désaugiers.

On se réunissait sans protocole, ouvriers,employés et artistes, pour le plaisir d’entendre des coupletsalertes, des saillies drolatiques, ou des hymnes d’espérance.

De nos jours, Paris s’est transformé. La vieest devenue plus fébrile, plus hâtive. Il paraîtrait qu’on chantemoins.

Pourtant, détrônée presque partout, expulséede ses guinguettes, la chanson a, quand même, conservé ses droitsde cité dans deux quartiers de Paris : Montmartre et lequartier Latin.

À Montmartre surtout, toute une population depeintres, de sculpteurs, de poètes, continue la tradition, qu’ontinstaurée les troubadours et les bohèmes du bon vieux temps ;les Rutebeuf, les Villon, les Cyrano de Bergerac, et tantd’autres.

Nombreux sont les établissements, lescabarets, où l’on chante chaque soir devant un public jeune etenthousiaste, que n’ont point encore contaminé le pessimisme et laraideur voulue de l’élément anglais et américain, qui de plus enplus, pénètrent, en les défigurant, dans nos vieilles mœursfrançaises.

Là, après les soucis du labeur de chaque jour,on trouve encore le temps de s’amuser, de rire avec esprit.

Tout est sujet à chansons.

On raille les travers des uns et desautres.

Il se trouve encore des cœurs généreux pourflétrir les turpitudes, pour dire les aspirations, lesespérances.

Ce n’est pas le café-concert avec sesgrivoiseries de bas étage ; c’est quelque chose de gai, depimpant, de bon enfant ; c’est l’esprit français qui toujourschante, ne serait-ce que pour le plaisir de chanter.

Léon Goupit, le Bellevillois, connaissait sonMontmartre comme un vieux parisien.

Habitué fidèle de tous les cabarets, ilfaisait ses délices de l’audition des chansonniers.

C’était même, dans quelques endroits, un petitpersonnage, ne comptant plus ses amis ni ses camarades.

Tout en se réclamant avec orgueil de sesorigines bellevilloises, il n’était pas moins fier de son titre decitoyen de Montmartre.

Il fallait l’entendre parler avec dédain desautres quartiers de Paris.

– Non, mais c’est-y qu’y s’figurent qu’ysont parisiens tous ces pétrousquins-là, disait-il. Paris, c’estMontmartre et Belleville, voilà !

Et rien n’aurait pu le faire démordre de cetteopinion.

Chaque fois qu’on mettait en doute sesprincipes, il fallait le voir se dresser sur ses talons, enfler lavoix et, avec les mots impayables, défendre la réputation de labutte qui porte le Moulin de la Galette.

Pour le moment, après plusieurs mois d’absenceà Enghien, il venait de renouer avec ses anciennes relations.

En plus de cela, il n’était pas peu glorieuxd’une conversation qu’il venait de faire.

De même qu’Olivier Coronal avait fait laconnaissance de Ned Hattison, Léon Goupit avait fait celle de TomPunch, et d’une façon singulière.

Envoyé, un jour, par son maître, porter unecommission chez Ned – c’était un échantillon de curieux minéralqu’une fois, chez M. Golbert, Ned Hattison avait exprimé ledésir d’avoir en sa possession – le Bellevillois, qui jamaisn’avait vu l’ex-majordome de William Boltyn, rencontra, tout ens’acheminant les mains dans les poches et la cigarette aux lèvres,un gentleman d’une carrure imposante et dont l’abdomendémesurément développé avait, malgré la majestueuse redingote quile sanglait, quelque chose de pachydermique.

C’était notre excellent Tom Punch, plusrutilant que jamais, et qui, après avoir promené ses souliersrouges à triples semelles dans une demi-douzaine de brasseries,rentrait paisiblement au bercail.

– Mince de tonneau ! s’écria leBellevillois. Eh ! dis donc, combien qu’elle t’a coûté tabarrique ?

La formule était assurément tropirrespectueuse pour qu’un honorable gentleman comme TomPunch y répondît autrement que par un regard courroucé.

Cela ne faisait pas l’affaire de Léon qui,trouvant une occasion de blaguer quelqu’un, se serait fait pendreplutôt que de se taire.

Croyant que si son interlocuteur ne luirépondait pas, c’était qu’il ignorait la languefrançaise :

– Toi, t’as pas une tête à parlerfrançais, s’écria-t-il. Eh ! señor !English spoken ! Very well !

Au son de ces syllabes, accompagnées degrimaces imitées des clowns britanniques, Tom Punch dressal’oreille.

– Yes, fit-il imperturbablement,croyant se trouver en face d’un compatriote.

– Aôh ! Moi, pas comprendre ;moi parler volapük, continua Léon de plus en plus amusé, et avecdes gestes cassants de pantin ou d’automate.

Pendant ce court colloque, nos deuxpersonnages, l’un grand, gros et épais, l’autre fluet, petit etsautillant, s’étaient arrêtés.

Déjà, autour d’eux, nombre de badauds,intrigués par les allures bouffonnes de Léon et le flegme del’énorme personnage qui lui faisait vis-à-vis, riaient etéchangeaient des lazzis.

Un petit pâtissier, celui qu’on voit sur lesaffiches, l’élément primordial de tout attroupement, échangeait sesimpressions avec un petit trottin de la rue de la Paix, cependantque, dans sa corbeille, les tartes et les vol-au-vent narguaient,en refroidissant, l’impatience des clients.

Encore quelques minutes, et c’eût été unrassemblement en règle, cette chose ignorée des villes américaines,où le flâneur est presque aussi rare que les maisons construitesavec goût, où chacun va à ses affaires d’un pas mathématique, sanss’occuper de personne, sans même échanger, de la main, comme fontchez nous les gens pressés, un rapide salut avec les personnes deleur connaissance.

D’un coup d’œil, Tom Punch vit le danger, sousla forme d’un sergent de ville qui montrait, au coin d’une rue, safigure réjouie, ses grosses moustaches de vieux brisquart.

Une conversation, même amicale, avec cereprésentant de l’autorité municipale, ne tentait pas le moins dumonde l’intendant de Ned.

Depuis son aventure du Luxembourg, il avait dela méfiance pour tout ce qui portait un uniforme, sans en exceptermême les inoffensifs garçons de banque, que, dans son ignorance, ilprenait aussi pour des fonctionnaires investis des plus redoutablespouvoirs.

Cependant, n’ayant pas sans doute les mêmessujets de crainte, et disposé à s’amuser jusqu’au bout, Léon nelâchait pas la place.

Pour sauver la situation, Tom Punch eut uneidée de génie.

Faisant signe au Bellevillois de le suivre, ilgagna, en quatre enjambées, l’intérieur d’une brasserie, tandis quela foule des curieux reprenait le chemin de ses occupations, pasplus avancée qu’auparavant, mais ayant satisfait à la loi qui, detout Parisien, fait un badaud.

Sur quel ton se continua cette conversation,ce quiproquo hilarant, où Léon, polyglotte d’occasion, avait engagénotre brave ami Tom Punch ?

Le Bellevillois apprécia-t-il mieux son nouvelami après avoir absorbé les nombreuses consommations que celui-cioffrit généreusement ?

Toujours est-il que, deux heures après, ilsétaient les meilleurs amis du monde, et qu’ils quittèrent le café,bras dessus, bras dessous.

Mais où la scène devint drôle, c’est lorsquetout en marchant, Léon, qui avait enfourché son dada favori,l’apologie de Montmartre capitale du monde, s’aperçut qu’ilssuivaient tous deux le même chemin.

Ils avaient contourné le Luxembourg etvenaient de s’engager dans la rue de Fleurus.

– Tiens, s’écria Léon en interrompant sesdigressions sur la supériorité de Montmartre à tous les points devue… Me v’là rendu !

Et cherchant des yeux les numéros, il continuaà marcher, laissant de nouveau libre cours à sa verve de gamin deParis, que les nombreuses libations de l’après-midi n’avaient pasaffaiblie, au contraire.

Tom Punch souriait, en philosophe, sa cannesous le bras, les pouces dans l’entournure de son gilet, sansperdre un mot des propos facétieux de son nouvel ami.

Au même moment, les deux hommess’arrêtèrent.

Léon venait d’apercevoir en face de lui lenuméro 150, but de sa course ; et Tom Punch la maison de sonmaître, naturellement.

En homme qui connaît les bonnes manières, lemajordome, tout en tirant de sa poche la clef de la porte,allongeait le bras pour un cordial shake-hand, lorsque leBellevillois s’écria :

– Mince de rigolade alors ; vousv’là aussi arrivé ! Pas d’erreur…

Et tirant le petit paquet de sa poche, illut : Monsieur Ned Hattison, 150, rue de Fleurus.

– Ned Hattison ! fit Tom Punchstupéfait. Vous ne vous trompez pas.

– Puisque je vous le dis. Tenez…

– Mais c’est mon maître. Ou plutôt c’estmoi qui suis son intendant.

– Ah ! ben, pour être rigolo, ça, çal’est ! C’est vous l’larbin de M. Hattison ?Enchanté de faire votre connaissance, monsieur l’intendant. Ehbien, moi, ajouta-t-il en se rengorgeant, j’suis l’intendant deM. Olivier Coronal, l’inventeur d’une torpille qui vousécrabouillerait en une seconde comme une tomate, vous et votre grosventre, et même encore des milliers comme vous avec.

Une présentation, aussi élégamment faite,valait bien une poignée de main.

C’est ce qu’ils comprirent tous les deux.

Léon n’était pas pressé ; Tom Punch,comme d’ordinaire, n’avait rien à faire.

Ils résolurent de dîner ensemble, pour scellerune amitié commencée sous d’aussi favorables auspices.

Avec un gastronome de la force de Tom Punch,le menu ne pouvait être quelconque.

Ce soir-là, lorsque après avoir vidé, à luiseul, sa quatrième bouteille de champagne, Tom Punch décrocha sonbanjo, il aurait fallu aller loin pour contempler pareilspectacle.

Accroupi sur ses talons, Léon, qui à son amourdu roman-feuilleton joignait le goût de l’acrobatie, exécutait avecmaestria la danse des Chinois en poussant, à l’exemple de son hôte,de fanatiques hurrahs ! ce qui, joint à la musique désordonnéedu banjo, pouvait donner l’illusion d’une peuplade noire en trainde célébrer les bienfaits d’une civilisation qui leur a faitconnaître l’alcool et le tabac.

Après une pareille réception, la courtoisie duBellevillois ne pouvait se montrer en défaut.

À son tour, il invita son nouvel ami ; etpendant toute une soirée, de cabaret en cabaret, de brasserie enbrasserie, il le conduisit à travers Montmartre, très fier d’êtrele guide d’un personnage aussi majestueux et aussi solennel qu’unordonnateur des pompes funèbres ou qu’un huissier de ministère.

Le majordome était enthousiasmé.

Dès lors, il ne voulut plus entendre parler duquartier Latin ; et ce, pour la grande joie de son cicérone,flatté dans son orgueil de citoyen de Montmartre.

Là comme ailleurs, sa ventripotente bonhomieet son insouciante générosité attirèrent à Tom Punch une sympathieuniverselle ; et imposait à tous sa réputation de formidablebuveur.

Mais où sa célébrité ne connut plus de bornes,conquit tout Montmartre, c’est lorsque, sur l’instigation de Léon,il honora, un jour, d’une séance de banjo, l’un des établissementsles plus connus du boulevard de Clichy.

Ce fut un véritable triomphe, une joiedélirante, un engouement passionné de toute la clientèle artiste dulieu. Bon prince, Tom Punch laissait faire, et trouvait cela toutnaturel.

Il reçut même, un matin, la visite d’unjournaliste, auquel il fournit complaisamment une interview.

Comme on le voit, rien ne manquait à sonbonheur.

– Décidément, disait-il parfois à Léon,c’est encore à Paris qu’il faut venir pour s’amuser.

– À Montmartre, vous pourriez dire,répliquait le Bellevillois… C’est égal, quand j’vous ai servi toutc’que j’savais d’anglais, vous vous rappelez, la premièrefois ? Si je me serais jamais douté d’ça !

L’un étant exactement l’opposé de l’autre, lesdeux hommes étaient faits pour s’entendre.

Quelques jours leur avaient suffi pour scellerune amitié digne de celle d’Oreste et de Pylade, à conditiontoutefois qu’Oreste fût ventru, et que Pylade parlât l’idiomespécial aux faubouriens de la grande ville.

Mais, hélas ! il n’est pas ici-bas deplaisirs sans compensation.

Un beau matin, Tom Punch vit venir à lui NedHattison, qui semblait furieux et brandissait un journal.

– Ah ! ça, m’expliquerez-vous,maître Tom, ce que cela signifie ? et quelle nouvelle folievous possède ? Êtes-vous attaché à mon service à seule fin deme créer des ennemis ?

Ne sachant que répondre, l’infortuné majordomelevait les bras au ciel, comme pour le prendre à témoin de sonmalheur et de son innocence.

– Oui, continuait Ned, je crois que tudeviens fou. Voici maintenant qu’on parle de toi dans les gazettes.S’il te plaît de jouer du banjo, ne pouvais-tu rester icitranquillement, au lieu d’aller courir, ivrogne que tu es, toutesles brasseries de Montmartre où tu te donnes en spectacle.

– Mais je n’ai rien fait de mal,balbutiait le malheureux Tom Punch.

Il était si drôle à voir dans son costumematinal, sa grosse panse à l’aise dans une robe de chambre verte etjaune ; il semblait tellement atterré et déconfit, que Ned neput retenir un sourire.

– Tu n’en feras jamais d’autres, fit-il,un peu radouci. C’est égal, je soupçonne que si William Boltynsavait cela…

– Oh ! William Boltyn ! répétaTom, d’un ton peu convaincu…

Il avait l’air de dire que cela lui était bienégal.

Il est rare qu’un sentiment résiste àl’éloignement de celui qui en est l’objet.

À Chicago, le majordome se serait fait hacherpour son maître.

Depuis un an qu’il l’avait quitté, sous lefallacieux prétexte d’aller chercher en Europe de nouveaux procédésculinaires, son attachement avait diminué d’intensité.

Même il n’avait plus du tout envie de laisserlà la vie facile et distrayante qu’il menait à Paris pour retourners’enfermer dans le somptueux et mélancolique hôtel de la SeptièmeAvenue de Chicago.

La protestation contenue, qu’il venaitd’accentuer avec un geste détaché, était assez claire pour que Nedla comprît.

– Ah çà ! mais, dis-moi donc, tun’as pas l’air de faire grand cas de ce que l’honorable WilliamBoltyn peut penser de toi ?

– Oui… non… balbutia Tom, pris audépourvu.

La diplomatie n’était pas son fort. Une teintecramoisie l’envahit du menton jusqu’au bout de ses larges oreilles,lorsqu’il se sentit deviné ; et Ned n’eut pas beaucoup depeine à le confesser, à lui faire avouer qu’en effet, le désir derevoir Chicago ne le tourmentait pas.

– Que voulez-vous, M. Ned,conclut-il en philosophe, la vie est mal faite. Moi, j’aurais dûnaître parisien. De toutes les villes que j’ai vues, c’est Parisqui me plaît le plus. C’est à Paris que l’on fait la meilleurecuisine, et sans le secours de l’électricité encore !

– Ah ! mon gaillard, fit l’ingénieuren éclatant de rire ; te voilà pris par ton côté faible. Maisavec tout cela, sais-tu que te voilà devenu, du jour au lendemain,une célébrité ?

Jamais Tom n’avait vu son maître aussijoyeux.

Depuis quelques jours, Ned Hattison avaitchangé du tout au tout.

Autrefois sombre et mélancolique et souventirrité sans motif, il était à présent plus ouvert, plus gai.

Tom Punch commençait à s’en apercevoir ;mais il ne savait à quoi attribuer cette transformation.

C’était bien simple. Ned était heureux. Ilvoyait son rêve prendre corps.

Le soir même de sa visite à Olivier Coronal,il avait vu M. Golbert, lui avait franchement expliqué lanouvelle situation qu’il acceptait en rompant avec son père ;et n’y pouvant plus tenir, il lui avait avoué son amour pourLucienne.

– Ce n’est point une illusion, avait-ildit. Depuis une année, je constate, chaque jour, queMlle Lucienne prend, dans mes rêves d’avenir, uneplace de plus en plus grande. Jusqu’à présent trop d’obstacles meforçaient à me taire. Aujourd’hui je suis libre ; l’avenir neme fait pas peur ; je puis vous demander sa main.

Confortablement installé dans son fauteuil àoreillettes, le savant écoutait avec intérêt. La figure simple etbienveillance du vieillard s’éclairait d’un sourire indulgent.

– Je n’ai pas qualité pour vous donnerseul une réponse. Ma fille est libre de sa décision. Je vouscommuniquerai demain la réponse qu’elle aura faite à votredemande.

Et devant l’air anxieux de Ned.

– Voyons, après un an d’attente vouspatienterez bien encore un jour. Mais n’ayez pas tropd’inquiétudes, fit-il en prenant la main du jeune homme ; vousn’avez pas à craindre un refus. Je suis un peu le confident de mafille. Mais il suffit ; n’essayez pas de me corrompre. Je doisêtre discret.

Le lendemain, Ned apprenait qu’en principe lamain de Lucienne lui était accordée.

Il ne pensait même plus aux embarras de sasituation présente, aux difficultés que son père n’allait pasmanquer de soulever pour empêcher ce mariage, qui allait mettre uneentrave à ses rêves d’universelle conquête.

Miss Aurora ! Quelle joie d’êtreaffranchi du cauchemar de son souvenir !

Ned rayonnait. Il puisait, dans son amour pourLucienne, une joie sans bornes.

Son intelligence, son énergie lui revenaient,avec la certitude de l’épouser.

– Ah ! tu veux rester à Paris, monbrave Tom. L’Amérique ne te dit plus rien. Eh bien, assieds-toi.Écoute ce que j’ai à te dire.

Jusqu’alors, ne sachant trop ce qu’il allaitlui advenir, Tom Punch était resté debout, dans la même position,celle d’un patient à qui l’on fait subir la torture.

– Voyons, quitte-moi cet air contrit. Jene vais pas t’avaler, que diable ! Veux-tu rester à monservice ?

– C’est que…

– Allons, achève. C’est qu’il faudraitquitter Paris ; car tu supposes, dans ta jugeote de majordomejoueur de banjo, que je retourne à Chicago !

– C’t’idée ! fit Tom Punch,expression qui lui était devenue familière depuis son intimité avecLéon.

– Que dis-tu ?

– Oh ! rien. Je voulais dire qu’eneffet, c’était mon avis.

– Comme tu es peu perspicace. Tu tetrompes. Je reste à Paris, là ! Es-tu satisfait ? Deplus, je me marie.

– Comment, s’écria Tom désappointé ;miss Aurora arrive ici ?

– Ah ! tiens, tu savais, toiaussi ? Enfin, ce n’est pas mon affaire. Eh bien, tu faisencore erreur. Ce n’est pas miss Aurora que j’épouse. C’est unejeune fille charmante, une Parisienne. Tu vois que, si tu aimesParis, tu n’es pas le seul.

Un malencontreux :« c’t’idée ! » allait encore échapper àl’intendant.

– Et vous me gardez avec vous ?demanda-t-il.

– À une condition, toutefois ; c’estque tu te montreras, à l’avenir, plus prudent dans tes entrepriseset moins avide de gloire, fit Ned en lui montrant ironiquement lenuméro du journal. C’est entendu ?

– Oh ! tout ce que vous voudrez,répondit Tom. Je suis tellement heureux, à la pensée que nous nenous séparerons plus. Vous verrez quelle bonne cuisine je vousferai, ajouta-t-il ; et quant au menu du dîner de noce, que jeperde mon nom si les mânes de Lucullus n’en sont point jaloux.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer