La Vampire

Chapitre 9ENTRE DEUX AMOURS

Par hasard, le lendemain de cette soirée oùRené de Kervoz avait accompagné Angèle au salut deSaint-Germain-l’Auxerrois, il devait faire un petit voyage. Sonabsence ne fut point remarquée par ceux qui l’aimaient.

Nous saurons plus tard exactement quelle étaitsa position vis-à-vis de la famille de sa fiancée. C’étaient desgens de condition humble, mais de grand cœur, et qui avaient agi defaçon à mériter sa reconnaissance.

Une fois rentré dans sa solitude, René essayade lutter peut-être contre cet élément nouveau qui menaçait deconquérir sa vie. Sa vie était promise à un devoir doux etcharmant. Il n’y avait pas place en elle pour les aventures.

Il fallait que le roman dont le premierchapitre l’avait entraîné si loin fût déchiré violemment à cetteheure où une ombre de raison lui restait, ou qu’il devint sonexistence même.

Ce fut ainsi. René ne fut pas vainqueur dansla lutte. L’image d’Angèle resta ineffaçable au plus profond de soncœur, mais il en détourna ses regards affolés par un mirage.

Il était trop tendrement chéri pour que lemalaise de son esprit et de son cœur ne fût point remarqué par ceuxqui l’entouraient. Son caractère altéré, ses habitudes changéesexcitèrent des défiances, éveillèrent des inquiétudes. René le vit,il en souffrit, mais il glissait déjà sur la pente où nul ne sutjamais s’arrêter.

Le sort, du reste, puisqu’il estconvenu qu’il avait un sort, ne lui laissait ni repos ni trêve. Lafascination commencée ne s’arrêtait point. Le roman continuait,nouant aux pages de son prologue toute une chaîne de mystérieuseset friandes péripéties.

Dans une indisposition qu’il avait eue, Renés’était fait saigner naguère par un apprenti docteur, ami de sonbeau-père, un drôle de petit homme, qui s’appelait Germain Patou etqui parlait de la Faculté Dieu sait comme ! Ce Germain Patouavait découvert un pathologiste allemand, du nom de SamuelHahnemann, qui remplaçait les volumineux poisons du Codex par unepoudre de perlimpinpin, laquelle, au dire de Patou produisait desmiracles.

Le petit homme passait volontiers pour fou,mais, quoiqu’il ne fût point encore docteur, il guérissait à tortet à travers tous ceux qui lui tombaient sous la main.

Le surlendemain de la bagarre nocturne où Renéavait reçu ce coup sur le crâne, Patou vint le voir par hasard etRené lui montra sa blessure, disant qu’il était tombé à la renverseen glissant sur le pavé.

La blessure portait encore le petit appareilposé pendant que René dormait dans la maison mystérieuse.

Patou n’eut pas plutôt aperçu la plaie qu’ils’écria :

– Il y avait là de quoi tuer un bœuf.

Il approcha vivement ses narines del’appareil.

– Arnica montana ! Prononça-t-ildévotement : le vulnéraire du maître !… Mon camarade,vous avez été pansé par un vrai croyant : voulez-vous medonner son adresse ?

Dans son embarras, René raconta ce qu’ilvoulut ou ce qu’il put.

Pendant cela, Patou dépliait l’appareil.

C’était un mouchoir de batiste très fine, aucoin duquel un écusson brodé se timbrait d’une couronnecomtale.

– Tiens ! Tiens ! fit Patou, avezvous lu dans les gazettes l’histoire du tombeau de Szandor trouvédans une île de la Save, au-dessus de Semlin ? C’est trèscurieux. Moi j’aime les vampires, et j’y crois dur comme fer. Lamode y est, du reste : Il n’est question que de vampires. Lesjournaux, les livres, les gens parlent de vampires toute lajournée. Je connais un homme qui fait aller les bateaux sans voilesni rames, avec de la vapeur d’eau bouillante ; il a nom lecitoyen de Joufroy ; il est marquis et fou comme SamuelHahnemann ; il fait un mélodrame intitulé : laVampire. Le théâtre Saint-Martin en croulera ! Moi, jedonnerais la perruque du professeur Loysel pour voir la vampire quimange en ce moment la moitié de Paris… Revenons à notreaffaire : dans le tombeau de Szandor, il y avait un vampirequi sortait la nuit, traversait la Save à la nage et désolait lacontrée jusqu’à Belgrade. Ce vampire était comte, comme le prouvel’inscription du tombeau ; il avait été enterré en 1646… Etvoilà le drôle : le comte de Szandor avait la même deviselatine que le citoyen comte de 1804, ou la citoyenne comtesse quivous a prêté son mouchoir pour bander votre blessure.

Ce disant, Patou étala sur la table noire labatiste où les lettres brodées ressortirent en blanc.

La devise qui courait autour de l’écussonétait ainsi : In vita mors, in morte vita !

– Vraie devise de Vampire ! s’écriaPatou. « Dans la vie la mort, dans la mort lavie !… » Pour vous finir l’histoire du comte Szandor,après cent cinquante huit ans de séjour dans sa tombe, cegentilhomme avait encore de très beaux cheveux noirs, des yeux enamande et des lèvres rouges comme du corail. Il lui manquaitnéanmoins une dent. On lui a planté une barre de fer rouge dans lecœur, méthode chirurgicale qui parait adoptée généralement pourtraiter le vampirisme… À leur place, moi, j’aurais causé un peuavec ce gaillard-là, pour savoir ce qu’il avait dans l’idée ;je l’aurais examiné de pied en cap ; je l’aurais soigné,parbleu, par la méthode de Hahnemann, et il aurait pu, une foisguéri, nous raconter la guerre de Trente ans, de première main,sauf les deux dernières années…

Quand Patou fut parti, René prit le mouchoirbrodé et l’approcha de ses lèvres.

Le lendemain, il reçut une lettre dontl’écriture inconnue lui fit battre le cœur.

Le large cachet de cire noire portait le mêmeécusson que le mouchoir brodé et la même devise aussi : Invita mors, in morte vita.

Un malaise courut dans les veines de René,puis il sourit orgueilleusement, pensant :

– Ces superstitions ne sont plus de notretemps.

La lettre disait :

« On souhaiterait savoir des nouvellesd’une blessure qui a donné le sommeil au blessé, mais à une autrel’insomnie. »

« Ce soir, à six heures, on priera pourle blessé au calvaire de Saint-Roch. »

Point de signature.

La lettre avait été remise par un étrangemessager : un nègre, portant le costume des musiciens de lagarde consulaire.

La journée sembla longue à René, – et, pour lapremière fois, ceux qui l’aimaient s’aperçurent de son trouble.

Dès cinq heures il était au perron deSaint-Roch. Il attendit en vain jusqu’à six heures la voiture qu’ilespérât reconnaître.

Six heures sonnant et, de guerre lasse, iltraversa l’église pour gagner le Calvaire qui est derrière lachapelle de la Vierge.

Là il y avait une femme agenouillée devant lemystique rocher.

René s’approcha. Un imperceptible mouvement sefit sous le voile baissé de la femme, qui ne se retourna pas.

Dans ce demi-jour, dévot et moite comme leclair obscur savamment distribué par le grand art des peintres depiété cette femme, dont la toilette sévère et sombre laissaitdonner des formes exquises, faisait bien. Elle entrait dans letableau.

Sa prière semblait profonde et sansdistraction.

– Répondez-moi, mais tout bas, dit-elle d’unevoix douce et soutenue. Nous ne sommes pas seuls…

René regarda autour de lui. Il n’y avaitpersonne dans la chapelle ; personne, au moins, que l’on pûtvoir.

– Êtes-vous mieux ? lui fut-ildemandé.

– Ma souffrance est au cœur, répondit-il commemalgré lui.

Il y eut encore un silence.

La femme voilée semblait écouter des bruitsqui ne parvenaient pas jusqu’à l’oreille de René.

– Peut-on avoir deux amours ?Murmura-t-elle enfin d’une voix qui tremblait.

En même temps elle releva son voile et Renévit la douce flamme de ce regard qui était désormais son âme.

– Oh ! dit-il, je n’aime que vous.

Elle tressaillit et se leva, faisant un largesigne de croix avant de quitter sa place.

– Ne me suivez pas, ordonna-t-elleprécipitamment.

Et elle s’éloigna d’un pas rapide.

René, immobile, entendit bientôt un pasd’homme, lourd et ferme, se joindre au léger bruit que faisait sonpied de fée en frôlant les dalles de la chapelle.

Quand il tourna enfin la tête, il ne vit plusrien. L’enchanteresse et son cavalier avaient franchi la porte duCalvaire.

René s’élança sur leurs traces, ivre etfou.

Il sortit par l’issue qui donne sur le passageSaint-Roch. Le passage était désert.

Ivre et fou, nous avons bien dit. Il rentrachez lui dans un état d’excitation fiévreuse.

Celle-là le prenait par le cerveau, centred’action bien autrement puissant que cet organe aux aspirationsvaguement chevaleresques que nous appelons le cœur.

Depuis que le monde est monde, le cœur futtoujours vaincu par le cerveau.

Pour un temps, du moins, et quand la fièvrechaude est calmée, quand vient l’heure du repentir qui expie, unevoix s’élève, prononçant ce mot impitoyable et inutile, car iln’empêcha jamais aucun crime et jamais il ne prévint aucunmalheur :

– Il est trop tard !

La vie humaine est là.

Avant de rentrer chez lui, René dut frapper àla porte du père adoptif d’Angèle.

Il y a des convenances, et ces braves gens nelui avaient jamais fait que du bien.

Là, c’était le calme bon et noble, la saintesérénité des familles.

La vieille mère berçait un enfant, car René deKervoz était bien autrement engagé que le commun des fiancés ;le père à cheveux blancs lisait, la jeune fille brodait, pensive ettriste.

Mais vîtes-vous jamais le changement féeriqueque produit sur le paysage désolé le premier rayon de soleil auprintemps ?

René était ici le soleil ; l’entrée deRené fut comme une contagion de sourires.

La mère lui tendit la main, le père jeta sonlivre, la jeune fille, heureuse, se leva et vint à lui les deuxbras ouverts.

René paya de son mieux cet accueil, toujoursle même, et dont la chère monotonie était naguère sa meilleurejoie. Le plus cruel supplice pour l’homme qui se noie, est, dit-on,la vue du rivage. Ici était le rivage, et René se noyait.

L’aïeule lui mit l’enfant endormi dans lesbras. René le baisa avec un serrement de cœur et n’osa pointregarder la jeune mère, – non pas qu’il eût à un degré quelconquela pensée lâche d’abandonner ces pauvres créatures. Nous l’avonsdit, René était l’honneur même ; mais la conscience des tortsqu’il avait envers eux déjà le navrait. Il sentait bien qu’il lesentraînait avec lui sur la pente d’un irréparable malheur.

Et il n’avait ni le pouvoir de s’arrêter ni lavolonté peut-être.

Il n’y avait encore rien eu dans lamaison ; nous savons, en effet, que l’absence nocturne de Renéavait passé inaperçue. L’inquiétude n’était pas née encore chez cesbonnes âmes. Elle naquit justement ce soir-là.

Quand René se fut retiré à l’heure ordinaire,la mère alla se coucher, maussade et triste pour la première foisdepuis bien longtemps ; le patron gagna silencieusement saretraite, et Angèle resta seule auprès du petit qu’elle baisa enpleurant.

Le malheur venait d’entrer dans cette pauvremaison tranquille.

Désormais les moindres symptômes devaient êtreaperçus et passés au tamis d’une affection déjà jalouse.

Angèle resta longtemps, ce soir-là, assise àsa fenêtre en guettant de l’autre côté de la rue (car ils étaientvoisins) la lampe de René qui tardait à s’éteindre.

René pensait à elle justement, ou plutôt Renécroyait penser à elle, car c’était son image qu’il évoquait commeune sauvegarde ; mais, à travers cette image il voyait safolie : un éblouissement, une fatalité.

L’autre, celle qui n’avait pas encore de nompour lui, celle qui l’enlaçait avec une terrible science dans lesliens de la passion coupable.

Celle qui avait l’irrésistible prestige del’inconnu, l’attrait du roman, la séduction du mystère.

Les jours suivants, l’obsession continua. Ilsemblait que ce fût un parti pris de l’entourer d’un vague réseauoù l’appât, toujours tenu à distance, fuyait sa main et se montraitde nouveau pour prévenir le découragement ou la fatigue.

Il recevait des lettres, on lui assignait desrendez-vous, s’il est permis d’appeler ainsi de courtes etfugitives rencontres où la présence d’un tiers invisible empêchaitl’échange des paroles.

On l’aimait. La persistance de cesrendez-vous, qui jamais n’aboutissaient, en était une preuvemanifeste. On eût dit la gageure obstinée d’une captive qui luttecontre son geôlier.

À moins que ce ne fût une audacieuse etimpitoyable mystification.

Mais le moyen de croire à un jeu ! Dansquel but cette raillerie prolongée ? D’un côté il y avait unpauvre gentillâtre de Bretagne, un étudiant obscur ; del’autre une grande dame, – car, à cet égard, René n’avait pasl’ombre d’un doute ; son inconnue était une grande dame.

Elle avait à déjouer quelque redoutablesurveillance. Elle faisait de son mieux. Quoi de plus complet quel’esclavage d’une noble position ?

On écrivait à René : « Venez, » ilaccourait. Tantôt c’était en pleine rue : il croisait unevoiture dont les stores fermés laissaient voir une blanche main quiparlait ; tantôt c’était aux Tuileries, où le vent soulevaitle coin d’un voile tout exprès pour montrer un ardent sourire etdeux yeux qui languissaient, c’était, le plus souvent, dans leséglises ; alors on lui glissait une parole ; l’eau bénitedonnée et reçue permettait un rapide serrement de main.

Et la fièvre de René n’en allait que mieux.Son désir, sans cesse irrité, jamais satisfait, arrivait à l’étatde supplice. Il maigrissait, il pâlissait.

Angèle et ses parents souffraient par contrecoup.

Parfois la mère disait : C’est le mariagequi tarde trop, René a le mal de l’attente ; le mariage leguérira.

Mais le patron secouait sa tête blanche etAngèle souriait avec mélancolie.

Angèle sortait souvent, depuis quelquetemps.

Si vous l’eussiez rencontrée dans ces coursessolitaires, vous auriez dit : Elle va au hasard.

Mais elle avait un but. – Chaque foisqu’avaient lieu ces rencontres fugitives entre René et soninconnue, Angèle était là, quelque part, l’œil brûlant et sec, lapoitrine oppressée.

Elle cherchait à savoir.

Si elle savait quelque chose, jamais, dumoins, un seul mot n’était tombé de sa bouche. Elle était muetteavec ses parents, muette avec son fiancé.

Elle lui donnait toujours l’enfant à baiser,l’enfant qui, lui aussi, devenait maigre et pâle.

Mais quand elle restait seule avec la petitecréature, elle lui parlait longuement et à cœur ouvert, sûr qu’elleétait de n’être pas entendue.

Elle lui disait :

– L’heure du mariage est proche, mais qui denous l’entendra sonner ?

À mesure que les jours passaient, cependant,et par un singulier travail que tous les psychologistesconnaissent, René acquérait une perception rétrospective plus nettedes événements confus qui avaient empli cette fameuse nuit du 12février.

L’impression générale était lugubre et pleinede terreurs qui se continuaient jusqu’à la journée du 13, passéedans cette maison qui avait un grand jardin et une serre.

Dans la serre, René voyait de plus en plusdistinctement le trou carré, les deux hommes apportant un fardeauayant forme humaine et le noir fumant son cigare sous arbustes enfleurs.

Et il entendait la voix de femme qui disaitavec une froide moquerie :

– Le comte Wensel est reparti pourl’Allemagne !

Nous ne savons comment exprimer cela :dans la pensée de René, cette phrase avait un sens double etfunèbre.

Et ce paquet de forme oblongue, qu’on avaitjeté dans le trou, c’était le comte Wensel.

Si les choses eussent été comme autrefois, siRené de Kervoz avait passé encore ses soirées à causerdans la maison de son futur beau-père, le patron des maçons duMarché-Neuf, il aurait entendu plus d’une fois prononcer ce nom deWenzel ; il aurait pu prendre des renseignements précieux.

Car on parlait souvent du comte Wenzel chezJean-Pierre Sévérin, dit Gâteloup. Le comte Wenzel faisait partied’un trio de jeunes Allemands, anciens étudiants de l’Université deTubingen.

Il y avait Wenzel, Hamberg et Kœnig :trois amis, jeunes, riches, heureux.

Mais René ne causait plus chez les parentsd’Angèle.

Il venait là chaque jour comme on accomplit undevoir. Il souffrait, voyait souffrir les autres et se retiraitdésespéré. L’idée d’un meurtre commis était donc en lui à l’étatconfus.

Nous irons plus loin : nous dirons qu’enlui existait l’idée d’une série de meurtres. L’impression qu’ilgardait était ainsi. La trappe cachée sous les caisses de fleursavait dû servir plus d’une fois.

Et c’était là l’excuse la plus plausible qu’ilpût fournir à sa conscience pour le désir passionné qu’il avaitd’entretenir son inconnue.

Pour lui, en effet, la maison mystérieusecontenait deux femmes, la blonde et la brune : il les avaitvues de ses yeux : « la comtesse » et celle quin’avait point de titre, la femme sanglante, à qui tous les crimesincombaient naturellement, si crime il y avait, et l’angesauveur.

La veille du jour où nous avons pris le débutde notre histoire, montrant ces trois personnages échelonnés sur lequai de la Grève : René d’abord, puis Angèle qui suivait René,puis l’homme à cheveux blancs qui suivait Angèle, René avaitéprouvé comme un contre coup de l’émotion ressentie dans la maisonmystérieuse.

C’était encore à Saint-Louis-en-l’Ile, etc’était la première fois que son inconnue manquait au rendez-vousassigné.

René attendait depuis plus d’une heure,lorsque le jeune homme à figure blême, qui avait les cheveux toutblancs, sortit de la sacristie avec un prêtre que René voyait pourla première fois.

Un ecclésiastique entre deux âges, à laphysionomie honnête et grave.

La figure du jeune homme frappa René comme unchoc physique, et le nom entendu en rêve lui vint auxlèvres :

– Andréa Ceracchi !

Andréa Ceracchi passa, avec le prêtre, toutauprès de René, qui était caché par l’ombre d’un pilier etdit :

– Elle viendra demain. La chose devra êtrefaite tout de suite, parce que M. le baron de Ramberg est trèspressé de retourner en Allemagne.

Ces paroles et le ton qu’on mettait à lesprononcer étaient assurément les plus naturels du monde.

Cependant, au-devant des yeux de René, latrappe s’ouvrit, la trappe recouverte de fleurs, et il lui semblaentendre le lugubre écho de ces autres paroles : « Lecomte Wenzel est reparti pour l’Allemagne ! »

– Il faudra bien qu’elle dise la vérité ;pensa-t-il.

Et le lendemain, comme nous l’avons vu, ilrevint à l’église Saint-Louis-en-l’Ile.

Rendez-vous n’avait point été donné cettefois.

Soit que René se fût trompé réellement, soitqu’il eût affecté de se méprendre, il avait abordé une femme qui nel’attendait point, la blonde madone tant admirée par Germain Patouet qui se trouvait là pour tout autre objet.

À la suite de quelques paroles échangées, ilétait sorti par la porte latérale et avait gagné le vieux pavillonde Bretonvilliers, où on lui avait ordonné de se rendre.

Un coin du voile, à tout le moins, selevait : la blonde avait consenti à porter un message à labrune.

Pendant l’espace de temps assez long que Renéfut obligé de passer seul, dans le grand salon du pavillon, ilinterrogea plus d’une fois ses souvenirs, cherchant à savoir sicette maison était celle où il avait été rapporté évanoui – ouendormi, après la nuit du 12 février.

Sa mémoire était restée muette, quant auxmeubles et tentures, mais l’impression générale lui disait :Ce n’est pas ici. Les lieux ont non seulement une physionomie, maisencore une saveur ; René resta convaincu que la chambre où ilavait couché ne faisait point partie de cette maison.

Lila ! Il savait ce nom enfin ! Etc’était la blonde qui avait trahi le secret de la brune.

Elle avait dit, étonnée et peut-être effrayée,car il eût fallu peu de chose pour déranger la trame subtilequ’elle était en train de tisser à l’église Saint-Louis, elle avaitdit :

– Allez au pavillon de Bretonvilliers, frappezsix coups ainsi espacés : trois, deux, un, et quand la portes’ouvrira, prononcez ces mots : Salus Hungariae. Vousserez introduit, et je vous promets que ma sœur Lila viendra vousrejoindre.

Lila ! Sait-on quels torrents d’harmoniepeuvent jaillir d’un nom ?

Lila vint. René était à la fenêtre, où lapauvre Angèle le regardait d’en bas, devinant dans la nuit safigure bien-aimée. Depuis quelques secondes les yeux de Renés’étaient fixés par hasard sur une forme indécise, une forme defemme affaissée sur la borne du coin.

Certes, il ne la voyait pas dans le sens exactdu mot : l’ombre était trop épaisse ; mais le remords ades rêves comme l’espoir.

Une sueur froide baigna les tempes deRené ; le nom d’Angèle expira sur ses lèvres.

Il ne la voyait pas, pourtant, nous lerépétons, puisque, pour lui, la femme de la borne portait un petitenfant dans ses bras. Il voyait le petit enfant plus distinctementque la femme.

Mais Lila vint, et René ne vit plus rien queLila. Angèle, la vraie Angèle, car, hélas ce n’était pas unevision, tomba mourante, tandis que René oubliait tout dans unbaiser. Le premier baiser !…

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