La Fée aux Miettes

XXVI.

Le dernier et le plus court de la narration de Michel, qui est par conséquent le meilleur du livre.

Si mon Iliade vous a coûté beaucoup d’ennui, monsieur, ne craignez pas que je mette votre patience à une nouvelle épreuve par la longue narration de mon Odyssée. Ce n’est pas qu’elle n’ait été féconde en aventures extraordinaires dont la connaissance pourrait servir en temps et lieu à l’instruction des hommes de bonne foi ; mais il faudrait pour cela qu’elle fût racontée dans une langue plus naïve et moins spirituelle que la nôtre, chez un peuple qui jouisse encore de son imagination et de ses croyances, et je me propose bien de le faire un jour, si je découvre ce soir la mandragore qui chante. Vous voyez maintenant qu’il me reste peu de temps à m’assurer de son existence, qui est la condition nécessaire de la mienne.

Il me suffira de vous dire que j’erre depuis six mois à travers des plaines de mandragores, qui relèvent toutes de quelque châtellenie peuplée des plus jolies femmes de la terre, et que je n’ai trouvé nulle part ni une mandragore qui chantât, ni une femme qui me fît oublier l’amour de la Fée aux Miettes.

Une semaine s’est à peine écoulée que je me retrouvai aux portes de Glasgow, mêlé à un couple d’herbalistes(1) qui cherchaient des simples.

— Monsieur, dis-je en m’adressant à celui de ces curieux dont l’air rogue et suffisant annonçait le mieux un savant profès, oserais-je vous demander si vous savez où je pourrais me procurer la mandragore qui chante ?

— Mon ami, me répondit-il en me tâtant le pouls, elle est infailliblement, si elle existe quelque part, à l’hospice des lunatiques, où ce garçon va vous conduire.

Et c’est depuis ce jour qu’on m’y retient prisonnier sans contrarier mon projet, puisque les mandragores n’y manquent pas…

Mais je vous le demande, monsieur, n’avez-vous rien entendu, et ne vous semble-t-il pas qu’une harmonie exquise court en murmurant sur ces fleurs mourantes, avec le dernier rayon du soleil horizontal ? Adieu, monsieur, Adieu ! –

Et Michel m’échappa pour courir à ses mandragores.

Dieu me préserve, infortuné, dis-je en me frappant le front de la main, et en m’élançant dans l’avenue sans regarder derrière moi, Dieu me préserve d’être témoin de ton désespoir quand le dernier de tes prestiges s’évanouira !

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