La Conspiration des milliardaires – Tome II – À coups de milliards

Chapitre 22Le prisonnier

Voici cequi s’était passé :

La lumière qu’Olivier Coronal avait aperçuederrière les vitres du cottage était bien celle de la lamped’Hattison. L’inventeur travaillait, assis devant son bureau. Uneexpression de contentement se lisait sur sa physionomie, la faisaitmoins renfrognée qu’à l’ordinaire.

C’est que, le lendemain devait être pour luiun jour de triomphe. Dans la matinée, le train spécial de WilliamBoltyn devait amener tous les milliardaires de l’association àMercury’s Park.

« Ils ne se doutent pas de la surpriseque je leur ménage, se disait-il. Et je vois d’ici leur étonnement,en présence de mes hommes de fer. »

Cette idée le mettait en gaieté.

– Joë, cria-t-il, dans l’embouchure d’unphonographe placée à portée de sa main ; apporte-moi unebouteille de whisky.

Le nègre ne tarda pas à paraître, portant unflacon poudreux et un gobelet de vermeil qu’il posa sur le bureaumême de l’ingénieur.

Prudent jusqu’à l’extrême, Hattison n’avaitjamais voulu avoir d’autre serviteur que ce nègre, qui joignait, àun dévouement inébranlable, la précieuse qualité d’être privé de laparole. Il l’avait patiemment dressé à comprendre ses ordres aumouvement de ses lèvres.

Mais lorsque Joë s’était retiré dans sachambre, comme c’était le cas ce soir-là, Hattison n’avait qu’àparler dans le phonographe. Recueillies et communiquées à unappareil spécial, ses paroles s’inscrivaient sur un tableau en mêmetemps qu’une petite secousse électrique réveillait le dormeur.C’était très pratique.

« Comme cela, pensait le directeur deMercury’s Park, qui, nous le savons, ne se piquait pas dephilanthropie, je suis assuré contre les indiscrétions que, bons oumauvais, commettent tous les domestiques. »

Joë s’était retiré. Hattison se versa unelarge rasade, et but d’un trait.

– All right ! fit-il. Je mesens tout rajeuni ce soir ; et en bonnes dispositions pourdemain… Allons, continua-t-il après une pause, la vie n’est pasencore trop mauvaise, quand on veut bien la comprendre et profiterdes occasions. Enfin, le principal est fait. Le reste…

Il n’acheva pas sa phrase. Repoussant de lamain, les dossiers et les registres qui encombraient son bureau, ilplaça la bouteille et le gobelet, en face de lui, se laissa glisserlégèrement dans son fauteuil, but une nouvelle rasade, et se prit àréfléchir. La joie illuminait son visage osseux. Ses petits yeuxbleus pétillaient dans leurs orbites. Il semblait franchementheureux. Quiconque l’eût vu en ce moment, n’eût pas reconnu là, levieillard chevrotant à la mine compassée, au geste sec, au regardimplacable comme un chiffre, qui visitait chaque matin les ateliersde Mercury’s Park et de Skytown. Mais personne n’était là pour levoir. Il pouvait se permettre cette débauche de gaieté. Du reste,depuis la fondation de Mercury’s Park, c’était la première fois queHattison s’accordait une heure de répit, qu’il suspendait sontravail pour s’abandonner au bonheur de savourer sa haine. Cettefois, il est vrai, la chose en valait la peine. L’inventeur étaitdécidément très gai.

– Ah ! s’écria-t-il, mes bons amis,les Européens, je crois fort quel vous y laisserez votre peau, etvotre or, ce qui vaut mieux. Nous verrons bien si les Yankees nesont pas assez intelligents pour devenir maîtres de l’universindustriel ! Ils seront les plus forts, dans tous cas ;et le vieux monde sera bien obligé de se soumettre. Ah ! sil’Union ne comptait que des hommes comme William Boltyn etmoi !…

Un ricanement lui échappa.

– Quelle puissance, continua-t-il,pourrait disposer d’un laboratoire de guerre aussi formidable quecelui-ci… La troisième enceinte de Mercury’s Park n’a pas sarivale, je puis le dire… Le secret des hommes de fer, personne nele connaît que moi, et…

Dans le silence de la pièce, le bruit d’untimbre électrique venait de résonner. Hattison sursauta, troublédans ses rêves de triomphe. Son visage se décomposa.

– L’avertisseur du souterrain !s’écria-t-il en bondissant, plutôt qu’il ne courut, vers unappareil dissimulé dans une encoignure.

Il fit jouer le déclic d’un phonographe, etapprocha de ses oreilles le cornet acoustique.

Il se tut, mais son visage subitement devenulivide, ses lèvres qu’il mordait, trahissaient son émotion. Detemps à autre, il frappait du pied avec fureur.

Lorsque, la plaque de fonte lui eut échappédes mains, Olivier Coronal resta plusieurs minutes à écouter si lebruit qu’elle avait fait en retombant lourdement n’avait pas donnél’éveil, il n’avait pas pensé un instant que, dans son cottage,Hattison en eût été prévenu. C’est pourtant ce qui s’étaitproduit.

Le savant Yankee était trop soupçonneux, tropméfiant ; il attachait trop de prix aux secrets enfermés dansla troisième enceinte, pour n’en avoir pas confié la garde à cesmerveilleux instruments qu’on appelle les microphones, et qui sontcapables de recueillir, d’amplifier et de transporter à de grandesdistances les bruits les plus imperceptibles.

Rassuré par le silence environnant, OlivierCoronal avait continué sa marche dans le souterrain. Mais le bruitde ses pas, pourtant assourdis par les chaussons de gutta-percha,les phrases entrecoupées qu’il avait prononcées en français, toutcela avait été enregistré par les microphones soigneusementdissimulés dans l’épaisseur des murailles. L’oreille collée aucornet de son appareil, Hattison avait perçu distinctement tous lesdétails de l’effraction.

– Aurora ! s’était écrié l’audacieuxfrançais, devant le cadran à secret de la porte massive.

– Aurora ! avaient répété lesmicrophones.

Et presque aussitôt, Hattison avait entendu laporte glisser dans ses rainures. Blême de peur, l’ingénieur avaiteu l’idée de s’élancer vers la troisième enceinte.

– Un espion ! un Français !avait-il rugi.

Ses yeux lançaient des éclairs sauvages. Puis,il avait réfléchi qu’il lui faudrait donner l’alarme, prendre aveclui des ouvriers pour opérer la capture du bandit – c’est ainsiqu’il l’appelait.

– C’est inutile, fit-il. J’ai un moyenplus sûr.

Fiévreusement, il se remit à écouter. OlivierCoronal avait franchi la porte.

Hattison l’entendit soulever la trappe quidonnait dans la cour de l’enceinte. Il laissa retomber les cornetsdu phonographe et, sans hâte cette fois, se dirigea vers une sortede retrait que cachaient des tentures. Un sourire diaboliqueéclairait son visage.

– La porte d’abord, fit-il en manœuvrantla poignée d’un interrupteur… Le blocus maintenant. Là, tout estpour le mieux… Nous verrons demain à notre aise quel est l’oiseauqui s’est fait prendre au piège.

C’était un principe chez Hattison de ne jamaislaisser paraître son émotion. Il se morigéna du mouvement violentqu’il avait eu.

– Ces diables de nerfs, fit-il enregagnant son fauteuil, aussi tranquille en apparence que si rienne se fût passé ; on ne peut jamais les maîtriser tout à fait.Ce n’était vraiment pas la peine de m’agiter de la sorte.

Le visage du Yankee était redevenu impassibleet froid.

– Quand bien même ils seraient cinquante,s’écria-t-il, je les défierais bien de sortir maintenant de latroisième enceinte, que ce par le souterrain ou en escaladant lesmurailles. Ils tomberaient tous comme des mouches, avant d’avoirréussi à forcer le blocus électrique.

Il était donc bien rassuré sur ce point. Mêmela facile victoire, qu’il venait de remporter, flattaitagréablement son amour-propre.

– Joli cadeau que je ferai demain àWilliam Boltyn, murmura-t-il au bout de quelques instants. UnFrançais ! Un espion ! Cela ne sera pas pour luidéplaire.

Mais, ce qui l’intriguait, c’était le nomd’Aurora qu’il avait nettement entendu dans le phonographe. Jamaisil n’avait confié à personne le secret du mécanisme de la portemassive qui barrait le souterrain. Il dut renoncer à trouver uneexplication logique.

– Comment ce Français – car c’en est un –a-t-il pu découvrir ce nom d’Aurora, à l’aide duquel seul on peutfaire glisser la porte dans ses rainures.

Cela restait pour lui un mystère. Maisqu’importait ce détail ? Quand il le voudrait, l’inconnuserait en son pouvoir.

– Peut-être même, pensa-t-il, n’aurai-jepas besoin de le faire exécuter sommairement. Il se pourrait bienque demain je retrouve son cadavre carbonisé par une déchargeélectrique.

Cette idée rendit toute sa gaieté à Hattison.Il se versa une nouvelle rasade de whisky.

– C’est trop bête aussi, s’écria-t-il, enportant son gobelet de vermeil à ses lèvres… « No venturein dangerous place », disent les écriteaux. Pourquoi neles a-t-il pas lus ?

Un rire effrayant ponctua cette plaisanteriesinistre. Dans le décor d’appareils de toutes sortes qui peuplaientson cottage, Hattison avec sa face glabre, ravagée par l’ambitionet la haine, avec le regard perçant de ses petits yeux encavés dansleurs orbites, ne ressemblait pas peu, en ce moment, à quelquemalfaisant sorcier évoquant le démon de la science pour mener àbien une œuvre obscure et destructrice.

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