La Quittance de minuit – Tome I – L’héritière

XII – TERRE DÉCHUE

L’héritière avait supporté bien longtempscette torture inouïe d’entendre autour d’elle les railleries et lesclameurs qui célébraient par avance la mort de l’homme qu’elleaimait. Elle avait retenu tout au fond de son cœur sa douleur et sacolère. Elle avait attendu, se disant toujours : Je suis venuepour savoir ; il faut que je sache…

Mais la force de son âme s’usait à cesupplice ; à mesure que sa volonté défaillait, un courrouxinvincible s’emparait d’elle et grandissait jusqu’à troubler saraison. Elle voulait rester froide et se taire ; mais crid’horreur s’échappa enfin de sa poitrine et lança une malédiction àcette foule enivrée par l’espoir du sang.

Le son de sa propre voix suffit à la rappelerà elle-même ; elle sentit d’instinct son danger ; ellecomprit qu’elle allait mourir sans sauver Percy Mortimer.

L’endroit où elle se trouvait restait dansl’ombre, ceux qui l’entouraient demeuraient encore immobiles, sousle coup de leur premier trouble. Au moment où la voix deMolly-Maguire s’élevait pour demander : Qui a parlé ?Ellen repoussa ses deux voisins qui lui barraient le passage, ets’élança vers l’entrée.

Nulle lueur n’arrivait aux abords de l’étroitcouloir ; Ellen avait affaire à des gens superstitieux etprompts à redouter les choses surnaturelles. Ils s’écartèrent,dociles, et cédèrent à ses efforts. Elle gagna le couloir, letraversa et sortit par la fissure.

Au moment où le géant s’élançait enbrandissant une bûche de bog-pine enflammée, l’Héritièreeffleurait de son pas léger le galet noir et s’engageait dans lesrécifs qui tournent autour de la base de Ranach-Head.

Elle sautait de pierre en pierre, précipitantsa course et croyant entendre sans cesse les pas de ceux qui lapoursuivaient.

La route était ardue ; ses yeux troublésne voyaient point au-devant d’elle ; son pas trébucha bien desfois sur le goémon gras qui étendait ses rameaux comme un tapisau-dessus des roches aigus. Bien des fois sa poitrine oppressée luirefusa le souffle, et elle fut contrainte de s’arrêter pour presserà deux mains son cœur endolori.

Mais elle reprenait sa course : une forcemystérieuse la soutenait.

Elle gagna enfin la grève unie, puis la routequi monte par une pente insensible le long des flancs du cap. Ellerevit la noire silhouette du vieux château de Diarmid. Ellecourait. La fatigue brisait ses jambes ; sa mante dénouéeflottait à longs plis derrière elle ; ses cheveux inondés desueur se collaient à ses joues et retombaient alourdis sur sesépaules ; son souffle était un râle.

À la moitié de la montée, elle se retourna,parce qu’elle sentait bien que ses jambes harassées allaientmanquer sous le poids de son corps. La route était déserte derrièreelle ; au loin se montraient les écueils noirs, et, plus loinencore, la blanche écume du flux qui roulait vers la plage.

Le feu ne brillait plus au bas des ruines deDiarmid, mais il y avait encore de la lumière derrière, les soyeuxrideaux du château de lord George Montrath. Et sur le tissu blancdeux formes se détachaient, passant et repassant en une lentepromenade. Milord n’avait point sans doute le loisir de sommeillercette nuit.

Ellen passa essoufflée au-dessous du châteaude Montrath, et n’eut garde d’en remarquer les fenêtreséclairées.

C’était à peu près le moment où Molly-Maguireordonnait à l’un des hommes masqués de l’estrade de se rendre auposte déserté par Mac-Duff. La sentinelle choisie était OwenMac-Diarmid. Il s’élança résolument, car il était brave comme tousles fils du vieux Miles. Les paroles de Pat et de Mac-Duffrésonnaient encore à son oreille ; il savait que l’intrus dontle cri avait effrayé l’assemblée était vêtu d’une mante ronge.

En arrivant sur le galet, il ne vit rien quela plage vide et la mer qui montait, apportant son écume brillanteà cent pas de la base du cap. La lune éclairait vivement lesalentours et prolongeait au-dessus de la tête d’Owen l’ombre desgigantesques colonnes de l’escalier de Ranch.

Le regard du jeune homme fouilla le galetd’abord, puis la double ligne des écueils. Tout était immobile etsilencieux.

Il allait rentrer à l’intérieur, lorsque sonœil, ramené tout près de lui, tomba sur une forme confuse quigisait même au bord de la fissure. C’était un être humain accroupisur le sol et recouvert d’une mante écarlate.

Owen retint une exclamation de surprise et sejeta sur ses genoux, étreignant à deux mains les bras del’inconnu : il croyait tenir le traître. Mais à peine eut-ilapproché son visage de celui de son captif qu’il poussa un cridéchirant, ce cri qui, entendu au dedans de la galerie, avait misl’épouvante au fond de tous les cœurs.

Les traits du prisonnier étaientdécouverts ; tombant, le capuce de sa mante s’était rejeté enarrière. Owen avait reconnu le doux visage de Kate Neale, safemme.

Kate était évanouie ; son front pâledisparaissait à demi sous les boucles éparses de ses cheveux ;tous ses traits exprimaient l’inquiétude et la souffrance.

– Kate murmura Owen, que faites-vousici ? Kate n’ouvrit point ses paupières et ne réponditpas.

Owen se tordait les bras : il avaitdeviné ; un tremblement convulsif agitait tous ses membres. Illeva ses mains jointes vers le ciel.

– Voilà le malheur venu ! dit-il,mon Dieu : le malheur pour elle !

Il bondit sur ses pieds vivement ; unbruit sourd sortit par la fissure. Owen alla mettre son oreille àl’entrée, puis il revint vers Kate, puis il retourna encore versl’ouverture où le bruit grossissait. Ses yeux disaient une anxiétémortelle ; il était indécis parce qu’il y avait autour de luiun affreux péril.

Kate ne s’éveillait point. Owen tata sapoitrine et trouva, sa chair froide.

– Oh ! Vierge Marie ! dit-ilparmi ses sanglots, ils vont venir, et nulle force humaine nesaurait la protéger !

Il croyait encore que Kate avait pénétré dansla galerie et surpris le secret de l’association. Surprendre cessecrets, c’était mourir.

– Kate ! mon tendre amour reprit-il,éveillez-vous, éveillez-vous ! C’est moi, Owen, qui vous aimeéveillez-vous, au nom de Dieu !

Kate demeurait immobile. La bouche étroite dela caverne rendait des sons confus et menaçants. Owen entoura deses bras le corps de Kate et voulut la soulever ; mais sonémotion lui ôtait toute force. Le corps de Kate, soulevé uninstant, retombait toujours.

Des pas sonnèrent dans le couloir ; Owensentit comme un aiguillon qui lui traversait le cœur. Il fit uneffort désespéré et parvint à saisir Kate qu’il emporta entre sesbras. Chancelant, éperdu, il traversa le galet et disparut par lesentier étroit menant aux grottes de Muyr, et qui avait servi à Patpour descendre du sommet du cap.

Les pas entendus dans le couloir étaient ceuxde Molly-Maguire, escortée par les hommes masqués, groupés naguèrederrière elle sur le tertre. Ces gens avaient laissé hurlerl’orgie ; ils ne s’étaient point mêlés à la bacchanalefolle ; mais le cri poussé au dehors annonçait undanger ; ces gens prirent le pas sur la foule.

Tandis que la cohue, muette de terreur,s’enfonçait aux recoins les plus obscurs des galeries,Molly-Maguire et ses compagnons marchèrent d’un pas résolu versl’ouverture.

– Ne sortez pas, Morris ! disait-ontout bas sur leur chemin. Mickey, Sam, Larry, ne sortez pas !les dragons sont sur le galet !

– Les dragons et Percy Mortimer, lediable incarné !

– Ils ont déjà égorgé Owen, votrefrère !

– Avez-vous entendu son crid’agonie ?

– Et ils vont vous égorger à votretour !

– Morris, Mickey, Sam, ne sortezpas !

Molly-Maguire et ses compagnons continuaientleur route. Mahony les suivait avec la torche allumée. Derrière euxvenait le roi Lew armé d’un énorme shillelah, et une douzaine dematelots intrépides comme lui.

– Allons, mes fils, dit le roi Lew, on nemeurt qu’une fois. En avant !

Il y eut un mouvement d’hésitation parmi lafoule invisible, puis un frémissement se fit. Quelques voixs’élevèrent, et, après une on deux secondes d’attente, un cri deguerre retentit sous la voûte. La cohue se faisait vaillante tout àcoup ; une sorte d’électrique fluide avait couru de cœur encœur ; ce versatile troupeau avait fantaisie de courage.

Tous à la fois ils s’élancèrent en criant versl’ouverture ; c’était à qui désormais passerait le premiercette limite derrière laquelle était le péril. Et ils y allaient debonne foi, on peut l’affirmer. Pour un moment, c’étaientd’intrépides soldats, et malheur à qui eût soutenu le choc de leurcohorte fougueuse !

Mais au dehors, nous le savons, il n’y avaitpersonne pour soutenir ce choc. Cette vaillance soudaine etinespérée devait rester inutile ; la plage étaitdéserte ; il n’y avait aux alentour qu’un pauvre jeune hommebrisé par l’angoisse qui emportait dans ses bras sa femme à demimorte.

Morris avait entendu derrière lui la clameurguerrière. Il s’était arrêté pour écouter mieux. Son cœur s’étaitréjoui. C’était peut-être le réveil d’un peuple.

Morris pensa :

– Non ! les fils de l’Irlande nesont pas des lâches ! vienne l’heure du combat, et ils saurontmourir !

Cependant on n’ignorait déjà plus dans lagalerie que la plage était solitaire. Cette nouvelle s’étaitpropagée de bouche en bouche, depuis les premiers rangs jusqu’auxderniers, et, la fanfaronnade naturelle au peuple irlandais,exagérant aussitôt cet élan passager de courage, la voûte retentitde bravades insensés et de vanteries que n’auraient point reniéesnos riverains de la Garonne.

Les dragons anglais, si redoutables naguère,n’étaient plus que des insectes faciles à écraser du pied.

Les craintes étaient oubliées. On ne savaitplus qu’on avait eu peur ; et quand la mâle voix de MorrisMac-Diarmid, remonté sur le tertre, parla de luttes et debatailles, elle trouva un écho au fond de tous les cœurs.

L’instant était propice. Pour un moment lecaprice commun tournait à la guerre. La noble éloquence de Morriséchauffait ce sentiment jusqu’à l’enthousiasme, et chaque mainfrémissait, appelant un mousquet ou une épée.

La voûte sacrée qui avait tressailli jadis auxbruits des glaives choquant les boucliers de fer, résonnaitjoyeusement à ces clameurs connues. Elle retrouvait ses échos,éveillés si souvent par le cri des guerriers celtes, et lesténébreuses murailles grondaient avec la foule la devise desbatailles : Erin, go braegh.

Puis l’auditoire se taisait. Un solennelsilence régnait dans l’ombre entre les colonnes illuminées. La voixde Mac-Diarmid s’élevait seule, grave et haute. Il parlait desvieux temps, de la gloire des aïeux et des jours bénis où la harpedu barde avait des exploits à chanter.

Il parlait des mauvais jours de la conquête,des Danois couverts d’acier traversant le détroit et allongeantleur lance à l’aide de l’infâme trahison. – Dublin, Waterford,Wexford ne sont plus déjà des villes irlandaises. Leurs cathédralesportent les bannières danoises. – Mais l’Irlande vivait encore dansl’ouest et dans le nord. Le noble Connaught, toujours catholique,aujourd’hui allié avec Satan, gardaient la vieille langue d’Érin etses libres coutumes…

Voici venir les Normands, les Normands et lesSaxons ! Henri II, le traître roi, qui met des Anglaisavides à la place des bons lords hyberniens !

Oh ! maudit soit Dermot, le roi deLeinster, qui enleva la femme de O’Rourke, roi de Meath !Maudit soit Dermot, qui, chassé par le grand Roderick O’Connor,monarque de toute l’Irlande, appela l’Anglais à son aide !

Aimez-vous, fils d’Érin ! aimez-vous, etque l’étranger ne soit jamais juge en vos querelles !

Il n’y a plus de roi en Irlande. Le roi est àLondres, la ville gigantesque, à cheval sur son fleuve immense. Leroi s’appelle Henri VIII. Il a déserté l’Église sainte ?il est cruel comme tout apostat, et son sceptre se rougit de sangcomme la hache d’un bourreau.

Pauvre Irlande, toujours fidèle ! Qued’échafauds dressés par ces rois esclaves de l’erreur ! Érinse couvre de ruines, jusqu’à ce que Stuart catholique lui donne uninstant de trêve. Et aussi comme elle se bat pour Stuart !Hélas ! il y a parfois du sang tiède dans les veinesroyales.

Stuart est faible, et la vieille Irlande tombeécrasée aux rives de la Boyne.

Il ne reste plus rien d’Érin ; sa langueest oubliée ; son nom glorieux est mort, et George IIItrouve à peine assez de martyrs pour assouvir sa soif decarnage.

Ce sont des suppôts de Calvin qui prient ledémon dans les cathédrales catholiques. La Vierge est outragée, ladouce mère de Dieu ! Il n’y a plus de saints ; l’herbecroit entre les marbres des chapelles, et si quelque oraison pures’élève encore, c’est la nuit, tout bas, tout bas derrière lestombes des cimetières.

Car prier Dieu est désormais un crime :le Dieu des aïeux, le vrai Dieu qui sauva le monde, et dont lesigne du chrétien atteste la trinité sainte ! Ils ont un Dieuà eux, ces Anglais, qui ne veut ni encens odorant, ni bellesfleurs, ni brillantes images, un Dieu froid qui habite entre desmurailles nues et qui veut qu’on l’implore sans fléchir legenou.

Et les apôtres de ce Dieu sont des soldats enhabits rouges qui ont une Bible d’une main et un sabre de l’autre,qui chantent des psaumes et qui tuent.

Où sont nos chers lords ? nosgéants ? où est O’Brien ? où est O’Rourke ? où sontO’Farral, O’Neil et le grand O’Connor ?

Hélas ! ils ne sont plus, et leurs filsdéchus labourent le sillon des vainqueurs. Nos maîtres ont des nomssaxons, normands, anglais. Ils ont gratté la harpe aux écussons denos vieilles murailles, pour mettre à sa place les pièces inconnuesdu blason des chevaliers anglais !

Notre harpe ! elle forme un des quartiersde la bannière anglaise !

Mais écoutez ! Un cri nous arrive del’autre côté de la mer, un cri de triomphe et de joie ! C’estun peuple d’esclaves qui a brisé sa chaîne ; c’est l’Amériquequi, lasse de courber sa jeune tête sous le joug anglais, a pris letyran à la gorge et l’a repoussé vaincu. Hurrah pourl’Amérique !

Washington ! La Fayette ! l’Irlandese relève en prononçant vos noms. Wolf-Tone combat et meurt.Hélas ! deux flottes françaises viennent échouer sur nos côteshérissées d’écueils. L’Anglais est le plus fort. Son or vient enaide à son épée, et notre Parlement acheté – que Dieu le punisse ence monde et dans l’autre ! – a consenti la fataleUnion !

Désormais l’esclavage est de droit. L’Irlandeest une province conquise. Ses fils eux-mêmes ont signé le pacte deson asservissement.

Oh ! et voyez comme il se débat sous leréseau de lois qui l’enlace, cet homme, ce tribun, qui a donné savie à l’ardent amour de l’Irlande ! il est puissant. Sa penséesoulève des millions de tueurs. Derrière lui se range uneinnombrable armée.

Mais que peuvent ces soldats sansglaive ? Cet homme menace d’une main l’Angleterre, mais del’autre il retient l’Irlande irritée, et l’Angleterre a confianceen la force de cette main qui comprime le vouloir d’un peupledepuis de longues années. Elle ne cède pas, parce qu’elle sedit : O’Connell est entre nous et la colère del’Irlande !

Et les jours passent ; l’iniquitédemeure ; la misère grandit.

Daniel O’Connell ! verbe fort, puissantgénie ! laissez, laissez l’Irlande se redresser avant quevienne l’heure du dernier râle ! Elle sourie trop, cette terreà l’agonie ; n’attendez plus, car un jour encore, et le cœurde l’Irlande aura cessé de battre !…

Morris donnait à ces tableaux la force vivequi est le propre de l’éloquence. Ses paroles brûlaient. Chacunécoutait cette voix grave qui disait la ruine de la patrie.

Morris avait rejeté en arrière le voile rougequi le masquait naguère. Son noble visage apparaissait, éclairéfaiblement par les lueurs du foyer où quelques troncs debog-pine achevaient de se consumer. Ses cheveux, tombantsur ses épaules, encadraient son front pâle où Dieu avait mis lesigne de l’inspiration. Ses grands yeux s’élevaient vers le ciel,et il y avait un mélancolique sourire à l’entour de ses lèvres.

Le roi Lew et Mahony le Brûleur l’écoutaientbouche béante. Les gens qui se groupaient sur tertre s’étaientrapprochés, et leur attitude témoignait de leur attention émue.L’un d’eux s’avança doucement et baisa la main de Morris parderrière. C’était Mickey Mac-Diarmid, qui dit tout bas :

– Frère ! pardonnez-moi ! Il ya des heures où mon esprit borné ne sait point comprendre votrenoble tâche !

Le silence continuait dans la nuit des voûtes.Chez cette foule versatile et si changeante, l’impression du momentétait profonde. Il semblait qu’une parcelle de la grande âme deMorris eût passé dans chaque poitrine.

Et, quand la bouche du chef se rouvrit dunouveau pour prononcer un appel de guerre, ce fut une enthousiasteclameur contre l’Angleterre, contre le protestantisme et contreO’Connell lui-même.

L’influence du Libérateur absent cédait devantla parole de Morris. On l’accusait de manquer de cœur. Comme iln’est pas donné à ce peuple irlandais de garder en rien une jutemesure, on raillait cruellement l’idole de la veille ; onl’appelait avocat bavard, suppôt de chicane, procureur avide, et onl’accusait d’acheter des maisons avec la rente du Rappel !

– Morris, mon chéri ! disaientquelques-uns en pleurant, vous êtes notre doux maître, notre chef,notre bon lord ! Morris, nous sommes tous à vous ! Quefaut-il faire ?

D’autres parlaient moins et sentaientdavantage. Le roi Lew et ses hardis matelots eussent suivi Morrisau bout du monde. Le Brûleur demeurait comme abasourdi ; sacervelle épaisse entrevoyait vaguement tout un ordre d’idéesnouvelles.

– Hurrah pour Molly-Maguire cria-t-il àtout hasard en jetant un tronc de bog-pine dans lefoyer.

Et tandis que les mystérieuses girandoles serallumaient et dispersaient dans la nuit leurs gerbes d’étincelles,la foule répéta du fond du cœur :

– Hurrah pour le bon Morris, notre cherseigneur !

Morris parla encore. Chacun de ses mots étaitaccueilli comme un oracle. On ne pensait plus aux dragons détestés.De grand cœur on faisait grâce à ces obscurs instruments pours’attaquer à l’Angleterre elle-même. Les âmes relevées avaientdégoût du meurtre inutile ; elles se sentaient tressaillir ausouffle inconnu de l’honneur.

Hélas !…

Le jour commençait à poindre lorsquel’assemblée sortit de la galerie du Géant. Les objets avaientchangé de forme et de couleur. La mer baissait. On distinguait surles roches la verdure sombre et jaunâtre des varechs. L’immenseescalier de basalte soutenait, gigantesque colonnade, les ruines duchâteau de Diarmid.

Le galet, humide encore, disait que la mer, auplein de l’eau, était venue bien près de l’ouverture desgaleries.

La foule se sépara.

Le long de la route, les groupes nes’entretenaient point des destins de l’Irlande et de la puissanteparole du fils de Diarmid. Il s’agissait bien de ces choses !On se donnait rendez – vous à la chaussée de planches dans le bogde Clare-Galway. Et tous ces hommes en carricks, en haillons, enmantes rouges, frappaient la terre de leurs longs shillelahs etpoussaient des hurlements de joie en songeant à la mort des dragonsde la Reine.

Morris avait-il parlé en vain ?…

Tandis que ses frères se dirigeaient vers leMamturk, il allait, lui, du côté de Galway. Il avait rempli cequ’il croyait être, dans la sincérité de son cœur, son devoir decitoyen. Maintenant, fils pieux, il se souvenait du vieillard quisouffrait entre les froides murailles de la prison de Galway.

Morris allait visiter son père.

En ce moment Owen et Kate cheminaientpéniblement sur la route qui mène aux Mamturks. Ils avaient unelongue avance sur les gens de l’assemblée, mais ils allaient bienlentement.

Kate pouvait à peine se soutenir. Leur marcheétait silencieuse, ils souffraient tous les deux. Entre ces cœursaimants et unis si étroitement la veille, il y avait une barrièredésormais.

Dans la maison de Mac-Diarmid, l’Héritièreétait assise sur le pied de sa couche, tandis que la petite Peggydormait encore.

Ellen avait les cheveux épars. Ses yeux fixesbrûlaient.

Dans la salle principale, les bestiauxronflaient au delà de la corde tendue ; Jermyn, demi couchésur la paille commune, veillait. Sa tête blonde était entre sesmains. La colère ne pouvait ôter toute douceur à ce beau visaged’enfant.

Jermyn avait vu rentrer l’Héritière. Il sedemandait si le Brûleur avait pu remplir seul la tâche convenue, etsi ce jour qui se levait allait être le dernier jour de PercyMortimer.

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