La Vampire

Chapitre 24LA RUE SAINT HYACINTHE SAINT MICHEL

Le boulevard de Sébastopol (rive gauche),passant avec majesté entre le Panthéon et la grille du Luxembourg,aplanit maintenant cette croupe occidentale de la montagneSainte-Geneviève. Tout est ouvert et tout est clair dans ce vieuxquartier des écoles, subitement rajeuni. Sa bizarre physionomied’autrefois, si pittoresque et si curieuse, a disparu pour faireplace à des aspects plus larges. Paris, la capitale prédestinée, neperd jamais une beauté que pour acquérir une splendeur.

Était-ce beau, cependant ! C’étaitétrange, Cela racontait à la vue de vives et singulières histoires.À ceux-là mêmes qui admirent franchement le Paris nouveau, il estpermis de regretter l’aspect original et bavard du vieux Paris.

Que d’anecdotes inscrites aux noires muraillesde ces pignons et comme ces antiques masures disaient bien leursdramatiques histoires !

En faisant quelques pas hors du jeuneboulevard, vous pouvez encore rencontrer de ces trous horribles etcharmants où le moyen âge radote à la barbe de noscivilisations ; les larges percées ont même facilement l’abordde ces mystérieuses cavernes. Derrière le collège de France, toutconfit en moderne philosophie, vous n’avez qu’à suivre cette voiequi semble un égout à ciel ouvert : voici des maisons, àdroite et à gauche, qui ont vu les capettes de Montaigu, couchéessur le fouarre ; voici des débris de cloîtres où la Ligue acomploté ; voici des chapelles, changées en magasins, auportail desquelles Claude Frollo dut faire le signe de la croix, encouvant la pretentaine, tandis que son frère Jehan, bête charmante,malfaisante et précoce, lui jouait quelque méchante farce du hautde ce balcon vermoulu, qui avait déjà mauvaise mine au temps où lesroyales vampires humaient le sang des capitaines à la tour deNesle.

C’est le mélodrame qui le dit ; lemélodrame, vampire aussi, buvant dans son gobelet d’étain la gloiredes rois et l’honneur des reines.

En 1804, au lieu où le boulevard s’évase enune vaste place irrégulière, regardant à la fois le Panthéon, leLuxembourg et le dos trapu de l’Odéon, c’était la rue SaintHyacinthe Saint Michel, plus irrégulière que la place, étroite,montueuse, tournante, et d’où l’on ne voyait rien du tout.

La maison où Georges Cadoudal avait établi saretraite fut célèbre en ce temps et citée comme un modèle detanière à l’usage des conspirateurs.

J’en ai le plan sous les yeux en écrivant ceslignes.

Elle avait appartenu quelques annéesauparavant à Gensonné, le Girondin, qui fit, dit-on, pratiquer unpassage à travers l’immeuble voisin pour gagner la maison sortantsur la rue Saint-Jacques par la troisième porte cochère enredescendant vers les quais.

On n’ajoute point que ce passage ait été percéen vue d’éviter, à l’occasion, quelque danger politique.

Un autre passage existait, courant en sensinverse et reliant la maison Fallex (tel était le nom dupropriétaire) à la cour d’une fabrique de mottes existant à l’anglerentrant de la place Saint-Michel, rue de la Harpe.

Ce deuxième passage, dont l’origine estinconnue et devait remonter à une époque beaucoup plus reculée, netraversait pas moins de treize numéros ; sur ce nombre, ilétait en communication avec cinq maisons ayant sortie sur la rueSaint-Hyacinthe, et une s’ouvrant sur la place Saint-Michel.

De telle sorte que la retraite de GeorgesCadoudal possédait neuf issues, situées, pour quelques-unes, à detrès grandes distances des autres.

Il avait coutume de dire de lui-même : Jesuis un lion logé dans la tanière d’un renard.

Lors du procès, il fut prouvé que la plupartdes voisins ignoraient ces communications.

Georges Cadoudal n’usait guère que des deuxissues extrêmes, encore n’était-ce que rarement. D’habitude, audire des gens du quartier, qui le connaissaient parfaitement sousson nom de Morinière, il sortait et rentrait par la porte même desa maison.

La police n’eut donc pas même l’excuse desfacilités exceptionnelles que la disposition de sa retraite donnaità Georges Cadoudal.

Le 9 mars 1804, à sept heures du matin, uncabriolet de place s’arrêta devant la porte du chef chouan, rueSaint-Hyacinthe, et attendit.

Tout le long de la rue, selon les mesuresprises la veille dans le cabinet du préfet de police, les agentsstationnaient. Il y en avait aussi aux fenêtres des maisons. Lecordon de surveillance s’étendait à droite et à gauche jusque dansles rues Saint-Jacques et de la Harpe.

On n’avait fait aucune démarche auprès duconcierge de la maison, qui, sur l’invitation du cocher ducabriolet de place, monta au premier étage de la maison, frappa àla porte de Georges et cria, comme c’était apparemmentl’habitude :

– La voiture de monsieur attend.

Georges était tout habillé et très abondammentarmé, bien qu’aucune de ses armes ne fût apparente.

Il avait la main dans la main d’une femmetoute jeune et adorablement belle, qui s’asseyait sur le canapé deson salon.

C’était une blonde dont les yeux d’un bleuobscur semblaient noirs au jour faux qui entrait par les fenêtrestrop basses.

– C’est bien ! dit Georges au concierge,qui redescendit l’escalier.

– Je crois, dit la blonde charmante, dont lesbeaux yeux nageaient dans une sorte d’extase, qu’il est permis detuer par tous les moyens possibles l’homme qui fait obstacle àDieu… Mais que je vous aime bien mieux, mon vaillant chevalierbreton, dédaignant l’assassinat vulgaire et jetant le gant à laface du tyran !

– Je ne dédaigné pas l’assassinat, réponditGeorges, je le déteste.

Il était debout, développant sa haute taille,trop chargée d’embonpoint, mais robuste et majestueuse.

Malgré son poids, qui devait êtreconsidérable, il avait, en Bretagne, une réputationd’extraordinaire agilité.

Sa figure était ouverte et ronde. Il portaitles cheveux courts, et, chose véritablement étrange, conforme dureste à la chevaleresque témérité de son caractère, il portait àson chapeau une agrafe bronzée réunissant la croix et le cœur, quiétaient le signe distinctif et bien connu de la chouannerie.

La comtesse Marcian Gregoryi fit le geste deporter la main de Georges à ses lèvres, mais celui-ci laretira.

– Pas de folie ! dit-il brusquement. Dèsque le jour est levé, je suis le général Georges et je ne risplus.

– Vous êtes, répliqua la blonde enchanteresse,le dernier chevalier. Je ne saurai jamais vous exprimer comme jevous admire et comme je vous aime.

– Vous m’exprimerez cela une autre fois, belledame, repartit Georges Cadoudal en riant ; il y a temps pourtout. Aujourd’hui, si vos renseignements sont exacts et si voshommes ont de la barbe au menton, je vais forcer le futur empereurdes Français à croiser l’épée avec un simple paysan du Morbihan… ouà faire le coup de pistolet, car je suis bon prince et je luilaisserai le choix des armes. Mais, sur ma foi en Dieu, le pistoletne lui réussira pas mieux que l’épée, et le pauvre diable mourrapremier consul.

Il jeta sous son bras deux épées recouvertesd’un étui de chagrin et poursuivit :

– Redites-moi bien, je vous prie, l’adresseexacte et l’itinéraire.

– Allez-vous tout droit ? demanda lacomtesse.

– Non, je suis obligé de prendre le capitaineL – – au carrefour de Buci. C’est mon second.

– Un républicain !…

– Ainsi va le monde. Nous nous battrons tousdeux, le capitaine et moi, le lendemain de la victoire.

– Eh bien ! reprit la comtesse en battantl’une contre l’autre ses belles petites mains, voilà ce que j’aimeen vous, Georges ! Vous jouez avec la pensée du sabre commenos jeunes Magyars, toujours riants en face de la mort… Ducarrefour Buci, vous prendrez la rue Dauphine, les quais, la Grève,la rue, le faubourg Saint-Antoine, toujours tout droit et vous netournerez qu’au coin du chemin de la Muette, à deux cents pas de labarrière du Trône. Là, vous verrez une maison isolée, une anciennefabrique, entourée de marais… Vous frapperez à la porte principaleet vous direz à celui qui viendra vous ouvrir : « Au nomdu Père, du Fils et du Saint-Esprit, je suis un frère de laVertu.

– Peste ! fit Georges, vos Welches n’yvont pas par quatre chemins ! Et faudra-t-il leur chanter unbout de tyrolienne ?

– Il faudra ajouter, répondit la blonde ensouriant comme si cette insouciante gaieté l’eût ravie : Jeviens par la volonté de la rose-croix du troisième royaume,souveraine du cercle de Bude, Gran et Comorn ; je demande leDr Andréa Ceracchi.

– Et après ?

– Après, vous serez introduit dans lesanctuaire… et nos frères vous mettront à même de rencontreraujourd’hui même, en un lieu propice, votre ennemi, le généralBonaparte.

– Un maître homme, grommela Georges, et quiaurait fait un joli chouan, s’il avait voulu !

Il serra gaillardement la main de la comtesseet se dirigea vers la porte.

Sur le seuil, il s’arrêta pourajouter :

– Il y a un petit endroit, là-bas, à mi-côté,de l’autre côté du bourg de Brech, que j’aurais voulu revoir.Chacun a quelque souvenir qui revient aux heures de péril, et m’estavis que la danse sera rude aujourd’hui… Elle me dit : Sois àDieu et au roi, et je fis un serment, la bouche sur ses lèvres…J’avais seize ans… J’ai bien tenu ce que j’avais promis… Lecapitaine répète souvent : Georges, si tu étais né dans la rueSaint-Honoré, tu crierais : Vive la république !… Mais,bah ! ceux de Paris radotent comme ceux de Bretagne. Le finmot, qui le connaît ?…

Ma belle dame, s’interrompit-il, n’oubliez pasde prendre le couloir sur votre gauche : vous sortirez par laplace Saint-Michel. Et si quelqu’un vous parle du citoyenMorinière, vous répondrez :

– Je n’ai jamais entendu ce nom-là.

Dans le sourire de la comtesse il y avait del’admiration et du respect.

Georges poussa la porte et descenditl’escalier en chantant.

Aussitôt qu’il fut parti, la physionomie de lacomtesse changea, exprimant un dur et froid sarcasme.

Au moment où Georges sautait dans lecabriolet, son cocher lui dit tout bas :

– La rue a mauvaise mine et tout le quartieraussi.

Le regard rapide et sûr du chouan avait déjàjugé la situation.

– Prends ton temps, mon bonhomme, dit-il ens’asseyant près du cocher. Tant qu’on fait semblant de ne pas lesvoir, ces oiseaux-là restent tranquilles… Ta bête est-ellebonne ?

– J’en réponds, monsieur Morinière.

Georges se mit à rire franchement et feignitde remonter d’un cran la capote du cabriolet.

– Rassemble, dit-il cependant à voix basse, etenlève ton cheval d’un temps… Ne manque pas ton coup… Tu vasenfiler la rue Monsieur le Prince comme si le diablet’emportait.

Il paraît que les gens de la police n’avaientpas même le signalement de Georges Cadoudal. Nous nous plaignonstous, plus ou moins, de nos domestiques, les chefs d’État ne sontpas mieux servis que nous.

Tout le long de la rue les agents seregardaient entre eux et hésitaient.

Le cabriolet était sur le point de s’ébranler,et George allait encore une fois passer comme la foudre au traversde cette meute mal drossée, lorsqu’à une fenêtre du premier étage,qui s’ouvrit doucement, juste au-dessus de lui, une femme parut,jeune, adorablement belle, donnant à la brise du matin ses cheveuxblonds, qui scintillaient sous le premier, regard du soleillevant.

Elle se pencha, gracieuse, et quoique Georgesne pût la voir, elle lui envoya un souriant baiser.

Les agents s’ébranlèrent tous à la fois :c’était un signal.

À ce moment, le cocher enlevait soncheval ; qui, robuste et vif, partit des quatre pieds etpassa, jetant une demi-douzaine d’hommes sur le pavé.

La comtesse Marcian Gregoryi restait à lafenêtre, suivant le cabriolet, qui descendait la rue comme untourbillon. Le pavé de la rue Saint-Hyacinthe tournait. Quand lecabriolet disparut, la blonde charmante s’éloigna de la croisée àreculons et en referma les deux battants.

– À cette heure, dit-elle, il n’en doit plusrester un seul de ceux du faubourg Saint-Antoine. J’ai conquis marançon, je suis libre, je ne laisse rien derrière moi… Demain, jeserai a cinquante lieues de Paris.

Elle se retourna soudain, étonnée, parce qu’unpas sonnait sur le plancher de la chambre, tout a l’heuredéserte.

Quoique son cœur fût de bronze, elle poussa ungrand cri, un cri d’épouvanté et de détresse.

René de Kervoz étant devant elle, hâve etdéfait, mais l’œil brûlant.

– Je viens trop tard pour sauver, dit-il, jesuis à temps pour venger.

Il la saisit aux cheveux, sans qu’elle fitrésistance, et appuya sur sa tempe le canon d’un pistolet.

Le coup retentit terriblement dans cet espaceétroit.

La balle fit un trou rond et sec, sans lèvres,autour duquel il n’y eut point de sang. Il semblait qu’elle eûtpercé une feuille de parchemin.

La comtesse Marcian Gregoryi tomba et demeuraimmobile comme une belle statue couchée.

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