L’ami du village – Maître Guillaume

Chapitre 18ANGOISSES

Depuis quelques jours, Gratienne se débattaitentre la vie et la mort.

Une fièvre ardente la dévorait. Sa pauvrepetite poitrine, déjà si frêle, était déchirée par une touxconvulsive. Après chaque crise, on eût dit qu’elle allait rendrel’âme.

Martin Fayolle était fou de douleur.

La Nanon, bien qu’en proie à d’aussi cruellesangoisses, conservait cependant toute son énergie. Sans repos, nuitet jour, elle soignait sa chère malade, elle luttait pour lasauver.

À peine tolérait-elle que le père entrât dansla chambre.

Claudine était rigoureusement consignée.

Chaque matin, dès l’aube, Guillaume venaitchercher des nouvelles et s’en retournait, appréhendant le nouveaucoup qu’il allait porter à sa sœur adoptive. La nuit avait étémauvaise… Le médecin ne laissait que peu d’espoir… Quelques heuresencore et ce serait peut-être fini !

Claudine se désespérait.

« Mais je porte donc malheur à tous ceuxqui me marquent de l’amitié ! disait-elle. N’est-ce pas assezd’avoir vu mourir Marianne et le père Sylvain ? Eux encore,ils étaient avancés en âge… Mais Gratienne !… ma pauvreGratienne !… à peine quinze ans !… »

Souvent elle s’échappait pour courir à laferme. Elle y passait de longues heures auprès de Martin Fayolle.Ils se désolaient ensemble, ils pleuraient.

Dans les yeux de Nanon, pas une larme.Quelques mots articulés d’une voix rauque, et c’était tout.D’ailleurs, on ne la voyait guère. Sans cesse enfermée avec lamalade, elle préparait elle-même ses médicaments, les lui faisaitprendre, l’encourageait, la soutenait, effaçant un pli du drap,relevant la couverture ou l’oreiller. Parfois même, pourl’endormir, elle trouvait le courage de fredonner une de cesvieilles chansons du pays, avec lesquelles elle avait bercé sonenfance.

Lorsque enfin Gratienne succombait au sommeil,Nanon se laissait tomber sur une chaise basse, retenant sonsouffle, la bouche béante, l’œil fixe. Elle restait ainsi, immobileet morne, un chapelet dans ses mains jointes. Mais elle ne priaitpas des lèvres, elle priait du cœur.

Une nuit, l’enfant rouvrit les yeux, sesouleva sans bruit, regarda la dévouée servante qui, tout absorbéedans sa douloureuse ferveur, murmurait :

« Mon Dieu !… oh ! mon Dieu,pardonnez-moi !

– Te pardonner ! dit Gratienne, mais tun’as jamais fait de mal à personne, ma bonne Nanon !

– Qui sait ? s’écria brusquement laservante comme courroucée contre elle-même. »

Puis, après avoir embrassé l’enfant comme ellene l’avait jamais embrassée, après lui avoir fait prendre quelquesgouttes d’une potion calmante, elle la contraignit à refermer lespaupières.

Quelques minutes plus tard, ainsi qu’en rêve,la jeune malade crut entrevoir Nanon qui, les yeux au ciel, levisage inondé de pleurs, se frappait la poitrine, en se mordant leslèvres pour étouffer ses sanglots.

Le lendemain soir, après une dernière crisesuivie d’une prostration complète, le médecin dit à voixbasse :

« Il est temps de prévenir M. lecuré. »

Martin Fayolle était sur le seuil. Derrièrelui, Claudine.

Elle eut un mouvement pour obéir audocteur :

« Reste ! dit tout à coup la Nanon.Ce sera moi… j’irai ! »

Et, pour la première fois, leur faisant signed’entrer dans la chambre, elle s’élança au dehors.

Comme elle arrivait devant l’église, onsortait du salut.

Elle alla droit au vieux prêtre. Elle lui dità l’oreille quelques mots que lui seul put entendre.

« Quoi ! murmura-t-il, avecétonnement. Vous voulez… ce soir même…

– À l’instant ! répondit-elle, d’un tonrésolu. »

Tous les deux se dirigèrent vers leconfessionnal.

Déjà l’humble église était plongée dansl’ombre. La porte restait ouverte, se découpant en noir sur le fondbleuâtre du crépuscule.

Extérieurement, plus personne. Aucunbruit.

L’église est entourée par un enclos ;c’est l’ancien cimetière.

On y pénètre par une barrière à claire-voie,qui se trouve enchâssée dans le mur à hauteur d’appui.

Cette barrière s’ouvrit, poussée dudehors.

Un homme parut, s’avança précautionneusement,comme avec le désir de ne pas être vu.

C’était le sergent Martial Hardoin.

Ne sachant plus comment employer l’héritage dePierre Gervais, ne voulant pas le garder pour lui-même, il venaitle déposer dans le tronc des pauvres.

Il franchit donc le porche en silence, ils’engagea dans les ténèbres de l’église.

Tout à coup, comme sa main cherchait à tâtonsla cassette scellée dans la muraille, Martial entendit de l’autrecôté, dans le confessionnal, un mouvement, un bruit.

Quelqu’un venait de se relever, se dirigeantrapidement vers la sortie.

Le sergent reconnut la Nanon ; il ne putretenir un cri de surprise.

« Qui donc est là ? demanda la voixde l’abbé Denizet.

– Ami ! répondit le zouave. C’est moi,monsieur le curé… Je ne regrette pas la rencontre.

– Pourquoi ? Que venais-tu faire ici, àcette heure ?

– J’allais insinuer là-dedans cinquantenapoléons. Ils m’avaient été confiés par un mourant, qui n’a plusd’autre héritier que les pauvres de la paroisse. Autant que vouspreniez cela dans votre bourse. On sait bien que c’est laleur. »

À cette réponse du soldat, le prêtre lui serrala main.

« Bien ! lui dit-il, c’est bien mongarçon ! voilà une pensée qui te portera bonheur !

– Vous acceptez, n’est-ce pas ? repritMartial, j’aime bien mieux ça, car vous direz quelques messes pourl’âme de Pierre Gervais. C’est lui qui… »

Le vieillard ne le laissa pas achever.

« Je te le promets ! dit-il avecémotion, mais garde cet argent. Je te dirai dans quelques jours àqui il appartient, à qui tu dois le remettre.

– Bah ! s’écria le sergent, vous avezdonc été plus heureux que moi ? Vous savez…

– Je sais tout ! l’interrompit de nouveaule vieux prêtre. Mais c’est encore le secret de la confession… Àbientôt. »

Il allait s’éloigner, Martial leretint :

« Il n’y a qu’une petite difficulté àcela, monsieur le curé, c’est que je pars ce soir.

– Tu ne peux pas attendre ?

– Non. C’est la fin de mon congé. Faut que jerejoigne.

– Alors, veux-tu m’accepter pourintermédiaire ? Je t’enverrai le reçu.

– Signé de l’enfant ?

– Signé de la mère.

– Voici l’argent ! s’écria le zouave.J’ai confiance ; mais c’est égal, je ne serai pas fâché desavoir… Vous comprenez, n’est-ce pas, monsieur le curé ?… Jeme suis donné tant de tintouin pour découvrir… Ah ! mon pauvrePierre Gervais, ton or ira donc à son adresse !… Mais que jesuis donc content… Mille tonnerres ! »

Le zouave se rappela tout à coup qu’il étaitdans une église. Se mordant, mais trop tard, les lèvres :

« Oh ! pardon, monsieur le curé…

– Je t’absous, mon ami ! répondit le bonprêtre. Heureux voyage, et bonne chance ! »

Et quittant le soldat, qui venait de luiremettre la somme, il se dirigea vers la ferme de MartinFayolle.

En entrant dans la chambre de la malade, ilaperçut le père et Claudine qui, penchés vers le lit, dans uneattitude silencieuse, souriaient à travers leurs larmes.

« Que s’est-il donc passé ? murmural’abbé Denizet.

– Elle s’est calmée ! Elledort ! » répondit à voix basse la Nanon, dont le visageresplendissait d’espérance.

Le curé lui montra le ciel…

Elle étendit la main comme pour renouveler unserment.

« Mon Dieu ! dit le prêtre, vous quipardonnez au repentir, faites pour nous unmiracle ! »

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