L’ami du village – Maître Guillaume

Chapitre 19LE SECRET DE LA CONFESSION

Gratienne n’était pas sauvée, loin delà !

La phthisie ne pardonne pas. Tel était le maldont elle se mourait. On n’en doutait plus maintenant.

L’amélioration qui venait de se produire nepouvait être considérée que comme un sursis. La moindre rechutedeviendrait fatale. Sa vie était entre les mains de Dieu.

À peu près dans ces mêmes termes, le médecinvenait de prononcer son arrêt.

C’était dans la grande salle de la ferme.

Martin Fayolle retomba sur son siège, accablé,anéanti.

L’abbé Denizet et la Nanon se tenaient à sescôtés.

Ils échangèrent un regard :

« Oh ! pas encore ! murmuracelle-ci d’une voix suppliante.

– Vous avez juré ! réponditcelui-là ; il est temps.

– Je suis prête ! » articulapéniblement la Nanon, soumise et résolue.

Puis, s’adressant au docteur qui se disposaità sortir :

« Croyez-vous, lui demanda-t-elle, que lachère malade puisse supporter une grande émotion ?

– Oui, répondit-il, si cette émotion n’a riend’affligeant pour elle. Sa maladie n’altère nullement sa raison,bien au contraire. Elle peut tout entendre et toutcomprendre. »

La servante se retourna vers le prêtre.

« Parlez au père ! luidit-elle ; moi, je vais parler à l’enfant.

– De quoi s’agit-il ? questionna lemédecin.

– Vous le saurez plus tard, répliqua le curé.En passant devant l’école, soyez assez bon pour prier maîtreGuillaume de nous amener Claudine. »

Puis, s’asseyant en face de Martin Fayolle, illui frappa doucement sur l’épaule, il lui prit la main.

Déjà Nanon se dirigeait vers la chambre de lamalade.

On avait approché son lit de la fenêtre,ouverte aux doux rayons d’un soleil printanier. Des lianes dechèvrefeuille et de jasmin, des roses grimpantes retombaient endehors, l’abritant de leur ombrage.

À travers ce rideau mouvant, parfumé, ellepouvait voir la campagne fleurie. Tout près de là, dans lefeuillage mollement agité par la brise, un oiseau chantait.

La jeune poitrinaire, soutenue par desoreillers, regardait le paysage, écoutait l’oiseau.

Son amaigrissement, son étiolement, formaientun triste contraste avec toute cette nature en joie. Jamais,cependant, Gratienne n’avait été plus jolie. Ses traits s’étaientallongés ; il y avait comme de la transparence dans sa pâleur.Ses yeux, au milieu du cercle bleuâtre qui les entourait,semblaient plus grands, plus brillants. Déjà presque détachée de laterre, elle avait des regards, des sourires divins.

« Oh ! murmura-t-elle sans voirencore Nanon, qui venait d’entrer et doucement refermait la porte…Oh ! le printemps, la verdure, les fleurs, le soleil !…la vie !… que c’est bon !… Quel dommage de quitter toutcela !… On ne devrait mourir qu’en hiver ! »

Et deux larmes roulèrent sur sa joue, sansqu’elle songeât à les essuyer, dans son amère rêverie.

Un sanglot étouffé la réveilla. Elle aperçutla Nanon.

« Ah ! c’est toi, Nanon !…Pourquoi me laisser seule… où donc est mon père ? Si nousdevons bientôt nous séparer, jusque-là du moins restonsensemble.

– Non ! tu ne mourras pas ! s’écriala servante avec une étrange exaltation, j’obtiendrai de Dieu qu’ilte laisse vivre ! »

Et passionnément, elle l’embrassa.

L’enfant souriait.

« Vivre ! dit-elle, oh ! je nedemande pas mieux ! j’étais si heureuse avec vous ! jevous aime tant… toi, mon père, Claudine ! »

Pendant ce temps-là, Nanon relevait lesoreillers de façon à ce que la malade se trouvât comme assise danssa couchette. Puis, s’asseyant elle-même sur une chaisebasse :

« Gratienne ! dit-elle, maGratienne, écoute-moi, nous avons à causer.

– Causons ! fit avec enjouementGratienne, je veux me distraire, m’égayer… Conte-moi quelque bellehistoire comme au temps où j’étais petite.

– Oui, c’est cela ! dit la servante, etsi tu veux la comprendre, mon enfant, peut-être y trouverons-nousun moyen de consoler Martin Fayolle.

– Mon père ! s’écria Gratienne, oh !comme je serais heureuse !… Ce qui me désole, vois-tu… ce quim’effraye, c’est son chagrin ; il en mourrait !

– Écoute donc ! fit la Nanon,écoute ! »

Mais elle se taisait encore, épouvantée del’aveu qu’elle allait oser, comme recueillant ses souvenirs.

La malade, qui chauffait au soleil ses longuesmains blanches, ne tarda pas à s’impatienter :

« Eh bien !… voyons !…j’attends ! »

Nanon prit enfin courage. Elle releva la tête,et les yeux fixés sur Gratienne, l’âme attentive à l’effetqu’allait produire son récit :

« C’était il y a quinze ans, commença laNanon. Figure-toi, dans cette même maison où nous sommes, unepauvre servante…

– Comme toi, Nanon ?…

– Oui, comme moi. Son mari l’avait abandonnée…Elle allait être mère, et son enfant n’aurait pas de père, pasd’asile… Pour lui comme pour elle, c’était la honte et lamisère ! »

Nanon s’arrêta, hésitant à poursuivre.

« Je comprends ! dit Gratienne, jeme souviens de Jeanne Michu que tout le monde évitait, que sonmaître chassa !

– Le maître de celle dont je parle était bon,reprit la servante. Il lui eût épargné le scandale… Peut-être mêmene se fût-il aperçu de rien… Il était lui-même dans les angoisses…sa femme, qu’il adorait, semblait en danger de mort. Elle mourut enmettant au monde un enfant, une fille.

– Tiens ! comme ma mère ! murmuraGratienne qui commençait à s’émouvoir.

– Oui ! continua la Nanon. La servanteaussi venait d’avoir une fille… Personne ne le savait… Le désordre,le désespoir avaient bouleversé toute la maison. Le maître étaitcomme fou… Un démon tenta la servante… Elle mit son enfant dans leberceau de l’enfant de la morte…, elle porta l’enfant de la morte àl’hospice des Enfants trouvés…

– Oh ! la malheureuse ! »s’écria Gratienne toute palpitante d’indignation, d’anxiété.

Déjà le jour se faisait dans son esprit.

« Calme-toi, reprit vivement la Nanon,qui la suppliait du geste et du regard. Écoute-moi jusqu’au bout…Sache me comprendre… Oui, cette malheureuse fut bien coupable, biencriminelle… Voilà quinze années qu’elle vole l’argent, la tendressed’un pauvre père… Quinze années qu’elle vit comme une servanteauprès de sa fille et qu’elle la trompe aussi, comme tous lesautres… Il y a quelques jours encore elle mentait à Dieu !…Dieu l’a punie !… Sa fille se meurt !… Mais Dieu pardonneau repentir !… Il la sauvera peut-être, si sa mère a lecourage de tout avouer, de tout réparer… En ce moment même,M. le curé révèle tout à Martin Fayolle… Ne me disais-tu pasque tu serais heureuse de lui épargner un chagrin qui letuerait !… Ah ! c’est la juste expiation ducrime !… »

Nanon s’était jetée à genoux. Haletante, l’œilétincelant, les bras étendus vers Gratienne, elle semblait vouloirconjurer le coup que lui portait cet aveu.

Plus blême encore, agitée d’un tremblementconvulsif, les yeux démesurément ouverts, les mains dans lescheveux, Gratienne s’écria :

« Mais je deviens folle, moi !… Queme dis-tu donc ?… Cette histoire…

– C’est la mienne ! acheva la servante,c’est la nôtre !… Aie pitié de moi, mon enfant… je suis tamère !

– Ma mère !… Mais alors sa fille àlui !… l’autre…

– La Providence l’a ramenée dans cette maison…Tu la connais. Vous vous aimez.

– Attends !… j’ai compris… je devine…cette ressemblance !… c’est… »

Gratienne n’acheva pas. Sur le seuil de laporte qui venait de s’ouvrir, elle aperçut Martin Fayolle etClaudine.

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