La Quittance de minuit – Tome I – L’héritière

XVII – LE PATRIARCHE.

Le vieillard voyait ainsi le bonheur dansl’avenir. Il avait foi. Après l’épreuve, il apercevait des joursmeilleurs : l’union, la paix, les belles joies de lafamille.

Morris, lui, comptait les vides laissés dansla maison ; il songeait à Natty, son frère, à Jessy safiancée ; il songeait au péril de mort qui entourait sanscesse les fils de Diarmid, et ces paroles d’espoir qui tombaient dela bouche de son père lui attristaient le cœur, Encore quelquesjours passés dans sa prison, qui pouvait savoir combien d’êtreschers Miles Mac-Diarmid, délivré, retrouverait autour de la tablede famille ?

Morris baissait la tête et ne montrait pointsa peine : le vieillard avait si grand besoin d’espérer !Quand ce dernier eut demandé des nouvelles de chacun de ses fils enparticulier et de la noble Ellen, son œil s’anima tout à coup et safigure prit une expression de vive curiosité.

– Et ne savez-vous rien de l’élection,mon fils Morris ? dit-il.

– Rien, mon père, répondit Morris ;j’étais venu vous parler d’autre chose.

Le front du vieillard s’assombrit.

– Mes enfants ! mes enfants !répliqua-t-il avec un mouvement de colère, il faut bien que je vousle dise, vous ne vous occupez pas assez des affaires del’Irlande ! Sam est venu me voir hier, et c’est à peine s’ilsavait que nous étions à la veille du grand jour. Il n’avait pointde cocarde. Où est la vôtre, Morris ?

Le regard du vieux Miles parcourut le jeunehomme des pieds à la tête, cherchant quelque part sur sa personneles couleurs du Rappel, Morris rougit et ne releva point sapaupière.

C’était surtout pour Miles Mac-Diarmid que lapensée de Morris était un impénétrable secret.

Le vieillard, d’un geste véhément, toucha sapoitrine, où s’étalait une large cocarde verte.

– La voilà ! s’écria-t-il ;voilà l’image de la patrie ! Je la porte entre les muraillesde ma prison, je la porterai, s’il le faut, sur les planches d’ungibet ! L’Irlande ! enfants, le Rappel et notre pèreO’Connell ! Oh ! travaillez toujours dans cettevoie ! Point de paresse ! point de trêve ! le reposest une lâcheté.

– Mon père, dit Morris à voix basse,j’étais venu pour vous entretenir d’un autre sujet.

– Et de quoi voulez-vous parleraujourd’hui, Mac-Diarmid ? s’écria le vieillardimpétueusement. C’est aujourd’hui le jour de la bataille !Robert Peel et O’Connell sont en présence, l’orangisme et leRappel, la tyrannie infâme et la sainte cause de laliberté !

– La liberté ! répéta Morris dont lavoix avait un accent d’amertume.

Mais il n’acheva point sa pensée.

– Un autre sujet ! reprit, levieillard qui s’animait de plus en plus ; quand le glaive esttiré, quand le plus grand des Irlandais, notre providence à tous,Daniel O’Connell, est peut-être aux portes de la ville, car il apromis de venir, et il viendra le digne chrétien ! Oh !que je voudrais le voir ! que je voudrais entendre sa parole,et toucher sa main qui conduit l’Irlande, et baiser le bas de sesvêtements !

Le sang de Miles montait à son visage ;ses yeux étaient humides, son front rayonnait de cet enthousiasmesans bornes qu’inspirait à tout repealer la pensée duLibérateur.

– Sullivan ! poursuivit levieillard ; Sullivan misérable sangsue gonflée par notresang ! Ose-t-il bien accepter les chances du scrutin dans uneville du Connaught ! Il est riche, il aura des voix. Mais lebon William Derry en aura davantage. Ah ! que ne suis-je surla place de Galway ! O’Connell et Derry pour toujours !…Derry triomphera, n’est-ce pas, Mac-Diarmid ?

– On le croit, répondit Morris.

– Vous ne dites même pas : Onl’espère ! répliqua le vieux Miles avec amertume. Morris, vousn’avez pas le cœur d’un Irlandais !

– Que Dieu vous protège, père !prononça Morris, dont la voix tremblait ; je n’ai plus rien àaimer que l’Irlande !

– Alors, longue vie à O’Connell,enfant ! puisque O’Connell est le salut de l’Irlande.

– Longue vie à O’Connell ! répétamachinalement Morris.

Puis il ajouta, en pressant son cœur d’ungeste passionné :

– Et que Dieu sauve l’Irlande !

Miles leva, sur lui son regard attentif. Il yeut un instant de silence ; quelque chose de froid était entrele père et le fils. Ce fut Morris qui reprit le premier laparole.

– Mac-Diarmid, dit-il, vous avez déjàrefusé par trois fois votre délivrance. Et pourtant votre captivitése prolonge ; la tristesse est dans votre maison. Voussouffrez et vos fils souffrent. Au nom de tous mes frères, je viensvous demander une fois encore de vous laisser sauver par nosmains.

Les sourcils blanchis du vieillard s’étaientrapprochés et son œil sombre regardait la terre.

– Depuis mon absence, murmura-t-il mesfils ont eu le temps d’oublier de m’obéir ! je leur avaisdéfendu d’ouvrir la bouche à ce sujet. Mais que vaut l’ombre d’unvieillard au tempsoù nous sommes ?

– Père ! oh ! père ! ditMorris avec une soumission émue, nous vous aimons et nous vousrespectons. Ayez pitié de nous !

– J’ai pitié, répliqua le vieillard d’unton sévère. Mais, taisez-vous, mon fils Morris, ou la pitié va sechanger en mépris. Ne le savez-vous pas ? l’Irlande estengagée dans une guerre légale ; tout Irlandais qui résiste àla loi est un traître. Non, non ! je ne veux pas que le nom duvieux Miles soit un drapeau pour la révolte. Je ne veux pas que lesgarçons des Mamturks et du Connemara descendent armés sur Galwaypour donner aux dragons maudits le droit de verser le sangcatholique. Ils sont venus déjà, vous le savez ; quand je fustraîné en prison, tout le pays entre les lacs et la mer sesouleva ; c’était la plus grande douleur qui pût affliger macaptivité. Oh Morris, mon fils, je ne veux pas ! À quoi bond’ailleurs désormais ? L’heure de la justice approche.Aujourd’hui même le magistrat va venir dans ma prison pour me fairesubir un dernier interrogatoire. Il n’y a contre moi ni preuves nitémoins ; il y a pour moi mon innocence. Fuir serait nonseulement lâcheté, mais folie, puisque la victoire est sûre etqu’un peu de patience amènera l’instant du triomphe !

– S’il en était ainsi, répliqua Morristristement, mes frères ne m’eussent point envoyé vers vous, et jen’aurais point accepté la mission de combattre votre volontérespectée. Mais, devant un jury protestant, l’innocence est-elle unbouclier pour le catholique ?

– Il faut des preuves.

– On fait des preuves.

– Il faut des témoins.

– On crée des témoins.

– J’ai passé devant deux jurys, et, pourl’honneur de l’Irlande, pas un seul témoignage ne s’est élevé,contre moi.

– Et il a fallu attendre une troisièmesession, mon père ! et pendant les mois d’intervalle, on acherché si bien qu’on a trouvé des hommes pour attester votreprétendu crime.

Le vieux Miles interrogea son fils d’un regardperçant.

– Êtes-vous bien sûr de cela,Morris ? demanda-t-il.

Sa voix était ferme et grave.

– J’en suis sûr, répliqua Morris, dontl’accent exprima un espoir.

Le vieillard reprit comme en se parlant à lui– même :

– Je n’ai pourtant fait de mal à personneen ma vie. J’ai secouru du mieux que j’ai pu la misère de nosfrères souffrants. Ceux qui se sont vendus aux Saxons et qui vonttémoigner contre moi étaient bien malheureux sans doute. Mon fils,prions Dieu de leur pardonner !

Miles se mit à genoux au pied de son lit. Lesmains jointes, les yeux au ciel, il récita dévotement samiséricordieuse oraison.

Il y avait dans le regard de Morris uneadmiration attendrie.

– Mac-Diarmid, dit-il quand le vieillardse releva, ne montrez pas à vos fils cette noble et belle âme, sivous voulez que vos fils vous laissent mourir. Mac-Diarmid, mon bonpère, ayez pitié de nous !

Miles l’attira sur sa poitrine et le baisa aufront comme un enfant. Il se prit à sourire doucement.

– Vous êtes de bons fils, murmura-t-il,et vous m’aimez bien ! Dieu m’avait donné une vieillesseheureuse que sa volonté soit faite !

Les yeux de Morris se remplirent de larmes.Miles passa sa main ridée dans les beaux cheveux noirs du jeunehomme et le contempla d’un œil caressant. Autour de sa lèvre erraitun sourire où il y avait de l’orgueil.

– Ce sont de nobles garçons que les filsde Diarmid ! dit-il huit cœurs forts dans des poitrines defer ! Morris, vous êtes parmi eux le plus beau et le plusvaillant. Vous étiez l’amour de votre mère, qui est au ciel, etvotre père a senti souvent au fond de son âme trop de fiertémondaine quand il vous voyait si bon et si brave. Dieu vous adonné, mon fils, tout ce qui élève un homme au-dessus des autreshommes. Oh ! je vous le demande, rendez à la patrie tout ceque vous a donné Dieu ! Soyez dévoué, soyez infatigable !Allez et conduisez vos frères sur la route qui mène au salut del’Irlande ! Vous serez huit intrépides soldats dans l’armée duLibérateur, et, quand viendra l’heure de la délivrance, Mac-Diarmidn’aura point failli d’apporter sa pierre au grand édifice de laliberté irlandaise. Morris, me promettez-vous de m’obéir ?

Les yeux du jeune homme se baissèrent.

– Je promets de vivre, murmura-t-il d’unevoix émue ; je promets de mourir pour l’Irlande !

Son front rougit de pudeur, tandis qu’ilprononçait ces paroles ; car au fond de cette promesse sincèreil y avait une tromperie.

Pour Miles, l’Irlande c’était O’Connell, etMorris ne voulait point servir O’Connell. Mais il ne vint point àl’esprit du vieillard qu’un enfant élevé sous son toit pût chercherailleurs que dans l’agitation légale le salut de l’Irlande. Il pritla main de Morris et la serra entre les siennes.

– Merci, enfant, dit-il : vos frèresvous aiment et ont confiance en vous. Ils suivront la voie que vousleur montrerez : je vais mourir tranquille.

Le visage de Morris se couvrit de pâleur.Cette conclusion attendue lui brisa l’âme. Il connaissait sonpère ; il savait que, sous cette vivacité dont l’âge n’avaitpu glacer toutes les juvéniles ardeurs, le vieillard gardait uneforce de volonté indomptable.

– La session ne s’ouvre que demain,reprit Miles avec une sorte de gaieté. J’aurai le temps d’apprendrela défaite de ce coquin de Sullivan et le triomphe de notre cherDerry, que Dieu le bénisse ! Je n’aurais pas aimé mourir avantde savoir cela. Ce misérable Sullivan ! cher bon garçon deDerry !… Et si Daniel O’Connell est encore à Galway avant lasentence, il viendra sans doute donner une poignée de main à sonvieux compagnon. Le digne cœur ! Je suis sûr qu’ilconsentirait à me défendre devant le jury, mais il faut lui laissertout son temps pour l’Irlande.

– Mon père, mon père chéri, interrompitMorris que ces paroles navraient, je vous en supplie, songez à vosfils qui vous aiment !

Un nuage passa sur le front souriant duvieillard.

– Vous me rendrez triste, Mac-Diarmid,d’un ton résolu, mais vous n’y gagnerez rien. Ma voie est tracée.Il n’est pas en mon pouvoir d’enlever l’échafaud qui se dresse aubout du chemin.

– Écoutez, reprit Morris, vous êteschrétien, et Dieu défend de tuer ; rester ici, c’est appelerla mort, c’est mourir volontairement… c’est braver la loi que nosprêtres nous enseignent du haut de la chaire sacrée !

La franche figure du vieillard exprima uninstant le doute et la frayeur. Pendant soixante ans la religionavait été son guide, et son aide. À l’heure de mourir il craignitd’offenser Dieu. L’œil de Morris suivait avec un ardent intérêt lasérie des pensées qui se reflétaient sur les traits mobiles de sonpère. Un instant l’espoir rentra dans son âme ; Miles avaitbaissé la tête, et ses yeux disaient l’hésitation de saconscience.

Mais bientôt son front se redressa, austère etcalme. Ses sourcils se froncèrent légèrement.

– Mon fils Morris, dit-il avec sévérité,vous avez essayé de me tromper ; je vous pardonne, mais jevous défends de prononcer une parole de plus sur ce sujet.

Morris tomba sur ses genoux, un sanglotdéchira sa poitrine.

– Mac-Diarmid, mon cœur bien-aimé !s’écria-t-il, ne repoussez pas ma prière ! Au nom deDieu ! laissez vos fils vous sauver !

– Non ! répondit le vieillard.

Morris l’entoura de ses bras en pleurant.Cette âme forte s’amollissait en ce moment comme l’âme d’une femme.Il n’avait plus de parole ; il se traînait en gémissant sur laterre humide de la cellule.

Le vieux Miles, repoussant par un efforthéroïque l’émotion qui le gagnait, demeurait en apparence calme etfroid.

Une clef grinça dans la grosse serrure de laporte. Morris tressaillit, comme si l’heure mortelle eût sonné. Levieillard se redressa de toute l’imposante hauteur de sataille.

– Relevez-vous, enfant, dit-ilimpérieusement et cachez vos larmes. Un protestant ne doit pointvoir Mac-Diarmid pleurer.

La porte s’ouvrit. Sur le seuil apparutd’abord la ronde et fraîche figure du bon Nicholas Adams ;puis, derrière, le visage bronzé, rébarbatif, féroce, de maîtreAllan Grewill, le geôlier en chef.

– Je vous salue bien, mes deuxcompagnons, dit l’excellent porte-clefs ; nous venons prévenirMiles Mac-Diarmid.

– Taisez-vous ! interrompit Alland’une voix caverneuse.

Nicholas se tourna vers lui et lui adressa sonplus tendre sourire.

– Allons, vieux Mac-Diarmid, reprit lefarouche geôlier, hors d’ici ! Leurs Honneurs vous attendentdans la salle des interrogatoires.

– Je suis prêt, répliqua levieillard.

– Je suivrai mon père, dit Morris.

Le geôlier gratta son front sauvage et fit une effrayantegrimace ; on eût dit qu’il allait dévorer le père et le fils.

– Je ne sais pas si c’est dans la loi,commença-t-il. Je pense que personne n’a le droit…

– Maître Allan a raison, voulutinterrompre le conciliant porte-clefs.

Mais cela ne lui réussit point.

– Taisez-vous, cervelle d’âne !mugit le geôlier en roulant ses yeux comme un diable. Prétendez –vous connaître la loi mieux que moi ?

– Oh maître Allan…

– Taisez-vous ! Ce joli garçonsuivra son père, si je veux. Par tous les diables de l’enfer, jevoudrais bien savoir qui m’en empêcherait.

– Ce ne sera pas moi toujours, maîtreAllan !

– Taisez-vous ! Allons vous autres,hors d’ici ! Le juge Mac-Foote vous attend dans la salle,maître Miles, et du diable si Son Honneur aime à attendre, quand iln’a pas un bon bol de toddy pour passer le temps !

Le redoutable geôlier reprit haleine, etNicholas Adams eut le temps de lui dire tout, au long :

– Vous avez raison, maître Allan, sur mafoi, vous avez raison !

Le geôlier lui jeta un regard de tigre.

– Taisez-vous ! grinça-t-il pour latroisième fois ; passez devant, Miles Mac-Diarmid. Vous,Morris, mon gamin, vous serez là comme qui dirait un conseil, unsolicitor, quelque chose… Vous me plaisez, mon bijou, et j’espèrebien quelque jour vous avoir sous ma clef.

Le bon Nicholas se frotta les mains d’un airjoyeux.

– Oh ! maître Allan !dit-il.

Les sourcils farouches de ce dernier sedétendirent comme s’il allait avoir un accès de gaieté, mais ce futl’affaire d’une seconde ; tous ses poils bruns, barbe,sourcils, cheveux, remuèrent aux contorsions de sa face, et, ilreprit d’une voix tonnante :

– Marchons ! vous autres,marchons !

Le vieux Miles franchit la porte de sacellule, appuyé sur le bras de Morris. L’honnête Nicholas formaitl’avant-garde ; le geôlier marchait le dernier, le poing surla hanche, le bonnet de travers, et menaçant le vide de son regardfoudroyant. Cet homme terrible était bavard.

– Ça vaudra, quelque chose, grommela-t-ilen mesurant son pas lourd. Je suis bien aise que le vieux coquin depapiste ait une manière de conseil. Le gentleman de Londres enprendra meilleure idée de notre prison de Galway. SainteBible ! ça va être comme un jugement dans les formes ! Ily aura le tribunal, l’accusé, l’avocat et le public, ma foi !une vieille dame habillée de soie et une jolie miss quej’appellerais mistress Grewill de tout mon cœur à l’occasion.

Les Mac-Diarmid allaient en silence dans leslongs corridors de la prison. Le bon porte-clef Nicholas était troploin de son patron pour saisir le sens de ses paroles, mais detemps en temps il se retournait et murmurait deconfiance :

– Maître Allan, vous avezraison !

La salle des interrogatoires était située audelà des chambres communes, tout au bout de la prison. LorsqueMac-Diarmid et son fils y arrivèrent, la petite estrade destinée aujuge d’instruction était occupée déjà par le vénérable Mac-Foote,auteur des Visions dans la Veille et des Abstractions de laChair[11]. Auprès de lui se tenait, droit etdigne, Josuah Daws, esq., sous-intendant de la policemétropolitaine de Londres.

Cet honorable gentleman n’avait rien perdu deson air d’importance. Sa longue et jaune figure projetait sonmenton aigu jusque sur sa poitrine ; il avait, dans toute larigueur du terme, la tenue théâtralement austère d’un puritain dela vieille roche.

Un petit vieillard, nommé Gilbert Flibbert,tenait la plume au bas de l’estrade, prêt à remplir son office degreffier.

En entrant, on ne voyait que ces troispersonnages ; mais un regard plus attentif eût découvert dansun angle obscur de la salle deux dames en toilettes élégantes,assises sur des fauteuils apportés tout exprès. C’étaient mistressFenella Daws et sa jolie nièce, miss Frances Roberts.

Fenella ne put rester tranquille sur son siègelorsque la porte ouverte, donna passage au prisonnier. Elle se levaet mit au-devant de ses yeux effarés son binocle d’or.

Le noble visage de Miles Mac-Diarmid et lafière beauté de Morris lui arrachèrent un cri de joyeuse surprise.Elle était venue là au spectacle, et le spectacle promettaitvraiment quelque intérêt.

La figure effrayante de maître Allan lui causaun frémissement de plaisir ; c’était bien là le geôlier modèlequ’elle s’était figuré si souvent en lisant les pages frémissantesd’Anne Radcliffe ou de miss Maria Porter. Cette bouche grimaçanteplaisait au degré suprême ; elle n’eût pas donné pour uneguinée ce regard sanglant ; cette barbe hérissée la ravissaiten extase.

Il n’y eut pas jusqu’au beau Nicholas Adamsqui ne lui semblât un type fort convenable. Elle était à peu prèscertaine, – ou ses souvenirs l’eussent cruellement trompée, –d’avoir vu un porte clefs pareil dans les livres.

– Il faut venir dans le Connaughtmurmura-t-elle en se tournant à demi vers sa nièce, pour trouvercette couleur ! Voyez, miss Frances, y a-t-il un geôlier commecela à Newgate ? Trouverait-on un porte-clefs comparable àcelui-ci dans toutes les prisons de Londres ?

Elle tira précipitamment de sa poche un vasteportefeuille, sur le vélin duquel sa main sèche et pointuegriffonna quelques phrases à la hâte.

– Je note mes impressions, mon enfant,dit – elle, je fixe ma pensée. Je ne veux rien oublier, afin deraconter à nos amis de Fleet-street nos aventures d’Irlande, avectous leurs détails.

Miss Frances ne répondit point. Jusqu’àl’arrivée du prisonnier et de son fils, le charmant visage de lajeune Anglaise avait gardé son expression froide et un peu sévère.Maintenant il y avait sur ses joues, sur son front, sur son beaucou, si blancs d’ordinaire, une épaisse rougeur ; son seinbattait sous l’étoffe chastement croisée de sa robe.

Elle regardait Morris, et son âme était dansses yeux.

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