L’ami du village – Maître Guillaume

Chapitre 25LA RÉCOMPENSE

Philippe Mesnard va repartir dans quelquesheures. Guillaume a promis de l’accompagner.

Par la même occasion, il ira jusqu’auchef-lieu. Il y réglera définitivement son changement derésidence.

C’est un jeudi, après la classe.

En été, d’ailleurs, l’école ne se tient pasaussi rigoureusement. On est en pleine fenaison. Les écoliers sontutiles dans la prairie ; ils ne demandent qu’à déserter leslivres et les plumes pour la fourche et le râteau.

Guillaume a sollicité de M. le maire uncongé de deux jours, et de M. le curé l’exemption du servicedominical à l’église.

C’est le lundi seulement qu’il doitrevenir.

Il ne reviendra pas.

Sa démission est encore un secret pour tous,excepté pour Philippe Mesnard.

Lors de sa dernière visite, l’abbé Denizet etMartin Fayolle lui ont trouvé un air étrange. C’est avec uneémotion péniblement contenue qu’il a serré la main du fermier etcelle du vieux prêtre. L’un et l’autre ils ont eu cette mêmephrase :

« Mais qu’avez-vous donc, maîtreGuillaume ? On dirait un adieu… »

Se défiant de son courage, il ne voulait pasrevoir Claudine. Elle a su qu’il allait s’absenter pour quelquesjours, elle est venue à la maison d’école.

« C’est mal ! lui a-t-elle dit.Voici la première fois depuis quatre ans que nous seronsséparés ; vous ne m’en parliez pas !

– Je comptais vous voir demain matin,répondit-il. Ce n’est pas une séparation. Quand bien même j’iraisau bout du monde, quand bien même ce serait pour toujours, mapensée resterait auprès de vous. »

Après l’avoir regardé en silence, Claudinemurmura :

« Comme vous me dites celatristement !… Il y a des larmes dans vos yeux !… Pourquoirougissez-vous ? Ah ! voilà maintenant que vous deveneztout pâle… »

Guillaume s’efforça de sourire, il détournal’entretien, feignant une grande satisfaction d’aller à la ville.Il en rapporterait des livres nouveaux, de la musique, tout ce quipouvait plaire à Claudine.

Elle n’était qu’à demi rassurée lorsqu’elle seretira.

« Songez-y, lui dit-elle, je vous envoudrais beaucoup si vous me cachiez un chagrin. Ne suis-je pasvotre sœur ?… Pour sa sœur, un frère ne doit pas avoir desecret. Vous désirez, n’est-ce pas, que je sois contente,heureuse ? Je ne saurais l’être, Guillaume, que si vous êtesheureux.

– On est toujours heureux, répondit-il,lorsqu’on a fait son devoir. Ne vous inquiétez pas de moi. Àbientôt ! »

En même temps, il la reconduisait.

Sur le seuil, Claudine se retourna.

« Quoi ! fit-elle, vous nem’embrassez pas ? »

Elle lui présentait le front.

Il y mit ses lèvres, et, la saluant de lamain, rentra vivement dans sa classe.

Mais tout aussitôt, il courut vers la fenêtreet, soulevant un coin du rideau, il regarda Claudine quis’éloignait à pas lents.

Avant de disparaître, elle se retournaplusieurs fois.

Lorsque Guillaume la perdit de vue, avec ungeste de désespoir, avec un sanglot étouffé, il murmura :

« Adieu, Claudine ! Adieu pourjamais ! Tu me pardonneras un jour en comprenant que je mesuis conduit en honnête homme ! »

Restait à prendre congé de la Simonne.

Après souper, en présence de Mesnard, il luidit :

« Ma mère, si par hasard on me retenaitlà-bas… Vous savez, on m’a souvent offert de l’avancement… Philippem’a démontré que je devais avoir un peu d’ambition… Je compte voirmes supérieurs… Avant d’accepter un autre poste, je voudrais êtrecertain que vous m’y rejoindriez, ma mère.

– Où tu me diras d’aller, mon enfant, j’irai,répondit la Simonne. Tout ce que te demande ta vieille amie, c’estde passer ses derniers jours auprès de toi. »

Après l’avoir remerciée de cette marque dedévouement, après lui avoir recommandé le silence, Guillaumel’étreignit sur son cœur et remonta dans sa mansarde.

Philippe l’y suivit.

Il venait d’échanger un regard avec laSimonne.

………………………

À peine la porte se fut-elle refermée, queGuillaume s’assit devant la table où, d’ordinaire, iltravaillait.

« Tu peux te coucher, dit-il à Mesnard,j’ai à écrire.

– Longtemps ?

– Une partie de la nuit, peut-être.

– Alors, comme je n’ai pas encore sommeil, jem’en vais fumer un cigare à la belle étoile. »

Philippe ne rentra que fort tard.

Guillaume écrivait toujours.

À l’abbé Denizet, à Martin Fayolle, àClaudine.

Cette dernière lettre fut la plus longue.Souvent il avait dû s’interrompre pour essuyer une larme.

L’ingénieur dormait les poings fermés.

« Il est heureux, lui ! murmuraGuillaume, il sera l’époux de Charlotte ! »

Et le coude sur la table, le front dans samain, il évoqua le souvenir de tout ce qui s’était passé, de toutce qu’il avait rêvé depuis le jour de son arrivée au village.

Vers les premières lueurs de l’aube, épuisépar tant d’émotions, succombant à la fatigue, il sommeillaitfiévreusement.

Le bruit des sabots de ses écoliers leréveilla.

Il descendit et commença sa classe commed’habitude.

Jamais on ne l’avait vu plus affectueux, pluspaternel. Plusieurs fois, il répéta aux enfants de se bien conduireen son absence, de rester fidèles à ses leçons. Il serrait la maindes plus âgés, il embrassait les plus jeunes.

Lorsqu’ils sortirent enfin, émus de tant debienveillance, joyeux de leurs trois jours de liberté,l’instituteur remplit et boucla sa valise, qu’il avait descendue lematin.

L’instant du départ approchait.

Philippe était allé prendre congé du barond’Orgeval.

Tout à coup, Martin Fayolle parut sur leseuil, une lettre à la main.

« Qu’est-ce que j’apprends, maîtreGuillaume ? Ce départ, c’est pour toujours ?… vousdésertez, vous abandonnez la commune !

– Ah ! s’écria l’instituteur, Philippem’a trahi !…

– N’accusons pas l’ingénieur, répliqua lemaire ; c’est M. le préfet lui-même qui vous a dénoncé…Voici sa lettre !… Ah ! mais non, ça ne se passera pasainsi !… Nous vous retiendrons de force, oui-dà !…J’ameuterais plutôt tout le village. »

Guillaume l’arrêta.

« Je vous en supplie, monsieur le maire,écoutez-moi !… C’est à votre raison, c’est à votre justice queje m’adresse… Il y va de mon intérêt, de mon avenir… Ne m’avez-vouspas répété vous-même, et bien des fois, que je me sacrifiais enrestant ici… Je veux gagner plus d’argent, monter en grade… À montour, je suis ambitieux… Un autre vaudra tout autant que moi…N’insistez pas, c’est résolu ! »

Guillaume, domptant son émotion, se roidissaitdans sa volonté. Il avait dans l’attitude, dans le regard, unedétermination irrévocable.

« Au moins, reprit Martin Fayolle,retardez votre départ jusqu’au mariage de ma fille.

– Ah ! fit l’instituteur, qui tressaillitet devint blême, ah ! Claudine se marie ?…

– Il le faut bien ! répliqua le père d’unton bourru. Moi, je ne voulais pas… La franchise avant tout !…Mais on m’a tant remontré depuis deux jours que ce mariage-làferait son bonheur…

– Son bonheur ! répéta Guillaume, quelest donc le gendre que vous avez choisi ?

– Ah ! ah ! les concurrents nemanquaient pas ! poursuivit Martin Fayolle. Tous les fils denos riches cultivateurs des alentours… et ça m’allait fort, car jeveux que mon gendre fasse de la culture. Il me l’a promis.

– Ce n’est donc pas le notaire ?…

– Non. Il ne tenait qu’à nous cependant,Claudine pouvait devenir une bourgeoise et se pavaner au premierrang des dames de la ville. M’est avis même que le fils du barond’Orgeval ne demanderait pas mieux que d’en faire une baronne. Toutcomme une autre elle brillerait à Paris ! Mais non, ses idéessont ailleurs… Elle ne veut épouser que celui qu’elle aime.

– Elle aime quelqu’un ! s’écriaGuillaume, qui, ne se maîtrisant plus qu’avec effort, endurait lemartyre.

– Oui, » fit le père.

À l’horloge de l’école, midi sonna.

« Mesnard m’attend, balbutial’instituteur, je dois partir…

– Un moment donc ! interrompit MartinFayolle. Elle veut vous montrer elle-même celui qu’elle a choisi.Elle s’avance à sa rencontre… Elle lui tend la main… »

Puis, saisissant Guillaume par les deuxépaules, et le retournant de force vers l’autre côté :

« Mais regardez donc par là, mongendre !… Et comprenez enfin la récompense que vous offreMartin Fayolle ! »

Guillaume crut rêver.

Claudine était là sur le seuil de la chambrede la Simonne. C’était vers lui qu’elle s’avançait, c’était à luiqu’elle tendait la main.

« Guillaume, lui dit-elle, ne partez pas…je serai votre femme…

– Avec la permission de M. lemaire, » s’écria Martin Fayolle.

Et, poussé par lui, l’instituteur, palpitantde joie, vint tomber aux pieds de Claudine.

Heureuse et fière, elle ne songeait pas àbaisser ses grands yeux noirs. De pudiques larmes les voilaient.Son sourire était divin. Jamais elle n’avait été plus belle.

Un peu plus loin, la Simonne, s’agenouillant,remerciait le bon Dieu.

L’abbé Denizet, son ministre, bénissait lesfiancés.

Enfin, Philippe Mesnard, qui sans doute lesavait tous réunis, tous amenés là, se frottait les mains en sedisant :

« Voilà ce que c’est que d’êtreingénieur ! »

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