La Conspiration des milliardaires – Tome I

Chapitre 2Spirite et milliardaires

Lelendemain, un peu avant six heures, c’était, devant l’hôtel de laSeptième Avenue, un encombrement de véhicules de toutessortes : cabs électriques, tricycles à pétrole, cars à vapeur,drags pneumatiques, et jusqu’à une voiture mue uniquement par sonpropre poids joint à celui du voyageur qu’elle transportait. Cepoids comprimait une masse d’eau qui, par des cylindres,transmettait cette pression à l’arrière de la voiture qu’ellepoussait ainsi. Plus cette pression augmentait plus la vitesses’accroissait. Ce qui revient à dire que plus la voiture étaitchargée plus elle allait vite.

On eût dit une exposition des plus récentescréations de l’automobilisme.

Seul Harry Madge était venu dans une mauvaisevoiture de louage à un cheval.

Il s’excusa près des autres, en se plaignantdes lenteurs apportées à la construction d’un chariot de soninvention, qui devait être mû par la seule force psychique, et dontil attendait la livraison incessamment.

Tout en levant les épaules, on ne plaisantapas trop l’homme à la voiture de louage ; car on savaitqu’Harry Madge, spirite convaincu, avait obtenu tout dernièrementdes résultats de nature à bouleverser les données les plusélémentaires de la raison.

Son chariot, avec un peu de bonne volonté,n’avait après tout, rien d’invraisemblable.

Quant à Tom Punch, qui était présent etrecevait les invités de son maître à la porte du grand ascenseur,il ne put s’empêcher de penser, en se tapant sur le ventre, qu’ilfaudrait une force psychique diablement puissante pour leremorquer, lui et sa bedaine, à une simple vitesse de vingt millesà l’heure, surtout après son dîner.

La chose paraissait plus aisée pour HarryMadge qui était sec, maigre et jaune comme un os.

Il disparaissait presque entièrement dans uneample redingote ; et ses yeux, d’un jaune d’or, indice d’untempérament bilieux, étincelaient comme des paillettes de mica sousla visière d’un casque de velours noir, surmonté d’une boule demétal.

Chaque fois qu’entre eux, ils parlaientd’Harry Madge, les milliardaires ne cachaient pas leur dédain, àl’égard de cet original, de ce fou, disaient-ils, qui passait sontemps à rechercher le pourquoi et le comment de phénomènes quin’avaient aucun rapport avec le commerce et l’industrie.

– Sera-t-il plus riche d’un dollarlorsqu’il aura perdu des années à s’occuper de ces niaiseries,disaient-ils. Le spiritisme ! Mais cela n’existe pas. Est-ceque ces prétendus esprits travaillent, gagnent de l’argent,produisent quelque chose ! Non, n’est-ce pas ? Eh bien,alors, qu’on nous laisse tranquille avec toutes cessornettes ! Harry Madge ferait bien mieux de gérer, avec plusde soin, ses plantations de coton. Il laisse sans cesse passer desoccasions de doubler sa fortune. Il néglige maintenant lesspéculations qui l’ont enrichi.

Depuis quelques années en effet, le spiritesemblait s’être désintéressé des affaires. On l’avait vu confier ladirection de ses plantations à une société, et se faire un palaisdans les environs de Chicago. Depuis ce temps, sa vie privée étaitun mystère pour tout le monde. On savait seulement qu’il s’occupaitde spiritisme, mais pour la majorité des Yankees, cela ne disaitpas grand-chose. Les milliardaires, entre autres, avaient bien lu,dans les journaux, des communications, auxquelles du reste ilsn’avaient rien compris : ils avaient bien appris qu’il nes’agissait rien moins que d’un bouleversement général des sciences,mais, toutes ces questions étaient au-dessus de leur entendement.Avec la quiétude de gens dont la fortune est bien assise, ilshaussaient les épaules, avec un secret mépris.

Cependant, ils ne pouvaient se défendre d’uncertain respect lorsqu’ils se trouvaient en présence du vieuxspirite ; et ils n’osaient trop le railler. C’est qu’HarryMadge avait une façon de planter son regard perçant dans les yeuxdes sceptiques, qui leur faisait passer un étrange frisson à fleurde peau.

On racontait que, dans son palais que jamaispersonne n’avait visité, Harry Madge vivait au milieu d’un luxeextraordinaire, qu’il hébergeait chez lui des hommes bizarrementvêtus et qui avaient tous le même regard que lui, la mêmeexpression fantomatique. On racontait encore que, depuis desannées, il ne mangeait chaque jour qu’un œuf, et qu’il avait enhorreur le gin, le whisky et toutes les boissons alcoolisées.

Toutes ces légendes qui couraient sur soncompte, et qu’il ne démentait ni ne confirmait jamais, l’étrangetéde son costume et de sa coiffure, les phrases énigmatiques qui luiéchappaient parfois ; tout cela ne contribuait pas peu à faired’Harry Madge un être presque surnaturel ou tout au moinsmystérieux.

Aussi, les invités de William Boltynétaient-ils grandement surpris de se trouver en sa présence.

– Il a donc reçu lui aussi une lettre deconvocation, dit à mi-voix Fred Wikilson, le fondeur, à son amiSips-Rothson, le distillateur. J’avoue que je ne comprends pas bience que peut nous vouloir William Boltyn.

– Moi non plus, répondit l’autre. Laprésence d’Harry Madge me déroute. Un homme qui parle d’un véhiculequi sera mû par la volonté et qui, en attendant, vient ici dans unmauvais cab ! J’imagine que William Boltyn n’a pas l’intentionde nous faire assister à une séance de spiritisme.

– Il faudrait qu’il fût bien changé, ditWood-Waller, qui avait entendu les dernières paroles. Prenonstoujours place dans l’ascenseur, nous allons bientôt savoir à quoinous en tenir.

Aussitôt arrivés, les invités étaient hissésjusqu’à un vestibule de marbre rouge, décoré d’un fouillis deplantes vertes, et éclairé par de grands lampadaires en aciernickelé.

De là, ils étaient introduits, par un lad quiles annonçait cérémonieusement, dans la grande salle de l’hôtel,tout entière soutenue par des colonnes de métal que terminaient destêtes de taureaux et de béliers, entièrement dorées et quatre foisplus grandes que nature.

William Boltyn faisait prendre place, à chacund’eux, autour d’une table massive que surchargeaient des plateauxde sandwichs au rosbif et au caviar, des théières de vermeil, desflacons de porto et des boîtes de cigares de La Havane entourés deleur chemise d’or.

Vêtue d’une élégante robe de satin saumon,miss Aurora faisait les honneurs.

William Boltyn, dès le commencement, avaitexpliqué à ses hôtes la présence de sa fille dans cette réuniond’affaires.

– Miss Aurora, avait-il dit, est macollaboratrice, mon associée morale et d’ailleurs ma seulehéritière.

Personne n’y avait trouvé à redire.

À six heures précises, la réunion était aucomplet, sauf le savant Hattison qui avait télégraphiquementannoncé son arrivée par le train éclair de six heurestrente-cinq.

Chacun, tout en faisant honneur au lunchdisposé sur la grande table, se demandait avec un intérêt maldissimulé, quelle pouvait bien être la grave raison qui avaitpoussé le richissime Boltyn à réunir chez lui, à la même heure, lesdétenteurs des plus grosses fortunes de l’Union.

Ces milliardaires, d’ailleurs, avaient tousavec leur hôte comme un vague air de famille : mêmes traitsanguleux, même menton carré, mêmes sourcils accentués, même regardcalculateur.

Leurs yeux vifs, tournés vers le maître de lamaison, exprimaient un intérêt intense.

Enfin William Boltyn, après un coup d’œilcirculaire pour s’assurer de l’attention de ses auditeurs, prit laparole en ces termes :

« Gentlemen, nul de vousn’ignore, sans doute, qu’hier soir un vote du Congrès a rejetédéfinitivement le projet d’impôt que je sollicitais.

« Quelque humiliante que soit cetteconstatation, on ne peut se dissimuler que le peuple américain,quoique le plus riche et le plus industrieux du monde, n’a pasencore assez de puissance pour imposer, aux États décrépits de lavieille Europe, les tarifs que nous réclamons. »

L’assemblée, de plus en plus intéressée, eutun murmure approbateur.

« Le peuple américain n’a pas assez depuissance, c’est-à-dire que ses représentants hésitent devant lescrédits à voter. Ils reculent devant les grands armements quiimposeraient notre volonté aux autres peuples. Et pourtant, il n’ya là qu’une question d’argent ; et nous en avons plus quepersonne. »

– Mais alors, le remède ? s’écriaFred Wikilson, se faisant l’organe de tous les autres.

– Eh bien, le remède, je crois l’avoirtrouvé. Voici ce que je vous propose.

« Nous sommes, ici, dix. Que chacun denous mette en commun une somme à déterminer pour l’établissement devastes ateliers et de laboratoires d’expériences. Que l’on rétribuelargement les ingénieurs et les chimistes les plus remarquables del’Union. Que l’on construise à notre compte des naviressous-marins, des torpilles perfectionnées, des explosifs nouveaux,enfin des engins d’une puissance telle qu’aucun État n’ose engagerune guerre avec ceux qui en seront les détenteurs.

« Le peuple des États-Unis recevra, entemps et lieu, ce cadeau de nos mains ; et peut-être alors leCongrès de Washington mettra-t-il moins d’hésitation à voter destarifs qui imposent nos produits à tout l’univers.

« L’Américain, bien intentionné pour sontemps, qui a posé ce principe : « L’Amérique auxAméricains » n’avait que des vues étroites et mesquines.

« Moi je dis : « L’univers auxAméricains ! »

« Il dépend de vous, messieurs, que noussoyons les réalisateurs de ce glorieux projet. »

La fin de ce discours fut accueillie par unetriple salve de hurrahs.

Chacun s’étonnait de n’avoir pas eu, plus tôt,la même idée.

L’enthousiasme était général.

Fred Wikilson, qui avait autrefois étudié pourêtre clergyman, et qui était long, maigre et cérémonieux comme unministre presbytérien, se leva à son tour, et dans un petit speechrempli d’images bibliques, montra, dans un avenir radieux, tous lespeuples réduits à la condition d’ouvriers, dans des usines quicouvriraient toute la surface du monde, et où les citoyensaméricains seraient tous directeurs, ingénieurs, inspecteurs.

– Ou tout au moins contremaîtres, ditStaps-Barker avec élan.

Sans rien laisser voir de sa satisfaction,William Boltyn, tout en buvant à petits coups un verre de porto,réfléchissait profondément.

Maintenant il était à peu près sûr durésultat.

Il avait, autour de sa table, les dixcommanditaires qui allaient fournir, sans compter, les millions dedollars indispensables à sa gigantesque entreprise. Il s’agissaitdès lors d’arrêter les détails pratiques de sa réalisation.

Par où commencerait-on ?

Vers le perfectionnement de quel enginspécial, militaire ou maritime, se porterait d’abord l’effort descapitalistes ?

À combien se monteraient les sommes à engagerimmédiatement ?

Quel serait l’ingénieur ou le savant mis à latête de l’entreprise ?

Autant de questions qui se posaienttumultueusement.

Les uns, pour que le secret fût gardé avecplus de soin, voulaient installer les ateliers dans quelque îleperdue de l’océan Pacifique.

Les autres proposaient d’acquérir une de cescavernes antédiluviennes, longues de plusieurs dizaines de milles,que l’on rencontre dans le Kentucky.

Quelques-uns enfin étaient d’avis, toutsimplement, d’installer la fameuse usine dans un faubourg de Bostonou de Chicago.

Tous ces projets furent reconnusimpraticables.

Installer les ateliers dans une île, c’étaitles mettre à la merci d’un coup de main en cas de guerre, etaugmenter les frais par la difficulté du ravitaillement.

Quant à choisir les faubourgs d’une grandeville, il n’y fallait pas songer. Les espions des puissances, àl’affût de tout ce qui se fait de nouveau, n’auraient par tardé àéventer l’entreprise, dès ses débuts.

Restaient les cavernes antédiluviennes.

Mais leurs propriétaires, qui les exhibent auxtouristes et en tirent de gros revenus, en auraient demandé tropcher. De plus, l’aménagement intérieur en était dispendieux, etprincipalement mal commode pour le montage et la fonte des grossespièces d’acier.

Personne ne pouvait arriver à une bonneidée.

On résolut donc de remettre à plus tard lechoix d’un emplacement.

La même difficulté se représenta lorsqu’il sefut agi de se décider sur les autres points de l’entreprise.

Personne n’était d’accord. Un tumulteindescriptible se produisit.

William Boltyn, nerveux et agacé, regardaitfréquemment l’horloge électrique située au fond du hall, lorsqueHarry Madge, le petit vieillard spirite, demanda le silence, etd’une voix tenue et cassée, fit évoluer la discussion vers unedirection inattendue.

Les entretiens s’étaient arrêtés comme parenchantement :

– Gentlemen, dit le petitvieillard après une profonde révérence, je suis tout à fait devotre avis quant au but à atteindre – tout à fait de votre avis,ajouta-t-il en scandant les mots – mais vous me permettrez dedifférer d’opinion quant aux moyens à employer.

« Je vous prie surtout, quelquesingulières que vous paraissent d’abord mes idées, de m’écouteravec recueillement jusqu’au bout.

Tout le monde promit d’un signe de tête ;et les yeux au ciel, la main levée dans une attitude prophétique,Harry Madge continua :

– Le perfectionnement matériel est arrivéà son comble dans l’art de la guerre. Un seul obus de certainscanons renverse jusqu’à deux ou trois cents soldats, coule, ou methors de combat un cuirassé de vingt millions.

« Nous avons des projectiles qui couvrentde débris de mitraille un espace de cent ou cent cinquante yards,des fusils à tir rapide dont une seule balle transperce sept ouhuit soldats à la file.

« Mais ces inventions, arrivées chez nousà un très grand degré de perfection, ont été poussées aussi loin,sinon plus loin, par les ingénieurs et les officiers qui composentles commissions d’armement de la France, de la Russie, del’Angleterre et de l’Allemagne.

« Dans tous ces pays, une armée despécialistes s’occupe nuit et jour de trouver de nouveauxexplosifs, de nouvelles poudres sans fumée.

« Encore tout récemment, l’Angleterrevient de mettre en usage dans ses colonies de nouvelles ballesdites dum-dum, destinées à rendre plus redoutable l’effet simeurtrier des fusils à tir rapide.

« La chemise en nickel de la balle estusée en plusieurs endroits par des traits de lime, et ne tient plusque par son centre.

« De cette façon, lorsque le projectileatteint son but, il s’aplatit comme une fleur de métal, en causantdes blessures inguérissables.

« D’ailleurs l’exagération de lapuissance dans les armements offre de graves inconvénients :un monitor à cuirasse d’acier de plusieurs pouces d’épaisseur, quel’on a mis des années à construire, qui est armé de tourelles àcanons capables de produire les plus grands ravages, à plusieursmilles de distance, peut être détruit en quelques instants par uneseule torpille, engin dont le prix est relativement minime.

« Je ne multiplierai pas les exemples dece que j’avance. Vous avez tous présents à la mémoire des exemplesconcluants, fournis par les dernières guerres.

« Donc, deux choses résultent de ce queje viens de dire :

« 1° Il faudrait, pour devancer lesautres États dans leurs armements, des capitaux considérables.

« 2° Étant donné l’éventualité d’uneguerre, l’ennemi aurait encore beaucoup trop de chances ; etles hasards de la guerre pourraient trop facilement se tournercontre nous.

« Or, il est de toute nécessité, pour laréussite de nos projets, non seulement que nous soyons les plusforts, mais encore que notre supériorité soit absolumentincontestable, et notre puissance tellement formidable, quepersonne n’ose même concevoir la pensée d’engager la lutte avecnous…

L’assemblée des capitalistes, que le discoursde Harry Madge avait plongés dans un certain étonnement, applaudità cette conclusion, sans trop savoir où l’orateur spirite voulaiten venir.

La curiosité et l’intérêt étaient surexcitésau plus haut degré.

L’expression que les artistes ont accoutuméd’employer pour marquer l’attention : sourcils plissés,bouches pincées, regards fixes, se voyait sur tous les visages.

En ce pays d’Amérique où tout se fait vite, oùdes affaires considérables se débattent et se concluent en quelquesquarts d’heures, l’attention est une faculté portée au plus hautdegré. Tout le monde est spécialiste et ne s’occupe que d’une seulechose à la fois. Les cerveaux, moins surchargés d’idées, de faitset de sensations, sont tout à ce qu’ils font ; et l’on n’yrencontre guère de gens distraits.

Un flâneur est, là-bas, une monstruositéinconnue.

En Amérique, d’ailleurs, les jeunes filles,éduquées selon ce point de vue spécial de la vie pratique, sontgénéralement aussi graves que leurs frères ou que leurs pères.

Aurora, ses beaux sourcils froncés, ses grandsyeux d’un bleu métallique dirigés vers l’orateur, ne faisaitnullement tache dans cette assemblée de spéculateurs.

Cependant Harry Madge, après avoir trempé seslèvres dans une tasse de thé, continuait victorieusement :

– Eh bien ! ce moyen de triompher,sans coup férir, de toutes les armées et de toutes les flottes dumonde, je viens vous l’apporter, si vous voulez.

Et il ajouta, avec une véhémencecroissante :

– C’est par le spiritisme seul, par lefluide magnétique et psychique habilement dirigé, que nousterrasserons nos ennemis.

« Laissez de côté les canons, lesmitrailleuses, les torpilles, tous les engins surannés de ladestruction matérielle.

« Que peuvent les explosifs contre levouloir tout-puissant du médium, avec qui combattent les âmes desplus illustres capitaines des temps passés ?

« Qu’est-ce que la dynamite, à côté deces prodigieux fluides mille fois plus rapides et plus dociles quel’électricité, et qui nous sont projetés par les âmes habitant lesplus lointaines planètes ?

« Ce qu’il nous faut, je le répète, cesont des bataillons de médiums, des régiments de magnétiseurs, unétat-major de liseurs de pensées !

« Que pourront nos ennemis lorsque leursarmées, paralysées par le fluide, s’arrêteront net, sans pouvoiravancer, sans pouvoir même faire un mouvement ?

Pendant toute cette dernière partie dudiscours d’Harry Madge, de nombreux murmures s’étaient faitentendre.

William Boltyn ne cachait pas sonmécontentement ; Fred Wikilson levait, vers le plafond doré,sa face glabre de clergyman, comme pour prendre le ciel à témoin.Miss Aurora elle-même montrait, par une moue significative, son peude créance à l’endroit de la vaillance des esprits dans une guerreuniverselle.

Quant au brave Tom Punch, qui arrivait en cemoment chargé d’un plateau, il s’esclaffait intérieurement, seproposant de demander à Harry Madge si les esprits étaient capablesde mettre en cave une tonne de pale-ale d’une façonlogique et raisonnable.

Les autres assistants haussaient les épaulessans dissimuler leur dédain.

Ce fut bien pis quand l’orateur réclama unecontribution d’un demi-million de dollars par personne pourcontinuer ses expériences, et entretenir, dans un établissementmodèle dont il avait, disait-il, le plan, un millier de médiumschoisis parmi les plus forts de l’État de l’Union.

Il ne put même pas continuer, noyé sous leflot des dénégations violentes qui s’élevèrent, de toutes parts,simultanément.

Les exclamations se croisaient d’un bout àl’autre de la salle.

– Cela n’a pas le sens commun.

– Il est fou !

– A-t-on jamais eu une idéepareille !

– Je ne mettrais pas un seul dollar dansune pareille entreprise.

– On devrait l’enfermer.

La voix forte de William Boltyn parvint àpeine à dominer le tumulte.

– Messieurs, commença-t-il – et ses yeuxne quittaient pas le cadran de l’horloge électrique –, notre ami,M. Harry Madge, est certainement un grand savant ; maisnous, nous ne sommes que de simples industriels, d’humblesmilliardaires.

« Les capitaux que nous engageons avecplaisir dans une entreprise ayant un but réel et palpable, celuid’assurer aux États-Unis la suprématie, et à nos produits lemonopole du marché de l’univers, ne sauraient le suivre dans lesterrains brumeux de la science spirite.

« Nous sommes des propriétaires d’usines,et non des prophètes.

Chacun applaudit. Harry Madge roulait desregards féroces et crispait ses poings.

William Boltyn continua :

– Pour le moment donc, en attendant lesprogrès que peut faire la science des fluides, nous nereconnaissons à l’âme d’autre pouvoir merveilleux que celui dedécouvrir et d’utiliser les lois de la physique, de la chimie, dela mécanique, de la balistique, ou de telle autre science pratiquequ’il vous plaira.

« L’homme qui doit faire réussir notregigantesque projet doit être, et sera, le plus grand ingénieur etle plus grand chimiste des États de l’Union, pour ne pas dire dumonde entier. Je vais avoir l’honneur de vous le présenter. Nousavons déjà gagné la bataille, si celui-là s’intéresse à notrecause.

Il y eut un bref silence, tout le mondeattendait ; sauf pourtant Harry Madge qui, sans plus tarder,s’était précipité vers la porte sans saluer personne.

Enfin, la voix caverneuse de Tom Punchannonça :

– Monsieur l’ingénieur Hattison.

Un profond sentiment de respect se refléta surle visage des milliardaires, pendant qu’un homme de petite taille,au front largement découvert, à l’attitude pleine de correction,mais aux allures autoritaires, faisait son entrée dans lesalon.

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